INTEGRALE DU VENT DU CH’MIN

TABLE DES MATIERES

 

 

Volume 1.

 

LES ABSINTHES.. 11

A L'AUBERGE DE LA ROUTE.. 12

ALCIDE PIEDALLU.. 13

L'AMOUR QUI S’FOUT DE TOUT. 14

APRES VENDANGES.. 15

AU BEAU CŒUR DE MAI 16

AU COIN DU BOIS.. 17

L'AUMONE DE LA BONNE FILLE.. 18

AUTOMOBILISME.. 19

LA BELLE JEUNESSE.. 20

BERCEUSE DU PETIT BRISE-FER.. 21

LES BOHEMIENS.. 22

LES BORNES.. 23

LES BRACONNIERS.. 25

LES BREMAILLES.. 26

BRIN DE CONDUITE.. 27

LES CAILLOUX.. 28

CANTIQUE PAÏEN.. 29

LA CASSEUSE DE SABOTS.. 30

CAUSETTE.. 31

CE BON BOUGRE DE METAYER.. 32

C'ETAIT UN DIMANCHE.. 33

LE CHAMP DE NAVIOTS.. 34

LES CHAMPIGNONS.. 35

LA CHANDELEUR.. 36

CHANSON D'AUTOMNE.. 37

CHANSON DE BRACONNIER.. 38

LA CHANSON DE L'HERITIER.. 39

LA CHANSON DE PRINTEMPS DU CHEMINEUX.. 40

LA CHANSON DES CORBEAUX.. 41

CHANSON DE VENDANGES.. 42

CHANSON DU DIMANCHE.. 43

LE CHAR A BANCS DES MORIBONDS.. 44

LES CHARANÇONS.. 45

LE CHARRETIER.. 46

LES CH'MINS.. 48

LE CHRIST EN BOIS.. 50

LA CIGARETTE.. 51

COMPLAINTE DE L'ESTROPIE.. 52

COMPLAINTE DES RAMASSEUX D'MORTS.. 53

COMPLAINTE DES TROIS ROSES.. 54

LES CONSCRITS.. 55

CRUELLE ATTENTE.. 56

DANS LE JARDIN DU PRESBYTERE.. 57

LE DERAILLEMENT. 58

LA DERNIERE BOUTEILLE.. 59

LES DEUX CHEMINEUX.. 60

LE DISCOURS DU TRAINEUX.. 61

LA DOT. 62

LES DRAGEES.. 64

DRAPEAUX.. 65

LES DRAPS SECHENT SUR LE FOIN.. 66

 

Volume 2.

 

L'ECOLE.. 68

LES ELECTEURS.. 70

L'ENFERMEE.. 72

EN REVENANT DU BAL. 73

L'ENSEIGNE.. 74

EN SEMANT DU BLE.. 75

EN SUIVANT LEU' NOCE... 76

L'EPICIER.. 77

ET DIRE QU'ON S'AIME ! 78

ETIONS-NOUS BETES.. 79

FEU DE VIGNE... 80

LA FILLE A NOT' MEUNIER.. 81

LE FOIN QUI PRESSE.. 82

LE FONDEUR DE CANONS.. 84

GARÇAILLE PALIE.. 85

LES GAS ET LES FILLES.. 86

LE GAS QU'A MAL TOURNE.. 87

LE GAS QU'A PERDU L'ESPRIT. 88

LES GAS QUI SONT A PARIS.. 89

LA GOMMEUSE PUDIQUE.. 90

LES GOURGANDINES.. 91

GRAND'MERE GATEAU.. 94

HYMNE AU VIN NOUVEAU.. 95

IDYLLE DES GRANDS GARS COMME IL FAUT ET DES JEUNESSES BEN SAGES.. 96

LES JACHERES.. 98

J'AI FAIT DES BLEUS SUR TA PEAU BLANCHE.. 99

JOUR DE LESSIVE.. 100

LE JOUR DU MARCHE.. 101

LA JULIE JOLIE.. 102

LEU' COMMUNE.. 103

MA CHATTE GRISE... 110

LES MAINS BLANCHES, BLANCHES... 111

LES MANGEUX D'TERRE.. 112

LES MANIES RIDICULES.. 113

MARCHE DES GARDES CIVIQUES.. 114

LA MAUVAISE HERBE.. 115

MA VIGNE POUSSE.. 116

MOSSIEU IMBU.. 117

LES MOULINS MORTS.. 119

NOËL DE LA FEMME QUI VA AVOIR UN PETIOT ET QUI A FAIT UNE MAUVAISE ANNEE.. 120

NOS VINGT ANS.. 121

NOUVEAU CREDO DU PAYSAN.. 122

L'ODEUR DU FUMIER.. 123

LES OIES INQUIETES.. 124

 

VOLUME 3.

 

LE PANTALON DU COUSIN JULES.. 126

LE PATOIS DE CHEZ NOUS.. 127

LA PAYSANNE.. 128

PETIT PORCHER.. 129

PETIT POUCET. 130

LES PETITS CHATS.. 131

LES PIES.. 132

POURQUOI ?. 133

POUR UN VIOL. 134

LE PRE D'AMOUR.. 135

LES P’TITS OISEAUX CHANTAIENT TROP FORT... 136

RENOUVEAU.. 137

LE SACRILEGE IMPUNI 138

SAOUL, MAIS LOGIQUE... 139

SAPRE VIN NOUVIEAU !... 140

LA SEPARATION.. 141

SERA CELLE QUI M’AIMERA.. 142

STANCES A LA CHATELAINE.. 143

SUR LE PRESSOIR.. 144

SUR UN AIR DE REPROCHE... 145

LES TACHES.. 146

T'AS-T'Y BEN FETE MON JACQUES ?. 147

LA TÊTE DE MORT. 148

LA TOINON.. 149

LE TOURNEVIRE AUX VAISSELLES.. 150

LE TREFLE A QUATRE FEUILLES.. 151

UN BON METIER.. 152

VA DANSER ! 153

VENGEANCE.. 154

LES VIGNES SONT GELEES... 155

LE VILAIN GAS ! 156

LES YEUX BLEUS.. 157

 

ŒUVRES DE JEUNESSE. 158

 

L'AVEU.. 159

(Sonnet) 159

BALLADE A JEHANNE.. 160

LA BOMBE.. 161

CHANSON DE MESSIDOR.. 162

LA CHANSON DU GUI 163

COMME LES GAULOIS.. 164

DANS VOS YEUX.. 165

DE L'INFLUENCE QUE PEUT AVOIR UN SIMPLE PALMIPEDE SUR LES OPINIONS POLITIQUES D'UN BRAVE RENTIER.. 166

LE DEUIL DU MOULIN.. 167

DEUXIEME LETTRE OUVERTE A M. LE CURE DE MEUNG.. 168

LES ECUS DE LA VIEILLE.. 169

GUEUX.. 174

LE GUEUX DES GRANDES ROUTES.. 175

IDYLLE ROUGE.. 176

« J'EN AURAI LE CŒUR NET !... ». 177

LE PAUVRE GARS.. 178

LA PAYSANNE.. 179

LE PETIT QUI PLEURE.. 180

LE PLUS VOLE DES DEUX.. 181

POUR LES PETITS.. 182

REQUIESCAT IN PACE.. 183

LA ROSE DE L'ABSENT. 184

SON DERNIER BOUQUET. 185

SUR LA GRAND'ROUTE.. 186

LES TROIS CHANSONS DU CARILLON.. 187

LES TROIS QUENOUILLES D'AUDEBERTHE.. 188

UN CREPE AU BRAS.. 189

UNE LESSIVE QUI TOMBE UN JOUR DE FETE-DIEU.. 190

VALSE MYSTIQUE.. 191

VARIATION SUR L'AIR DE MALBROUGH.. 192

LE VIEUX TROUVERE.. 193

 

VOLUME 4.

 

INTRODUCTION.. 195

 

CHANSONS DU LIBERTAIRE. 197

 

L'AMOUR ANARCHISTE.. 198

LES TAUREAUX.. 199

CHANSON DE MOISSON.. 200

 

LA SEMAINE RIMEE. 201

 

LOUPILLON 1910. 202

STANCES A LEPINE.. 203

LE DINDON DE LA FARCE.. 204

LE PAIN CHER.. 205

DELICATESSES D'ELEPHANTS.. 206

 

CHANSONS DE LA SEMAINE. 207

 

POUR FAIRE PLAISIR AU «COLON». 208

L'AFFAIRE CHEVAUX-JACQUELIN.. 209

LA CHANSON DES SILOS.. 210

QUE LE SANG RETOMBE SUR VOUS.. 211

CHANT DE REVOLTE DE CE 14 JUILLET. 212

NOS Q. M. EN VACANCES.. 213

LE DOSSIER DE DAMOCLES.. 214

LA COMPLAINTE DE GRABY.. 215

LES SOLDATS ONT LA JAUNISSE.. 216

L'OISEAU QUI VIENT DE France. 217

LA SUPPRESSION DES DEMI-PORTIONS.. 218

VACHE-QUI-VOLE.. 219

LA PLAISANTE PREMIERE COMMUNION.. 220

UBU PRESIDENT. 221

A LA FAÇON DE BARBARIE... 223

LA GREVE DES CHARCUTIERS.. 224

CHANSON POUR LA CLASSE.. 225

LA CARMAGNOLE DES CHEMINOTS.. 226

CHEMINOTS, QUEL JOLI SABOTAGE ! 227

ÇA VA, ÇA VA, LA GREVE MARCHE.. 228

VIVE LA LIBERTE ! 229

NIB DE CONSPIRATEURS ! 230

BRAVE CHAUSSETTE A CLOUS.. 231

LE SAUVEUR.. 232

CE POLICIER-LA... 233

IL AVAIT UN TIRE-BOUCHON ! 234

L'HONNETE HOMME.. 235

DISCOURS D'ARISTIDE.. 236

LES LOUPS.. 237

AU LIEU D'UN PAUV PETIT POMPON.. 238

LES JOYEUSETES DE LA GREVE PERLEE.. 239

NOEL. 240

GLOIRE A ROUSSET. 241

LA CHANSON DES FILS.. 242

PITOU LIT LA GUERRE SOCIALE.. 243

L'ELECTION DU PRESIDENT DE LA CHAMBRE.. 244

LE BEAU GESTE DU SOUS-PREFET. 245

CANTIQUE A L'USAGE DES VIGNERONS CHAMPENOIS.. 246

AU 22e. 247

BERCEUSE DU « DORMANT ». 248

MOUCHARDS AMATEURS.. 249

ADIEUX A ARISTIDE.. 250

COMPLAINTE DES TERR' NEUVAS.. 251

LES PIECES SOCIALES DE M. PAUL BOURGET. 252

ON LES EMM... ! 253

SERENADE A M. VAUTOUR.. 254

CES CHOSES-LA.. 255

NOUVEAU CREDO DU PAYSAN.. 256

COMPLAINTE DE L'ESTROPIE.. 257

PREMIER MAI 258

HELAS! QUELLE DOULEUR.. 259

ÇA SENT LA ROUSSE.. 260

LA MARSEILLAISE DES REQUINS.. 261

SA DERNIERE... 262

LE CLAIRON.. 263

AH ! AH ! MOI J'M'EN.., 264

MOUCHARDS ! 265

LA PETITE FLEUR BLEUE.. 266

 

ALMANACH DE LA GUERRE SOCIALE 1910 1911. 267

 

REVISION.. 268

PRINTEMPS.. 269

ETE.. 270

AUTOMNE.. 271

HIVER.. 272

 

VOLUME 5.

 

ALLUMETTES DE CONTREBANDE.. 274

APRES LA LETTRE.. 275

L'AUTRE FAISEUR DE MIRACLES.. 276

GALILEEN TES MIRACLES D'UN JOUR.. 276

LA CHANSON DU LABOUREUR.. 277

LA DEBAUCHEUSE.. 278

LE FACHEUX MADRIGAL. 279

LES FAUCHEUX DE COULMIERS.. 280

LES FOINS.. 281

LE JOLI JOLI BOUQUET. 282

MES AGNEAUX... (1) 283

MON COCHON DE BLAIR.. 284

NOEL DE LA PAUVRE FEMME.. 285

LA PAIX.. 286

SOUTANE.. 287

CHACUN DOIT AIMER.. 287

LE TEMPS D'AMOUR.. 288

LE TESTAMENT D'UN SALE PIERROT. 289

LE TRISTE INDIVIDU ! 290

LE VIN DE NOS VIGNES ET DE NOTRE AMOUR.. 291

LES VIOLETTES.. 292

 

TEXTES RETROUVES.

 

LA CHANSON DES FUSILS.. 294

REDEMPTION.. 295

 

Volume 1

LES ABSINTHES

 

Attends-moi ce soir, m'as-tu dit, maîtresse ;

Et, tout à l'espoir d'avoir ta caresse,

Je me suis assis au banc d'un café ;

Mes yeux inquiets vont de la terrasse

Au clair va-et-vient des femmes qui passent,

Croyant chaque fois te voir arriver.

 

Tout en t'attendant j'ai pris une absinthe.

L'heure où tu devais venir, l'heure tinte

Tu n'es pas là. Mon verre est vide. Une autre absinthe !

 

L'eau tombe en mon verre à très lentes gouttes

Et mon cœur où tel vient tomber le doute

Pose des questions tout seul et tout bas ;

Gardant comme un leurre un brin d'espérance

Tandis que le soir s'engrisaille, il pense

Au deuil de ma nuit si tu ne viens pas.

 

Tout en t'attendant, j'ai pris deux absinthes.

Ton heure est passée, une autre tinte

Et rien encor ! Mon verre est vide... Une autre absinthe !

 

Non, décidément ! Assez de t'attendre !

Tu ne viendras pas, car je crois comprendre

Ce que je saurai peut-être demain ;

En partant me voir, d'autres t'ont suivie.

Tu m'as oublié puisque c'est la vie

Et t'es arrêtée à moitié chemin.

 

Tout en t'attendant j'ai pris trois absinthes,

Et compté trois fois les heures qui tintent.

C'est bien fini ! Mon verre est vide. Une autre absinthe !

 

Je veux me saouler à rouler par terre.

Comme un vrai cochon. Quant à toi, ma chère,

Si quelque regret te ramène ici,

Et que tu me voies sous les pieds des tables,

Ne t'arrête pas et va-t'en au diable !...

J'ai le cœur trop sale en ce moment-ci.

 

Je ne t'attends plus et prends des absinthes

Sans me soucier des heures qui tintent...

Holà ! garçon ! Mon verre est vide !... Une autre absinthe !

 

 

A L'AUBERGE DE LA ROUTE

 

C'est à l'aubarge de la route

Autour

De douze litres de vin blanc ;

Les rouliers causent, en buvant,

D’l'amour !

 

"L'amour ! les fill's ! I' faut s'en fout'e,

Mes gàs ! "

Qu'a dit l’grand Claud’son verr' levé.

"Eun' de pardu', deux de r'trouvé's !

Et v'là !..."

 

"Moué ! l'Amour me tourne la boule ?...

Ah ben !

J'aim' mieux bouér' jusqu'à pard'e l’nord !

Hé ! l'aubargiste, apporte encor

Du vin ! "

 

Et les v'là qui r'lich'nt et qui s’saoulent

Tertous,

En gueulant coumm' des dératés,

Lâchant des fois des vérités

D'homm's saouls !

 

Au mitan des rouliers qui roulent,

Tout d'go,

V'là l’grand Claud’qui s’met à pleurer...

Tout en pleurant, a soupiré :

"Margot !... "

 

ALCIDE PIEDALLU

 

Alcid’vient d’qu'ri du grand papier, pour vingt centimes,

Cheu l'épicier' qu'en tient esprés à son sarvice.

Il ouv'er soun affér !.., son... dictiounnaire ed’rimes

Et sauc’sa pleum' dans l’encr'!...

J'aurons bentout l’comice

Ou queuqu’fête en l'hounneur des soldats d’souéxant'dix !

 

Pasqu'Alcid’ne fait guér' que su' les cochons gras

Ou su' les malheureux moblots d’l'Armée d’la Louére.

Les uns qu'on médailla, les aut's qu'on médaill'ra,

Les uns qu'ont fit tuer, les aut's que l'on tuera...

Chacun son genre ! Alcid’ne sait chanter qu’la glouère !

 

Le v'la parti... Les vers et les rimes s'épousent :

" Un, deux, troués, quat', cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onz', douze !

Agriculture et préfectur'... France et Vaillance !...

Si ses rim's sont pas rich's, rich's, rich's : a' sont d’conv'nance !

Si ses vers n'ont pas d'aile, i's ont ben douze pieds !

Douz' pieds pour mieux sauter par-dessus vous souffrances

O les tach'rons peineux d’la terre aux grous farmiers

Et vous dont les carcass's engraiss'nt les blés d’Coulmiers !

 

Pasqu'Alcide a du taqute, et soun âme en est pleine :

I' sait coumm' ça les chous's qu'i' faut dire et pas dire

Au bieau mitan d’cérémoni's républicaines,

Quand l’mair' pouill’soun habit et que l’Préfet douét v'ni

 

Bref ! il a du mérite. I' songe, il imagine...

Et ses vers, en tombant su' l’papier d’l'épicière,

S'entass'nt coumm' les lauriers d’la couronn' qu'i' va fere

Pour la race héroïque ou la race porcine.

 

Ren ne l'dérange !... Y a ben un p'tit rossignolet

Qu'a pas besoin d'affér' pour tourner son couplet

Et qui chant' su' la f'nét'e ouverte au ras du ciel :

- "Ta gueul', moignieau ! ... T'es pas un chanteux officiel ! "

 

Y'a l'vent qui pouss’la sienn' dans la moisson bieauc'ronne,

Et ça n'est pas la v'nu' prochain' du député

Qui l'met en train (pas pus qu'a' ne l’frait s'arrêter)

-  Chant', vent idiot !... Alcid’se fout d’quoué qu’tu chantonnes,

Pour li la poésie ça n'existe seul'ment

Qu’su' l’devant des estrad's, qu'au pied des monuments !

 

Y a ben itou queuqu's bergerets aux champs, à c'tt' heure,

Qu'ont un flutieau en poche avec eun' garce au coeur :

..." De quoué fére eun' chanson, c'est ben malin, pargué !

O gué ! j'aime ma mi' !... je l'aime ben, ô gué ! "

- Alcid’n'en bourdit pas d’son travail et d’son calme :

C'est pas des r'frains coumm' ça qui font avouèr les palmes !

 

Alcid’ne bourdit pas d'vant la Chanson d’la Vie...

Voui, mais v'là ses quat'sous d’papier qui sont remplis,

Et dimanche el’Préfet dira : " Très bien ! Bravo ! "

 

Ben ! si v'ét's pas contents, vous autr's, quoué don' qu’vous faut ?


 

L'AMOUR QUI S’FOUT DE TOUT

 

Le gas était un tâcheron

N'ayant que ses bras pour fortune ;

La fille : celle du patron,

Un gros fermier de la commune.

Ils s'aimaient tous deux tant et plus.

Ecoutez ça, les bonnes gens

Petits de coeur et gros d'argent !

L'Amour, ça se fout des écus !

 

Lorsqu'ils s'en revenaient du bal

Par les minuits clairs d'assemblée,

Au risque d'un procès-verbal,

Ils faisaient de larges roulées

Au plein des blés profonds et droits,

Ecoutez ça, les bonnes gens

Qu'un bicorne rend grelottants !

L'Amour, ça se fout de la Loi !

 

Un jour, furent tous deux prier

Elle : son père ! Et lui : son maître !

De les laisser se marier.

Mais le vieux les envoya paître ;

Lors, ils prirent la clé des champs.

Ecoutez ça, les bonnes gens

Qui respectez les cheveux blancs !

L'Amour, ça se fout des parents !

 

S'en furent dans quelque cité,

Loin des labours et des jachères ;

Passèrent ensemble un été,

Puis, tout d'un coup, ils se fâchèrent

Et se quittèrent bêtement.

Ecoutez ça, les bonnes gens

Mariés, cocus et contents !

L'Amour, ça se fout des amants !

 

APRES VENDANGES

 

 

V'là les pesans qu'ont fait vendanges !

V'là les perssoués qui pissent leu' jus ;

On travaille aux portes des granges

A "rassarrer" l'vin dans les fûts.

L'vin ! Ça met des moignieaux qui chantent

Dans les coeurs et dans les servieaux,

Mais moué qui n'fait qu'de bouer de l'eau

J'me sens dans les boyeaux du vente

Comm' des gernouill's qui font coin-coin...

J’vourai ben m'foute eun' saoulé de vin !

 

Tout l'monde est saoul su'mon passage,

Mêm' le Maire qui vient d'marier

Deux bourgeouésiaux de l'environnage,

Et même itou Môssieu l'curé

Qu'a vidé trop d'foués son calice :

M'en v'là des gens qu'ont l'air heureux,

I's s'donn'nt la main ou l'bras entre eux,

I's s'étayent et s'rend'nt el sarvice

D'ramasser c'ti qu'a culbuté,

I's s'embrass'nt su'tous les coûtés

Au'nom de la fraternité.

Et leu's dégueulis s'applatissent

Coumm' des étouel's le long du chemin.

J'vourai ben m'foute eun' saoulé d'vin !

 

Allons les homm's, allons mes frères !

Allons avancez- moué-z-un verre,

J'veux fraterniser avec vous ;

J'veux oublier tout' ma misère

En trinquant et buvant des coups

Avec les grands, avec les grous !

J'veux aphysquer les idé's rouges,

Les idé's roug's et nouer's qui bougent

Dans ma caboch'de gueux et d'fou :

J'veux vous vouer et vouer tout en rose

Et crouer qu'si j'ai mal vu les choses

C'est p'têt' pas que j'étais pas saoul.

Allons, avancez-moué-z'un verre...

Je veux prend'e eun' cuite à tout casser

Et l'souer couché dans un foussé

 

Ou m'accottant à queuqu's tas de pierres

Pour cuver mon vin tranquill'ment

J'me rappell'rai p'têt' la prière

Que j'disais tous les souers dans l'temps,

Et l'bon Guieu et tout' sa bricole

Et la morale au maît' d'école,

Propriété, patrie, honneur,

Et respect au gouvarnement,

Et la longér' des boniments

Dont que j'me fous pour le quart d'heure.

Je trouv'rai p'têt'e itou qu'on a tort

D'voulouer se cabrer cont' son sort,

Que le mond’peut pas êt' sans misère,

Qu'c'est les grous chiens qui mang'nt les p'tits

Et qu'si je pâtis tant su c'tte terre

J'me rattrap'rai dans l'Paradis.

 

Allons les homm's, allons mes frères !

Je veux ben que j'n'ai pas l'drouet au pain,

Laissez-moué l'drouet à la chimère,

La chimèr' douc’des saoulés d'vin.

 

 

AU BEAU CŒUR DE MAI

 

Petiote, ne t'en va pas,

Avec le grand Pierre au bras,

Parmi la plaine aux récoltes

Où les moulins virevoltent

Sous les étoiles qui brillent ;

Car, vois-tu,

C'est pas bien sûr pour la vertu

Des filles !

Bah ! si mon bonnet saute les moulins,

Je le verrai bien !

J'aime mon galant — au beau cœur de mai

Laissez-moi donc l'aimer,

Laissez-moi donc l'aimer !

 

Petiote, si t'as fauté,

Pour aller le rapporter

Tous les oiseaux qui t'épient :

Vieux merle et méchante pie

S’envoleront à la ronde,

Et chez  nous

Cela fera clabauder tout

Le monde

Bah ! Si les voisins m'appellent : catin,

Je le verrai bien !

J'aime mon galant — au beau cœur de mai

Laissez-moi donc l'aimer !

 

Petiote, au beau cœur de mai

Quand on s'est permis d'aimer

Dans les foins et sous les haies,

En hiver l'Amour se paie

Par la douleur et la peine :

Le petit

Quelque jour de janvier tout gris

S’amène !

Après tout, mon Dieu! si le petit vient,

Je le verrai bien !

J'aime mon galant — au beau cœur de mai

Laissez-moi donc l'aimer !

 

Petiote. après tout cela,

Serments du temps des lilas

Roulent devant votre porte

Au milieu des feuilles mortes,

Et le grand menteux, le lâche!

Le beau gars !

Qui vous fit choir dans ses bras

Vous lâche !

Après tout, mon Dieu! s'il fait ça... le chien!

Je le verrai bien !

J'aime mon galant — au beau cœur de mai

Laissez-moi donc l'aimer !

 

 

AU COIN DU BOIS

 

La route est déserte aux nuits de Saint Jean...

Le bon métayer venait de la foire :

J'entendais chanter les écus d'argent

Qui dansaient au fond de ses poches noires.

Et je l'ai détroussé d'un geste, au coin du bois

Où j'ai vu promener des filles, une fois...

 

Holà ! bon métayer que j'ai volé !

Deux mots, en se quittant, pour te consoler !

On m'a volé... moi !

Et bien avant toi !

Au coin du bois...

 

C'était une fois au beau temps de mai...

Les filles allaient cueillir l'aubépine

Et mon cœur dansait et mon cœur chantait

Comme un sac d'écus dessous sa poitrine.

Des doigts étaient plus blancs que d'autres en les fleurs

Et c'est entre ceux-là que j'ai laissé mon cœur.

 

Car l'Amour n'est pas pour les va-nu-pieds...

(Tu fis ta bourgeoise avec ma jolie ! )

Mais les va-nu-pieds n'ont pas de pitié

Pour le métayer tremblant qui supplie.

Elle avait des doigts blancs et toi de clairs écus !

Moi j'ai des poings de fer et puis n'en parlons plus !

 

Hélas, bon métayer que j'ai volé

Deux mots, encor deux mots, pour te consoler !

Je suis volé... moi !

Et bien plus que toi !

Au coin du bois.

 

 

L'AUMONE DE LA BONNE FILLE

 

Un jour, un pauv'er trimardeux

Qu'allait l'vent'vid', qu'allait l'vent'creux

En traînant son bâton de houx,

Un jour, un pauv'er trimardeux

S'en vint à passer par cheu nous !

 

Alla balancer le pied d'biche

De Monsieu l'maire à son château

Et fit demande aux gens du riche

D'un bout d'pain et d'un gob'let d'ieau ;

Mais les domestiqu's, qui se moquent

Des vent's en pein', des gens en loques,

Li dir'nt : " Va t'en chercher ailleurs !

Ici on n'dounn' qu'aux électeurs"

 

Un jour, un pauv'er trimardeux

Qu'allait l'vent'vid', qu'allait l'vent'creux

En traînant son bâton de houx,

Un jour, un pauv'er trimardeux

S'en vint à passer par cheu nous...

 

Alla cougner au presbytère

Dans l'espoir que l'on y dounn'rait

Queuqu's sous de d'ssus l'tronc d'la misère ;

Mais l'curé, qu'était'cor guill'ret,

Confessait eune pêcheresse

Qu'avait moins d'pêchés que d'joliesse ;

Et l'pauv' peineux eut bieau gémir,

Parsounn, s'am'na pour li'ouvrir !

 

Alors, s'assit en cont'e eun'borne,

Tout en r'gardant les p'tits moignieaux

Picoter su' la grand’rout' morne

Dans l'crottin tout frais chié des ch'vaux,

Quand qu'eun' sarvant' qui m'nait à paître

Le bieau troupet d'vach's à son maître,

Passa tout prés d'où qu'était l'gas

Et li causa tout bas, tout bas.

Dans les foins hauts, les foins qui grisent,

A s'laissa faire ; et l'pauv' glouton

S'mit à boulotter les cerises

De sa bouche et d'ses deux têtons,

Lampa coumm' du vin chaud l'ivresse

De ses bécots et d'ses caresses ;

Pis, quand qu'i' fut ben saoul, ben las,

I' s'endormit ent' ses deux bras.

 

Un jour, un pauv'er trimardeux

Qu'allait l'vent'vid', qu'allait l'vent'creux

En traînant son bâton de houx,

Un jour, un pauv'er trimardeux

S'en vint à passer par cheu nous...

 

 

AUTOMOBILISME

 

 

I' fait bon à c’souér, en r'venant des champs...

La rout' devient grise et l’jour va mouri,

Sous les ombrag's ros's et doux du couchant,

Comme un vieux au bas des guigniers fleuris.

 

Pis les chous's appont'nt l'entarr'ment du jour :

L’vent s’lève et s'en va quêter des parfums

Dans les foins d'jà chus, dans les blés d'jà lourds,

Et l’silenc’développ' son drap su' l’défunt.

 

Mais tout d'un coup... teuf ! teuf ! teuf ! Un vacarme

Déchir' brutal'ment l’drap fin du silence.

Teuf ! teuf ! ... Et v'là l’vent qu'est d'eun' pestilence

A vous fér' jurer : ça, c'est les gendarmes !

 

C'est pas les gendarm's ! C'est des gas d’la ville

Qu'ont mis, sans excus's, mon rêve en déroute ;

C'est des bourgeouésieaux dans leu' tomobile

Qu'ont failli m' bocquer au tournant d'la route !

 

C'tte rout' ! J'ai passé troués bounn's journé's d'ssus

La corvé' nous t'nait jusqu'à la nuit nouère.

Nos tomb'reaux étin chargés à plein cul

Des tas d’jarr' pell'tés aux grév's de la Louére.

 

C'tte rout' ! J'ai cassé l’pierré des carrières

Pour boucher en-d'ssus, pour combler en d'ssous :

J'ai mis su' son dous des emplât's en pierre,

J'ai mis dans'son vent' des bouilli's de cailloux !

 

Et v'là que j'peux pus aller su c'tte route

En r'venant des champs, par le train d’mes pattes,

Les souérs qu'i' fait bon et qu'on oubli' toutes

Les tâch's échignant's et la vie ingrate !

 

Tout ça simp'elment pasque... teuf, teuf, teuf...

On a fait du ch'min d'pis quater vingt neuf !

Dans l’temps, nous seigneurs, pou' leu's amusettes

S'en allint coumm' ça fér' la chasse aux bêtes.

 

Les meut's trottaillint dans l’blé plein d'promesses,

Queu joli grabuge aux champs d’nous grand-pères !

Et, des foués, pour ren, pour vouèr, pour l'adresse,

On visait l’manant penché su' la terre !

 

A'n'hui, c'est pus ça. Les seigneurs bourgeoués

Ont un joujou neu' qu'est la 'tomobile :

Ça fait du rafut, ça pue, et ça file,

Ecouassant nous poul's, écouassant nous ouées.

 

Mém', si queuqu’pésan sortu des guérets,

Songeait su' la rout' coumm' moué tout à l'heure,

Ça te l'aplatit coumm' deux yards de beurre

Et c'est là qu'i' sent tout l’pouéd du Progrès !

 

Ah ! n'y r'venez pus, bon guieu d'écraseux !

J’counnais un moueyen pour vous rend’moins fiers :

Le souér, su la route, un bon grand fil fer,

Et v' écras'rez pus parsounne, moué, si j'veux !

 

 

LA BELLE JEUNESSE

 

 

C'est une habitud’qu'à Romorantin,

A Montélimar ou bien à Pontoise,

Tout bourgeois envoi' l'fils de sa bourgeoise

Etudier quéqu’chose au Quartier Latin.

Un' fois su'l'Boul’Mich', au papa qui pense

D'vant la docte foul’dont son gas sera

Le patriotisme inspir' ce cri là :

" Ah ! la belle jeuness'. L'espoir de la France ! "

 

Et la bell’jeuness’s'en vient et s'en va

Ses représentants ont d'vingt ans à trente

Et tous étudi' la valeur des rentes

Qu'ont s'fait dans les Suifs ou les Panamas.

L'père les a gagnés. Eux, i'les dépensent.

Ainsi va le monde. Et qu'est c'que ça fait ?

On s'marie un' fois qu'on est sous-préfet

" Ah ! la belle jeunesse ! L'espoir de la France ! "

 

D'aucuns ont en eux le petit talent

De savoir gueuler : " As-tu vu la ferme ?"

Et chez d'aut'l'amour des bell’lettr' prend terme

Où l'on entend plus de refrains beuglants.

D'aut' encor' s'appliqu’de tout' leur constance

A faire un' cravate autour d'un faux col,

Et dépass’ainsi l'programm' des écoles

" Ah ! la belle jeunesse ! L'espoir de la France ! "

 

Ah ! la bell’jeuness’! Les uns ont des moeurs

A fair' reverdir la muse à Coppée.

Manille et billard, bocks à p'tites lampées

Et l'on va s'coucher quand il est onze heures.

Dans la fin' vadrouill’les autres se lancent

I' caus’de danseus’de boxe et d'chevaux

Et s'saoul’à renifler dans un chalumeau

" Ah ! la belle jeunesse ! L'espoir de la France ! "

 

Ça les prend parfois d'vouloir de l'amour

I' n' manqu'pas d'trouver des p'tit' goss’gentilles

Qui souvent leur donn'... ent' deux coups d'aiguille

Et lorsqu'i' les r'trouv' un soir au d'Harcourt

Après l'soulagement de leur petit' panse

I'r'çoiv' les pauv grues avec des gros mots :

Va donc, eh sal’vache ! va donc, vieux chameau !

" Ah ! la belle jeunesse ! L'espoir de la France ! "

 

I'ont découvert un p'tit truc certain

Et très en honneur pour reprend’l'Alsace.

Ça consiste à faire du bruit où l'on passe

En braillant " A bas Chose, ou viv' Machin "

Mais comm' faut du temps pour fair' un puits d'science

Surtout à piocher comme i' pioch' parfois

l'n'f'ront qu'une année d'service au lieu d'trois

" Ah ! la belle jeunesse ! L'espoir de la France ! "

 

Puis ça partira quelque beau matin

Pour se marier à quelque bourgeoise

Et ça s'ra bourgeois soi-même à Pontoise

A Montélimar ou Romorantin.

Ça f'ra des discours sur la tempérance

Et ça jugera comme Père la Pudeur

Les infanticides et affair' de moeurs

" Ah ! la belle jeunesse ! L'espoir de la France ! "

 

 

BERCEUSE DU PETIT BRISE-FER

 

Mon Pierre aura voulu tantôt

Grimper encore à l'ormeteau

Pour y dénicher des corneilles

Et, ce soir, quand il est rentré,

Le pantalon tout déchiré,

Il avait peur pour ses oreilles.

 

Dodo, dodelinotte,

Petit brise-fer, chetit garnement...

Dodo, dodelinotte,

Tandis que ta maman

Ravaude ta culotte !

 

Mon Pierrot est si turbulent

On dirait notre biquin blanc

Qui fait toujours péter sa corde ;

Quand on le voit se trémoussant,

Dans tous ses mouvements on sent

La joie de vivre qui déborde

Dodo, &

 

Mon Pierre est beau, mon Pierre est fort

Dans son lit de 1er quand il dort

On croirait un doux petit ange.

Mais le matin, dès son réveil

Ça fait un brigand sans pareil

Que le diable partout dérange.

Dodo, &

 

Mon Pierre, je suis fière au fond

de le savoir si polisson,

En le voyant si frais, si rose ;

Car, s'il est toujours à sauter,

C’est signe de bonne santé,

Et son sang vif en est la cause...

Dodo, &

 

Aussi, dors tranquille. Pierrot.

Tu ne donneras jamais trop

De pareil travail à ta mère :

Pour les tout petits drôles blonds

Vaut mieux user des pantalons

Que des drogues d'apothicaire.

 

Refrain

 

Dodo, dodelinotte.

Petit brise-fer, chetit garnement...

Dodo, dodelinotte,

Tandis que ta maman

Ravaude ta culotte.

 

 

LES BOHEMIENS

 

Les Bohémiens, les mauvais gas

Se sont am'nés dans leu' roulotte

Qui geint d'vieillesse et qui cahotte

A la queu' d'un ch'val qui n' va pas ;

Et, pour fair' bouilli' leu' popote,

Nos biens ont subi leu's dégâts.

 

Ah ! mes bonn's gens ! J'ai ben grand'peine !

Ces gueux d’Bohémiens m'ont volé :

Un tas d’bourré's dans mon bois d’chêne,

Un baiscieau d’gerb's dans mon champ d'blé,

Mais c'est pas tout ça qui m' caus’si grand’peine ! ...

 

Au mitan de c'tte band’de loups

S’trouvait eun' garce si jolie

Avec sa longu' criniér' fleurie

Comme un bouquet de soucis roux ;

Si joli' que je vous défie

D'en trouver eun' pareill’cheu nous.

 

Ah ! mes bonn's gens ! J'ai ben grand'peine !

Pasque ces Bohémiens d’malheur

Qu'ont pillé mon bois et ma plaine

Ont encore emporté mon coeur.

Et c'est surtout ça qui m' caus’si grand'peine !

 

Les Bohémiens, les mauvais gas,

Sont repartis dans leu' roulotte

Qui geint d’vieillesse et qui cahotte

Au derriér' d'un ch'val qui n' va pas ;

Et la bell’qui fait leu' popotte

F'ra p'têt' cuir' mon coeur pour leu' r'pas.

 

Ah ! mes bonn's gens ! J'ai ben grand'peine !

J’veux qu'i's m' volent tout les Bohémiens

Mais qu'i's dis'nt à la Bohémienne

Qu'à m' rend’mon coeur qu'i' y' appartient,

Ou sans ça j'mourrai d'avoir si grand’peine ! ...

 

 

LES BORNES

 

- Hé l'arpenteux ! prends tes outils, et pis arrive !

L'vieux est défunt : je r'venons d'sa mess’de huitive.

Tréne ta chéne et toun équerr' de coins en cornes

Et toué, l’carrier, tri' moué-z-au mitan d'la carriére

Et m'équarris quat' blocs de ta pierr' la moins g'live...

V'la c'qui me r'vient ! Qu'on n'y touch' pus ! Posez les bornes !

 

Là-d'ssus, l'héritier rent'e en plein dans son avouèr.

I' r'nif'e au-d'ssus d'eun' mott' la qualité d'sa terre,

Il égueurne eun épi pour vouer si l'blé s'ra bieau

Et va s'coucher, benheureux d'se vouer dans sa pieau,

Ben tranquill’pour son blé, ben tranquill’pour sa terre.

I' s'mél'ront pus aux biens et aux récolt's des aut'es,

A présent qu'on les a cagés ent'er quat' bornes.

 

Eun' foués au creux des draps, i'li prend des idées :

" Avouér des champs à soun à part, c'est ben, qu'i fait.

Ça n'empéch'point d'ét' deux à coucher dans l'mém' lit ;

Jusque là j'ai counnu qu'les fill's à fuméyiers,

Les fill's qui tomb'nt su' l'foin, les fill's qu'ont des pequits ;

A c'tt' heur', j'veux eun' femme à moué, qu'les aut's y vienn'nt pas !... "

Et l'lend'main i' s'habill’bieau et pouss’jusqu'au bourg

Trouver les arpenteux et les carriers d'l'Amour.

 

- Hé môssieu l'mair', môssieu l'curé ! ... Bonjour, me v'là !

C'est à caus’que la garce Françouèse est jolie

Et que m'la faut tout d'eun' piéc’sans miett' de partage.

Dressez les act's ! Sounnez les cloch's du mariage !

Qu'on n'y touch' pus ! Posez des bornes, que j'vous dis !

 

L'époux-propriétére emporte sa mariée,

La r'nif' coumm' la tarr' chaud', la magn' coumme el’bon blé,

L'ouv'er coumme un sillon, l'ensarr' coumme eun' mouésson,

Et s'endort, ben sûr qu'alle aim'ra pus qu'li, à c't'heure :

Eun' femm' marié' porte eun' borne su' son coeur.

 

Ah ! vouiche ! ... Un moués?... Eun an ?... N'importe, c'est pas long !

I' pourrait la r'trouver, la born', dans un tas d'paill'e

Oùsque sa femme a pris coutum' de v'ni sans li.

Et les coucous prenn'nt de la malic’dans l'Avri'.

Bref, un péquit s'amène et (c'est ben drôl', le monde ! )

C't ancien courreux, qu'emplissait les fill's à la ronde

Sans jamés voulouére r'counnaît'e un brin d'sa s'maille,

V'là qu'i' r'counnaît à c't' heure un drôl’qu'il a pas fait !

 

- Hé l'gas ! T'es mon gas, t'entends ben ?... C'est moué ton père !

T'es à moué, comprends ben, coumm'ma femme et ma terre,

Et t'auras mes idé's su'les femm's et la terre...

Point d'aut's ! Baiss'ta têt' qui vire au vent. Qu'a'boug' pus !

C'est mon Autorité, la born', que j'pos’dessus !

Et l'pér'-propriétér' dort su' ses deux oreilles...

Mais, nom de Dieu ! v'là qu'un matin, v'la qu'i' s'réveille.

V'la qui tomb'le nez sur la borne du chaumier,

V'là que l'gâs li fait chouèr la sienn' su' l'bout des pieds

Et part avec d'aut's idé's, des idé's à li,

Su' les femm's et la terr', su'l'Amour et la Vie !

 

Ah ! queu coup qu'c'est pour li, pauv'e propriétère !

C'tte gaup' qui l'fait cocu ! C'tt enflé qu'a mal tourné ! ...

Queu coup ! Sa femm' déborné, son gas déborné ! ...

D'ell'-même, eune larme s'en hasarde au long d'son nez.

Mais quoué ! tout est pas pardu : la récolte pousse

Ent'les quat' born's qui rest'nt planté's au creux d'sa terre,

Et soun oeil roug' s'adoucit d'vant la mouésson douce.

 

...I' s'couche et passe un quarquier d'nuit assez tranquille ;

Mais l'cauch'mar l'empougne à la fin d'son premier soumme :

l'vouét la terr' qui s'enlèv' par-dessus les bornes

Coumme aux pays chauds, quand la mer engouff' les îles,

Et l'blé qui mont', qui mont', qui monte à grands flots roux,

Mêlant la part de l'un à la part de tertous !

Ah ! ce rév' ! ... Ce mém'rév' qui barce les sans-l'sou !

Ce rév', qu'était qu'un rév', coumm' les rév's qu'on peut faire...

Ce rév' a fait querver l'pauv'er propriétére.

 

 

LES BRACONNIERS

 

Not' chât'lain, qui laiss’son gibier

Trotailler dans ses bois d’Sologne,

Peut pas souffri' les braconniers ;

Et, si jamais i's les empognent,

Ses gardes les livr'nt aussitôt

Aus gendarmes qui les emmènent

Pour ren, pour un méchant lap'reau

Coll'té-z-au mitan d’ses garennes.

 

Un bon conseil Môssieu l’chât'lain :

Ecoutez-le ben, il en vaut la peine.

Veillez-don' moins su' vos lapins.

Et veillez mieux su' vot' chât'laine.

 

Pour pas qu’son bien soit galvaudé

I' poste un garde au pied d’chaqu’chêne

Et pass’tout son temps à l’garder,

Mais, tandis qu'i court son domaine

A traquer comm' gibier nouvieau

Les mauvais gas qui s'y hasardent,

I' laiss’sa bell’dame au châtieau

Sans seul'ment y laisser un garde.

 

La pauv' tit' femme se dit comm' ça :

" Quelle existenc’que j’mèn', tout de même !

Les braconniers sont des beaux gas,

L’temps doit êt' moins long quand on aime ! "

Et c'est c’qui fait qu’pas mal de ceux

Qu'on chasse comm' des bét's infâmes

Des grands bois de chên's à Mossieu

Rentr'nt dans les draps fins à Madame.

 

En leu's bras coum' dans un collet

Les mauvais gas lui prenn'nt la taille

Et, tout l’long d’son p'tit corps follet,

Leu's gueul's s'en vont en maraudaille ;

Les voleux, d'pis sa bouch' fleuri'

Lui prenn'nt un par un, c’qu'all’a d’charmes

Et quand qu'is y ont tout pris, tout pris,

A s’garde ben d’qu'ri les gendarmes.

 

 

LES BREMAILLES

 

Vers la land’tout' ros’de bremailles

Déval'nt le gas et la garçaille

Qoué don' qu’c'est pour fair', si vous plaît ?

P'têt' ben qui va qu'ri des balais,

P'têt' ben qu'all’va rentrer ses vaches ?

Mais à c’cas-là pourqoué qu'is s’cachent

Quand on fait pas d’mal on  craint ren....

D’quoué qu'alle a peur ? Quoué qu’c'est qu'i craint ?

 

Dans la land’tout' ros’des bremailles

Rodaill'nt le gas et la garçaille

I's r'gard'nt tous deux, d’tous les côtés

Des fois qu'on s'rait à les guetter

En s'apercevant qui gna personne

I  mord à même sa bouch' mignonne

Coum' dans eun mich' quand il a faim.

All’s’laiss’fair', si ben qu'à la fin,

 

Sur la land’tout' ros’de bremailles

Roul’le gas avec la garçaille

Et tout en s'en r'tournant, tandis

Qui s’dis'nt tous deux : pas vus, pas pris,

Gn'a des brins d’bremailles qui pendillent

Après les cotillons d’la fille

Après les pans d’la blouse du gas

Et l’mond’devin' en voyant ça

Quoué qu'ont fait l’gas et la garçaille,

Dans la land’tout' ros’des bremailles.

 

BRIN DE CONDUITE

 

Dis, sais-tu, ma jolie

en revenant du bal danser

On A pris les sentiers.

Les sentiers s'en vont dans la nuit

Dis, sais-tu, ma jolie

Où s'en vont les petits sentiers ?

 

Nous mèneront-ils au seuil de la ferme

Où dans le lit à rideaux bleus

Ta vieille s'endort tandis que ton vieux

Visite l'étable avec sa lanterne ?

Nous mèneraient-ils au plein des éteules

Où les grillons chantent ce soir,

Comme des petits curés tout en noir,

Pour les épouses du revers des meules !

 

Nous savons jusqu'où les vieux nous permettent,

I i nous respectons trop les vieux

Qui sont à l'étable ou dans le lit bleu

Pour- aller plus loin qu'un baiser honnête...

Mais comme, ce soir, tu parais plus blonde

Que' le clair de lune en ton cou !

Et comme il te fait frissonner partout

Le vent qui s'embaume en les meules rondes !

 

Ah ne rêvons pas de choses pareilles !

Ça serait mal, bien mal, vois-tu?

Pour ta dot, les blés ne pousseraient plus,

Et ton vieux viendrait me prendre aux oreilles!...

Mais, pourtant, mon Dieu ! pourtant il me semble...

Les meules sont là, devant nous !

Chez  vous est bien loin... on ne sait plus où ?

Et comme je brûle !... et comme tu trembles !...

 

Dis, sais-tu, ma jolie

En revenant du bal danser

On a pris les sentiers.

Les sentiers s'en vont dans la nuit

Dis, sais-tu, ma jolie

Où s’en vont les petits sentiers ?

 

LES CAILLOUX

 

Lorsque nous passions sur le bord du fleuve

Au temps où l'Amour murmurait pour nous

Sa chanson si frêle encore et si neuve,

Et si douce alors en les soirs si doux

Sans songer à rien, trouvant ça très drôle,

De la berge en fleurs où mourait le flot,

Comme des gamins au sortir d'école,

Nous jetions tous deux des cailloux dans l'eau.

 

Mais j'ai vite appris le couplet qui pleure

Dans la chanson douce en les soirs si doux

Et connu le trouble angoissant de l'heure

Quand tu ne vins plus à mes rendez-vous ;

En vain vers ton cœur monta ma prière

Que lui murmurait mon cœur en sanglots

Car ton cœur était dur comme une pierre

Comme les cailloux qu'on jetait à l'eau.

 

Je suis revenu sur le bord du fleuve,

Et la berge en fleurs qui nous vit tous deux

Me voit seul, meurtri, plié sous l'épreuve,

Gravir son chemin de croix douloureux.

Et, me souvenant des clairs soirs de joie

Où nos cailloux blancs roulaient dans le flot,

Je songe que c'est ton cœur que je noie

A chaque caillou que je jette à l'eau.

 

CANTIQUE PAÏEN

 

Je suis parti sans savoir où

Comme une graine qu'un vent fou

Enlève et transporte :

A la ville où je suis allé

J'ai langui comme un brin de blé

Dans la friche morte

 

Notre Dame des Sillons!

Ma bonne Sainte Vierge, à moi !

Dont les anges sont les grillons

O Terre! Je reviens vers toi !

 

J'ai dit bonjour à bien des gens

Mais ces hommes étaient méchants

Comme moi sans doute.

L'amour m'a fait saigner un jour

Et puis j'ai fait saigner l'Amour

Au long de ma route.

 

Je suis descendu bien souvent

Jusqu'au cabaret où l'on vend

L'ivresse trop brève;

J'ai fixé le ciel étoilé

Mais le ciel, hélas! m'a semblé

Trop haut pour mon rêve.

 

Las de chercher là-haut, là-bas

Tout ce que je n'y trouve pas

Je reviens vers celle

Dont le sang coule dans mon sang

Et dont le grand cœur caressant

Aujourd'hui m'appelle.

 

Au doux terroir où je suis né

Je reviens pour me prosterner

Devant les miracles

De celle dont les champs sans fin

De notre pain de notre vin

Sont les tabernacles.

 

Je reviens parmi les guérets

Pour gonfler de son souffle frais

Ma poitrine infâme,

Et pour sentir, au seuil du soir,

Son âme, comme un reposoir

S'offrir à mon âme.

 

Je reviens, ayant rejeté

Mes noirs tourments de révolté

Mes haines de Jacques,

Pour que sa Grâce arrive en moi

Comme le dieu que l'on reçoit

Quand on fait ses Pâques.

 

 

LA CASSEUSE DE SABOTS

 

Refrain :

La Marie va-t-à cloche-pied :

Elle a cassé son sabot blanc

Pour s'en aller au sabotier ,

Au sabotier qu'est son galant !

 

Ah! dit sa mère, tout en peine,

Des sabots de l'autre semaine !

Les voilà beaux, les voilà frais !

C'en est honteux pour ta famille :

Tu casses des sabots, ma fille,

Comme l'évêque en bénirait !

 

Hou ! L'imbécile qui sautille

Comme un grillon sous les faucilles,

Prends les trente sous que voilà

Et va-t'en jusqu'à la clairière

Pour y quérir une autre paire

De sabots meilleurs que ceux-là !

 

Elle s'en court comme une folle

Vers la clairière où volent, volent

Les copeaux blonds du sabotier ;

Et ma foi ! La première chose

Qu'elle offre là, de son corps rose,

N'est pas du tout son petit pied.

 

Lorsque  la nuit vient à paraître

Entre les fûts noirs des vieux hêtres,

La Belle s'en ne avec

Des sabots neufs dessus les pattes,

Des copeaux partout qui la grattent

Et des baisers tout plein le bec !

 

Leur amour ne fait que d'éclore :

Les sabots casseront encore !

Mais quand Marie pourra passer

Un mois sans en casser trois paires,

C'est que l'Amour de la clairière,

L'Amour aussi sera cassé.

 

CAUSETTE

 

Le jour meurt au ras des guérets

Et son parfum dernier embaume.

La belle Lison prend le frais

Au seuil de la maison de chaume ;

Pierre, un gâs qu'elle a remarqué

Parmi ceux qui s'approchent d'elle,

Revient des champs, bien fatigués :

“ Holà ! " dit la belle.

 

Holà ! Monsieur Pierre, bonsoir !

Vous rentrez des champs de bonne heure ;

Venez donc un brin vous asseoir

Sur mon banc, devant ma demeure.

- Ma foi ! ça n'est pas de refus;

Je suis si las, mademoiselle,

Que mes pieds ne me portent plus !

- Ah ! Ah ! dit la belle.

 

Mais, faisons la causette un peu ;

Connaissez-vous quelque nouvelle ?

- Rien du tout, du tout, hormis que

Vous êtes toujours la plus belle !

Les raisins sont-ils bien rosés ?

- Oui !... mais moins doux, Mademoiselle,

Que doivent être vos baisers !

- Chut ! Chut ! dit la belle.

 

Car le monde, à cette heure-ci,

Du fin tond des labours remonte ;

S'il entendait parler ainsi

Il jaserait sur notre compte.

Lors, dit en soupirant le gâs,

Comment faire, Mademoiselle,

Pour que les gens n'entendent pas ?

- Rentrons !... dit la belle.

 

CE BON BOUGRE DE METAYER

 

Vous dormirez en paix, à riches !

Vous et vos capitaux,

Tant que les gueux auront des miches

Pour planter leurs couteaux!

(Moralité du couteau de Th. Botrel.)

 

Quand le gueux eut décanillé

A l'aurore approchante,

Ce bon bougre de métayer

Que le barde nous chante,

Fit des expliques à sa femme

Qu'il venait d'ézyeuter

Par montre d'une si belle âme,

Par tant -de charité.

 

" Pour protéger les capitaux

Et le somme des riches,

Quand la Faim brandit ses couteaux,

Sacrifions quelques miches ! "

L'honnête homme, sans qu'on l'y pousse,

Nous dit ta parenté :

Fille directe de la Frousse,

O sainte Charité !

 

Si ton sein est un beau coussin

Où quelques-uns se vautrent ;

Elle naît aussi de ton sein,

La bassesse des autres !

Au gîte affamé, Quand tu rentres,

C'est pour précipiter

La saine lâcheté des ventres,

Infecte charité !

 

Tu te saoules dégoûtamment

Malgré ton eau bénite !

Et, saoule, tu t'en vas semant

Ta pudeur hypocrite :

Alors, tu n'es plus qu'une grue

Dansant à la santé

Des mille douleurs de la Rue...

Garce de charité !

 

Pauvret qui laissas ton couteau

Dans la miche alléchante,

Partons le quérir aussitôt,

Viens avec nous et chante :

“ Métayer du blé que féconde

L'amour blond de l'Eté,

Il faut du pain pour tout le monde

Et plus de charité !

 

C'ETAIT UN DIMANCHE

 

Qu'il est loin le jour de notre rencontre !

Pourtant, vois la croix que mon doigt te montre

En face d'un Saint du calendrier ;

Ou si, par hasard, ton cœur se rappelle,

Cherche dans ton cœur ; tu verras, ma belle,

Que c'était encore au printemps dernier...

 

Refrain

 

Ce jour-là c'était un jour de dimanche.

Nous étions au bois à courir tous deux ;

Les petits oiseaux chantaient dans les branches...

Nous, dans les sentiers, nous faisions comme eux.

 

On chantait l'amour, Dieu de la jeunesse,

Qui fleurit les cœurs où luit sa caresse,

Comme le printemps fleurit les buissons...

A leurs becs mignons, à nos lèvres folles

C'était le même air, les mêmes paroles,

Et c'était toujours la même chanson.

 

Refrain

 

Ce jour-là c'était un jour de dimanche.

Le soleil de Mai brillait dans les cieux ;

Les petits oiseaux s'aimaient dans les branches...

Nous, sur l'herbe en fleur, on a fait comme eux.

 

Mais après le temps des extases saintes,

Des baisers brûlants, des folles étreintes,

Nous vîmes venir le dégoût prochain,

L'insipidité des fausses caresses

La stupidité des vaines promesses

Et notre amour mort au bout du chemin.

 

Refrain

 

Ce jour-là c'était un jour de dimanche.

La neige tombait tristement des cieux ;

Les petits oiseaux mouraient dans les branches...

Notre pauvre amour avait fait comme eux.

 

Souvent, maintenant, alors que je songe

Même à nos douleurs, même à tes mensonges

Dans l'ennui profond où je suis tombé

Je rêve qu'un jour prochain nous rapproche

Et souventes fois je fais le reproche

A mon cœur naïf de s'être trompé.

 

Refrain

 

Mignonne, aujourd'hui c'est encor dimanche

Si nous nions au bois tous les deux ?

De nouveaux oiseaux chantent dans les branches...

Veux-tu que l'on fasse encore comme eux ?

 

LE CHAMP DE NAVIOTS

 

L'matin, quand qu'j'ai cassé la croûte,

J'pouill’ma blous', j'prends moun hottezieau

Et mon bezouet, et pis, en route !

J'm'en vas, coumme un pauv' sautezieau,

En traînant ma vieill’patt' qui r'chigne

A forc’d'aller par monts, par vieaux,

J'm'en vas piocher mon quarquier d'vigne

Qu'est à couté du champ d'naviots !

 

Et là-bas, tandis que j'm'esquinte

A racler l'harbe autour des " sas "

Que j'su', que j'souff', que j'geins, que j'quinte

Pour gangner l'bout d'pain que j'n'ai pas...

J'vois passer souvent dans la s'maine

Des tas d'gens qui braill'nt coumm' des vieaux ;

C'est un pauv' bougr' que l'on emmène

Pour l'entarrer dans l'champ d'naviots.

 

J'en ai-t-y vu d'pis l'temps que j'pioche !

J'en ai-t-y vu d'ces entarr'ments :

J'ai vu passer c'ti du p'tit mioche

Et c'ti du vieux d'quater'vingts ans ;

J'ai vu passer c'ti d'la pauv'fille

Et c'ti des poqu's aux bourgeoisieaux,

Et c'ti des ceux d'tout' ma famille

Qui dorm'nt à c'tt' heur' dans l'champ d'naviots !

 

Et tertous, l'pésan coumme el'riche,

El'rich' tout coumme el'pauv' pésan,

On les a mis à plat sous l'friche ;

C'est pus qu'du feumier à pesent,

Du bon feumier qu'engraiss’ma tarre

Et rend meilleurs les vins nouvieaux :

V'là c'que c'est qu'd'êt' propriétare

D'eun'vigne en cont' el'champ d'naviots !

 

Après tout, faut pas tant que j'blague,

Ça m'arriv'ra itou, tout ça :

La vi', c'est eun âbr' qu'on élague...

Et j's'rai la branch' qu'la Mort coup'ra.

J'pass'rai un bieau souèr calme et digne,

Tandis qu'chant'ront les p'tits moignaux...

Et quand qu'on m'trouv'ra dans ma vigne,

On m'emport'ra dans l'champ d'naviots !

 

 

LES CHAMPIGNONS

 

Sous les bois, l'automne s'enfonce

Avec ses gros sabots pleins d'eau ;

Sur ses pas, au travers des ronces,

Naissent les champignons nouveaux...

Va, ma mie, aux bois de chez nous,

(Il est un peu tôt pour qu'on danse !)

Fais bonne cueillette et surtout

Pas d'imprudence !

 

Les champignons, les champignons !...

Y en a des mauvais et des bons !

 

Les vrais mousserons sont tout roses

Comme un baiser entre nous deux,

Mais, à ça près, la même chose,

Y a des faux mousserons près d'eux.

Les trahisons sifflent toujours

Derrière le baiser qui sonne.

Comme en les jours de notre amour

Qui suit l'Automne.

 

Les champignons, les champignons !...

Y en a des mauvais et des bons !

 

Que l'on se trompe et que l'on s'aime :

On ne peut pas changer son coeur l

Mais on peut encor, tout de même,

N'y cuisiner que du bonheur...

Les faux mousserons ont poussé

Comme les vrais, sans nous attendre,

Mais c'est à nous de les laisser

Ou de les prendre !

 

Les champignons, les champignons !...

Y en a des mauvais et des bons !

 

Laisse à pourrir dans la clairière

Comme champignons vénéneux

Tous les soucis et les misères .

Et reviens où sont les vielleux.

Là, vers ton devantier à fleurs

Et vers ta caresse fleurie,

Je tends mon bec, je tends mon coeur,

Ce soir, ma mie.

 

Qu'ils soient tous bons les champignons !

Et que tous nos baisers soient bons !

 

LA CHANDELEUR

 

L'hiver est long, les temps sont durs

Et la vie n'est pas gaie.

J'avons pus d'farin' qu'eun' mesur'

Dans un racoin d'la maie.

J'avons qu'un bout d'salé pas cuit

Dont l'dessus est tout blême ;

Mais coumm' c'est la Chand'leur an'hui,

Faisons des crêpes tout d'même !

 

C'est la Chand'leur, mes pauvr'ers gens,

Faisons des crêp's dans la ch'minée

A seul’fin d'avouèr de l'argent

Toute l'année !

 

Pour dev'ni' rich' faut travailler.

Que tout le mond’se hâte !

Mari', dans le grand saladier

Tu vas battre la pâte.

V'là d'l'ajonc qui brûle en lançant

Des tas d'petit's étouéles.

Allons ! pé Mathieu, cré bon sang !

T'nez bon la queu' d'la poêle !

 

Disez les fill's, disez les gas !

Qui qu'en fait sauter eune?

Ah ! la bell’crêpe que voilà !

Alle est rond’comme eune leune,

Eune' Deuss’! Mari' je n't'aim'rai p'us

Si tu veux pas la prendre...

- Sacré couillon tu l'as foutu'

Au beau mitan des cendres !

 

Depis que je fêtons cheu nous

Quand la Chand'leur s'amène

Je soumm's core à trouver un sou

Dans l'talon d'nout' bas d'laine ;

Mais pisqu'an'hui nous v'là chantant

Devant les crêp's qui dansent,

C'est toujou's eun' miett' de bon temps

D'gagné su' l'existence !

 

Pendant c'temps-là j'ruminons pas

Nos mille et mill’misères :

Les vign's qu'ont le phylloxera,

Et la vache qu'est en terre.

Et moué que je vas être vendu !

Bah ! si l'huissier arrive

Je lui coll'rons la poêle au cul

Pour y montrer à vivre !

 

CHANSON D'AUTOMNE

 

Je ne t'aime plus comme avant,

Et toi ?... ne mens pas de la sorte !...

Je sens ton baiser dans le vent

Tomber comme une feuille morte.

Qu'importe ! Au fond du bois glacé

Coule encor la sève éternelle.

Notre amour vient de trépasser,

Crions : Vive l'Amour, ma belle !

Nous sommes là deux amoureux,

Deux ! Au bois où l'hiver va s'abattre,

Mais quand fleuriront les coucous,

Ah ! combien, combien serons-nous ?

Quatre !

 

C'est pas la peine de pleurer

Puisque l'on en a pas envie...

D'autres galants vont t'adorer,

Et j'ai confiance en la Vie.

Car ici-bas, les amours sont

Comme ces rouges vers de terre,

Que la bêche met en tronçons

Un jour, dans un coin de parterre.

 

Pas besoin de se dire adieu

En faisant des cérémonies...

Nous nous reverrons en ce lieu

Parmi les choses rajeunies.

Nous nous retrouverons, berçant

Un nouvel amour l'un et l'autre,

Et nous saluerons en passant

Ces amours : les petits du notre

 

CHANSON DE BRACONNIER

 

Pour tous les bougres qui braconnent

Dedans la Sologne aux bourgeois

Ça n'est pas quand la lune donne

Qu'il faut aller au bois :

Sous les sapinières prof'ondes

On rampe dans le noir.

- J'aime la Françoise qu'est blonde

Faut pas voir tout en noir.

 

Par la nuit de poix et d'angoissc

Quand on rentre, le carnier plein,

Coucher auprès de sa Françoise,

Le garde au châtelain :

Ce chien vendu qui fait sa ronde

Vous happe dans le noir.

- J'aime la Françoise qu'est blonde

Faut pas voir tout en noir...

 

Lors, même le jour devient sombre,

Car les juges, ces salopins,

Vous foutcnt des six mois “ à l'ombre >

Pour trois méchants lapins.

En prison, le coeur pleure et gronde

Seul ! tout seul dans le noir.

- J'aime la Françoise qu'est blonde !

Faut pas voir tout en noir.

 

J'ai fait ça que je vous raconte

En nant vers mes amours

Un soir où j'ai réglé le compte

D'un garde d'alentour-

Le sang faisait des flaques rondes...

C'était rouge, et puis noir.

- J'aime la Françoise qu'est blonde

Faut pas voir tout en noir.

 

LA CHANSON DE L'HERITIER

 

J'avais, à l'aut' bout du village,

Un vieux cousin à héritage

Qu'était riche... on sait pas comben !

Mais, l'malheur ! i' s'portait 'cor ben

Et, malgré sa grande vieuture,

l'n'tenait point à sauter l'pas.

Moué, j'me disais : " Querv'ra donc pas ?...

Bon Gueu ! qu'les vieux ont la vi' dure ! "

 

A la fin des fins, las d'attendre,

Un bieau soér qu'i g'lait à piarr' fendre

Et qu'i f'sait partout noér coumm' poué,

Sans ren dir', j'caval’de d'cheu moué ;

J'entre en coup d'vent dans sa masure,

J'tomb'dessus, j'y sarre el'collet ;

Mais l'bougre i' v'lait pas, i' r'naclait...

Bon Gueu ! qu'les vieux ont la vi' dure !

 

A pesent qu'j'ai soun héritage,

On m'respect' partout dans l'village ;

On est prév'nant, on est poli...

Mais, chaqu'fois que j'couch' dans son lit,

Pendant tout le temps qu'la nuit dure,

I' vient rôder tout près d'mon ch'vet

Pour m'en faire autant qu'j'y en ai fait...

Bon Gueu ! qu'les morts ont la vi' dure !

 

LA CHANSON DE PRINTEMPS DU CHEMINEUX

 

J'sais pas c'qui m'produit c't'effet là,

Mais, j'cré ben qu'c'est l'Printemps que v'là ;

Son cochon d'soleil m'émoustille,

Mon coeur bat coumme eun enragé !

Dam', vous savez, à l'âg' que j'ai

J'aurais grand besoin d'me purger ;

J'veux eun' fille !

 

A chaqu’maison que j'vas frapper,

Ça m'rend tout chos’d'entendr' japper

Les chiens en chass’darriér' leu' grille.

Et, quand que j'les vois deux par deux,

Les moignieaux m'ont l'air si heureux

Qu'ça m'dounn' des envi's d'fair' coumme eux ;

J'veux eun' fille !

 

Pisque les gâs qui foutent rien,

Les chanceux, les ceuss’qu'à l'moyen

D'avoér eun' femme et d'la famille

Font ben l'amour itou queuqu'fois...

Pourquoué que j's'rais moins qu'les borgeois ?

Moué, non pus, bon Guieu ! j'se'pas d'bois...

J'veux eun' fille !

 

Des fill's ! on peut pas vivr' sans ça ;

On s'en pass'pas pus qu'on s'pass'ra

De l'air, du "boère" et d'la croustille ;

Et, mêm', pour casser un morcieau,

J'attendrai ben jusqu'à tantôt...

A c'tte heur', c'est d'la fumell’qu'i m'faut ;

J'veux eun' fille !

 

Et quoiqu’j'soy' pas appétissant

Quand qu'on m'voit coumm'ça, en passant,

Dans ma p'lur' qu'est pus qu'eun' guenille,

Ej'm'en fous... à d'main coumme à d'main,

Et gare aux fill's, le long du ch'min...

Faura que j'mang' pisque j'ai faim ;

J'veux eun' fille !

 

LA CHANSON DES CORBEAUX

 

Dans le matin clair, où meurt sa chanson,

Le bon paysan, qui jette à mains pleines

La bonne semence aux sillons des plaines

A l'espoir de faire un jour la moisson...

Mais les corbeaux, dont le vol brun

Passe en l'air commc une tcmpête

En faisant du soir sur sa tête,

Les corbeaux mangeront son grain.

 

Après avoir mis ses sous dans son bas,

Le bon paysan fermc son armoire

Lorsqu'il s'en revient de ,>endrc à la foire

Le veau que sa vache un jour a mis bas.

Mais les corbeaux, dont jamais rien

Ne peut repaître l'avarice,

~ Gens de loi et gens de justice, ~

Les corbeaux voleront son bien.

 

Tout en lui chantant “ dodo, l'enfant do ”

Le bon paysan demande à son mioche :

“Petiot, prendras-tu ma hotte et ma pioche

<Quan.d le poids des ans courbera mon dos ?>

Mais les corbeaux cruels, ~ qui sont

Les puissants et les gens de guerre, ~

Aux pauvres vieux ne songent guère :

Les corbeaux tueront son garçon.

 

Parmi la splendeur des soleils couchants,

Le bon paysan dont la tâche est faite

Pense avoir la fin d'une bonne bête

Qui meurt de vieillesse au milieu des champs.

Mais les corbeaux viendront encor,

~ Qui sont les marchands de prière, ~

Et du défunt, clos dans sa bière,

Les corbeaux se feront de l'or 1...

 

A la fin, pourtant, l'heure sonnera

Ou, lassé de voir les corbeaux qui voltent

En prenant ses gars, ses sous, ses récoltes,

Le bon paysan se révoltera...

Et dam ! à grands coups de sabots,

A coups de faux, à coups de pioches,

Pour ses blés, ses biens et ses mioches

Il abattra tous les corbeaux !...

 

CHANSON DE VENDANGES

 

L’automne sourit au flanc des coteaux

En le rouge orgueil des grappes vermeilles,

Allons les beaux gas ! Hotte sur le dos !

Filles, emportez serpes et corbeilles

Et, tout en chantant, bras dessus dessous

Dans les vignes d’or prenez la volée.

 

Refrain

 

Allez en vendange et dépêchez-vous

(Les raisins sont mûrs, les raisins sont doux)

N’attendez pas la gelée,

N’attendez pas la gelée.

 

Mordant ou frôlant les raisins rosés,

Les lèvres ont l’air de raisins farouches

Allons les beaux gas ! Cueillez des baisers,

Filles, pour cela, tendez-leur vos bouches ;

Et vers le bonheur d’au-dessus de nous

Vendangeurs d’amour prenez la volée.

 

Le temps de vendange et celui d’amour

Durent dans la vie une nuit de rêve,

Hélas les beaux gas ! Le bonheur est court

Filles ! La jeunesse est encor plus brève !

Et l’hiver blanc, fils des automnes roux,

Glace le baiser qui prend sa volée.

 

CHANSON DU DIMANCHE

 

Queu jour don' qu'c'est aujourd'anhui ?

J'sés seu'ment pas coumment que j'vis

Depis que j'vas clopan-clopi,

Su' la rout' blanche

Et sous l'souleil qui m'abrutit !

Vouéyons ! c'était hier venterdi

Et ça douet ét'e anhui sam'di ?

C'est d'main Dimanche !

 

Au matin, coumm'les cloch's sounn'ront

Pou' la grand'mess', les houmm's pouill'ront

Eun' blous’prop'e, et les femm's mettront

Eun' cornett' blanche

Pour prier l'bon guieu des brav's gens,

Qu'est un bon guieu qu'exauc’seul'ment

Les voeux des ceuss's qu'a des argents...

C'est d'main Dimanche !

 

Les famill's mettront l'pot-au-feu,

Lich'ront la soupe et bouff'ront l'boeuf

Autour d'eun' napp' blanche et dans l'creux

Des assiett's blanches.

Et pis les homm's, après baffrer,

Iront s'saouler au cabaret.

Coumm'tous les aut's jours j'me tap'rai...

C'est d'main Dimanche !

 

Garçaill's et gâs iront cueuilli

Au long des hai's le mai fleuri

Qu'est si blanc qu'on dirait quasi

De la neig' blanche ;

Et j'vouérai rouler en bas d’moué

Des coupl's en amour et en joué,

Et j'me tap'rai 'core c'tte foués ! ...

C'est d'main dimanche !

 

Le souér, les garçaill's et les gàs,

Et les mamans et les papas,

Iront s'coucher ent'er les draps

Des vieill's couch's blanches

Pour pioncer jusqu'au matin v'nu ;

Moué, pistant le gîte inconnu,

J'irai, eun' band’de chiens au cul...

C'est d'main Dimanche !

 

Tous mes dimanch's i' sont coumm'

Depis bentout dix ans que j'vas

Su' la grand'route ! Et ça n'chang'ra

Qu’quand la mort blanche

M'foutra l'coup qui m'délivrera...

Et je n'pourrai dire que c'jour-là,

Comm' tous les heureux d'ici-bas :

" C'est d'main Dimanche ! "

 

LE CHAR A BANCS DES MORIBONDS

 

Des coups, faut' d'un point : on gagn'pas !

C'est ben pour ça qu'nous candidats

Veul'nt embaucher tout l'monde !

A l'aubarge d'l'Ecu d'Argent

Z'ont fait att'ler l'grand char à bancs

Pour ceux qui moribondent !

 

Et hue !... Ai don !

V'là l'char à bancs des moribonds :

C'est queuqu's vouéx d'pus qu'ça va nous foute !

Mais hue ! ... Ai don !

Pour que leu's bull'tins soi'nt 'cor bons,

Faut pas qu'ces gas-là crèv'nt en route !

 

C'est pas tant qu'on veut les ach'ter,

Mais, pour la pein' qu'i's vienn'nt voter

Malgré leu' mal aux tripes,

On yeu' baille un paquet d'taba' :

C'qu'est ben consolant pour des gas

Qui vont casser leu' pipe !

 

P'têt' tout à l'heure, à c'souèr, ou d'main,

I's diront pus d'bêtis's, voui ben !

Aussi, tandis qu'i's roulent,

I's discut'nt 'cor leu's opignons,

Mais i's peuv'nt 'ja pus s'mett' de gnons

Su' l'tournant d'la margoule !

 

C'tte foués, vot'ront tout d'mêm' tertous,

Mais, faurait p'têt' pas, après tout,

Leu' d'mander davantage !

Pasqu'i's s'rin partis su' l'grand tour,

Si qu'on v'nait les r'qu'ri dans huit jours,

Au scrutin d'ballottage !

 

Ma foué !z'un coup qu'on est dans l'trou

I' faut ben crér' que l'on s'en fout

Des soeurs ou d'môssieu Chose,

Car ces électeurs turbulents

Présent'rint, comme un bull'tin blanc

La pierr' carré' d'leu' tombe.

 

LES CHARANÇONS

 

Les pésans tertous s’sont ben échignés

Autour des mouéssons, autour des batteuses

Mais à c'tt' heure le blé r'gorge leu' gueurgner :

Z'en prenn'nt eun' pougné' dans leu' mains calleuses

Qui r'jitt'nt en gueulant après l’mauvais sort :

Les tas d'blé sont pleins d’ces bestiol's malines

Qui s’font eun' maison d’chaqu’petit grain d'or

Après en avouer sucé la chair fine.

 

Pésans ! i' va fallouér chauler :

Y a trop d’charançons dans vout' blé !

 

Les pésans tertous s’sont ben échignés

Pour él'ver les p'tiots qui croutillin ferme,

Et déjà les grands sont partis gagner

Le pain -de chaqu’jour aux tâch's gris's des fermes ;

Mais les gas d’mossieux Untel et Untel

Vont ét'dans queuqu’temps noummés fonctionnaires

Dans eun' plac’tranquill’coumme un bieau coin d’ciel

Où qu’c'est qu'is coul'ront la vi' sans ren fére !

 

Pésans ! i'va fallouér chauler :

Y a trop d'charançons dans vout' blé !

 

Les pésans tertous s’sont ben échignés

Pour payer l'impôt, pour fér' les corvées ;

Les queuqu's tit's piéc's d'or tiré's au meugner

Vars el parcepteur se sont ensauvées ;

C'est pou' graisser l’bec à ces foutus gas

Car, si ça n'fait ren, faut vouer coumm' ça mange !

Sûr que dans l'budget, ça fait pus d’dégâts

Qu’les mauvais's bestiol's dans tout l’blé des granges

 

Pésans ! i' va fallouér chauler :

Y a trop d'charançons dans vout' blé !

 

Les pésans tertous s’sont ben échignés,

Mais i's s'en vont qu'ri deux pierr's de chaux vive

Qu'i's mett'nt à s'éteind’dans l'ieau d'un baquet

Et v'la qu'i's arros'nt de c'tte blanch' lessive

Les pauv'ers tas de blé pourris d’charançons ;

Alors, tous ces sal's inséqu's agonisent,

Tout' la varmine querve, et les pésans sont

Les maît's à présent, d’leu Miche r'conquise !

 

Pésans, d'main, i' faura chauler,

Chauler pus loin que vaut' tas d'blé !

 

LE CHARRETIER

 

Hu, Dia, Huo !

Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu d'chameau !

 

C'est un charr'quier qu'engueul’ses chevaux...

Les pauv'ers bêt's s'en vont avec

Eun' charge terrible au darriére

Et, du garot à la croupiére,

A's ont pus pas un pouél de sec :

I' s'en fout, c'est pas soun affaire !

Esquinté's ou pas esquintées

La côte est là... faut la monter !

Et v'lan ! ... et j'te gueule et j'te fouette :

C'est coumme eun'pleu' d'grêlons d'avri'

Qui leu'tomb' su'l'dous, et s'arrête

Qu'un coup rendu's à l'écurie.

 

Hu, Dia, Huo !

Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu d'chameau !

 

C'est l'charr'quier qu'est d'venu sargent

En fesant son temps d'régiment :

Les soldats marchent coumm'les ch'vaux ;

Mém' qu'les ch'vaux pouvin 'cor répond'e

Aux coups de fouet du charr'quier

Par un coup d'tête ou un coup d'pied :

Mais les soldats, qui sont du monde

Eux aut's... i's ont pas l'drouet d'répond'e :

Gn'a s'ment pas d'loué Grammont pour eux.

Et l'charr'quier leu' coummande : Eun, deuss...

J'm'en fous ! ... Rompez ! ... Huit jours de bouéte !

Par file à gauch' ! ... Par file à drouéte ! ...

 

Hu, Dia, Huo !

Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu d'chameau !

 

C'est l'charr'quier qu'est d'venu farmier

Après s'avouer ben marié ;

C'est un grous électeur de France

Qui fait manger des ouverriers

Et, pour la pein', mén' leu's consciences

Coumm' des ch'vaux et coumm'des soldats :

Allez à la mess’! ... Y'allez pas ! ...

Lisez ci !... Votez pour c'ti-là ! ...

 

Hu, Dia, Huo !

Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu d'chameau !

 

C'est l'charr'quier qui voit v'ni' la mort

Et qui voudrait ben vivre encor...

Viv'... c'est rouler, rouler toujou's

En dévalant eun' route en pente

Qui conduit su' l'rabord d'un trou.

Un coup qu'on est à la descente

Gn'a pus moyen d'caler la roue.

Et l'charr'quier, qui m'nait gens et bêtes,

Peut pus s'mener... son coeur s'arrête,

Ses yeux s'brouill'nt, sa raison fout l'camp ;

Et, dans la fiév'er du délire,

En s'raidissant, i' cess’pas d'dire

C'qu'i' gueulait à ses ch'vaux, dans l'temps :

 

Hu, Dia, Huo !

Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu d'chameau ! !...

 

LES CH'MINS

 

En ce temps-là, c'était l'Empire ou la République

Ou c'était l'Roué : ça vaut pas la peine d'eune esplique !

Dans un bourg, par le val de Louére ou la Bieauc’blon.de,

Deux femm's fir'nt chouér eun' bessounné d'leu' gidouill’ronde :

La p'ermiére eut deux gas, et deux garces la s'conde.

On appla les gas : Jean et Jacques,

Les garces : Touenette et Marie.

Les gas étint coumm' deux grous oeufs de Pâques

Et les garces frél's coumm' des oeufs d'pardrix.

I's poussèr'nt près des blés : d'eune an à chaqu’récolte.

 

On mit les gas en culottes

Et les garc's en cotillons ;

Et i's s'trouvér'ent - bessons, bessoun'ns - après l'école,

Les gas portant barbes folles,

Les garc's avec des tétons.

 

I's s'trouvér'nt dans eune plaine oùsque c'était la vie

Par les bissons d'mûr's douc's et les tallé's d'orties,

Et i's voi'nt le bounheur, en mêm' plac’que l'souleil,

Leu' fer' signe, au fin bout d'la plain' nouère et varmeille,

Et i's partir'nt - bessons, bessoun'ns - tout quat' d'un coup

Pour agripper l'bounheur oùsque j'courons tertous.

 

Jean et Mari' prir'nt la rout', la grand'rout' tout dréte

Oùsqu'l'aubargiste fum' sa pip' devant l'aubarge,

Oùsqu'la port' des Mairi's s'ouvre aux blancs mariages

Et oùsqu'les gens dounn'nt le bonjour au gard'champête.

La rout', la bounn' route oùsqu'on est hounnête !

Touénette et Jacqu's prir'nt, à tous les hasards des champs,

 

Les ch'mins d'travars', les mauvés ch'mins

Oùsqu'on s'aim' sans aut' consent'ment

Que l'consent'ment d'l'Avri' qui vient,

Et oùsqu'on détrousse, à nuit nouère,

Les marchands d'boeu's qu'ont fait des pistol's à la fouère.

Les ch'mins d'travars', les mauvés ch'mins.

 

Mari' s'achiésa su' eun' born' de la grand'route,

Ses deux mains su' ses tétons, pour pas qu'on y touche,

Et a r'garda longtemps passer les épouseux :

Ceuss dont les sabiots sal's dis'nt les arpents fartiles

Et ceuss’qui sont flusqués pour teni' plac's en ville.

Enfin, a suivit Jean l'pus rich' de ces moncieux.

I's sortir'nt de d'cheu l'mair' pour entrer cheu l'curé

Et l'souér des noc's pour fer' le compt' des billets d'mille,

A r'tira ses deux mains crouésé's su' son corset.

 

Touénette, en counnaissanc’d'amour,

Courantina, tétons au vent,

Ecoutant aux poch's des passants

C'tte chanson des écus sonnants

Qui fait r'dresser l'oreille aux sourds.

Un jour à Jacqu's, un jour à Jean

Et'core à eun aut'e eun aut' jour,

Pour senti' su sa pieau la chatouill’des jaunets

A'laissa leu's mains les fourrer dans son corset.

 

Jean et Marie eur'nt eun'boutique au long d'la route.

Et leu' noms à la porte en lett'ers grand's et grousses.

Pernant l'Argent, darrière un comptouér soulennel

Aux ceuss qu'avint l'moueyen d'et' de leu' clientèle,

I's am'nér'nt la faillit' du concurrent du coin

Qui s'en alla fini d'eune hounourab'el mort

Dans l'foussé aux vaincus, sous les yeux des pus forts !

Jacqu's jeta par d'ssus les moulins sa blous’d'enfance

Et échappa dans l'vent large des mauvés ch'mins

Aux p'erjugés qui vous r'vienn'nt coumm' des vieill's romances.

 

Pernant l'Argent, en farfouillant dans les sarrures,

Simp'elment oùsqu'y en avait, aux ceux qui 'nn'avint,

I'mit un pauv' chat'lain dépouillé en posture

D'endousser eun' besace et d'aller qu'ri son pain !

 

Et l'mond’par les cités nouvell's et les bourgs vieux,

R'gardait aller, avec des jug'ments dans la bouche :

Jean et Mari' su' la grand'route.

Môssieu ! Madam' ! Madam' ! Môssieu !

La Touenette et l'Jacqu's, dans les michants ch'mins,

Putain ! Voleux !Voleux ! Putain !

 

Mais eun hivar la neig' tomba

Quinz' jours, troués s'main's, sans fin ni cesse ! ...

Epésse, épésse !

Par d'ssus les born's, par d'ssus les pa's,

De tell’magniér' qu'alle enterra

La dret' route et les ch'mins tortus

Et qu'les deux garc's, et qu'les deux gas,

Malgré tout's les étouél's du ciel

S'y trouvér'nt bel et ben pardus !

 

Si ben pardus ! ... qu'au moues d'dégel

L'même mond', par les cités nouvell's et les bourgs vieux

R'gardait aller, avec d'aut's jug'ments dans la bouche

L'Jacqu's et la Touénett' (par maldounn ! ) sur la grand'route,

Môssieu ! Madam' ! ... Madam' ! Môssieu !

Marie et Jean (par maldounn) dans les michants ch'mins,

Putain ! Voleux ! ... Voleux ! Putain !

 

Et moun histouer' s'arrête à c't'heure...

Vous v'lez savouér si qu'i's ont agrippé l'bounheur ?

Non ! ... l'bounheur,

I' s'agripp' pas ! Pus on l'approch', pus i' s'racule.

Mais ça se r'ssemb'el tout d'mêm' ben

Eune hounnet' femme et eun' putain,

Eun hounnéte houmme et eun' crapule !

 

LE CHRIST EN BOIS

 

 

Bon guieu ! la sal'commune ! ... A c'souèr,

Parsounne a voulu m'ar'cevouér

Pou' que j'me gîte et que j'me cache

Dans la paille, à couté d'ses vaches,

Et, c'est poure ren qu’j'ai tiré

L'cordon d'sounnette à ton curé

Et qu'j'ai cougné cheu tes déviotes :

Les cell's qui berdouill'nt des pat'nôt'es

Pour aller dans ton Paradis...

S'ment pas un quignon d'pain rassis

A m'fourrer en travars d'la goule...

I's l'gard'nt pour jiter à leu's poules ;

Et, c'est pour çà qu'j'attends v'ni d'main

Au bas d'toué, su' l'rabôrd du ch'min,

En haut du talus, sous l'vent d'bise, .

Qu'ébranl’les grands bras d'ta crouéx grise...

Abrrrr ! ... qu'i' pinc’fort el’salaud !

E j'sens mon nez qui fond en ieau

Et tous mes memb'ers qui guerdillent,

Et mon cul g'lé sous mes penilles ;

Mais, tu t'en fous, toué, qu'i' fass’frouéd :

T'as l'cul, t'as l'coeur, t'as tout en boués !

 

Hé l'Christ ! T'entends-t-y mes boyaux

Chanter la chanson des moignieaux

Qui d'mand'nt à picoter queuqu'chose ?

Hé l'Christ ! T'entends-t-y que j'te cause

Et qu'j'te dis qu'j'ai-z-eun' faim d'voleux ?

Tell'ment qu'si, par devant nous deux,

I'passait queuqu'un su' la route,

Pour un méyion coumm' pour eun' croùte,

I' m'sembl’que j'f'rais un mauvais coup ! ...

Tout ça, c'est ben, mais c'est point tout ;

Après, ça s'rait en Cour d'assises

Que j'te r'trouv'rais ; et, quoué que j'dise

Les idée's qu'ça dounne et l'effet

Qu'ça produit d’pas avouer bouffé,

Les jug's i's vourin ren entend'e,

Car c'est des gâs qui sont pas tend'es

Pour les ceuss’qu'a pas d’position ;

I's n'me rat'rin pas, les cochons !

Et tu s'rais pus cochon qu'mes juges,

Toué qui m'v'oués vent' creux et sans r'fuge,

Tu f'rais pas eun' démarch' pour moué :

T'as l'vent', t'as l'coeur, t'as tout en bois !

 

L'aut'e, el'vrai Christ ! el'bon j'teux d'sôrts

Qu'était si bon qu'il en est mort,

M'trouvant guerdillant à c'tte place,

M'aurait dit : " Couch' su'ma paillasse ! ... "

Et, m'voyant coumm'ça querver d'faim,

I'm'aurait dit : " Coup'-toué du pain !

Gn'en a du tout frés dans ma huche,

Pendant que j'vas t'tirer eun'cruche

De vin nouvieau à mon poinson ;

T'as drouét coumm' tout l'monde au gueul'ton

Pisque l'souleil fait pour tout l'monde

V'ni du grain d'blé la mouésson blonde

Et la vendange des sâs tortus... "

Si, condamné, i' m'avait vu,

Il aurait dit aux jug's : " Mes fréres,

Qu'il y fout' don' la premier' pierre

C'ti d'vous qui n'a jamais fauté ! ... "

Mais, toué qu'les curés ont planté

Et qui trôn' cheu les gens d'justice,

T'es ren ! ..., qu'un mann' quin au sarvice

Des rich's qui t'mett'nt au coin d'leu's biens

Pour fair' peur aux moignieaux du ch'min

Que j'soumm's... Et, pour ça, qu'la bis’grande

T'foute à bas... Christ ed’contrebande,

Christ ed'l'Eglis ! Christ ed’la Loué,

Qu'as tout, d'partout, qu'as tout en boués ! ...

 

LA CIGARETTE

 

Aujourd'hui le temps est épouvantable :

Il pleut et mon coeur s'embête à pleurer.

J'ai pris, d'un paquet traînant sur ma table,

Une cigarette au fin bout doré ;

Et j'ai cru te voir en toilette claire

Avec tous tes ors passés à tes doigts,

Traînant par la vie, élégante et fière

Sous les yeux charmés du monde et de moi.

 

Refrain

 

Ah ! la bonne cigarette

Que j'ai fumée...

Pourtant mon coeur la regrette,

O bien-aimée !

Ah ! la bonne cigarette

Que j'ai fumée...

Pourtant mon coeur la regrette,

O bien-aimée !

 

J'ai pris une braise au milieu des cendres

Et je me suis mis alors à fumer

En m'entortillant dans les bleus méandres

De ma cigarette au goût parfumé ;

Et j'ai cru sentir passer sur mes lèvres

Un baiser pareil aux baisers brûlants

De ta bouche en feu, par les nuits de fièvres

Où je m'entortille entre tes bras blancs.

 

J'ai jeté ce soir parmi la chaussée

Cigarette morte au feu du tantôt ;

Un petit voyou qui l'a ramassée

Part en resuçant son maigre mégot ;

Et, devant cela, maintenant je pense

Que ton corps n'est pas à moi tout entier,

Que ta chair connaît d'autres jouissances

Et que je te prends comme un mégottier.

 

COMPLAINTE DE L'ESTROPIE

 

Au vieux moulin bieauceron

Qui tourne quand la bis'vente,

Qui tourne en faisant ron ron

Coumme un chat qui s'chauffe el'vent'e,

 

Y'avait eun' fois un pauv'gâs

Qu'avait pour viv' que ses bras.

 

I'trimait à s'échigner,

En s'maine et même el'dimanche,

Pour qu'les mangeux d'pain gangné

N'n'ayin toujou's su'la planche.

 

Mais, un jour que son moulin

Grugeait du blé pour la gueule

Des bourgeoisieaux du pat'lin,

S'fit prende el'bras sous la meule...

 

Et, d'pis qu'i peut pus masser,

I's'trouv' sans l'sou et sans croûte ;

Mais ceuss’qu'il a engraissés,

Tous les bourgeoisieaux, s'en foutent...

 

Car l'vieux moulin bieauceron

Tourn'toujou's quand la bis'vente,

Tourn' toujou's, en f'sant ron ron

Coumme un chat qui s'chauffe el'vent'e...

 

Et gn'a core eun aut' meugnier

Qui trim'la s'maine et l'dimanche

Pour qu'les mangeux d'pain gangné

N'n'ayin toujou's su'la planche ! ...

 

COMPLAINTE DES RAMASSEUX D'MORTS

 

 

Cheu nous, le lend'main d'la bataille,

On est v'nu quéri'les farmiers :

J'avons semé queuq's bott'lé's d’paille

Dans l’cul d'la tomb'rée à fumier ;

Et, nout' jument un coup ett'lée,

Je soumm's partis, rasant les bords

Des guérets blancs, des vign's gelées,

Pour aller relever les morts...

 

Dans moun arpent des " Guerouettes ",

J’n' n'avons ramassé troués

Avec Penette...

J’n' n'avons ramassé troués :

Deux moblots, un bavaroués !

 

La vieill’jument r'grichait l'oreille

Et v'la-t-y pas qu’tout en marchant,

J’faisons l'ver eun' volte d’corneilles

Coumm' ça, juste au mitan d’mon champ.

Dans c’champ qu'était eun'luzarniére,

Afin d’mieux jiter un coup d’yeux,

J’me guch' dessus l’fait' d'eun' têtiére,

Et quoué que j’voués ?... Ah ! nom de Dieu ! ,,.

 

Troués pauv's bougr's su' l’devars des mottes

Etint allongés tout à plat,

Coumme endormis dans leu' capote,

Par ce sapré' matin d'verglas ;

Ils’tin déjà raid's coumme eun' planche :

L’peurmier, j'avons r'trouvé son bras,

- Un galon d’lain'roug' su' la manche -

Dans l’champ à Tienne, au creux d'eun' râ'...

 

Quant au s'cond, il 'tait tout d'eun' pièce,

Mais eun' ball’gn' avait vrillé l’front

Et l’sang vif de sa bell’jeunesse .

Goulait par un michant trou rond :

C'était quand même un fameux drille

Avec un d’ces jolis musieaux

Qui font coumm' ça r'luquer les filles...

J’l'ont chargé dans mon tombezieau ! ...

 

L'trouésième, avec son casque à ch'nille,

Avait logé dans nout' maison :

Il avait toute eun' chié' d’famille

Qu'il eusspliquait en son jargon.

I' f'sait des aguignoch's au drôle,

Li fabriquait des subeziots

Ou ben l’guchait su' ses épaules...

I' n'aura pas r'vu ses petiots ! ...

 

Là-bas, dans un coin sans emblaves,

Des gâs avint creusé l’sol frouéd

Coumm' pour ensiler des beutt'raves :

J’soumm's venu avec nout' charroué !

Au fond d'eun'tranché', côte à côte,

Y avait troués cent morts d'étendus :

J'ont casé su' l’tas les troués nôt'es,

Pis, j'ont tiré la tarr' dessus...

 

Les jeun's qu'avez pas vu la guarre,

Buvons un coup ! parlons pus d’ça !

Et qu’l'anné' qui vient soit prospare

Pour les sillons et pour les sas !

Rentrez des charr'té's d’grapp's varmeilles,

D’luzarne grasse et d’francs épis,

Mais n' fait's jamais d’récolt' pareille

A nout' récolte ed’d'souéxant'-dix ! ...

 

COMPLAINTE DES TROIS ROSES

 

Ah ! quand j'avais vingt ans sounnés,

Ah ! quand j'avais vingt ans sounnés,

Margot s'en allait vouer ses boeufs

Avec eun' ros’roug' dans les ch'veux.

A' m' l'a dounné.

Viv'nt les fill's dont j'suis l'amoureux !

J'ai eun' rose, et j'en aurai deux !

 

Paf ! quand qu’j'étais cor' ben rablé,

Paf ! quand qu’j'étais cor' ben rablé,

J'ai vu la garce au pér' Françoué's

Qu'avait eun' ros’blanch' dans les doué'ts

Et j'y a' volée !

Viv'nt les fill's qui s'fleuriss'nt pour moue !

J'ai deux ros's, et j'en aurai troués !

 

Bah ! quand j'sés dev'nu ben renté,

Bah ! quand j'sés dev'nu ben renté,

Catin est v'nu m' chatouiller l'nez

Avec eun' rose au coeur fané !

Et j’la ach'tée !

Viv'nt les fill's qui vend'nt ces ros's-là !

J'ai troués ros's, mais j'en veux pus qu'ça.

 

Las ! me v'là vieux, me v'là ruiné,

Las ! me v'là vieux, me v'là ruiné,

Y a pus d’ros's roug's à l'âge que j'ai.

Des blanches ? Foli ! Faut pus songer

Mém' aux fanées.

Viv'nt les fill's qui m'aimeront pus !

Moué, j'ai troués ros's et j'meurs dessus.

 

LES CONSCRITS

 

V'là les conscrits d'cheu nous qui passent ! ...

Ran plan plan ! L'tambour marche d'vant ;

Au mitan, l'drapieau fouette au vent...

Les v'là ceuss’qui r'prendront l'Alsace !

 

l's vienn'nt d'am'ner leu' numério

Et, i's s'sont dépêchés d'le mett'e :

Les gâs d'charru' su' leu' cassiette,

Les gâs d'patrons su'leu' chapieau.

 

Tertous sont fiârs d'leu'matricule,

Coumme eun' jeun' marié d'son vouél’blanc ;

Et c'est pour ça qu'i's vont gueulant

Et qu'on les trouv' pas ridicules.

 

I's ont raison d'prend’du bon temps !

Leu' gaîté touche el'coeur des filles ;

Et, d'vouèr leu's livré's qui pendillent,

Les p'tiots vourin avouèr vingt ans.

 

Les vieux vourin êt'e à leu'place ;

Et, d'vant leu's blagu's de saligauds,

Des boulhoumm's tout blancs dis'nt : " I faut

Ben, mon guieu ! qu'la jeuness’se passe... "

 

Et don', coumm'ça, bras-d'ssus, bras-d'ssous,

l's vont gueulant des cochonn'ries.

Pus c'est cochon et pus i's rient,

Et pus i's vont pus i's sont saoûls.

 

Gn'en a mém' d'aucuns qui dégueulent ;

Mais les ceuss’qui march'nt core au pas,

Pour s'apprend'e à fair' des soldats,

l's s'amus'nt à s'fout' su' la gueule.

 

Pourquoué soldats ? I's en sav'nt ren,

- l's s'ront soldats pour la défense

D'la Patri' ! - Quoué qu'c'est ? - C'est la France...

La Patri' !... C'est tuer des Prussiens !...

 

La Patri' ! quoué ! c'est la Patri' !

Et c'est eun' chous’qui s'discut' pas !

Faut des soldats ! ... - Et c'est pour ça

Qu'à c'souér, su' l'lit d'foin des prairies,

 

Aux pauv's fumell's i's f'ront des p'tits,

- Des p'tits qui s'ront des gàs, peut-être ? -

A seul’fin d'pas vouer disparaître

La rac’des brut's et des conscrits.

 

CRUELLE ATTENTE

 

Un soir qu’il gelait à tout fendre,

Un gâs de chez nous fut attendre

Une garçaille de chez nous

Au coin du bois, leur rendez-vous

Et, dessous la lune blêmie,

Histoire de passer le temps,

En attendant sa mie

Le gars allait chantant...

Le gars allait chantant

En attendant sa mie,

En attendant sa mie.

 

Du haut des cieux tendus de crêpes,

Comme un essaim de folles guêpes

De la neige dégringola.

Et la belle n’était pas là...

Lors, par la campagne endormie,

Dans son lit glacial et blanc,

En attendant sa mie

Le gars allait tremblant...

Le gars allait tremblant

En attendant sa mie. (bis)

 

Pendant tout ce temps la garçaille

Faisait d’amour grande ripaille

Au coin du feu bien chaudement,

Entre les bras d’un autre amant;

Et, pressentant cette infamie,

Pauvret au cœur naïf et franc,

En attendant sa mie

Le gars allait pleurant...

Le gars allait pleurant

En attendant sa mie. (bis)

 

Le mordit de baisers la bise;

Le gel à travers sa chemise

Ses fines aiguilles planta,

Et pour lui le hibou chanta,

Si bien que, quand l’aube palie

Au-dessus du bois apparut,

En attendant sa mie

Le pauvre gars mourut...

Le pauvre gars mourut

En attendant sa mie. (bis)

 

DANS LE JARDIN DU PRESBYTERE

 

Y a des pouériers en espaliers

Qu'écartent des branches grises :

Leu's bras qu'on a crucifiés !

Au long des murs de l'église, '

Et ces pouériers, coumme il convient

A la natur' de la terre,

Sont des pouériers de “Bon Chrétien"

Dans l’jardin du presbytère.

 

Aux alentours du moués d'mari',

Aux temps des mess's printanières,

L’parfum des vieux pouériers fleuris

Monte a coûté des prières ;

Et quand l'automne à son tour, vient

Accompli' son ministère,

On cueill’des pouér's de “Bon chrétien"

Dans l’jardin du presbytère.

 

Ah ! bell's pouér's douc's au grain léger,

C'est y pas - putout qu'eun' poumme !

Vous, qu'et's cause -du premier péché

Dans l’jardin du premier houmme ?...

Ah ! pouér's fondant's coumme un miel fin

Qu'embaume et qui désaltère...

Ah ! pouér's, bounn's pouér's de “Bon Chrétien",

Dans l’jardin du presbytère !...

 

Nout' curé mang' les fruits piochés

Par les merl's et les abeilles,

Pis, il emporte à l'Evêché

Les plus bieaux dans eun' corbeille,

Mêm' je n' sais pas queue qui Ie r'tient

D'en envouéyer au Saint-Père...

Y a tell'ment d’pouér's de "Bon Chrétien"

Dans l 'jardin du presbytère.

 

LE DERAILLEMENT

 

Un peineux avait pris eun' foués

L'mêm' train qu'son voisin : un bourgeoués.

 

L'train les roulait ben doucett'ment

Chacun dans leu' compartiment :

 

En troisiém' classe el’pauv' peineux

Guerdillait su' un banc pouilleux,

 

Tandis qu'en première el’bourgeoués

S'carrait l'cul dans l'v'lours et la souée.

 

Mais'tt' à coup, avant d'arriver

V'là l'train qui s'met à dérailler,

 

Et, quand qu'après on détarra

Deux morts qu'avint pus d'têt's ni de bras,

 

Parsounn' put dir' lequel des deux

Qu'était l'bourgeoués ou ben l'peineux

 

LA DERNIERE BOUTEILLE

 

Les gas ! apportez la darniér' bouteille

Qui nous rest' du vin que j’faisions dans l’temps,

Varsez à grands flots la liqueur varmeille

Pour fêter ensembl’mes quat'er vingts ans...

Du vin coumm' c'ti-là, on n'en voit pus guère,

Les vign's d'aujord'hui dounn'nt que du varjus,

Approchez, les gas, remplissez mon verre,

J'ai coumm' dans l'idé' que j'en r'boirai pus !

 

Ah ! j'en r'boirai pus ! C'est ben triste à dire

Pour un vieux pésan qu'a tant vu coumm' moue

Le vin des vendang's, en un clair sourire

Pisser du perssoué coumme l'ieau du touet ;

On aura bieau dire, on aura bieau faire,

Faura pus d'un jour pour rempli' nos fûts

De ce sang des vign's qui rougit mon verre.

J'ai coumm' dans l'idé' que j'en r'boirai pus !

 

A pesant, cheu nous, tout l’mond’gueul’misère,

On va-t-à la ville où l'on crév' la faim,

On vend poure ren le bien d’son grand-père

Et l'on brûl’ses vign's qui n'amén'nt pus d’vin ;

A l'av'nir le vin, le vrai jus d’la treille

Ça s'ra pour c'ti-là qu'aura des écus,

Moué que j'viens d’vider nout' dargnier' bouteille

J'ai coumm' dans l'idé' que j'en r'boirai pus.

 

LES DEUX CHEMINEUX

 

Hé ! l'cabaretier, au tournant du ch'min,

J'somm's deux chemineux qu'ont chacun eun' gueule

Pus chaude et pus sèch' que l'chaum' des éteules.

Hé ! l'cabaretier, au tournant du ch'min,

Toué qu'as des futaill's et un cellier plein,

Va quéri à boire et vers'-nous un coup !

- Les gâs, v'avez-t-y des sous ?

 

Hé ! le boulanger, su' la plac' du bourg,

J'somm's deux chemineux qu'ont l'vent' qui commence

A leur chantouanner eun' drôle ed romance !

Hé ! le boulanger, su' la plac' du bourg,

Apport'-nous la mich' que tu r'tir's du four,

Et pass' ton coutieau, qu'on s'en coupe un bout !

- Les gâs, v'avez-t-y des sous ?

 

Hé ! la garce bell', dans l'boug' plein d'soulauds,

J'somm's deux chemineux qui pass'nt leurs nuitées

Sans jamais r'cevoir la moindr' bécotée.

Hé ! la garce bell', dans l'boug plein d'soulauds,

Ouvre-nous tes bras, et bourr'-nous d'bécots

Jusqu'à c'que tu voi's que j'en soyins saouls !

- Les gâs, v'avez-t-y des sous ?

 

Hé ! Môssieu l'curé, au templ' du bon Dieu,

J'somm's deux chemineux qui cassons nout' pipe,

Mais qu'ont ben vécu dans les bons principes !

Hé ! Môssieu l'curé, au templ' du bon Dieu,

Vous nous direz-t-y eun' prière ou deux

Avant qu'on nous jitt' tertous dans l'mêm' trou ?

- Les gâs, v'avez-t-y des sous ?

 

LE DISCOURS DU TRAINEUX

 

 

Môssieu, j'traînais coumme ed' coutume.

J'tomb' dans eun' foule où qu'des légumes

En queue d'morue :

L'préfet, l'mair', l'archiviss du bourg,

Inaugurint en troués discours

Vout'e estatue !

 

Tertous ont fièr'ment ben parlé :

On vouét qu' c'est des gâs qu'est allé

Dans les écoles !

Moué, môssieu, j'sés guére orateur ;

Mais quoué ! j'soumm's pus qu'nous deux, à c't' heure :

J'prends la parole !

 

Et, d'abord, j'ai dans les vingt ans ;

Vous, v'ét's morts, mais ça dit pas quand

Qu'v's avez pu naît'e ?

V'ét's du pat'lin : moué, j'sés d'ailleurs ;

J'ai, par conséquent, pas l'hounneur

De vous counnaît'e !

 

J'peux pas discuter : j'discut' pas

Les victouér's ou les almanachs

D'vout'e existence ;

Et, tout c'que v's avez dit ou fait,

C'est parfait, môssieu, c'est parfait !

J'l'approuv' d'avance !

 

Vout' figur' n'a ren qui déplaise :

J'en ai crouésé des plus mauvaises

Au coin des routes !

Mais, pour la fer' vouér en plein bronze

Plac' du Martroué, sous les quinconces,

Comben qu'ça coûte ?

 

Dix mill' francs ! Et putôt pus qu' moins !

Qu'i's gueul'nt partout, les citouéyens

D'vout' vill' native.

Dix mill' francs ! Au prix oùsqu'est l'pain

Ça f'rait comben d'hotté's, comben

D'mich's de quat' liv'es ?

 

Or, moué, j'ai pas bouffé, môssieu,

Depis un jour, depis huit lieues.

Ça, c'est trop fort !

Mais, si tant haut qu' v' avez pété,

Vous pétez pus à l'heure qu'il est.

Moué, j'pète encore !

 

Dix mill' francs ! Ça vous fait bell' jambe,

A vous qu'on r'trouv'rait pas un memb'e

Dans la terr' nouére !

Dix mill' francs pour eune estatue !

Dix mill' francs ! Dix mill' francs d'foutus !

C'est ça, la glouére !

 

Et v'là c'que c'est qu'eun houmme illust'e

Qu'a p't-ét'e été humain et juste

Dans l'temps jadis !

C'est queuque rev'nant en ferraille

Qu'entass' dans son vent' sans entraille

Le pain d'nout' vie !

 

Et c'est tout, tout c'que ma langu' trouve

Au travers d'la faim qui m'alouve

A tourner d'mieux...

Mais, dans leu's discours à flafla,

Pas un des aut's avait dit ça :

J'vous l'dis, môssieu ! ..,

 

LA DOT

 

O les parcepteurs ! O les capitaines

Qu'épous'nt des femm's qu'ont des grous sacs de dot,

Ah ! la dot ! la dot ! la dot ed' la mienne !...

- V'allez-t-y m'trouver berlaudin vous aut'es,

O les parcepteurs ! O les capitaines !

 

V'là l'histouére : Avant qu' je n' parte au sarvice,

J' m'étais fait cheu nous eun' tit' bounne amie ;

A c't âge, alle avait quasiment point d' vices

Et ça me r'tenait d'la biger pus loin

Qu' son bec ros' qui v'nait de li-même me qu'ri'

Des bécots pus simpl's qu'eun' becqué' d'bon pain.

 

J'y réclamais s'ment : « Attends-moué qu'je r'vienne...

Troués ans, ça pass' vite ! ... et j'nous marierons...

Tu s'ras tout en blanc, du vouéle à la tréne !

Gn' aura des pougné's d'rubans au violon ! »

Et pis, j' sés parti !

 

- « Eun'! deuss !... par l'flanc douéte !

Poch'té !... filer doux !... fout' huit jours ed' bouéte ! »

...Enfin, du moment qu' c'est pour la Patrie !...

Mais, pendant c'temps-là, ma 'tit' bounne amie

S' faisait enjôler par un bourgeouésieau,

Et quand j'sés r'venu, après mon rabiot,

Je n' l'ai pus r'trouvée au mitan d'la ronde

Des jeuness's ben sag's qui dans'nt aux fins d' vêp'es :

All' 'tait à Paris, qu'jaspotait tout l'monde,

All' 'tait à Paris, qui fesait la gouépe !

 

- Allons bon !... c'est dit !... je n'la r'vouerrai pus ! -

Et j'ai rempougné l' manch'ron d'la charrue ;

Labours et charroués ont mangé mes s'maines,

J'ai jité mes Dimanch's dans la bouésson

Tandis qu' les aut's fill's passin dans la plaine...

All's 'tin tout en blanc, du vouéle à la tréne,

Gn' avait des pougné's d'rubans au violon !

 

Mais un bieau matin... Ell'... v'là qu'à's'raméne...

Non ! tout's les gothons n'amass'nt pas des rentes :

Ses cott's tout's guené's aux filoch's qui pendent,

Ses façons d'causer, ses façons d'sourire,

Ses façons d'aller sont là pour el' dire !...

L'Monde y a fait deux goss's qu'alle a su' les bras ;

A’ rapporte queuqu's restants d'maladies

Qui vous guett'nt toujou's dans ces méquiers-là,

A’ rapporte un coeur qu'est tell'ment aigri

Qu'i' s'peux ben qu'l'Amour ne r'vienn' pus cheu li,

Et des pauv'ers vic's pour oublier ça !

 

C'est tout d'même eun' fill' de pus dans l'pays,

Eun' fill' de pus qu'est bounne à marier...

Hé ! les parcepteurs ! hé ! les capitaines,

Les bieaux épouseux !... qui qu'c'est qui veut qu'ri

La fille, et la dot que l'Monde y a baillée ?

 

Eh ben ! ça s'ra moué !... pis qu'tertous dis'nt non...

Aprés tout, c'était ma 'tit' bounne amie...

Dam' du coup ! gn'aura vouél' blanc ni blanch' tréne !

Gn' aura pas d'rubans !... gn' aura pas d'violons !

Mais j'nous marierons tout d'méme et quand méme.

 

O les parcepteurs ! O les capitaines

Qu'épous'nt des femm's qu'ont des grous sacs de dot,

La mienne a coumm' dot un grous sac de peine :

Faut qu'un gâs racheut' les sal'tés aux aut'es,

O les parcepteurs ! O les capitaines ! ! !

 

LES DRAGEES

 

Maintenant le drôle est chrètien.

— Tant mieux, ça va bien !

Et nous sortons de la chapelle

Tous les deux ma belle.

Vite, elle met la main au fond

D’un bleu pocheton.

Et, parmi la foule aguichée,

Jette des dragées.

 

Refrain

 

Jette des dragées, Madeleine !

(C’est toi la marraine !)

Mais garde-m’en-z-une en ta main ?

(C’est moi le parrain !)

 

Aux gas qui tendent leur chapeau :

— Par ici, plus haut !

Elle sème, en son gai délire,

Dragées et sourires !

Les sourires qui me sont chers

Et les bonbons clairs

Vont choir sur les gas qu’ils arrosent

D’une averse rose...

 

Faut voir se bousculer les gas !

— Mais poussez donc pas !

Autour de la manne fleurie

Que répand ma mie :

S’il ne tombe pas, à tout coup,

Des dragées pour tous,

Les sourires, pour tout le monde,

Tombent, à la ronde !

 

Cela ne me rend pas jaloux.

— Mais non, pas du tout !

Car cette dragée qu’lle garde

Dans sa main mignarde,

Tantôt, quand nous serons rentrés,

Je la croquerai

Entre sa bouche où viendront luire

De nouveaux sourires !

 

DRAPEAUX

 

L’heure patriotique du tirage au sort

A fait vibrer le beffroi légal des mairies,

Les gas aux grands yeux bons sont devenus conscrits

Et leur troupeau dévale par les rues

Sous le geste dur des houlettes tricolores.

 

En les voyant ainsi passer, les filles belles

Qui s’avancent par la paix fleurie des venelles,

Se demandent en leur naïveté, pourquoi

L’on gaspille ainsi bêtement si belle soie.

 

Holà ! nos galants aimés. Holà ! disent-elles,

Baillez-nous l’étoffe jolie de vos drapeaux,

Nous en ferons des robes bleues, rouges ou blanches

Et nous les froisserons aux danses des dimanches

Contre votre cœur qui s’en montrera plus tendre.

 

Mais les galants passent et s’en vont sans comprendre

Le bon désir des amantes qui restent seules...

Et demain les drapeaux leur seront des linceuls.

 

LES DRAPS SECHENT SUR LE FOIN

 

Quoué qu'a tombé su' la prairie

Pour qu'on la revi' coumm' ça tout' blanche ?

Tomb' pas d'neige en plein coeur d'avri' :

Ça f'rait framer l'yeux aux parvenches.

 

Eh ! ben, v'là c'que c'est : à c'matin

On a fait la lessive à la farme,

Et les draps prop's séch'nt su' le foin

Et sous le hâl' qui souff'el farme.

 

Les draps sèch'nt, les draps oùsqu'on s'fourre ;

Quasi coumme el' soulé se couche,

Ereintés par la tâch' du jour

Et oùsqu'on s'endort coumm' des souches.

 

Les draps d'sommeil, les draps d' repos

Qu'entend'nt ronfler sans fin ni cesse,

Mais qu'entend'nt pas souvent d'bécots

Et qui sent'nt pas souvent d'caresses.

 

Les pauv'ers draps à qui qu'l'amour

S'en vient pas souvent fair' visite,

Et, si ça y arrive un bieau jour,

Il ent'e, i' sort, et r'fil' ben vite.

 

Les draps sèch'nt et par-dessous eux,

Sans qu'on y voi' ren, les foins poussent,

Les foins oùsque les amoureux

Ont coulé des minut's si douces,

 

Les foins pleins d'petits creusillons

Qui sont autant d'gîtons d'amour

Que les coup'les en contravention

Ont s'més coumm' ça su' leu' parcours.

 

Les draps sèch'nt, et les foins sent'nt bon,

I's sent'nt la chair de fille et d'mâle

Et guerdill'nt encor des frissons

Du gas qu'ensarr' la garc' qui râle.

 

Les draps sèch'nt et, tout en séchant,

Les foins qui sent'nt bon les parfument,

Les v'là secs ! au soulé' couchant

I's s'ront à leu' plac' de coutume

 

Dans les grands lits aux grands ridieaux

Et, à c'souer, la chandell' soufflée,

L'mait' ed' farme encore tout vieillot

Sentira son coeur s'réveiller.

 

L'charr'quier ira r'trouver la bonne

Et la bonn' le coursera point,

L' porcher r'grett'ra d'avouer parsonne

Pasqu' les draps sentiront les foins.

 

Volume 2

L'ECOLE

 

Les p'tiots matineux sont 'jà par les ch'mins

Et, dans leu' malett' de grousse touél' blue

Qui danse et berlance en leu' tapant l'cul,

I's portent des liv's à coûté d'leu pain.

 

L'matin est joli coumm' trent'-six sourires,

Le souleil est doux coumm' les yeux des bêtes...

La vie ouvre aux p'tiots son grand liv' sans lett'es

Oùsqu'on peut apprend' sans la pein' de lire :

Ah ! les pauv's ch'tiots liv's que ceuss' des malettes !

 

La mouésson est mûre et les blés sont blonds ;

I's pench'nt vars la terr' coumm' les tâcherons

Qui les ont fait v'ni' et les abattront :

Ça sent la galette au fournil des riches

Et, su' la rout', pass'nt des tireux d'pieds d'biche.

Les chiens d' deux troupets qui vont aux pâtis,

Les moutons itou et les mé's barbis

Fray'nt et s'ent'erlich'nt au long des brémailles

Malgré qu'les bargers se soyin bouquis

Un souèr d'assemblé', pour eune garçaille.

Dans les ha's d'aubier qu'en sont ros's et blanches,

Les moignieaux s'accoupl'nt, à tout bout de branches,

Sans s'douter qu'les houmm's se mari'nt d'vant l'Maire,

Et i's s'égosill'nt à quérrier aux drôles

L'Amour que l'on r'jitt' des liv's de l'école

Quasi coumme eun' chous' qui s'rait pas à faire.

A l'oré' du boués, i' s'trouve eun' grand crouéx,

Mais les peupéiers sont pus grands dans l'boués.

L'fosséyeux encave un mort sous eun' pierre,

On baptise au bourg : les cloches sont claires

Et les vign's pouss' vart's, sur l'ancien cim'tière !

 

Ah ! Les pauv's ch'tiots liv's que ceuss' des malettes !

Sont s'ment pas foutus d'vous entrer en tête

Et, dans c'ti qu'est là, y a d'quoué s'empli l'coeur !

A s'en empli l'coeur, on d'vienrait des hoummes,

Ou méchants ou bons - n'importe ben coumme ! -

Mais, vrais coumm' la terre en friche ou en fleurs,

L'souleil qui fait viv'e ou la foud' qui tue.

Et francs, aussi francs que la franch' Nature,

Les p'tiots ont marché d'leu's p'tit's patt's, si ben

Qu'au-d'ssus des lopins de seigle et d'luzarne,

Gris' coumme eun' prison, haut' coumme eun' casarne

L'Ecole est d'vant eux qui leu' bouch' le ch'min.

 

L'mét' d'école les fait mett'e en rangs d'ougnons

Et vire à leu' têt' coumme un général :

« En r'tenu', là-bas !… c'ti qui pivott' mal !... »

Ça c'est pou' l'cougner au méquier d'troufion.

 

On rent' dans la classe oùsqu'y a pus bon d'Guieu :

On l'a remplacé par la République !

De d'ssus soun estrad' le mét' leu-z-explique

C'qu'on y a expliqué quand il 'tait coumme eux.

I' leu' conte en bieau les tu'ri's d' l'Histouère,

Et les p'tiots n'entend'nt que glouère et victouère :

I' dit que l'travail c'est la libarté,

Que l'Peuple est souv'rain pisqu'i' peut voter,

Qu'les loués qu'instrument'nt nous bons députés

Sont respectab's et doiv'nt êt respectées,

Qu'faut payer l'impôt... « Môssieu, j'ai envie !...

- Non !... pasque ça vous arriv' trop souvent ! »

I veut démontrer par là aux enfants

Qu'y a des règu's pour tout, mêm' pou' la vessie

Et qu'i' faut les suiv' déjà, dret l'école.

 

I' pétrit à mêm' les p'tits çarvell's molles,

I' rabat les fronts têtus d'eun' calotte,

I' varse soun' encr' su' les fraîch's menottes

Et, menteux, fouéreux, au sortu' d'ses bancs

Les p'tiots sont pus bons qu'â c'qu'i' les attend :

 

Ça f'ra des conscrits des jours de r'vision

Traînant leu' drapieau par tous les bordels,

Des soldats à fout'e aux goul's des canons

Pour si peu qu'les grous ayin d'la querelle,

Des bûcheux en grippe aux dents des machines,

Des bons citoyens à jugeotte d'ouée :

Pousseux d'bull'tins d'vote et cracheux d'impôts,

Des cocus devant l'Eglise et la Loué

Qui bav'ront aux lèv's des pauv's gourgandines,

Des hounnètes gens, des gens coumme i'faut

Qui querv'ront, sarrant l'magot d'un bas d'laine,

Sans vouèr les étouel's qui fleuriss'nt au ciel

Et l'Avri' en fleurs aux quat' coins d'la plaine !...

 

Li ! l'vieux mét' d'école, au fin bout d'ses jours

Aura les ch'veux blancs d'un déclin d'âg' pur ;

I' s'ra ensarré d'l'estime d'tout l'bourg

Et touch'ra les rent's du gouvernement...

 

Le vieux maît' d'écol' ne sera pourtant

Qu'un grand malfaiseux devant la Nature !..

 

 

LES ELECTEURS

 

Ah ! bon Guieu qu'des affich's su' les portes des granges !...

C'est don' qu'y a 'cor queuqu' baladin an'hui dimanche

Qui dans' su' des cordieaux au bieau mitan d'la place ?

Non, c'est point ça !... C'tantoût on vote à la mairie

Et les grands mots qui flût'nt su' l'dous du vent qui passe :

Dévouement !... Intérêts !... République !... Patrie !...

C'est l'Peup' souv'rain qui lit les affich's et les r'lit...

 

(Les vach's, les moutons,

Les oué's, les dindons

S'en vont aux champs, ni pus ni moins qu'tous les aut's jours

En fientant d'loin en loin l'long des affich's du bourg.)

 

Les électeurs s'en vont aux urn's en s'rengorgeant,

« En route !... Allons voter !... Cré bon Guieu ! Les bounn's gens !...

C'est nous qu'je t'nons à c't'heur' les mâssins d'la charrue,

J'allons la faire aller à dia ou ben à hue !

Pas d'abstentions !... C'est vous idé's qui vous appellent...

Profitez de c'que j'ons l'suffrage univarsel !...»

 

(Les vach's, les moutons,

Les oué's, les dindons

Pâtur'nt dans les chaum's d'orge à bell's goulé's tranquilles

Sans s'ment songer qu'i's sont privés d'leu's drouéts civils.)

 

Y a M'sieu Chouse et y a M'sieu Machin coumm' candidat.

Les électeurs ont pas les mêm's par's de leunettes :

- Moué, j'vot'rai pour c'ti-là !... Ben, moué, j'y vot'rai pas !...

C'est eun' foutu crapul' !... C'est un gas qu'est hounnête !...

C'est un partageux !... C'est un cocu !... C'est pas vrai !...

On dit qu'i fait él'ver son goss' cheu les curés !...

C'est un blanc !... C'est un roug' !... - qu'i's dis'nt les électeurs :

Les aveug'els chamaill'nt à propos des couleurs.

 

(Les vach's, les moutons,

Les oué's, les dindons

S'fout'nt un peu qu'leu' gardeux ait nom Paul ou nom Pierre,

Qu'i' souét nouér coumme eun' taupe ou rouquin coumm' carotte

I's breum'nt, i's bél'nt, i's glouss'nt tout coumm' les gens qui votent

Mais i's sav'nt pas c'que c'est qu'gueuler : « Viv' Môssieu l'Maire ! »)

 

C'est un tel qu'est élu !... Les électeurs vont bouére

D'aucuns coumme à la noc', d'aut's coumme à l'entarr'ment,

Et l'souèr el' Peup' souv'rain s'en r'tourne en brancillant...

Y a du vent !... Y a du vent qui fait tomber les pouères !

 

(Les vach's, les moutons,

Les oué's, les dindons

Prenn'nt saoûlé' d'harb's et d'grains tous les jours de la s'maine

Et i's s'mett'nt pas à chouèr pasqu'i's ont la pans' pleine.)

 

Les élections sont tarminé's, coumm' qui dirait

Que v'là les couvraill's fait's et qu'on attend mouésson...

Faut qu'les électeurs tir'nt écus blancs et jaunets.

Pour les porter au parcepteur de leu' canton ;

Les p'tits ruissieaux vont s'pard' dans l'grand fleuv' du Budget

Oùsque les malins pèch'nt, oùsque navigu'nt les grous.

Les électeurs font leu's courvé's, cass'nt des cailloux

Su' la route oùsqu' leu's r'présentants pass'nt en carrosses

Avec des ch'vaux qui s'font un plaisi' - les sal's rosses ! -

De s'mer des crott's à m'sur' que l'Peup' souv'rain balaie...

 

(Les vach's, les moutons,

Les oué's, les dindons

S'laiss'nt dépouiller d'leu's oeufs, de leu' laine et d'leu' lait

Aussi ben qu's'i's -z- avin pris part aux élections.)

 

Boum !... V'là la guerr' !... V'là les tambours qui cougn'nt la charge...

Portant drapieau, les électeurs avec leu's gâs

Vont terper les champs d'blé oùsqu'i'is mouéssounn'ront pas.

- Feu ! - qu'on leu' dit - Et i's font feu ! - En avant Arche !-

Et tant qu'i's peuv'nt aller, i's march'nt, i's march'nt, i's marchent...

...Les grous canons dégueul'ent c'qu'on leu' pouss' dans l'pansier,

Les ball's tomb'nt coumm' des peurn's quand l'vent s'cou' les peurgniers

Les morts s'entass'nt et, sous eux, l'sang coul' coumm' du vin

Quand troués, quat' pougn's solid's, sarr'nt la vis au persoué

V'là du pâté !... V'là du pâté de peup' souv'rain !

 

(Les vach's, les moutons,

Les oué's, les dindons

Pour le compte au farmier se laiss'nt querver la pieau

Tout bounnment, mon guieu !... sans tambour ni drapieau.)

 

...Et v'là !... Pourtant les bét's se laiss'nt pas fér' des foués !

Des coups, l' tauzieau encorne el' saigneux d'l'abattoué...

Mais les pauv's électeurs sont pas des bét's coumm's d'aut'es

Quand l'temps est à l'orage et l'vent à la révolte...

I's votent !...

 

L'ENFERMEE

 

J'vis cheu mes enfants pasqu'on m'trouv' berlaude :

I's m'coup'nt du pain blanc, rapport à mes dents ;

I's m'donn'nt de la soup' ben grasse et ben chaude,

Et du vin, avec deux bouts d'sucr' dedans.

I's font du ben-aise autour de moun âge ;

Mais, ça c'est l'méd'cin qu'en est caus', ben sûr !

I's m'enferm'nt dans l'clos comme eun pie en cage,

Et j'peux pas aller pus loin qu'les quat'murs.

 

La porte !

I's veul'nt pas me l'ouvri'... la porte !

Quoué que j'leu-z-ai fait, qu'i's veul'nt pas que j'sorte?

Mais ouvrez-la moué don'..., la porte !...

 

...Hé ! les bieaux faucheux qui part'nt en besogne !

Non ! j'sés pas berlaud'... j'ai tous mes esprits !

J'sés mêm' 'cor solide, et j'ai forte pogne ;

S'i'vous faut queuqu'un pour gerber, v'nez m'qu'ri.

J'voudrais ben aller aux champs comm' tout l'monde ;

J'ai hont' de rester comm' ça sans oeuvrer,

A c'tte heur' qu'i' fait doux et qu'la terre est blonde...

Si vous m'défermez, c'est vous qu'hérit'rez !

 

...Hé ! mon bieau Jean-Pierr', qu'est déjà qui fauche,

I's dis'nt que j'ses vieill'... mais tu sais ben qu' non :

A preuv' c'est que j'sés 'cor si tell'ment gauche

Que j' fais l'coqu'licot en disant ton nom.

Va, j'nous marierons tout d'même et quand même,

Malgré qu't'ay's pas d'quoué pour la dot que j'ai !...

Viens-t-en m'défermer, si c'est vrai qu'tu m'aimes,

Et courons ach'ter l'bouquet d'oranger !

 

Mais... l'galant qu'j'appell'... c'est défunt mon homme...

Mais... les bieaux faucheux... pass'nt pas, de c'temps-là :

(Mais... ça s'rait don'vrai que j'sés berlaud' comme

I's racont'nt tertous !) I'fait du verglas.

Pourtant, y a queuqu'un qui passe à la porte ?

C'est môssieu l'curé, les chant's et l'bedieau

Qui vienn'nt défermer su' terr' les vieill's mortes

Pour les renfermer dans l'champ aux naviots...

 

La porte !

On me l'ouvrira ben..., la porte :

L'jour de l'enterr'ment faudra ben que j'sorte...

Vous l'ouvrirez, que j'dis !... la porte !

 

EN REVENANT DU BAL

 

Allons, petiot', faut s'en aller !

Les violons ont pardu parole,

Et su' la plac' de l'assemblée

V'là la nuit grand' qui dégringole.

 

I' faut profiter d'la nuit grande !

Dounn' moué ton bras et partons vite

Pour êt' pus longtemps dans la lande

Avant d'gangner chacun nout' gîte.

 

Prenons les sent's oùsqu'y a pas d'place

A pouvouèr teni' côte à côte ;

De c'tt' affér'-là, pour que l'on passe,

I' faurra s'sarrer l'un cont' l'autre.

 

Viens par ici ; des bouffées d'brise

Pass'nt dans les broussaill's déjà hautes,

Et ça sent bon dans la land' grise...

Ah ! coumme t'es belle à c'souèr, petiote !

 

Ah ! coumm' t'es belle ! Et qu'tes yeux brillent !

Ta main ! Coumme alle est p'tiote et blanche !

On dirait eun' main d'petit' fille

Que j'sens qui s'agrippe à ma manche !

 

Tes ch'veux, c'est eun' soué souple et fine,

Eun' vrai' caress' quand qu'on les touche,

Et ta bouche est fraîch' coumm' deux guignes,

Que j'présume ét' si douc's, si douces !

 

Mais j'cause-t-y point pour ne ren dire,

Pasqu'après tout c'tte bouchett' rouse

Et ces deux yeux jolis qu' m'attirent,

C'est fait pour d'aut's qu'un pas gran' chouse ?

 

J'sais ben qu'tu tomb'ras en d'aut's pattes,

- Ça, c'est fatal, - un jour ou l'aut'e,

Ma pauv' mignonn', ma bell' tit' chatte

Mais ton pèr' veut : c'est pas d'ta faute...

 

Aussi, à c'tt'heure oùsqu'on s'promène

Ren qu' tous les deux, j'me d'mande à cause

Que j'm'ai' mis à causer d'ma peine

Quand ton amour réclame aut' chose !

 

Viens par ici ! Gn'a eun' cachette,

Un p'tit nid que les grands g'nêts dorent.

Faut pus songer qu'gna des loués bêtes

Et des parents pus bêt's encore !

 

L'ENSEIGNE

 

Su' la rout' d'Orléans à Bloués

C'est un rouleux qu'est pris d'froued,

Et v'là qu'i' s'laiss' prend', par la nuit,

A c'tte heure, en avant d'Beaugency !

L'aubargiste a mal à ses nerfs,

Qu'il en fout tout à l'envers !

 

Ah ! queu cochon d'vent !

Su' la rout' i' vous coupe en deux !

Au bourg, i' farraill' l'enseign' du « Ch'val Blanc » !

Ah ! queu cochon d'vent !

Pauv'er rouleux ! Pauv'er logeux !

 

« Môssieu, s'ou plaît !... ça vient du nord

A pas fout'e un chien dehors.

Logez-moué sous la r'mise aux ch'vaux ?

- Non ! L'aut' jour, j'ai r'çu deux ch'minots :

(Les gâs coumm' vous, ça n'a pas d'soin)

I's ont mis l' feu dans mon foin ! »

 

Là-dessus, l'bon logeux s'fourre au lit.

Mais queu nuit ! Coumment dormi ?

C'tte garc' d'enseign' qui gueul' tout l'temps !

Quant au rouleux, s'couch' en plein vent...

Les grains d'sable d'la Mort sont lourds,

Et v'là qu'i' dort coumme un sourd.

 

Ah ! queu cochon d'vent !

Su' la route i' vous coupe en deux !...

Au bourg, i' farraill' l'enseign' du « Ch'val Blanc » !

Ah ! queu cochon d'vent !...

Chanceux d'rouleux... pauv'er logeux !...

 

EN SEMANT DU BLE

 

Belle, en songeant à tes yeux frais,

Mon geste fendant l'aube monotone,

Entre les cieux et les guérets

Je fais mes semailles d'automne !

Mon grain est sain, mon grain est lourd,

Les sillons sont pleins de mystères...

J'ai mis mon coeur dans ton amour

Comme un grain de blé dans la terre.

 

Belle, avril me fera-t-il voir ?

Du silence roux des glèbes désertes

Jaillir comme des brins d'espoir

Le fin bout des sigelles vertes ?

L'été bondera-t-il ma cour

D'un tas d'or tendre et salutaire ?

J'ai mis mon coeur dans ton amour

Comme un grain de blé dans la terre.

 

Belle, si, dans mon champ d'avril,

Je ne voyais rien que les quatre bornes ?

Hélas ! le blé sc mourra-t-il

Dans le berceau des sillons mornes ?

Mon champ d'août muet et sourd

Ne sera-t-il qu'un cimetière.

J'ai mis mon coeur dans ton amour

Comme un grain de blé dans la terre.

 

Belle, vas-tu faire fleurir

La douce moisson aux gerbes de joie ?

Ou bien mon coeur doit-il mourir

Etouffé dans ta main de soie

Comme le sillon de velours.

Je te sens pleine de mystère...

J'ai mis mon coeur dans ton amour

Comme un grain de blé dans la terre.

 

EN SUIVANT LEU' NOCE...

 

On d'vait s'marier su' l'coup d'nos vingt ans,

- (Tes jou's étin douc's comm' le v'lours des péches) - ;

Mais quoué ! dans la vi' du monde, y a tout l'temps,

Quand on veut eun' chos', d'aut's chos' qu'en empéchent.

On s'est en allé chacun d'son côté

Pour pas contrarier des idé's d'famille...

Et, trente ans aprés, v'là qu'j'allons fêter

Les blanch's épousaill's d'mon gâs et d'ta fille...

 

En suivant leu noce, ô gué la Marie

Ta fill' c'est 'cor toué !

Mon gâs c'est 'cor moué !

C'est don' ben un peu nous aut's qui s'marient

En suivant leu' noce, ô gué la Marie !...

 

Voui, ma bounn', ta fille alle a hérité

Des deux p'quit' péch's fréch's de ton doux visage,

Et pus j'm'aperçoués, à la ben zieuter, .

Qu'c'est toué tout' craché' quand qu't'avais soun âge...

Poure c'qu'est d'mon gâs, j'y'ai passé mon coeur,

- Mon coeur de vingt ans qu'a pus ren à fère

Dans eun' vieill' carcass' qui li port' malheur -,

Et l'pauv' coeur a r'pris sa rout' coutumière !...

 

I' s'est envolé comm' la premiér' foués

Par les champs qui dorm'nt et les blés qui bougent,

Par les vign's en fleurs et le coin du boués,

Pour arriver d'vant l'mêm' touét en tuil's rouges :

Il a r'cougné d'l'aile aux mêm's volets verts

Ousque s'accrochin les vrill's de la vigne ;

Mais, du coup, les deux volets s' sont ouverts

Comm' des bras de bon accueil qui font signe...

 

Qu'i's ont l'air heureux, à c'tte'heur', nos pequits ! ...

- (Dam ! i' pouss' des fleurs su' tous les cim'tières ! ) -

Et la joi' qu'i's cueill'nt au jour d'aujord'hui

A poussé su l'tas d'nos ancienn's miséres !

... Alle est tout en blanc, li marche à côté,

Et le violoneux râcle avec tendresse :

Tu l'voués, là d'vant nous, qu'est ressuscité

Le bieau rév' défunt de tout' not' jeunesse !

 

L'EPICIER

 

V'là trois ans qu'je m'sés marié

Pasqu'i' fallait ben qu'je m'marie :

Faut eun' femme à tout épicier

Pour teni' son fonds d'épic'rie ;

J'en ai pris eun' qu'avait quéq'ssous

Mais vieille à pouvoir êt' ma mère.

Songeant qu'bouchett' rose et z-yeux doux

Val'nt moins qu' vieux bas plein, en affaire.

 

Va chemineux, va, lidéra !

Suis ton coeur oùs qu'i t'mèn'ra !

 

A c't'heure, après la r'cett' du jour

Quand ej' me couch' comme m'incombe

Auprès d'ma femm' qu'a pus d'amour,

Mon lit me fait l'effet d'eun' tombe ;

Et dir' que j'me bute à chaqu' pas

Dans joli' brune et belle blonde

Mais ren qu' de m'voir leu causer bas

Ça pourrait fair' clabauder l'monde.

 

Va chemineux, va, lidéra !

Suis ton coeur oùs qu'i t'mèn'ra !

 

Quant à c'tte vieill' qui m'fait horreur,

Pas possibl' de m'séparer d'elle :

C'est comme eun' pierr' que j'ai su l'coeur

Et qui yempêch' de bouger l'aile ;

La fair' cornette, en vérité

F'rait ben mal aux yeux d'la « pratique »

Et, si j'venions à nous quitter,

Ça s'rait la mort de ma boutique.

 

Va chemineux, va, lidéra !

Suis ton coeur oùs qu'i t'mèn'ra !

 

ET DIRE QU'ON S'AIME !

 

V'là cor la natur' qui m'taquine,

Dir' qu'on s'aim' tous deux, la vouésine !

J'partirai dimanche, au tantoût,

Devinez où ?

Dir' qu'i' faut qu'j'aill' charcher des fill's si loin d'cheu nous !

 

Aux grouss's lantarnes, ça s'devine.

Dir' qu'on s'aim' tous deux, la vouésine !

J'me f'rai mett' des bécots au bout

D'mes quarant' sous.

Dir' que j'pourrais trouver tout ça pour ren cheu nous !

 

Tant que j'saut'rai des gourgandines

(Dire qu'on s'aim' tous deux, la vouésine !)

La pauv'e en mal de désirs fous,

S'gratt'ra partout... .

Dir' qu'y a des chous's qui f'rins si grand benais cheu nous !

 

Un jour j'attrap'rai d'la varmine,

(Dire qu'on s'aim' tous deux, la vouésine !)

Ou des mals qu'on entend toujou's

Causer qu'en d'ssous...

Dir' qu'i faura que j'rapporte tout ça cheu nous !

 

Après toute c'te pantomine

(Dire qu'on s'aim' tous deux, la vouésine !)

Quand qu'j'aurai l'âge, et elle itou,

J's'rai soun époux !

Et j'aurai pas manqué aux conv'nanc's de cheu nous !

 

ETIONS-NOUS BETES

 

Au temps encor tout frais passé

Où l'on pouvait à chaque danse

Se causer bas et s'embrasser

Sans que ça tire à conséquence ;

Dans ce temps-là d'un air sérieux

Nous causions comme chose faite

De nous marier tous les deux...

Hein !... Crois-tu que nous étions bêtes ?

 

Non, mais vois-tu cela d'ici ?

La demoiselle de la ferme

Epouser un gâs de Paris

Qui ne peut pas payer son terme ;

Jeune et belle, se marier

Avec une mauvaise tête,

Qui n'a même pas un métier...

Hein ! Crois-tu que nous étions bêtes ?

 

Il ne chôme pas d'épouseux :

Le gros voisin ou le notaire

Ont des cahiers de billets bleus

Ou des arpents de bonne terre ;

Tu prendras l'un d'eux et feras

Une petite femme honnête ;

Et moi j'irai... je ne sais pas ?...

Hein ! Crois-tu que nous étions bêtes ?

 

Et, s'il nous arrive jamais

De nous rencontrer dans la vie,

Toi que j'aimais, toi qui m'aimais,

Toi qui voulait qu'on se marie ;

Peut-être en me voyant passer

Las ! détourneras-tu la tête,

Pour ne pas avoir à causer

Du temps où nous étions si bêtes !…

 

FEU DE VIGNE...

 

Ils avaient de très belles vignes

Dont le vin loyal et rosé

Etait couleur de leur baiser :

Leurs vingt ans furent doux et dignes ;

Puis, champ par champ, pièce par pièce,

Dans le sol de pierre à fusil

La vigne est morte de vieillesse,

Et le bon temps est mort aussi.

 

Refrain

 

Y a plus de vin dans le cellier !

Y a plus d'amour sous l'oreiller !...

Mais (jette une souche, la vieille !)

Une flamme rose ensoleille

Leur âtre et leur coeur de janvier.

 

L'esprit du bon Vin qu'ils révèrent

S'en vient pour eux flamber encor

Parmi le feu de sarment mort

Comme il a flambé dans leurs verres.

Leur Passé, sur leurs lèvres blêmes,

Brûle à ne pouvoir préciser

Si ce qui s'envole d'eux-mêmes

Est un mot ou bien un baiser.

 

Devant la flamme enchanteresse

Le vieux buveur qui ne boit plus

Sent, parmi ses membres perclus,

Couler les douceurs de l'ivresse ;

Et la Vieille dont la pensée

S'échauffe au feu du souvenir

Sent battre en sa pleine poitrine usée

L'Amour qui ne veut pas mourir.

 

Ils avaient de très belles vignes

Dont le vin loyal et rosé

Etait couleur de leur baiser :

Leurs vingt ans furent doux et dignes ;

Et dans l'attente de l'épreuve

Qui doit faire passer un jour

Leur âme en quelque vigne neuve

Au vin clair comme un peu d'amour...

 

LA FILLE A NOT' MEUNIER

 

Not' meunier avait un' fille,

Lon, lon, la,

Qu'il avait fait trop gentille,

Lan dé ri ra,

Pour qu'ell' put rester longtemps

Au moulin de ses parents.

 

Un bourgeoisieau du village,

Lon, lon, la,

R'marqua son p'tit air volage,

Lan dé ri ra,

Ses grands yeux bleus comm' le ciel,

Et ses ch'veux couleur de miel.

 

Il l'emm'na dans la grand' ville,

Lon, lon, la,

Pour manger quelqu'billets d'mille,

Lan dé ri ra,

Puis quand il eût mieux trouvé,

Il la laissa su' l'pavé.

 

Mais ell' reprit son courage,

Lon, lon, la,

Et s'mit à chercher... d'l'ouvrage,

Lan dé ri ra,

Sachant qu'on n'est jamais pris

Quand on est belle à Paris.

 

Son honneur fit la culbute,

Lon, lon, la,

Roula dans la bou' d'la butte,

Lan dé ri ra,

Ell' travaill' dans un moulin

Qui moud autr' chos' que du grain.

 

Pendant c'temps là dans l'village,

Lon, lon, la,

Tout cassé, tout chargé d'âge,

Lan dé ri ra,

Son pèr' le pauvre meunier

Pleur' : « Ma fille a mal tourné ».

 

Et comm' ce n'était qu'pour elle,

Lon, lon, la,

Que le moulin tournait d'l'aile,

Lan dé ri ra,

Le vieux fut quérir des gâs,

Et le fit jeter à bas.

 

 

LE FOIN QUI PRESSE

 

Ah ! Pour eun' bell' noc', c'était eun' bell' noce !...

Y avait - oui, d'abord ! - eun' joli' mariée,

Y avait d' la famill' des quat' coins d' la Bieauce,

Offrant des coch'lins à plein's corbeillées !

 

Y avait d'la mangeaille à s'en fout' ras là :

Des tourt's à la sauce et des oies routies,

Avec un bringand d' petit vin d' Saint-Y

Qui r'montait d'avant le phylloxéra !

 

Y avait l' vieux Pitance, un colleux d' bêtises,

Et l' cousin Totor qu'est au « Bon Marché »...

Ah! ces Parisiens !... i's sont enragés :

Des chansons à fér' pisser dans sa ch'mise !...

 

Y avait des volé's d' jeuness's raquillantes

Qui dansint en t'nant les gâs par el' cou ;

Y avait d'l'amus'ment et d'la bounne entente,

Des gens ben gaîtieaux, d'aucuns mêm' ben saouls !

 

Ah! pour eun' bell'... Mais c'est fini, la noce !...

Au r'vouér à tertous ! I' fait presque jour...

Pitanc' s'est r'levé su' l' fumier d' la cour,

Et les parents d' Bieauc' mont'nt dans leu's carrosses,

 

Si ben qu'i's rest'nt pus qu' tous les deux, à c'tte heure,

Ell', l'enfant gâtée élevée en ville,

Et li l' grous farmier !... Dans la cour tranquille,

Les coqs matineux saluent leu' bounheur...

 

Et v'là la joli' marié' qui s'appresse

En faisant ronron comme eun' tit' chatt' blanche

Qui veut des lichad's et pis des caresses.

Mais quoué don' ?... Soun houmme est là... coumme eun' planche ;

 

Piqué vis-à-vis le peignon d' sa grange,

Il a r'luqué l'ciel d'eun air si étrange !

C'est-y qu'i sarch'rait à lir' dans les nuages

La bounne aventur' de leu' jeun' ménage ?...

 

« Hé ! Pierr', - qu'a soupir' - c'est tout c' que tu contes ? »

Mais li, s'emportant coumme eun' soupe au lait :

« Non mais, r'garde don' un peu l' temps qu'i' fait,

Couillett' ! Tu vois pas la hargne qui monte ?

 

Ca va mouiller dur, et ça s'ra pas long !

Mon foin, nom de guieu ! qu'est pas en mulons !

La mangeaille aux bêt's qui va êt' foutue !...

En rout' ! Mulonnons avant qu' l'ieau sey' chue ! »

 

Et la v'là parti', la marié' tout' blanche,

Piétant dans son vouéle et ses falbalas,

Portant su' l'épaule eun' fourche à deux branches,

L'âm' tout' né' de se r'trouver là...

 

Quand qu'il était v'nu, pour li fér' sa d'mande,

Dans la p'tit' boutique où qu' mourait son coeur,

Alle avait dit « oui », tout d' suite, sans attend'e,

Se jitan vars li coumm' vars un sauveur.

 

Alle avait dit « oui », songeant, sans malice,

- Ell' dont l' corps brûlait à l'air des bieaux jours

Qu' c'en était, des foués, coumme un vrai supplice - :

« Quand on a eun houmme, on a de l'amour ! »...

 

Et la v'là fourchant le treufe incarnat,

Sous l' désir féroce et l'aube mauvaise,

- A'nhui, dret l' moment qu'a' d'vrait êt' ben aise,

Coumme au Paradis, dans l' fin fond des draps -

 

Pasque, auparavant que d'êt' dev'nu' femme,

All' est devenue eun' femm' de pésan

Dont la vie est pris', coumm' dans un courant,

Ent' le foin qui mouille et les vach's qui breument...

 

Les tâch's, l'agrippant au creux de sa couette,

Mang'ront les baisers su' l' bord de ses lèv'es

Et séch'ront son corps, tout chaud de jeun' sève,

Qui tomb'ra pus fréd qu'eun arpent d' « guérouette ».

 

Les gésin's bomb'ront son doux ventrezieau,

Les couch's râchiront sa pieau fine et pâle ;

Et, vieille à trente ans, traînant ses sabiots,

Abêti' d' travail, écoeurdée du mâle,

 

All' aura pus d'yeux qu' pour vouér, à son tour,

L' ciel nouér su' les prés couleur d'espérance,

Esclav' de la Terr' jalous', qui coummence

Par y voler sa premièr' nuit d'amour...

 

LE FONDEUR DE CANONS

 

Je suis un pauvre travailleur

Pas plus méchant que tous les autres,

Et je suis peut-être meilleur

O patrons ! que beaucoup des vôtres ;

Mais c'est mon métier qui veut ça,

Et ce n'est pas ma faute, en somme,

Si j'use chaque jour mes bras

A préparer la mort des hommes...

 

Pour gagner mon pain

Je fonds des canons qui tueront demain

Si la guerre arrive.

Que voulez-vous, faut ben qu'on vive !

 

Je fais des outils de trépas

Et des instruments à blessures

Comme un tisserand fait des draps

Et le cordonnier des chaussures,

En fredonnant une chanson

Où l'on aime toujours sa blonde ;

Mieux vaut ça qu'être un vagabond

Qui tend la main à tout le monde.

 

Et puis je suis aussi de ceux

Qui partiront pour les frontières

Lorsque rougira dans les cieux

L'aurore des prochaines guerres ;

Là-bas, aux canons ennemis

Qui seront les vôtres, mes frères !

Il faudra que j'expose aussi

Ma poitrine d'homme et de père.

 

Ne va pas me maudire, ô toi

Qui dormiras, un jour, peut-être,

Ton dernier somme auprès de moi

Dans la plaine où les bœufs vont paître !

Vous dont les petits grandiront

Ne me maudissez pas, ô mères !

Moi je ne fais que des canons,

Ça n'est pas moi qui les fais faire !

 

GARÇAILLE PALIE

 

Bieau gâs s'en va ; brunette jolie

Trottaille tant qu'all' peut après li.

 

I' se ne et li cont' les choses

Qui font rosi sa bouchette rose,

Et l'aime durant tout c' jour d'au'hui ;

Mais il a le coeur qui pirouette

Comme une aiguille de girouette...

 

Bieau gâs s'en va tout dret devant li,

Abandonnant brunette jolie.

 

Bieau gâs s'en va ; roussiotte jolie

Trottaille comm' la brune après li.

 

I' se ne et, su' l'harbe folle

Fait avec elle des cabrioles

Et l'aime durant tout c'jour d'au'hui ;

Mais son coeur voltaille davantage

Qu' les petits moigniaux su' son passage...

 

Bieau gâs s'en va tout dret devant li,

Abandonnant roussiotte jolie.

 

Bieau gâs s'en va ; blondine jolie

Trottaille comm' la rousse après li.

 

I' se ne ; l'agripp', la bécotte,

L'amignounne et li trousse les cottes,

Et l'aime durant tout c'jour d'au'hui ;

Mais son coeur est comme l'ieau mouvante

Qui change à chaque coup d' bis' qui vente...

 

Bieau gâs s'en va tout dret devant li,

Abandonnant blondine jolie.

 

Bieau gâs s'en va ; garçaille pâlie

Trottaille comm' les aut's après li.

 

All' l'arrête et li dit : « Je me nomme

Mam'zell' la Mort qu'épouse les hommes ;

C'est ton tour de coucher dans mon lit.

On m'abandonn' pas, moié, car j'enterre

Mes amants par d'ssous eune gross' pierre. »

 

Bieau gâs s'en va, et part avec li

Et pour toujou's garçaille pâlie !

 

LES GAS ET LES FILLES

 

 

En leurs cotillons de futaine

Qui flottent et claquent au vent,

Les filles s’en vont, en rêvant,

Laver le linge à la fontaine...

Et, sous les couchants au front d’or,

Les gâs, en chantant leur romance,

Jettent le grain de la semence

Au sein de la glèbe qui dort.

 

De quoi rêvent les filles ?

— Des gâs !

Et que chantent les gâs ?

— Les filles!

 

Timides, sous leurs coiffes blanches,

Et prises de vagues espoirs,

Les filles aux lourds chignons noirs

S’en vont danser, les beaux dimanches ;

Et les gâs, entendant gémir

La viole aux voix caressantes,

Au plus profond de leur chair sentent

L’énervant frisson du désir.

 

Que souhaitent les filles ?

— Les gâs !

Et que veulent les gâs ?

— Les filles !

 

Les soirs, parmi les landes pleines

De l’encens fauve des genêts,

Les filles jettent leurs bonnets

Par dessus les moulins des plaines.

Et les gâs, en l’ombre des bois

Où tremblotte la lune rose,

S’en vont cueillir la fleur éclose

Qui ne se cueille qu’une fois.

 

Qui fait fauter les filles ?

— Les gâs !

Et qui pousse les gâs ?

— Les filles !

 

Par les prés où dorment les songes

Les filles vont à pas dolents,

Portant l’Ennui dans leurs seins blancs

Et sur leurs lèvres des Mensonges ;

Et les gâs vont suivant leur cœur

Qui, dans sa course vagabonde

Leur fait faire, avec brune ou blonde,

Les étapes de la douleur.

 

Qui délaisse les filles ?

— Les gâs !

Et qui trompe les gâs ?

— Les filles !

 

Les filles vont ; traînant leurs peines,

Le front morne et les yeux rougis,

Au bas des calvaires où gît

L’amant divin des Madeleines ;

Et les gâs, qui ne veulent plus

De l’amour retenter l’épreuve,

S’en vont se jeter dans le fleuve,

Ou s’étrangler sur les talus...

 

Qui fait pleurer les filles ?

— Les gâs !

Et trépasser les gâs ?

— Les filles !...

 

LE GAS QU'A MAL TOURNE

 

 

Dans les temps qu'j'allais à l'école,

- Oùsqu'on m'vouèyait jamés bieaucoup, -

Je n'voulais pâs en fout'e un coup ;

J'm'en sauvais fér' des caberioles,

Dénicher les nids des bissons,

Sublailler, en becquant des mûres

Qui m'barbouillin tout'la figure,

Au yeu d'aller apprend' mes l'çons ;

C'qui fait qu'un jour qu'j'étais en classe,

(Tombait d' l'ieau, j'pouvions pâs m'prom'ner !)

L'mét'e i'm'dit, en s'levant d' sa place :

« Toué !... t'en vienras à mal tourner ! »

 

Il avait ben raison nout' mét'e,

C't'houmm'-là, i'd'vait m'counnét' par coeur !

J'ai trop voulu fére à ma tête

Et ça m'a point porté bounheur ;

J'ai trop aimé voulouér ét' lib'e

Coumm' du temps qu' j'étais écoyier ;

J'ai pâs pu t'ni' en équilib'e

Dans eun'plac', dans un atéyier,

Dans un burieau... ben qu'on n'y foute

Pâs grand chous' de tout' la journée...

J'ai enfilé la mauvais' route!

Moué ! j'sés un gâs qu'a mal tourné !

 

A c'tt' heur', tous mes copains d'école,

Les ceuss' qu'appernin l'A B C

Et qu'écoutin les bounn's paroles,

l's sont casés, et ben casés !

Gn'en a qui sont clercs de notaire,

D'aut's qui sont commis épiciers,

D'aut's qu'a les protections du maire

Pour avouèr un post' d'empléyé...

Ça s'léss' viv' coumm' moutons en plaine,

Ça sait compter, pas raisounner !

J'pense queuqu'foués... et ça m'fait d'la peine

Moué ! j'sés un gâs qu'a mal tourné !

 

Et pus tard, quand qu'i's s'ront en âge,

Leu' barbe v'nu, leu' temps fini,

l's vouéront à s'mett'e en ménage ;

l's s'appont'ront un bon p'tit nid

Oùsque vienra nicher l' ben-êt'e

Avec eun' femm'... devant la Loué !

Ça douét êt' bon d'la femme hounnête :

Gn'a qu'les putains qui veul'nt ben d'moué.

Et ça s'comprend, moué, j'ai pas d'rentes,

Parsounn' n'a eun' dot à m'dounner,

J'ai pas un méquier dont qu'on s'vante...

Moué ! j'sés un gâs qu'a mal tourné !

 

l's s'ront ben vus par tout l'village,

Pasqu'i's gangn'ront pas mal d'argent

A fér des p'tits tripatrouillages

Au préjudic' des pauv'ers gens

Ou ben à licher les darrières

Des grouss'es légum's, des hauts placés.

Et quand, qu'à la fin d'leu carrière,

l's vouérront qu'i's ont ben assez

Volé, liché pour pus ren n'fére,

Tous les lichés, tous les ruinés

Diront qu'i's ont fait leu's affères...

Moué ! j's'rai un gâs qu'a mal tourné !

 

C'est égal ! Si jamés je r'tourne

Un joure r'prend' l'air du pat'lin

Ousqu'à mon sujet les langu's tournent

Qu'ça en est comm' des rou's d'moulin,

Eh ben ! I'faura que j'leu dise

Aux gâs r'tirés ou établis

Qu'a pataugé dans la bêtise,

La bassesse et la crapulerie

Coumm' des vrais cochons qui pataugent,

Faurâ qu' j'leu' dis' qu' j'ai pas mis l'nez

Dans la pâté' sal' de leu-z-auge...

Et qu'c'est pour ça qu'j'ai mal tourné !...

 

LE GAS QU'A PERDU L'ESPRIT

 

 

Par chez nous, dans la vieille lande

Ousque ça sent bon la lavande,

Il est un gâs qui va, qui vient,

En rôdant partout comme un chien

Et, tout en allant, il dégoise

Des sottises aux gens qu'il croise.

 

Refrain

Honnêtes gens, pardonnez-lui

Car il ne sait pas ce qu'il dit :

C'est un gâs qu'a perdu l'esprit !

 

- Ohé là-bas ! bourgeois qui passe,

Arrive ici que je t'embrasse ;

T'es mon frère que je te dis

Car, quoique t'as de bieaux habits

Et moi, des hardes en guenille,

J'ont tous deux la même famille

 

- Ohé là-bas ! le gros vicaire

Qui menez un défunt en terre,

Les morts n'ont plus besoin de vous,

Car ils ont bieau laisser leurs sous

Pour acheter votre ieau bénite,

C'est point ça qui les ressuscite...

 

- Ohé là-bas ! Monsieu le Maire,

Disez-moué donc pourquoi donc faire

Qu'on arrête les chemineux

Quand vous, qui n'êtes qu'un voleur

Et peut-être ben pis encore,

Le gouvernement vous décore.

 

- Ohé là-bas ! garde champêtre,

Vous feriez ben mieux d'aller paîtr

Qu'embêter ceux qui font l'amour

Au bas des talus, en plein jour ;

Regardez si les grandes vaches

Et les petits moineaux se cachent.

 

- Ohé là-bas ! bieau militaire

Qui traînez un sabre au derrière

Brisez-le, jetez-le à l'ieau

Ou ben donnez-le moi plutôt

Pour faire un coutre de charrue...

Je mourrons ben sans qu'on nous tue.

 

Et si le pauvre est imbécile

C'est d'avoir trop lu l'Evangile ;

Le fait est que si Jésus-Christ

Revenait, aujour d'aujord'hui,

Répéter cheu nous, dans la lande

Ousque ça sent bon la lavande.

 

Dernier  refrain

Ce que dans le temps il a dit,

Pas mal de gens dirin de lui :

« C'est un gâs qu'a perdu l'esprit ! ... »

 

LES GAS QUI SONT A PARIS

 

A c'tt' heur', les gens s'enfeignantent :

Pas un veut en foute un coup.

Tertous veul'nt avoèr des rentes ;

Et, coumme i's trouv'nt qu'après tout

C'est trop dur d'piocher la terre,

l's désartent leu' pays

Et, pour viv'e à ne rien n'faire,

Les gâs s'en vont à Paris.

 

I's crey'nt qui vont fair' tout fendre,

l's s'figur'nt qu'un coup là-bas

Gn'a qu'à s'baisser pour en prendre ;

Mais i's s'lass'nt vit' du combat

Qu'faut livrer dans la grand'ville...

Et, quand qu'i's r'vienn'nt au pays,

C'est pour être un peu tranquilles,

Les gâs qui sont à Paris !

 

Aussitoût qu'i's sont en âge

Plantant là les Jeannetons

Qui f'rin d'bounn's femm's ed'ménage,

l's vont couri' les gothons

Qui fum'nt et qui batifolent.

Mais, quand qu'i's r'vienn'nt au pays,

C'est pour soigner leu's... p'tit's maladi's d'jeun's houmm's

Les gâs qui sont à Paris !

 

I's r'mis'nt au fin fond d'l'ormoére

Leu's blous's et leu's grous sabiots

Et d'vant l'monde, i's font leu' poére,

Engoncés dans leu's palquiots...

N'empéch' qu'i's sont dans la gêne

Et, quand qu'i's r'vienn'nt au pays,

l's perssur'nt les pauv's bas d'laine,

Les gâs qui sont à Paris !

 

Et, en attendant qu'ça biche,

p'tit à p'tit i's d'viendront vieux ;

Mais i's d'viendront pas pus riches...

Et, quand gn'aura pus d'cheveux

Su' la plac'de leu' « sarvelle »,

Bieaucoup r'viendront au pays

Mouri sans pain ni javelle,

Des gâs qui sont à Paris !

 

LA GOMMEUSE PUDIQUE

 

 

J'étais une petit' chanteuse

Sorti' tout fraîch'ment de pension ;

Je n'étais pas encor noceuse

Et n'en avais pas l'intention.

J'voulais quand mêm' rester honnête,

Avec mon art gagner mon pain ;

Mais quand j'chantais mes chansonnettes

Chaqu'soir l'public criait au r'frain :

 

Refrain

«  La jambe, la jambe,

La jambe avec sa chanson !

Nous somm's venus pour ses nichons

Et pour qu'ell' nous fass' voir ses jambes !

Ses jambes, ses jambes,

Si nous ne voyons pas ses jambes

Dans un retroussis frétillard

Nous ferons du pétard ! »

 

Je n'leur chantais pas de ces choses

Qui font pâmer d'ais' les fauteuils ;

Je n'montrais pas de dessous roses

En clignant gentiment de l'oeil;

Car je n'pouvais pas devant l'monde

M'résoudre à c'qu'on r'luqu' mes mollets

Et j'rougissais lorsqu'à la ronde

On me disait à chaqu' couplet:

 

Refrain

 

«  La jambe, la jambe,

La jambe avec sa chanson !

Nous somm's venus pour ses nichons

Et pour qu'ell' nous fass' voir ses jambes !

Ses jambes, ses jambes,

Si nous ne voyons pas ses jambes

Dans un retroussis frétillard

Nous ferons du pétard ! »

 

Bien qu'la vertu soit mon idole

C'est un'monnaie qui n'a plus cours

Aussi, dés ce soir je m'enrôle

Dans le bataillon de l'amour ;

Tout comm' ces dames de la Butte

Je veux sauter comme un cabri

Seul'ment, messieurs, pour qu'je chahute

Faudra que vous y mettiez l'prix.

 

Dernier refrain

La jambe, la jambe,

La jambe avec ma chanson !

Ressentez-vous le p'tit frisson

A regarder ainsi mes jambes !

Mes jambes, mes jambes !

Si vous voulez mieux voir mes jambes

Je vous attends, gros polissons,

Demain à la maison.

 

LES GOURGANDINES

 

Il a poussé du pouél de su' l'vent'e à la terre,

Les poumm's vont rondiner aux poummiers des enclos ;

Il a poussé du pouél sous les pans des d'vanquiéres

Et les tétons rondin'nt à c'tt' heure à plein corset...

Toutes les fill's de seize ans se sont sentu pisser

En r'gardant par la plaine épier les blés nouvieaux.

 

L'souleil leu' coll' des bécots roug's à mém' la pieau

Qui font bouilli' leu' sang coumme eun' cuvé' d'septemb'e,

Les chatouill's du hâl' cour'nt sous leu's ch'misett's de chanv'e

Et d'vant les mâl's qui pass'nt en revenant des champs

A s'sent'nt le coeur taqu'ter coumme un moulin à vent.

 

Y a pas à dir'! V'là qu'il est temps ! Il est grand temps !...

Les vieux farmiers qui vont vend' leu' taure à la fouère

Ent'rapontront des accordaill's en sortant d'bouére:

- « Disez-don', Mét' Jean-Pierr', v'la vout' fill' qu'est en âge,

j'ai un gâs et j'ai tant d'arpents d'terre au souleil.

V'là c'que j'compte y bailler pour le mett'e en ménage.

- Tope là !... L'marché quient !... R'tournons bouére eun' bouteille !... »

 

Pour fére eun' femme hounnête, en faut pas davantage !

Voui mais, faut l'fér'!... faut-i'-encor pouvouèr le fère?

 

Les garces des loué's, les souillons, les vachères,

Cell's qu'ont qu'leu' pain et quat' pâr's de sabiots par an,

Cell's qu'ont ren à compter poure c'qu'est des parents,

Cell's-là, à' peuv'nt attend' longtemps eun épouseux,

Longtemps, en par-delà coueffé Sainte Cath'rine...

Attend'!... Mais coumment don' qu'vous v'lez qu'a fass'nt, bon guieu !

Empêchez vouér un peu d'fleuri'les aubépines

Et les moignieaux d'chanter au joli coeur de Mai...

Cell's-là charch'ront l'Amour par les mauvais senquiers !

 

Y a des lurons qui besougn'nt aux métari's blanches,

On s'fait ben queuqu' galant en dansant les Dimanches...

Et pis, pouf ! un bieau souèr, oùsque l'on est coumm' saoûle

D'avouèr trop tournaillé au son des violons,

On s'laiss' chouèr, enjôlé', sous les suçons d'eun' goule

Et sous le rudaill'ment de deux bras qui vous roulent,

Coumme eun' garbée à fér', dans les foins qui sent'nt bons.

 

Queuq's moués après, quand y a déjà d'la barbelée

Au fait' des charnissons et des p'tits brins d'éteule,

Faut entend' clabauder, d'vant la flamm' des jav'lées

Les grous boulhoumm's gaîtieaux et les vieill's femm's bégueules :

«  Hé ! Hé !... du coup, la michant' Chous' s'a fait enfler !... »

 

Et les pauv's « michant's chous's » qui décess'nt pâs d'enfler

Descend'nt au long des champs ousqu'a trouvé linceul

Leu-z-innocenc'tombée, au nez d'un clair de leune.

- Les galants sont partis pus loin, la mouésson faite.

En sublaillant, chacun laissant là sa chaceune,

Après avouèr, au caboulot payé leu's dettes. –

 

« Quoué fer ? » Qu'a song'nt, le front pendant su' leu' d'vanquiére

Et les deux yeux virés vars le creux des orgniéres...

Leu' vent'e est là qui quient tout l'mitan du frayé !

Au bourg, les vieill's aubarg's vésounn'nt de ris d'rouyiers

Qui caus'nt d'ell's en torchant des plats nouér's de gib'lotte ;

D'vant l'église à Mari' qu'a conçu sans péché

Leu's noms sont écrasés sous les langu's des bigottes

Qu'un malin p'tit vicair' fait pécher sans conc'vouer ;

Les conscrits qui gouépaill'nt un brin, avant d'se vouèr

Attaché's pour troués ans au grand ch'nil des casarnes,

Dis'nt des blagu's à l'hounneur d'la vieill' gaîté d'cheu nous :

- « Sapré garc's, pour avouér un pansier aussi grous

A's'ont fait coumm'les vach's qu'ont trop mangé d'luzarne ?...

Ou ben c'est-l' un caquezieau qui l'sa piquées ?... » -

Au bourg, tout l'monde est prêt à leu' jiter la pierre...

A's r'tourn'ront pas au bourg les fill's au vent'e enflé,

Un matin a's prendront leu' billet d'chemin d'fer

Et ça s'ra des putains arrivé's à Paris...

 

Ben, pis qu'v'là coumm' ça qu'est... Allez les gourgandines !...

Vous yeux ont d'l'attiranc' coumm' yeau profond' des puits,

Vous lèvres sont prisé's pus cher qu'un kilo d'guignes,

Les point's de vous tétons, mieux qu'vout coeur, vout' esprit,

Vous frayront la rout' large au travers des mépris.

C'est vout' corps en amour qui vous a foutu d'dans,

C'est après li qu'i faut vous ragripper à c'tt' heure ;

Y reste aux fill's pardus, pour se r'gangner d'l'hounneur

Qu'de s'frotter - vent'e à vent'e - avec les hounnêt's gens :

L'hounneur quient dans l'carré d'papier d'un billet d'mille...

Allez les gourgandin's par les quat' coins d'la ville !...

Allez fout' su'la paill' les bieaux môssieu's dorés,

Mettez l'feu au torchon au mitan des ménages,

Fesez tourner la boule aux mangeux d'pain gangné

Aux p'tits fi's à papa en attent' d'héritage.

 

Fesez semaill' de peine et d'mort su' vout' passage

Allez, Allez jusqu'au fin bout d'vout' mauvais sort,

Allez ! les gourgandin's oeuvrez aux tâch's du mal :

Soyez ben méprisab's pour que l'on vous adore !...

Et si vous quervez pas su' eun' couétt' d'hôpital

Ou su' les banquett's roug's des maisons à lanterne

Vous pourrez radeber, tête haute, au village

En traînant tout l'butin qu' v' aurez raflé d'bounn' guerre.

 

Vous s'rez des dam's à qui qu'on dounne un çartain âge,

Vous tortill'rez du cul dans des cotillons d'souée

V' aurez un p'tit chalet près des ieaux ou des boués

Que v' appell'rez « Villa des Ros's ou des Parvenches »

L'curé y gueultounn'ra avec vous, les dimanches

En causant d'ici et d'ça, d'morale et d'tarte aux peurnes,

Vous rendrez l'pain bénit quand c'est qu'ça s'ra vout' tour ;

L'Quatorz' juillet, vous mérit'rez ben d'la Patrie :

Ça s'ra vous qu'aurez l'mieux pavouésé de tout l'bourg ;

Le bureau d'bienfaisanc' vienra vous qu'ri des s'cours.

Aux écol's coummunal's vous f'rez off'er de prix

Et vous s'rez presque autant que l'mair' dans la Coummeune

 

 

...Ah ! Quand c'est qu'vous mourrez, comben qu'on vous r'grett'ra

La musiqu', les pompiers suivront vout' entarr'ment ;

D'chaqu' couté d'vout convoué y aura des fill's en blanc

Qui porteront des ciarg's et des brassé's d'lilas...

 

Vous s'rez eun' saint' qu'on r'meun' gîter aux d'meur's divines...

Allez !... en attendant !... Allez, les gourgandines !...

 

GRAND'MERE GATEAU

 

Qui veut des fraises du bois joli ?

En voici, en voici

Mon panier tout rempli

Pierre DUPONT

 

J'ai s'coué les rein's-claud' du peurgnier

Pour les ramasser su' la mousse ;

J'ai fait guerner les perles douces

Des groseilliers dans mon pagnier ;

Pis j'ai renvarsé queuqu's bounn' liv'es

De suqu'er blanc su' les fruits clairs

Qui cuis'nt dans ma cassine en cuiv'e

Et v'là d'la lichad' pou c't'hiver !

 

Refrain

Ah ! les bell's confitur's varmeilles !

J'en ai aux peurn's et aux grosseilles

C'est pou' les p'tiots

Quand c'est qu'i's vienront vouér leu vieille

Grand'mèr' gatieau !

 

Quand c'est qu'i's ont ben tapagé

Ou ben raconté des histouéres,

Les p'tiots guign'nt le fin haut d'l'ormouére

Plein d'pots d'confitur' ben rangés,

Et i's dis'nt : «  grand'mère, on te le jure,

On a grand faim, on mang'rait ben. »

Mais i's lich'nt tout's les confitures

Sans fer' de mal à leu' bout d'pain !

 

Si je tourne l'nez de d'ssus eux,

Les brigands, grimpés su' eun' chaise,

S'bourr'nt de confitur's à leu-z-aise

Et s'en embarbouill'nt jusqu'aux yeux.

Alors et c'est eun' chous' qui m'brise,

Mais c'est pou' qu'i's ne r'commenc'nt pus !

Faut que j'corrig'leu' gourmandise

Par eun'bounn' ciclé' su' leu' cul !

 

Si j'les cicle, ces entêtés

Braill'nt coumm' des vieaux à la bouch'rie,

Et, pour calmer leu's pleurnich'ries

Qu'mes carress's peuv'nt pas arrêter,

J'dis à tout's les mauvais's figures,

J'dis à tous les p'tits airs grognons :

« Allons, v'aurez des confitures

Si vous pleurez pus, mes mignons ! »

 

HYMNE AU VIN NOUVEAU

 

Doucement le matin s’éveille

Ouvrant ses yeux extasiés

Sur le mystère des celliers

Gardant la vendange vermeille ;

Dans l’aurore du… bonheur luit,

D’un parfum neuf l’air se pénètre

Et, par la campagne aujourd’hui,

On… dirait qu’un dieu vient de naître…

 

Refrain

Gloire au jeune vin nouveau !

Que chacun vienne à la ronde

Boire autour de son berceau !...

Gloire au jeune vin nouveau

Doux consolateur du monde !

 

Fils du Soleil et de la Terre

Il vient, parmi l’automne roux,

Répandre tout autour de nous

Son âme tendre et salutaire :

Il vient faire chanter des vers

Dans les cerveaux les plus moroses

Et dans les cœurs chargés d’hivers

Il vient faire fleurir des roses…

 

Roi tout puissant né sous le chaume,

Sur toutes nos douleurs, il vient

-Rédempteur simpliste et païen-

Verser sa grâce comme un baume ;

Et dans les celliers noirs où sont

Accumulés ses tabernacles

Comme Jésus, blond enfançon,

Le vin nouveau fait des miracles…

 

Allons vers lui ! nous autres hommes

Pleurant et souffrant ici-bas,

Dons la Peine alourdit les pas

Dont de Souci trouble les sommes,

Demandons à ce gai Sauveur

Pour Paradis un peu d’ivresse

Et pour ciel un peu de bonheur

Sur notre terre de tristesse…

 

IDYLLE DES GRANDS GARS COMME IL FAUT ET DES JEUNESSES BEN SAGES

 

L'chef-yieu d'canton a troués mille àm's, et guère avec.

On peut pas y péter sans qu'tout l'monde en tersaute ;

La moquié du pays moucharde aux chauss's de l'aut'e,

Et les vilains coups d'yeux pond'nt les mauvés coups d'becs.

 

Pourtant, su' les vieux murs nouérs coumm' l'esprit du bourg,

La bell' saison fait berlancer des giroflées ;

Pourtant, dans l'bourg de sournoués'rie et d'mauvais'té,

Y a -des gâs et des fill's qui sont dans l'âg' d'amour !

 

V'là coumme i's s'aim'nt : les galants r'vienn'nt, après l'ouvrage,

Par les ru's oùsqu'leus bell's cous'nt su'l'devant d'la f'nét'e :

Un pauv' sourir' qu'a peur, un grand bonjour bébête,

Deux grouss's pivouén's de hont' qu'éclat'nt su' les visages,

 

Et c'est tout. I's font point marcher l'divartissouér,

Rouet qu'on tourne à deux pour filer du bounheur

Et qui reste entre eux coumme un rouet su' l'ormouère

Pasque... Eh ! ben, et l'Mond', quoué qu'i dirait, Seigneur !

 

Vous l'avez jamés vu, l'mond', dépecer un coup'e

Qu'les écouteux ont pris en méfait un bieau jour ?

Et su' la place, au sorti' d'mess', par pequits groupes,

Vous l'avez jamais vu, l'mond', baver su' l'amour ?

 

Alors, les fill's renfonc'nt les envi's qui les roingent,

Souffrant tout bas l'Désir qui piqu' dans leu' pieau blanche

Coumm' leu-z-aiguill' d'acier dans la blancheur du linge,

Et les gâs fil'nt, sans bruit, par el' train du dimanche ;

 

Car la Ville est pas loin ousqu'y a la garnison,

L'Martroué, la Préfectur', l'Evêché, l'Tribunal,

La Ville, enfin, la Ville oùsqu'on trouv' des maisons...

- Vous savez, des maisons darrièr' la cathédrale?

 

Donc, les gâs but'nt au nid des tendress's à bon compte ;

Eun' grouss' chouette est guchée au bas du lumério :

« Mes p'tits agneaux, on pai' tout d'suite ; après on monte ! »

Les gru's accour'nt. « Fait's-nous d'abord nos p'tits cadeaux ! »

 

Et les gâs pai'nt ben châr, étant allés ben loin,

C'que les fill's de cheux eux voudrin dounner pour ren !

Pis les gothons s'déb'hill'nt, et, quand leu' ch'mise est chute,

D'vant leu' corps usagé par le frott'ment des ruts,

 

D'vant leu's tétons, molass's coumm' des blancs fromag's mous

Les gâs song'nt ; et i's douèv'nt se dir' dans leu' song'rie :

« Y a des bieaux fruits qui s' pard'nt -dans les enclos d'cheu nous,

Et faut que j'galvaudin après des poumm's pourries ! »

 

Enfin, les pauv's fumell's rentr'nt dans les bras des mâles

Coumme ent'er les limons queuqu' pauv' jument forbue,

Et pis les v'là qu'as pouss'nt, qu'as tir'nt et qu'as s'emballent

Pour charrouéyer les aut's vars la joué qu'as n'trouv'nt pus !

 

Mais Ell's ! quand on y pens', coumme a's rurin d'ben aise,

Les Mari'-Clair' du bourg, les Touénons, les Thérèse,

Si qu'a's s'trouvin tertout's ett'lé's, pour el'quart d'heure,

A la plac' des gothons d'la Vill', leu's tristes soeurs,

 

Victim's coumme ell's du Mond' qui t'naille et crucifie

Les vierg's et les putains au nom d'la mêm' Morale !

Mais quoué ! « Leu-z-affér' fait' », le souer, les gâs r'dévalent

Vars el' pays oùsqu' les attend'nt leu's bounn's amies.

 

I's r'déval'ront souvent ! A's attendront longtemps !

D'aucuns r'viendront avec du pouéson dans les veines,

D'aucun's dépériront, coumm' les giroflé's viennent

A mouri' su' les murs de la séch'ress' du temps.

 

Pis, par un coup, avant d'leu' r'céder l'fonds d'boutique,

Les vieux disant : «  Ma fill', te fau'ait un bon gâs ! -

- Mon gâs, t'faurait eun' femm' pour sarvi' la pratique ! »

I's s'uniront avec tout l'légal tralala...

 

L'blé s'ra d'pis longtemps mûr quand qu'i's noueront leu' gearbe.

Après bieaucoup d'éguermillage i's f'ront l'amour,

Ayant r'mis au lend'main « c'qu'i's pouvin fère el' jour »,

A caus' du mond' qui ment jusque dans ses provarbes.

 

Et i's d'viendront eux mêm's ce Monde au coeur infect

Qui fait des enfants pour pouvouér les fer' souffri

Quand qu'arriv' la saison des giroflé's fleuries

Dans l'michant bourg de troués mille âm's, et guère avec.

 

LES JACHERES

 

Je viens de cueillir les baisers derniers

D’un amour passé dont récolte est faite ;

J’ai des souvenirs tout plein mon grenier :

Gerbes de soucis et bouquets de fêtes.

Mais mon cœur est tel qu’un champ moissonné

Dont les blés ont bu jusqu’au bout la sève,

Mon cœur est bien las ! Pourtant vous venez

Avec de l’amour à semer sans trêve.

 

Refrain

Lorsqu’il a rendu plusieurs fois moissons

— Qu’en pensez-vous, ma chère ?

Vaut-il mieux laisser son champ en jachères

Ou l’ensemencer pour d’autres moissons ?

 

Malgré l’engrais tiède et les clairs labours

Aux champs frais fauchés les épis sont blêmes !

Aux cœurs d’où l’on vient d’arracher l’Amour,

L’Amour qui fleurit est un peu de même.

Et qui sait ? Semeuse en mauvais terrain

Épuisé qu’il est par maintes récoltes,

Qui sait seulement si votre bon grain

Ne tombera pas aux corbeaux qui voltent ?

 

Mais les métayers comptent toujours voir

L’or des blés jaillir de leurs pauvres terres

Et les amoureux ont toujours espoir

En l’Amour qui naît d’amours qu’on enterre.

Nous comptons couper du grain ! Et, pourtant,

Si nous ne fauchions que des brins de paille ?...

Réfléchissez donc, tandis qu’il est temps,

Avant que d’avoir commencé couvrailles !

 

J'AI FAIT DES BLEUS SUR TA PEAU BLANCHE

 

J'ai gardé pour d'autres nuitées

Les doux bécots au coin des yeux

Et les mignardes suçotées

Au fin bout des seins chatouilleux ;

Cette nuit, pour passer ma rage

De ne pouvoir t'avoir longtemps,

J'ai fait l'amour comme un carnage,

En gueulant, griffant et mordant.

 

Refrain

J'ai fait des bleus sur ta peau blanche

A grands coups de baisers déments :

Ton corps est un champ de pervenches...

Va trouver tes autres amants !..

 

Va les trouver, tes amants chouettes ;

Le petit crétin bien peigné

Ou le vieux birbe à la rosette,

Dont mon cœur a longtemps saigné !...

Va dévoiler devant leurs couches

Tes bras et ta poitrine ornés

Du bouquet de mes fleurs farouches,

Et fais-leur sentir sous le nez !...

 

Va les trouver l'un après l'autre :

Petit jeune homme et vieux monsieur...

Va les trouver pour qu'ils se vautrent

Parmi tes bleus qui sont mes bleus !

Et que ces bleus railleurs leur disent,

Avec mon amour éclatant,

Leur muflerie et leur sottise...

Et toi... dis-leur d'en faire autant !

 

JOUR DE LESSIVE

 

Je suis parti ce matin même,

Encor soûl de la nuit mais pris

Comme d'écœurement suprême,

Crachant mes adieux à Paris...

Et me voilà, ma bonne femme,

Oui, foutu comme quatre sous...

Mon linge est sale aussi mon âme...

Me voilà chez nous !

 

Refrain

 

Ma pauvre mère est en lessive...

Maman, Maman,

Maman, ton mauvais gâs arrive

Au bon moment !...

 

Voici ce linge où goutta maintes

Et maintes fois un vin amer,

Où des garces aux lèvres peintes

Ont torché leurs bouches d'enfer...

Et voici mon âme, plus grise

Des mêmes souillures - hélas !

Que le plastron de ma chemise

Gris, rose et lilas...

 

Au fond du cuvier, où l'on sème,

Parmi l'eau, la cendre du four,

Que tout mon linge de bohème

Repose durant tout un jour...

Et qu'enfin mon âme, pareille

A ce déballage attristant,

Parmi ton âme - à bonne vieille !-

Repose un instant...

 

Tout comme le linge confie

Sa honte à la douceur de l'eau,

Quand je t'aurai conté ma vie

Malheureuse d'affreux salaud,

Ainsi qu'on rince à la fontaine

Le linge au sortir du cuvier,

Mère, arrose mon âme en peine

D'un peu de pitié !

 

Et, lorsque tu viendras étendre

Le linge d'iris parfumé,

Tout blanc parmi la blancheur tendre

De la haie où fleurit le Mai,

Je veux voir mon âme, encor pure

En dépit de son long sommeil

Dans la douleur et dans l'ordure,

Revire au Soleil !...

 

 

LE JOUR DU MARCHE

 

A la rond' les v'là qui vienn'nt de dix yieues ;

A's ont des couéff's blanch's, i's ont des blous's bleues.

I's iniss' le ch'val à l'auberg' du coin,

Et s'quitt'nt pour aller ousqu'i's ont besoin.

I's compt'ront ensembl' les sous empochés...

C'est tous les jeudis le jour du marché.

 

Refrain

Moué, j'sés la gaup' du Bas du Bourg ;

Et, ben hounnêt'ment, sans jamais tricher,

Pour eun écu, j'dounn' de l'amour...

C'est itou l'jeudi mon jour de marché !

 

Quand qu'i's auront fait monnai' d'tout's leu's graines,

De tout c'blé qu'est né d'leu's sué's et d'leu's peines,

Ces gâs dont les gléb's dur's mang'nt la gaieté

S'trouv'ront pris d'un grand besoin d'joyeus'té,

Et, dam', i's song'ront tertous à Françouése,

Eux qui n'ont d'l'amour qu'aux bras d'eun pauv'er

Toujou's grousse ou ben en train d'éccoucher...

C'est tous les jeudis le jour du marché !

 

Dans la p'quitt' ruelle où qu'i's sav'nt que j'gîte

I's s'en vienront m'fèr' l'hounneur d'eun' visite :

Plan, plan, rataplan ! dans mes cont'ervents !

Boum, badaboum ! dessus mon lit blanc !

Et j's'rai l'four banal qui dounn' tout's les s'maines

Eun' fourné' d'amour aux bons marchands d'graines

Qu'ont cheux eux un four qu'est toujou's bouché...

C'est tous les jeudis le jour du marché.

 

Comme i's vend'nt leu' blé, comme a vend'nt leu' beurre,

J'leu' vends des mamours qui dur'nt un quart d'heure...

Tous les mangeux d'pain n'ont pas l'mal-parler

Pour les marchands d'grain's qui leu' vend'nt du blé ;

Pourquoi don', à c' cas, qu'tous les marchands d'graines

M'jett'nt à qui mieux mieux des piarr's à mains pleines

A moué qui leu' vends ça qu'i's viennent charcher ?

C'est tous les jeudis le jour du marché.

 

Moué, j'sés la Françouése à tout le monde !

Pisque c'est comm' ça, pourquoé m'en cacher?

J'lou mes yeux doux et ma chair blonde.

C'est itou l'jeudi mon jour de marché.

 

LA JULIE JOLIE

 

A la loué' de la Saint Jean

Un fermier qui s' râtlait des rentes

Dans l' champ d' misér' des pauvres gens

Alla s'enquéri' d'eun' servante.

Après avoir hoché longtemps,

Pour quatr' pair's de sabiots par an

Avec la croûte et pis l' log'ment,

I' fit embauch' de la Julie...

La Julie était si jolie !

 

L'empléya, sans un brin de r'pos

Du fin matin à la nuit grande,

A m'ner pâturer les bestiaux

Dans l'herbe peineus' de la lande;

Mais un soir qu'il 'tait tout joyeux

D'avoir liché queuqu's coups d'vin vieux

l' s' sentit d'venir amoureux

Et sauta dans l' lit d' la Julie...

La Julie était si jolie !

 

D'pis c'jour-là, d'venu fou d'amour

I' t'y paya des amusettes,

Des affutiaux qu' l'orfév' du bourg

Vous compt' toujou's les yeux d' la tête;

Pis, vendit brémaill's et genêts,

Vendit sa lande et son troupet

A seul' fin d' se fair' des jaunets

Pour mett' dans l' bas blanc d' la Julie...

La Julie était si jolie !

 

Si ben qu'un coup qu'il eut pus ren

Ayant donné jusqu'à sa ferme,

A l' mit dehors, aux vents du ch'min,

Comme un gâs qui pai' pus son terme ;

Mais c' jour-là, c'était la Saint Jean :

Pour quat' pair's de sabiots par an

Avec la croûte et pis l' log'ment,

I' s'embaucha cheu la Julie...

La Julie était si jolie !

 

LEU' COMMUNE

 

Pièce en un acte de Gaston COUTE et Maurice LUCAS

C'est presque le soir. La route. Une brouette à l'entrée d'un " abri de cantonnier ", et, dans la brouette, les divers outils de cet intéressant fonctionnaire.

 

SCENE PREMIERE

Le cantonnier, le maire

Le cantonnier, menant le maire vers l'abri :

Moué, 'lexis, quouéque tu veux que je te dise ?... J'en sais guère pus long que toué... C'est queuque passager !... Je l'ai trouvé l'âme à l'envers sous m'n abri et qui bouchonnait, qui bouchonnait, qui bouchonnait l’devant d’sa blouse à défaut d’draps... Quand qu'on se met à bouchonner, c'est signe que la môrt est pâs loin !... Quoué faire ?... jamais ren faire sans le maire !... j'ai couru te qu'ri !... Et pisque nous v'là rendus tu vas ben vouer par toué-même.

(Désignant l'abri) Quiens ! il est là n'-d'dans !

(Poussant la brouette et passant sa tête sous l'abri) Hé l'homme ! hé l'homme ! eh ben, quoué don ?... Hé !... l’répond miette ! l’bouge pus !...Dam' t't-à.l'heure i' bouchonnait : quand qu'on se met à bouchonner... l’est môrt, ej’crés ben ?... Regarde-don' !

Le maire, prenant la place du cantonnier

Mais c'est le traîneux qu'est entré c’tantout à la mair'rie...Heu !... fait ben grise mine !... Enfin, si c'était qu'eune faiblesse, des foués ? Secoue-le don' 'core un peu !...

(Après être sorti de l'abri) Et pis, eune idée... passe-z-y vouèr les verres de mes leunettes par en d'ssous le nez et d'vant la goule... J'allons nous rendre compte si i' fait 'core de la buée !...

(Avec son mouchoir à carreaux il essuie soigneusement les lunettes qu'il tend au cantonnier)

Le cantonnier, après l'expérience

Les v'là, tes leunettes !... et tu peux ben lire ton journal avec, si tu veux : c'est pas sa buée qui te barbouillera la vue !... i' souffle pus !... c'est fini, quoué !

Le   maire, après avoir examiné les lunettes attentivement

C'est fini!... c'est fini !... c'est fini... pour li, que tu veux dire... mais pour nous aut'es, ça va commencer, les embêtements!... Tu sais ben que c'est eune sale histouére qui nous arrive là, Mitaine ?

Le cantonnier

Sûr que voui!

Le maire

D'abôrd, de quoué qu'i' peut ben ét'e môrt ?... pourvu que ça soit pas d'eune maladie qui se donne ?... c'est que j'aurions le germe au sein de la commune à c'tt' heure.

Le cantonnier

Oin !... mais non !... 'l est môrt, pasqu'il est môrt !... ou mieux que ça, quiens !... pas la peine d'aller en chercher si long !... 'l est môrt... de besoin - tout simplement !

Le maire

T'as raison !... c'est probab'e... et ça vaut mieux !... voui, c’gâs, il est entré c’tantout à la mair'rie... I' voulait un secours...

Le cantonnier

Et comme je voués, t'a pas jugé à propos...

Le maire

Dam', i' s sont tertous à demander des secours, les traîneux qui passent !... mais nom de guieu ! i's se figurent don' que j'en avons à foutre par la fenêtre !... La commune est pas si riche et aile a ben assez d'indigents déjà... Ça me fait songer que j'allons 'core en avouèr eune de pus au bureau de bienfaisance : la veuve à Grison, Grison qui s'est tué en tombant d'un tremble, comme il émondait su' la route, pour le compte de la municipalité...

Le cantonnier

C'tte pauv' femme !

Le maire

Enfin, elle !... qu'on la soutienne : bon, elle est d'ici ! mais les traîneux qui passent, ça ne nous regarde pas !... Après tout, moué, je connais qu'eune chouse : les secours de la commune doivent aller à ceuss qui sont de la commune... Qu'i's aillent cheux eux, les traîneux, demander des secours !... I's sont ben d’queuque part?...

Le cantonnier

Y a pâs d'aubours !... Et c'ti-là d'oùsqu'i' peut ben ressourcer ?... je vas le fouiller !... p'tét'e qu'il a des papiers su li ?...

Le maire

Ben rare !... j'y ai demandé à c’tantout... s'il en avait èvu, j'y aurais donné un mot pour aller jusqu'au canton... mais ren !... Du moment qu'i' n'en avait point à produire dans son intérêt, guette, mon grous, qu'i' va en avouèr pour nous rend'e service?... Fouille-le tout de même : j'en aurons le cœur net !

Le cantonnier, après avoir fouillé

Ma foué ! j'ai ren trouvé...

Le maire

Qui don' qui sait ?... P't-ét'e qu'il a de la famille qu'aurait pu le reprend'e ?... mais à qui s'adresser, de c'tt' affaire-là ?...

Le cantonnier

De c'tt' affaire-là... heu...

Le maire

De c'tt' affaire-là... va trous rester su' les bras !... 'acré nom de guieu de nom de guieu ! ! ! Vouéyons, Mitaine, va fallouér aviser? (Il se promène un instant sans rien aviser.)

Le cantonnier

Si j'allais qu'ri les gendarmes ?...

Le maire

Les gendarmes !... brusquons pas !... i' sera toujou's temps d'aller les qu'ri... Dans eune saprée machine comme ça, qu'est pas coutume, faut pas y aller en étourdieaux...Avisons d'abord !

Le cantonnier

C'est bon !... (Apercevant le garde champêtre.) Quiens !...v'là not' garde !... il arrive ben... c'est comme si qu'il aurait flairé qu'i va y avouér de la besogne pour li !

Le maire

D’la besogne pour Ii ?... y en a au long de l'ieau... A c'tt' heure, je n'avons que faire de ses services, icite... pasque...pasque, là !... Avisons d'abord, que j'te dis !... et tiens ta langue !

Le cantonnier

'A pas peur, moué, j’la tiens ! (Désignant l'abri) Tant qu'à c'ti-là c'est pas li qui veut lever la sienne !

 

SCENE II

Le cantonnier, le  maire, le garde

Le maire, au garde

Quiens, c'est toué que v'là par icite ?

Le garde

Comme vous vouéyez !

Le maire

C'est ben. Pisque te v'là, que je te touche deux mots ! Je voulais déjà te causer à ce sujet-là, un matin, et pis ça m'est sortu de l'idée... Dis don' paraîtrait qu'y a des coll'teux qui viennent de Bucy...

Le garde

Ah ! j'en ai pas eu vent !

Le maire

C'est pâs ce qui prouve en ta faveur... tu devrais déjà être renseigné : je te payons pour. L'autre jour, t'as verbalisé contre Piédallu... qu'est de la commune : c'est pas que je t'en fasse un reproche. Du moment qu'y a eune loi t'es forcé de la faire respecter ?... Seulement, je vourai tout de même pas que tu laisses les galvaudeux des communes de tout autour veni' coll'ter su' la nôt'e !

Le cantonnier

I's sont bien forcés... Coll'ter ! Des brochets à coll'ter !... I's en ont pas su' leu' bras de rivière qu'on est toujou's à voliner rapport aux moulins... Les brochets ! ça se plait dans la quenouillée ! ça aime dormi son midi tranquille, les brochets !... Comment qu'i's pourrin dormi tranquilles avec des coups de dragues et des lancées de fauch'tons à tout bout d'champ... I's se parquent tertous su' not' bras, dans les rouches, les querssons, les vescins, et i's passent pâs la fourche... I's restent cheu nous, les brochets !... I' vont pas su' eux

Le maire

Tout ça, c'est pâs des raisons ! En admettant qu'on soit coll'teux - ce qu'est défendu ! - quand y a ren à coll'ter cheu soué... on coll'te pâs ; on va pâs coll'ter cheu les aut'es !... V'là pourtant ce qui se passe, et faut point de ça... T'entends ben, garde ? Ouvre l'œil et le bon !

Le garde

V'avez ben fait de m'averti, môssieu le maire ; mais vous pouvez être tranquille... je descends de ce pâs jusqu'au long de l'ieau et gare !... Ah ! me v'là parti !... A demain !... Y aura p't-ét'e du nouvieau ! (Il part. )

 

SCENE III

Le cantonnier, le maire

Le  maire, regardant le garde s'éloigner

Ah ! v'là un gâs qu'a sa ligne de conduite toute tracée, li !... c'est pas comme nous !... Je sommes pas au bout de not' tortillon, tu sais, Mitaine... Tu te fais-t-y seulement eune idée de tous les désagréments qui nous attendent?

Le cantonnier

Que si que j’m'en fait ben une idée ; mais va y en avouér tellement !... Ren que pour commencer... on peut pas le laisser là... t'as-t-y un local sous la main pour l'installer en attendant le permis d'inhumer du médecin ?

Le maire, après réflexion

Le préau de l'école ?... c'est pas demain dimanche !... y a classe !... La salle de la mair'rie ? y a réunion du Conseil, à c’souér... c'est vrai, je voués pâs d'endret, moué non pus !

Le cantonnier

Ça fait ren ! mettons qu'il est câsé pour à c'souér. Demain ?... c'est un cercueil, c'est eune fosse...

Le maire

Et c'est la commune, 'turell'ment, qui sera obligée de li payer tout ça !

Le cantonnier

Après-demain, faura l'enterrer... y a guère possibilité de l'enterrer avant... Après-demain, justement ça tombe que c'est dimanche, l'assemblée !...

Le maire

Voui, eun évènement comme ça c'est pas fait bieaucoup pour faire rire la fête...

Le cantonnier

Y a aut' chose !... A queu bout du cimetière que tu comptes le mett'e ?

Le maire

Ah ! dam... ça c'est à considérer ; faut ménager les suscesstibilités... A côté de qui qu'on pourrait ben le mett'e ?

Le cantonnier

C'est à vouèr ?

Le maire

Et de ben prés, même ! de ben prés !... Y a des familles que ça pourrait formaliser de se vouèr allonger en cont'e un de leurs memb'es un citouéyen comme c'ti-là !

Le cantonnier

Le fait est qu'y a pas de quoué se trouver flatté non pus !... Enfin, à part la rangée de l'ancien adjoint et celle de Mme de Brizon, la donatrice, ousqu'il est pas Dieu possible qu'on puisse seulement songer à le mett'e, je voués déjà pus tant de places que ça, dans le cimetière !...

Le maire

Dam', i' s'emplit un peu pus, tous les ans, de tous les ceuss que j'avons perdus dans l'année, et i' date pas d'hier ! mais, au train que ça va là, si tous les étrangers viennent nous le boucher, où don' que c'est que je nous ferons enterrer après, nous et les nôt'es ?

Le cantonnier

J’songe... el’coin à Magloire le pendu ?

Le maire

Voui... si Magloire le pendu était pâs le bieau-frère à Suchet-Magloire du Conseil... un bon, qu'a toujou's ben voté... On dirait que je manque de taqute !

Le cantonnier

Y a tout le temps des malintentionnés qui trouvent à redire su' tout !...

Le maire

J’sais ben... c'est justement pour ça... v'là les élections qu'approchent... Tu t'en rappelles, des dargniéres?... ben, mon gâs, i' s'en est pas fallu des tâs et des tâs pour que M. Mothiron Gustave me monte su' 1' pouél... M. Mothiron Gustave, qu'est venu établi' sa fabrique cheu nous, v'là core pâs neuf ans, me monter su' l’pouél à moué, natif d'icite, maire depis j'sais pus comben, qui s'a toujou's mis en quat'e pour la commune !... quoué que tu dis de ça, toué, Mitaine ?

Le cantonnier

Je dis que la faute en est aux ouvriers qu'i' fait veni' de côtés et d'aut'es, mais que le monde d'icite sait ben que M. Mothiron Gustave c'est tout ce qu'on voura : eun honnête homme, eun homme capable, un sincère républicain, p't-ét'e ?... mais que pour ét'e de la commune : il en est pâs et que, par conséquent, i' peut pâs en connaît'e les besoins comme toué !

Le maire

Enfin, quoué qu'i' ferait, li, M. Mothiron Gustave si qu'i' serait à ma place à c'tt 'heure?... 'serait p't-ét'e 'core pus emprunté que moué ?

Le cantonnier

Ça se pourrait ben, va 'lexis !

(On entend la chanson des conscrits)

Dans un village de l'Alsace,

Parmi les soldats du vainqueur,

Une blonde fillette passe

En murmurant d'un air vengeur...

Le maire

Allons bon !... c'est comme un fait exprès... eune route qu'est si peu passagère de coutume... y a pâs moyen d'avouér eune minute pour aviser... V'là les conscrits, à présent !

Le cantonnier, avec un brin d'admiration

Encore!... les cochons!... depis la revision ça fait leu' trouésième jour de bordée sans décesser !...

 

SCENE IV

Le cantonnier, le maire, les conscrits

Les conscrits

Salut, môssieu le maire !

Le maire

Salut, salut, les gâs !... vous v'là ben gaîtieaux, à c'souér ?

Premier conscrit

Pas d'quoué ét'e tristes !

Le cantonnier, au deuxième conscrit, qui a le nez écorché

Quiens, t'as voulu casser mes cailloux avec ton nez, toué, gâs !... on doute de ren quand on est saoûl !

Deuxième conscrit

Parguié oui... saoûl... c'est un coup de poing, si tu veux le savouér...

Premier conscrit

On vient de s'en foutre eune roulée avec ceuss de Bucy.

Deuxième conscrit

Nom de guieu !... la belle roustée qu'i' sont reçue !... y a l’michant Jusseaume qu'en a les oreilles toutes décollées !

Le cantonnier

Bougre !... vous y allez pâs de main-morte, vous aut'es !... pour ça, v' êt's taillés... des vrais harcules, quoué !

Les conscrits, ensemble, sautant ,sur un pied et faisant le salut militaire

Bons pour le service !

Le maire, considérant les conscrits

Des maît'es gâs comme ça, on va te les verser d'emblée dans l'artillerie !...

Premier conscrit

J'veux ben !... là ou ailleurs... j'm'en fous !

Le cantonnier

Dis pâs ça, mon couillon !... c'est eune belle arme, l'artil'rie... moué..., j'y ai servi : je m'en fais glouére et honneur... Si tu nous avais vus en Crimée !... et pis 70 est venu... J'avons rendu ben des services, nous aut'es, dans l'artii'rie ; mais les Prussiens avin des canons, des canons...

Le maire

Ah ! dam !... Après le conseil de révision, j'ai vu l'officier de recrutement qui disait au sous-préfet : "Mon cher, aujord'hui, y a que l'artil'rie, c'est de l'artii'rie que dépend le sort des batailles !... " Hein !... " C'est de l'artii'rie que dépend le sort des batailles ! " on s'est outillé depis 70... A la prochaine guerre, c'est vous qui nous les ferez rendre, les provinces pardues, ,v'entendez ben, les artilleurs !

Deuxième conscrit, un peu ému

Mais voui, môssieu le maire, qu'on entend ben... Guieu merci.., on n'est point sourd !...

Premier conscrit, rigolant

C'est pas comme Jusseaume ; i' doit 'core avouèr le bourdon dans l'oreille des tapes qu'il a reçues.., y a le grand Liche-Tout qu'a pas écopé, li, an'hui : i' fait le malin... Le premier coup qu'on se battra avec ceuss de Bucy faura itou y abîmer un peu la gueule pour y faire vouèr !... (Au deuxième conscrit. ) Dis don', j'allons pas prendre racine icite... on s'en va.

Le deuxième conscrit

Eh ben, en route.., j'allons bouére un lit'e cheu Goupil... V'là ta journée finie, toué, Mitaine?... v'êtes pas de trop, créyez ben, môssieu le maire !...

Le maire

Merci, les gâs.., j'ai 'core à faire un peu avec Mitaine.. ça sera pour la revoyée. (Voyant venir Marie.) Et pis, du reste, v'là de la compagnie qui vous sera pus agrèab'e que la nôt'e pour faire route jusqu'au bourg...

 

SCENE V

Le cantonnier, le maire, les conscrits, Marie Roule-ta-Bosse

Le maire, à la Marie

Te v'là déjà qui trottes, toué, la Marie ?

La Marie

Ah ! v'là bel an que j'sés debout !...

Premier conscrit

On s'arrête pas pour si peu, 'c’pas, la Marie ?

La Marie

C'est pas le moment de feignanter... y a eune goule de pus, cheu nous, à c'tt'heure... faut aller...

Le  maire

I'se fait vivre, comme ça, ton petit ?

La Marie

Si i' se fait vivre ?... mais i' vient comme un chou ! je l'avons mis l'autre jour su' la bascule ! i' pèse dix livres moins cent grammes.

Le cantonnier

La mauvaise harbe ça pousse toujou's !

La Marie

Parguié !... c'est pour ça que v'avez poussé, vous ! (Rires.)

Deuxième conscrit

Pan, Mitaine !... attrape !... c'est que faut pas s'y frotter à la Marie !

Le cantonnier

Faut pas s'y frotter ?... a pourtant ben fallu que queuqu'un s'y frotte !... qui qui y a fait l’petit qu'a' vient d'amener ?... c'est pas le Saint-Esprit ?

La Marie

Ah ! pour ça, non !... je vas pas assez souvent à confesse...

Le cantonnier

Qui que c'est, à c’câs-là?... Dis-nous qui que c'est ?... Tu veux pas nous dire qui que c'est, la Marie ?

La Marie

Pourquoué fére ?

Le cantonnier

Pour savouér, quiens !

La Marie

Que ça vous regarde... j'ai-t-y des comptes à vous rend'e à vous? (En causant, elle s'asseoit sur le bord de la brouette.)

Le cantonnier

Ah ! toué, tu fais la maline... mais, au fond, j'sais ben pourquoué que tu veux pâs le dire !... c'est que tu t'en rappelles pus, là !... Vouéyons (Désignant le Premier Conscrit) C'est-t-y li?... (Désignant le Deuxième Conscrit) C'est t-y li ?

Le premier conscrit, désignant le cantonnier

C'est-t-y li ? Oh ! vieux Chausson de Mitaine !.., l’en serait ben capab'e ?...

Le cantonnier

Ah ! non i... mes pauv's grous.., je le regrette ; mais v'là bieau temps que le brancard de ma berrouette est cassé... (A la Marie) C'est-y le Baïeux qu'a fait la mouésson avec toué? c'est-y le gâs au sabotier que t'en ratais pas eune avec li, aux danses el’dimanche... c'est-y Pitance, Pitance, de Bucy qu'était toujou's fourré dans tes cottes, par un moment?...

La Marie, se récriant

Pitance.., de Bucy !.., ah non !... pas c'ti-là !... et pis, tenez, v'là ce qu'en est au sujet de Pitance, de Bucy... I' m'a rôdé dans les cottes, ça, c'est vrai : j'y pouvais ren !... Mais un jour qu'i' voulait à toutes forces, j'y ai dit : " J’veux pas, avec toué !... va à Bucy, va avec les filles de cheu vous ! " Et Pitance est pas revenu ! Après tout, quouéque je risque, à présent ; je veux pâs me faire passer pour eune qui sait pas ce que c'est ; mon petit est là pour crailler le contraire... eh ben, voui !... je me sés jamais ren refusé, de c’côté-là ; mais, dans mes préférences.., je sés jamais sortu de la commune... ça, j’peux vous le jurer ! et su' la tête de mon petit, si vous voulez !

Le cantonnier, s'exclaffant

Ah bon guieu d’Marie !... bon guieu d’Marie !

Le maire, qui s'impatiente

Dis-don', Mitaine... t'es à ton affaire... du moment que tu racontes des cochonneries... y a pourtant aut'e chose qui presse pus que ça... hein?

Le cantonnier

C'est vrai ! 'lexis (Congédiant les conscrits et la Marie)

Le maire

Allons, à revouér, mes enfants !... amusez vous ben... on est jeune qu'un coup !...

Deuxième conscrit, en s'en allant et soulevant la brouette où s'est assise la Marie

Quiens, bouge pus, la Marie... je parie que je te roule comme ça jusqu'au bourg... bon guieu ! que t'es lourde !... t'es pourtant déchargée d'un bon poids... t'es trop lourde !... J’déhotte tout. (Il culbute la brouette. )

La Marie, se relevant en riant

Grand couillon, avec ton écorchasse au nez ! (Le Premier Conscrit, qui l'a aidée à se relever, lui empoigne un bras,- le Deuxième Conscrit se saisit de l'autre et ils partent tous en chantant.)

 

SCENE VI

Le cantonnier, le maire

Le cantonnier

Eh ben, t'as avisé... quoué que je faisons ?...

Le maire

Hein ?... 'acré nom de guieu de nom guieu de galvaudeux !... i' pouvait pâs seulement aller querver pus loin ?

Le cantonnier

Pour ça, il avait pâs des masses de chemin à faire...

Le maire

C'est vrai... v'là le champ à Bouzier, là, devant nous, tout en luzarne... j'ai 'core vu l'aut'e jour, su' le cadastre, que c'était le champ à Bouzier qui faisait la limite de la commune, du côté de Bucy.

Le cantonnier

Quiens, j'avais toujou's eu idée que c'était le grand orme...un peu pus loin, au bout de la sente.

Le maire

Non, non !... j’te dis que j'ai vu le cadastre; l'orme est su' Bucy... Comme tu voués, à -dix pas de pus...

Le cantonnier

C'était ben du tracas de moins !

Le maire

Ben sûr... Tout -de même, c'est pâs à dix pas de pus qu'il est tombé... c'est icite !...

Le cantonnier

Ça, on pouvait pâs y en empêcher ; mais...

Le maire

Vouéyons, Mitaine, faut en fini'. Ecoute moué. On se connaît pas d'hier tous les deux. Tu te rappelles, dans le temps, quand j'allin en classe, c'était à qui qui ferait des niches au maître d'école... et pus tard, qu'on était conscrits, j'en avons-t-y fait des bonnes blagues ? hein ! Ce coup que j'étions descendus dans la cave à défunt mon père !... Dis, tu te rappelles, y en avait jamais un pour vendre l'aut'e ! eh ben, là, Mitaine, j'ai eune idée... dans l'intérêt de la commune - comme de juste ! -

Le cantonnier

Moué itou ! 'Iexis, j'en ai eune !

Le maire

Tant mieux... ça fait deux !...

Le cantonnier

Savouér?... si c'était la même ?

Le maire

V'là... je retirons le corps de là-n-dans... je le chargeons dans ta berrouette...

Le cantonnier

J'écarte ma pieau de bique par en-dessus...

Le maire

T'écarte ta pieau de bique par en-dessus... voui !... tu y es !... t'avais ben même idée que moué... 'acré Mitaine, va !... Tu fous queuques tours de roue à ta berrouette...

Le cantonnier

Et pouf !... je déhotte not' traîneux su' Bucy... C'est moins gai que de déhotter eune fille su' la route, comme les conscrits de tantoût, mais, bah !...

Le maire

Allons-y... et magnons-nous ! (Ils tirent le cadavre de l'abri, le chargent sur la brouette et le couvrent de la peau de bique)

Le cantonnier, tout en arrangeant la peau de bique sur le cadavre

Ah ! c'est dommage que ça puisse pas se dire !... la commune saura jamais ce que t'as fait pour elle, à c’souèr, 'Iexis?

Le maire

Ça fait ren, Mitaine !... Va... et déhotte-le.... tout de même pâs avant que d'être de l'aut'e côté du grand orme... pour être pus sûr !...

Le cantonnier part avec la brouette ; le maire le regarde s'éloigner.

 

 

MA CHATTE GRISE...

 

Ma chatte grise était insupportable

Et vieille de treize ans au moins :

Elle volait ma viande sur la table

Et foirait partout dans les coins !

Je vous avais aussi, maîtresse brune

Et jeune autant qu'il est permis :

Vous me faisiez des scènes importunes

Et couchiez avec mes amis.

 

Refrain

J'ai tué notre amour

(Il fallait en finir !)

J'ai tué notre amour

Comme j'ai l'autre jour

Noyé ma chatte grise.

 

Dans l'étang vert où flottent des charognes

J'ai, d'un geste plein de dégoût,

Jeté ma chatte aux façons sans vergogne,

Avec un bloc de grés au cou ;

Et vous, maîtresse aux trahisons sans nombre,

Je vous ai jetée dans Paris,

Grand étang noir où plus d'une âme sombre,

Avec le poids de mon mépris.

 

Lorsque j'ai vu mourir ses feux d'agate

Dans l'onde couleur vert-de-gris,

Je me suis dit : « Ma pauvre vieille chatte !...

Elle attrapait bien les souris ! »

Depuis le froid tantôt où vous partîtes

Lorsque parfois je me souviens,

Je pense au fond de moi : « Pauvre petite !...

Après tout, elle m'aimait bien! »

 

Lors, maintenant, sur l'étang vert qui porte

Malgré les gros pavés de grés,

L'amas flottant des pauvres bêtes mortes

Je vois monter tous mes regrets ;

Et, dans la rue infernale où subsiste

Un lambeau de mon amour mort,

Lorsque je vois les filles aux seins tristes,

Je vois passer tous mes remords.

 

LES MAINS BLANCHES, BLANCHES...

 

 

Elle avait les mains blanches, blanches,

Comme deux frêles branches

D'un aubier de mai ;

Elle avait les mains blanches, blanches

Et c'est pour ça que je l'aimais.

 

Elle travaillait aux vignes ;

Mais les caresses malignes

Du grand soleil

Et l'affront des hâles

Avaient respecté sa chair pâle

Où trônait mon baiser vermeil.

 

Et ses mains restaient blanches, blanches,

Comme deux frêles branches

D'un aubier de mai.

Et ses mains restaient blanches, blanches

Et toujours ! toujours ! je l'aimais

 

Mais un monsieur de la ville

Avec ses billets de mille

Bien épinglés

Vint trouver son père

Aux fins des vendanges dernières

Et s'arrangea pour me voler...

 

Me voler la main blanche, blanche,

Comme une frêle branche

D'un aubier de mai,

Me voler la main blanche, blanche

La main de celle que j'aimais !

 

Au seul penser de la scène

Où l'Autre, en sa patte pleine

D'or et d'argent,

Broierait les mains chères

Au nez du maire et du vicaire,

J'ai laissé ma raison aux champs,

 

Lui ! toucher aux mains blanches, blanches,

Comme deux frêles branches

D'un aubier de mai,

Lui ! toucher aux mains blanches, blanches,

Aux mains de celle que j'aimais

 

La veille -du mariage,

Chez le charron du village

Je fus quérir

Un fer de cognée,

Et m'en servis à la nuitée,

Quand ma belle fut à dormir.

 

J'ai coupé ses mains blanches, blanches,

Comme deux frêles branches

D'un aubier de mai,

J'ai coupé ses mains blanches, blanches...

C'était pour ça que je l'aimais !

 

 

LES MANGEUX D'TERRE

 

Je r'pass’tous les ans quasiment

Dans les mêm's parages,

Et tous les ans j'trouv' du chang'ment

De d'ssus mon passage ;

A tous les coups c'est pas l'mêm' chien

Qui gueule à mes chausses ;

Et pis voyons, si je m'souviens,

Voyons dans c'coin d'Beauce.

 

Y avait dans l'temps un bieau grand ch'min

- Cheminot, cheminot, chemine ! -

A c't'heur' n'est pas pus grand qu'ma main...

Par où donc que j'chemin'rai d'main?

 

En Beauc’vous les connaissez pas ?

Pour que ren n'se parde,

Mang'rint on n'sait quoué ces gas-là,

l's mang'rint d'la marde !

Le ch'min c'était, à leu' jugé

D'la bonn' terr' pardue :

A chaqu’labour i's l'ont mangé

D'un sillon d'charrue...

 

Z'ont groussi leu's arpents goulus

D'un peu d'gléb' tout' neuve ;

Mais l'pauv' chemin en est d'venu

Minc’comme eun' couleuve.

Et moué qu'avais qu'li sous les cieux

Pour poser guibolle !...

L'chemin à tout l'mond', nom de Guieu !

C'est mon bien qu'on m'vole !...

 

Z'ont semé du blé su l'terrain

Qu'i's r'tir'nt à ma route ;

Mais si j'leu's en d'mande un bout d'pain,

l's m'envoy'nt fair' foute !

Et c'est p't-êt' ben pour ça que j'voués,

A m'sur' que c'blé monte,

Les épis baisser l'nez d'vant moué

Comm' s'i's avaient honte !...

 

O mon bieau p'tit ch'min gris et blanc

Su' l'dos d'qui que j'passe !

J'veux pus qu'on t'serr' comm' ça les flancs,

Car moué, j'veux d'l'espace !

Ousqu'est mes allumett's?... A sont

Dans l'fond d'ma pann'tière...

Et j'f'rai ben r'culer vos mouéssons,

Ah ! les mangeux d'terre !...

 

Y avait dans l'temps un bieau grand ch'min,

- Cheminot, cheminot, chemine ! -

A c't'heur' n'est pas pus grand qu'ma main...

J'pourrais bien l'élargir, demain !

 

 

LES MANIES RIDICULES

 

J'suis un garçon plein de scrupules,

Tout l'mond’connaît ma probité ;

Malheureus'ment, j'suis affecté

De quelques mani's ridicules :

Lorsque mes affaires réclament

Que j'sois levé de bon matin,

Pour être à l'heur'le lendemain,

J'couch' le soir chez un'petit femme !

 

Refrain

J'laiss’des pavés

Dans les cafés,

J'plant' des drapeaux

Chez les bistros.

J'pos’des lapins

Aux pauvr's p'tit's femmes.

 

J'boulott' chez un bistro très chouette ;

Mais, comm' j'lui donn' jamais d'argent

J'suis avec lui très exigeant,

Pour lui fair' croir' qu'j'ai d'la galette.

Quand j'ai pompé à fortes doses,

J'vais parler au garçon tout bas

Et s'il m'fait d'l'oeil il n'me r'voit pas,

Ou s'il me r'voit c'est la mêm' chose.

 

D'puis l'temps que j'fais mes escapades

De lapins j'ai tout un clapier,

De drapeaux j'ai tout un trophée

Et d'pavés toute un' barricade

Il n'y a qu'un' chos’qui me gêne,

C'est mes pavés qui m'barr'nt le ch'min,

Pour aller d'Montmartre à Pantin,

Faut que j'prenn' par l'Av'nu' du Maine,

 

MARCHE DES GARDES CIVIQUES

 

 

Chaqu’Dimanch' le bon Bruxellois

Pour la Patrie et pour le roi

Arbor' des allur's militaires

Tous les citoyens d'Moolenbeck,

Du boulanger à l'apoteck,

Se mettent sur le pied de guerre...

Alors faut les voir passer dans c'tt'état

Fredonnant grav'ment ce petit refrain-là :

 

Refrain

Godfordom ! ça est d'la fatiqu'

D'êtr' gard’civiqu'

Mais ça est quand mêm' chic...

Godfordom ! c'est lourd un fusil

C'est dang'reux aussi

Mais on a d'beaux habits

Godfordom !

Godfordom !

 

Celui-là qui commande en chef

C'est tout bonnement le gros Jef

Le charcutier de sur la place ;

II a la têt' de Poléon

A part que ses ch'veux y sont blonds

Il veut que ça pète ou qu'ça casse...

Aussi faut entend’les vaillants soldats

A chacun d'ses ordr's entonner cet air-là :

 

Refrain

Godfordom ! ça est d'la fatiqu'

D'étr' gard’civiqu'

Mais ça est quand mêm' chic...

Godfordom ! halte pour un' fois

Jefke... ou sans quoi

On s'fournit plus chez toi !

Godfordom !

Godfordom !

 

La.d'ssus, le bon Van den Bistroo

Qui tient un débit de faro

Dit, épongeant sa fac’qui suinte :

" Aï ! voyons, faut pas s'engueuler ;

l'fait trop chaud. Mieux vaut aller

Chez moi profiter sur un' pinte ! "...

Alors, tout le mond’s'en va boir' comm' ça

Dans l'estaminet en chantant cet air-là

 

Refrain

Godfordom ! ça est d'la fatiqu'

D'étr' gard’civiqu'

Mais ça est quand mêm' chic...

Godfordom ! c'est Jef qu'est l'plus saoul

C'est juste après tout

Car c'est l'chef, savez-vous ?

Godfordom !

Godfordom !

 

L'soir, les voyant rentrer avec

Un' joyeus’cuit' dans Moolenbeck

Ayant servi l'Roi, la Patrie,

Leurs femm', fiér's de tels héros

Leur ouvrent les bras ronds et gros

Et les étouff'nt de calin'ries...

Alors en s'laissant glisser dans les draps

Soldats et gradés soupir'nt ce r'frain-là :

 

Refrain

Godfordom ! ça est d'la fatiqu'

D'êtr' gard’civiqu'

Mais ça est quand mêm' chic...

Godfordom ! d'puis c'matin qu'je m'tu'

Tant pis ! j'n'en peux plus

Maint'nant je tire au...

Godfordom !

Godfordom !

 

 

Paroles de G. COUTE et SEIDER

Musique de Alcib MARIO

 

LA MAUVAISE HERBE

 

 

J’avais pourtant jeté mon blé

Au mitan d’un champ bien sarclé,

Et j’étais sûr de ma semence.

J’avais placé mon cœur pourtant

Parmi le cœur le plus constant,

Et j’étais plein de confiance !

 

Refrain

Mais la mauvaise herbe

(Voyez ma gerbe

Et mes amours...)

Mais la mauvaise herbe,

Ça pousse toujours !...

 

Sans qu’on ait jamais su comment

L’ivraie — à côté du froment —

Germa dans la terre endormie.

Et le mensonge vint un jour,

Éclore auprès de mon amour

Dans le petit cœur de ma mie !

 

Refrain

Car la mauvaise herbe, etc.

 

De mes sillons, après l’hiver,

En même temps que le blé vert,

Ont surgi les nielles traîtresses,

Et j’ai senti la trahison

Ainsi qu’une fleur de poison,

Sous les roses de nos caresses.

 

Refrain

Ah ! la mauvaise herbe, etc.

 

Nielle et chiendent ont triomphé

Et mon blé, par eux, étouffé,

A péri partout dans la plaine

Mon pauvre amour est mort aussi !

Mon pauvre amour est mort ainsi :

Écrasé sous un peu de haine !

 

Refrain

...Sous la mauvaise herbe, etc.

 

On coupe aujourd’hui les épis

Les blés fauchés font un tapis,

Derrière chaque faux qui volte ;

Plus d’un amoureux moissonneur

Ramasse aujourd’hui du bonheur,

Et voici ma triste récolte :

 

Dernier refrain

De la mauvaise herbe !

(Voyez ma gerbe

Et mes amours)

De la mauvaise herbe

Qui pousse toujours !

 

 

MA VIGNE POUSSE

 

Je compte bientôt soixante vendanges,

N’empêche que j’ai planté l’an dernier,

Le jour où ma vigne emplira ma grange

Ses pieds descendront chatouiller mes pieds.

Mais, déjà mes yeux la voient, fière et douce

Ainsi qu’une fille allant à l’amour,

Forte comme un gas qui vient des labours

Et mon cœur sourit car ma vigne pousse.

 

Refrain

Ah ! lon la ! ma vigne pousse ! lon la !

C’est l’avenir qui pousse là !

 

Ma vigne verra crever la bêtise,

Les croix tomberont des dieux inhumains

Dont le prêtre boit tout seul à l’église,

Tout le monde aura le calice en main !

Ma vigne verra les noces sincères

De beaux amoureux s’aimant librement,

Sans jamais mentir, même d’un serment,

Et ne sachant plus le chemin du maire.

 

Ma vigne verra chasser la misère

Tous les assassins à ventre de loups,

Noieront leurs couteaux dans l’eau des rivières

Pour chanter son vin sur des airs très doux.

Les errants maudits et les sans asile

Seront des rêveurs qui viendront le soir

Boire en la liqueur tendre du pressoir

Le ciel qui se mire au creux des sébiles.

 

Ma vigne verra fusiller la guerre,

Ses raisins de paix en paix mûriront ;

Leur sang rougira seul les bouches claires

Qui refuseront celles des clairons.

Ma vigne verra tomber les frontières,

Et les ennemis des temps disparus,

Allonger les bras après avoir bu

Pour reboire un coup et choquer leurs verres.

 

Ma vigne verra les temps d’harmonie,

Les enfants viendront comme ses raisins ;

Les sentiers seront moins beaux que la vie,

Les hommes auront la bonté du vin.

Ah ! ma vigne forte ! Ah ! ma vigne douce !

On me dit : Pourquoi rêver tout cela

Vieux qui doit mourir quand tantôt viendra ?

Je mourrai tantôt, mais ma vigne pousse !

 

MOSSIEU IMBU

 

Môssieu Imbu est mort, est mort et entarré !

Môssieu Imbu ! ... un gâs qui v'nait d'èt' décoré

Pour pas avouèr mis d'cess’depis qu'il 'tait au monde

A bagosser: « Imbu ! ... Imbu !... » et qu'était pus

Counnu qu'sous c'sobriquet à dix yieu's à la ronde...

Môssieu Imbu est mort, est mort et entarré !

I dira pus : «  Imbu !.. Imbu ! »  Môssieu Imbu !

 

Il avait tro's, quat' cépé's d'vigne en haut d'la côte

Et queuqu's minieaux d'blé dans la plain' de pus qu'les aut'es.

Pas des mass's, pas des tas ! pas ben larg', pas ben long !

Mais assez, pour pouvouèr avouèr eune opignon...

I' passait su' la place en lisant son journal.

Il 'tait républicain !... rouge... anticlérical !

Et c'est pour ça qu'il 'tait, depis troués élections,

L'Maire !... el'maire ed’cheu nous ! ... Môssieu l'mair'! nom de Guieu !

 

« Les curés !... » qu'i' disait - et, i' d'venait furieux ! -

« Des ouésieaux qu'la République engréss’dans son sein,

Et des cochons qui sont s'ment pas républicains !

Et pis qu'i's prenn'nt pas d'gants pour chatouiller les fesses

Aux femm's et aux garçaill's dans leu bouéte à confesse...

Moué !... j'veux pas qu'la bourgeoués’foute el’pied à la messe ! »

 

C'est vrai !... Mame Imbu foutait pas l'pied à la messe !

Tout d'même, il 'tait cocu... cocu coumme à confesse :

I' gangnait trop souvent l'notaire à la manille,

Le p'tiot notair' qu'avait des si fin's moustach's breunes !

Mais, assorbé dans la gérance ed’la coummeune,

Môssieu Imbu portait ses cornes sans les vouér

Et i' r'dev'nait gâitieau à dévider c't t'histouére,

C'tte bounne histouèr' de franc-maçon en mal d'esprit,

C'tte vieille histouér' du charpenquier tourneux d'chevilles :

Le cornard du pigeon et d'la Vierge Marie...

«  Ah la r'ligion ! ... qué's couillonnad's et qué's môm'ries ! »

Et l'dégoût l'empougnait si fort qu'à des moments

S'il avait pas été c’qu'il 'était : eune houmme' conv'nab'e :

I' vous aurait craché su' un Saint-Saquerment !

 

Mais, quand qu'c'est qu'i vouéyait passer un régiment,

Eun' vent-vol trifouillait soun âm' de contribuab'e

En revolt' cont' les couillounnad's et les môm'ries;

D'vant l'drapieau, c'tt' aut' Saint-Saquerment : c'ti d’la Patrie !

I' faisait un salut à s'en démancher l'bras

Et qu'était, ma grand foué ! joliment militaire

D'la part d'un gâs qu'avait jamais été soldat...

Il avait ses idé's su' les vu's d’l'Angleterre

Et il 'tait poummouniqu’d'avouér gueulé la R'vanche,

L'hounneur de nout' armée et la glouér de la France !

 

C'est avec ça qu'il bouchait l’vid’de ses discours

Que l'maît' d'écol’passait en r'vu' pou' les grands jours

De Fête-Dieu laïqu', de Paradis scolaire :

Quatorz' juillet d'lampions roug's et d'pompiers brinzingues,

Distribution d'prix aux mardeux à qui qu'on s'ringue

Du républicanisse à les en fer' querver :

 

Il 'tait memb' d'eune flopé' d'sociétés d'brav's gens,

Et des foués président - d'quoué qu'il 'tait honoré -

Société d'secours mutuels et d'gymnastique,

Société d'tir et société d'musique !

Société d'tempérance et, tout en mêm'temps,

Société des francs-buveurs : les « Amis d'la vigne »  !

Il 'tait pardu dans les rubans et les insignes :

Les mains qui s'quienn'nt, les p'tit's lyr's, les grapp's ed’raisin

Et aut's verrotaill'ris d'petzouill's civilisés

Qui bé'nt coumm'gueul’de four d'vant cell's-là des sauvages:

 

Il avait fait planter su' la plac’du village

Eune estatu !... pasque la coummeun' d'à-couté

N'n'avait eun'! et qu’j'étions ben autant qu'nous vouésins !...

...C'est l'poltrait d'un gâs qu'mém'les vieux ont pas connu !

Qu'est p'tét' qu'eun' blagu' !... Mais là !... j'avons nout' estatue

Et les deux chians au boucher ont eun' pissoquiére ! ...

D'aucuns ont dit qu'il 'tait pus urgent d'fére un ch'min,

Mais allez don' contenter tout le monde et son père !

 

Le jour d'l'inauguration de c'tte sapré' garce

D'estatu' ! yieau tombait, tombait coumm' vach' qui pisse !

Môssieu Imbu gangna chaud et fréd sous l'avarse

Et est décédé, coumm' les lett's de deuil le disent :

- A cinquante ans !... muni des saquerments d'l'Eglise ! -

J'l'avons r'conduit là-bas, dans l'enclos à tout l'monde,

En r'broussant l'pouél à nous chapieaux en sign' de deuil.

J'l'ont pleuré avec des discours su' son çarcueil,

J'l'ont r'gretté avec des tas d'courounn's su' sa tombe

Et j'l'ont laissé, porteux d'ses tit's et d'ses médailles,

Couché en terre, à couté des dargniér's semailles.

 

Môssieu Imbu est mort... est mort et entarré ! ...

Ah ! qué' souleil et qué' bon vent su' les luzarnes,

Et coumm' le vin mouss’frais aux pichets des aubarges

Et qu'la fille est don' gent' qu'écart' des draps su' l'harbe ! ...

Moué, ça m'dounne envi' d'viv' de r'veni' d'l'entarr'ment !

...C'est ça, bon Guieu ! ... tant qu'a dur'ra... vivons la vie !

Vivons-la ! en restant des houmm's tout bounnément

Et sans l'embistrouiller d'étiquett's d'épic'rie

Ou d'sentiments d'bazar en chiffon et far-blanc ! ...

Leu' politique empéch' pas les fleurs d'ét' jolies !

 

Et, pisqu’Môssieu Imbu est mort et entarré,

I' bouéra pus !... Dis don', la belle, au coin du pré...

Buvons, nous aut's ! ... el'vin est bon ! ... A nout' santé !

Et chiffounnons les draps qu'tu t'en viens d'écarter !

 

LES MOULINS MORTS

 

On vient d'arrêter le moulin

Qui chanta, chanta, tout le jour,

Son refrain tout blanc, tout câlin

En faisant son œuvre d'amour...

Et je suis là, ce soir, mon Dieu !

Gisant quelque part, au milieu

Du moulin où plus rien ne bruit...

Avec mon cœur pareil à lui !...

 

L'odeur du buis, le son du glas,

Un temps de neige, un soir d'ivresse

M'attristent moins que la tristesse

Des moulins qui ne tournent pas !...

 

Les meules ont l'air d'écraser

Du silence sous leur torpeur...

Et le blutoir ankylosé

Crible de la nuit sur mon cœur,

Mon cœur déjà si plein de nuit

Et que le silence poursuit

Toujours, toujours, depuis le jour

Où finit mon dernier amour...

 

L'eau coule, pleurant de langueur,

Sous la vanne aux bords vermoulus,

Comme l'inutile douleur

D'un cœur aimant qui n'aime plus...

Et ce cœur-là, mon cœur à moi,

Sentant sa peine avec effroi

En la douleur morne de l'eau,

Vient à crever d'un gros sanglot...

 

Holà ! clair meunier de l'Espoir

Qui remets en marche, le jour,

Le moulin qui s'arrête au soir

Comme un pauvre cœur sans amour !...

Holà ! déjà l'aube éclaircit

Le moulin... et mon cœur aussi !

Holà ! holà ! meunier qui dors,

Ressuscite les moulins morts !...

 

L'odeur du buis, le son du glas,

Un temps de neige, un soir d'ivresse

M'attristent moins que la tristesse

Des moulins qui ne tournent pas !...

 

NOËL DE LA FEMME QUI VA AVOIR UN PETIOT ET QUI A FAIT UNE MAUVAISE ANNEE

 

Les cloches essèment au vent

La joi' de leur carillonnée,

Qui vient me surprendre, rêvant,

Dans le coin de ma cheminée ;

Noël ! Noël ! c'est aujourd'hui

Que Jésus vint sur sa litière,

Noël ! mon ventre a tressailli

Sous les plis de ma devantière.

 

O toi qui vas, dans mon sabot,

Me descendre, avec un petiot,

De la misère et de la peine,

Noël ! Noël ! si ça se peut

Attends encore ! Attends un peu ! …

Attends jusqu'à l'année prochaine !

 

Noël ! Noël !cette anné'-ci

Le froid tua les blés en germe,

Tous nos ceps ont été roussis ;

Le « jeteux d’sorts », sur notre ferme,

A lancé son regard mauvais

Qui fait que sont « péri's » mes bêtes,

Que mes pigeons se sont sauvés

Et que mon homme perd la tête.

 

Tous mes gros sous, à ce train-là,

Ont filé de mon bas de laine,

Quand reviendront ? Je ne sais pas !

Mais, à la récolte prochaine,

J'espère voir les blés meilleurs

Et meilleure aussi la vendange,

Pour mon bonheur et le bonheur

De l'enfant dont j'ourle les langes.

 

 

NOS VINGT ANS

 

Gueux, qu'avions-nous jusqu'à ce jour?

- De l'or, pas un sou ! Du sol, pas un pouce !

Notre âge nous livre l'amour,

Blond trésor et vigne aux vendanges douces

Mais voici qu'on veut nous voler

Trois ans de bonheur éclos hier à peine.

Et voici qu'on veut affubler

Nos tendres vingt ans d'oripeaux de haine

 

Refrain

Les gros, les grands !... Si c'est à vous

Ecus sonnants et bonne terre

Les gros, les grands !... Si c'est à vous

vous les gardez pour vous !

Mais nos vingt ans, ils sont à nous

Et c'est notre seul bien sur terre.

Mais nos vingt ans, ils sont à nous

Nous les gardons pour nous !

 

Pourquoi des clairons, des tambours ?...

Le violon jase au fond des charmilles.

Les galons et les brandebourgs

Ça fait mieux autour du jupon des filles !

Notre coeur dans un coeur aimé,

Reposera mieux qu'au sein de l'histoire

Car nous nous flattons d'estimer

Une nuit d'amour plus qu'un jour de gloire.

 

Notre bonheur n'est pas jaloux

Du bonheur de ceux qui disent : Je t'aime

Dans un autre patois que nous.

Nous ne voulons pas troubler leur poème.

Et fiers d'épeler à présent

Dans un livre plein de -douces paroles.

Pour apprendre à verser du sang

Nous ne voulons pas aller à l'école.

 

Le mensonge, en l'amour prend corps,

Mais il prête une âme aux drapeaux qui bougent

Alors, nous préférons encor

Le mensonge rose au mensonge rouge.

Et sur ce, bourgeois impotents

Dont le champ fleurit, dont le coffre brille,

Ne demandez plus nos vingt ans :

Ils sont promis pour le prochain quadrille.

 

NOUVEAU CREDO DU PAYSAN

 

Bon paysan -dont la sueur féconde

Les sillons clairs où se forment le vin

Et le pain blanc qui doit nourrir le monde,

En travaillant, je dois crever de faim ;

Le doux soleil, de son or salutaire,

Gonfle la grappe et les épis tremblants ;

Par devant tous les trésors de la terre,

Je dois crever de faim en travaillant !

 

Refrain

Je ne crois plus, dans mon âpre misère,

A tous les dieux en qui j'avais placé ma foi,

Révolution ! déesse au coeur sincère,

Justicière au bras fort, je ne crois plus qu'en toi ! (bis)

 

Dans mes guérets, au temps de la couvraille,

Les gros corbeaux au sinistre vol brun

Ne pillent pas tous les grains des semailles :

Leur bec vorace en laisse quelques-uns !

Malgré l'assaut d'insectes parasites,

Mes ceps sont beaux quand la vendange vient

Les exploiteurs tombent dessus bien vite

Et cette fois, il ne me reste rien !

 

Au dieu du ciel, aux maîtres de la terre,

J'ai réclamé le pain de chaque jour :

J'ai vu bientôt se perdre ma prière

Dans le désert des cieux vides et sourds ;

Les dirigeants de notre République

Ont étalé des lois sur mon chemin,

D'aucuns m'ont fait des discours magnifiques,

Personne, hélas ! ne m'a donné de pain !

 

Levant le front et redressant le torse,

Las d'implorer et de n'obtenir rien,

Je ne veux plus compter que sur ma force

Pour me défendre et reprendre mon bien.

Entendez-vous là-bas le chant des Jacques

Qui retentit derrière le coteau,

Couvrant le son des carillons de Pâques :

C'est mon Credo, c'est mon rouge Credo

 

L'ODEUR DU FUMIER

 

 

C'est eun' volé' d'môssieux d'Paris

Et d'péquit's dam's en grand's touélettes

Qui me r'gard'nt curer l'écurie

Et les "téts" ousque gît'nt les bêtes :

Hein ?... de quoué qu'c'est, les villotiers,

Vous faisez pouah ! en r'grichant l'nez

Au-d'ssus d'la litière embernée?...

Vous trouvez qu'i' pu', mon feumier?

 

Ah ! bon guieu, oui, l'sacré cochon !

J'en prends pus avec mes narines

Qu'avec les deux dents d'mon fourchon

Par oùsque l'jus i'dégouline,

- I' pu' franch'ment, les villotiers !

Mais vous comprendrez ben eun' chouse,

C'est qu'i' peut pas senti' la rouse ! ...

C'est du feumier... i'sent l'feumier !

 

Pourtant, j'en laiss’pas pard'e un brin,

J'râtle l'pus p'tit fêtu qu'enrrouse

La pus michant' goutt' de purin,

Et j'râcle à net la moind'er bouse !

- Ah ! dam itou, les villotiers,

Malgré qu'on seye en pein' d'avouer

Un "bien " pas pus grand qu'un mouchouer,

On n'en a jamais d'trop d'feumier !

 

C'est sous sa chaleur que l'blé lève

En hivar, dans les tarr's gelives ;

I'dounn' de la force à la sève

En avri', quand la pousse est vive !

Et quand ej'fauch' - les villotiers !

Au mois d'Août les épis pleins

Qui tout' l'anné' m'dounn'ront du pain,

Je n'trouv' pas qu'i' pu', mon feumier !

 

C'est d'l'ordur' que tout vient à nait'e :

Bieauté des chous's, bounheur du monde,

Ainsi qu's'étal’su' l'fient d'mes bêtes

La glorieus'té d'la mouésson blonde...

Et vous, tenez, grous villotiers

Qu'êt's pus rich's que tout la coummeune,

Pour fair' veni' pareill’forteune

En a-t-y fallu du feumier !!!

 

Dam' oui, l'feumier des capitales

Est ben pus gras que c'ti des champs :

Ramas de honte et de scandales...

Y a d'la boue et, des foués, du sang !...

- Ah ! disez donc, les villotiers,

Avec tous vos micmacs infâmes

Ousque tremp'nt jusqu'aux culs d'vos femmes...

I'sent p'tét' bon, vous, vaut' feumier?...

 

Aussi, quand ej'songe à tout ça

En décrottant l'dedans des "téts"

J'trouv' que la baugé' des verrats

A 'cor comme un goût d'properté !

Et, croyez-moué, les villotiers,

C'est pas la pein' de fèr' des magnes

D'vant les tas d'feumier d'la campagne :

I' pu' moins que l'vout'... nout' feumier !

 

LES OIES INQUIETES

 

Les oies qui traînent dans le bourg

Ainsi que des commères grasses

Colportant les potins du jour,

En troupeaux inquiets s'amassent.

Un gros jars qui marche devant

Allonge le cou dans la brume

Et frissonne au souffle du vent

De Noël qui gonfle ses plumes...

 

Noël ! Noël !

Est-ce au ciel

Neige folle

Qui dégringole,

Ou fin duvet d'oie

Qui vole.

 

Leur petit œil rond hébété

A beau s'ouvrir sans trop comprendre

Sur la très blanche immensité

D'où le bon Noël va descendre,

A la tournure du ciel froid,

Aux allures des gens qui causent,

Les oies sentent, pleines d'effroi,

Qu'il doit se passer quelque chose.

 

Les flocons pâles de Noël

- Papillons de l'Hiver qui trône -

Comme des présages cruels

S'agitent devant leur bec jaune,

Et, sous leur plume, un frisson court

Qui, jusque dans leur chair se coule.

L'heure n'est guère aux calembours,

Mais les oies ont la chair de poule.

 

Crrr !... De grands cris montent parmi

L'aube de Noël qui rougeoie

Comme une Saint-Barthélemy

Ensanglantée du sang des oies ;

Et, maintenant qu'aux poulaillers

Les hommes ont fini leurs crimes,

Les femmes sur leurs devanciers

Dépouillent les corps des victimes.

 

VOLUME 3

LE PANTALON DU COUSIN JULES

 

J’suis d’un’ famill’qu’on estime honorable ;

Mon cousin est un garçon très capable,

Et mon oncle un fort honnête épicier ;

Mais, ceci est incontestable,

Ils manqu’nt de chic pour s’habiller :

 

Refrain

Le pantalon de mon cousin Jules

Est beaucoup trop long, c’est bien ridicule.

Le pantalon de mon oncle Éloi

Est beaucoup trop court, il a l’air d’une oie.

 

Lorsqu’il débit’ du sucre ou d’la chandelle,

L’un est toujours à monter ses bretelles ;

Et quand l’aut’ part pour aller déposer

Quelque chos’chez sa clientèle,

Il est toujours à les baisser.

 

L’premier n’trouv’ pas d’balayeur qui l’dégotte

Pour ramasser la poussière ou les crottes,

Et le second, lorsqu’il s’indigne après

La tenu’ des dam’s en culotte,

Fait voir le poil de ses mollets.

 

Un jour que Jul’s s’était flanqué la cuite

(C’est rare ! et puis chez lui ça n’a pas d’suite !)

Dans son grimpant il vint à s’oublier ;

Un jour seul’ment après… sa fuite

Il vit ses souliers tout mouillés.

 

L’été dernier, sur une très chic plage,

Mon oncle put entendr’ sur son passage

L’mond’qui disait : « Où sont donc les gardiens

Pour interdire à ce sauvage

D’passer en ville en cal’çon d’bain.

 

Et si jamais un ami leur réclame

La raison d’leur accoutrement infâme

Ils répond’nt : « Si not’ culott’ fait pitié,

C’est simplement pour que not’ femme

Ne soit pas tenté’ d’la porter.

 

LE PATOIS DE CHEZ NOUS

 

Dans mon pays, dès ma naissance

Les premiers mots que j'entendis

Au travers de mon «innocence »

Semblaient venir du paradis

C'était ma mère, toute heureuse,

Qui me fredonnait à mi-voix

Une simple et vieille berceuse,

En patois...

 

Le joli patois de chez nous

Est très doux !

Et mon oreille aime à l'entendre.

Mais mon cœur le trouve plus doux,

Et plus tendre !

 

Dans mon pays, au temps des sèves,

A l'âge où d'instant en instant,

L'amour entrevu dans nos rêves

Se précise dans le Printemps.

Cueillant les fleurs que l'avril sème

Un jour, pour la première fois,

Une fille m'a dit : « Je t'aime »

En patois...

 

De mon pays blond et tranquille

Quand je suis parti « déviré »

Par le vent soufflant vers la Ville,

Mes vieux et ma mie ont pleuré.

Pourtant, jusqu'au train en partance

M'ont accompagné tous les trois

Et m'ont souhaité bonne chance

En patois...

 

Loin du pays, dans la tourmente

Hurlante et folle, de Paris,

Où ma pauvre âme se lamente

Un bonheur tantôt m'a surpris !

Des paroles fraîches et gaies

Ont apaisé mes noirs émois :

J'ai croisé des gens qui causaient

Mon patois...

 

LA PAYSANNE

 

Paysans dont la simple histoire

Chante en nos cœurs et nos cerveaux

L'exquise douceur de la Loire

Et la bonté -des vins nouveaux, (bis)

Allons-nous, esclaves placides,

Dans un sillon où le sang luit

Rester à piétiner au bruit

Des Marseillaises fratricides ?...

 

Refrain

En route! Allons les gâs ! Jetons nos vieux sabots

Marchons,

Marchons,

En des sillons plus larges et plus beaux !

 

A la clarté des soirs sans voiles,

Regardons en face les cieux ;

Cimetière fleuri d'étoiles

Où nous enterrerons les dieux. (bis)

Car il faudra qu'on les enterre

Ces dieux féroces et maudits

Qui, sous espoir de Paradis,

Firent de l'enfer sur la « Terre » !...

 

Ne déversons plus l'anathème

En gestes grotesques et fous.

Sur tous ceux qui disent : « Je t'aime »

Dans un autre patois que nous ; (bis)

Et méprisons la gloire immonde

Des héros couverts de lauriers :

Ces assassins, ces flibustiers

Qui terrorisèrent le monde !

 

Plus -de morales hypocrites

Dont les barrières, chaque jour,

Dans le sentier des marguerites,

Arrêtent les pas de l'amour !... (bis)

Et que la fille-mère quitte

Ce maintien de honte et de deuil

Pour étaler avec orgueil

Son ventre où l'avenir palpite !...

 

Semons nos blés, soignons nos souches !

Que l'or nourricier du soleil

Emplisse pour toutes nos bouches

L'épi blond, le raisin vermeil !... (bis)

Et, seule guerre nécessaire

Faisons la guerre au Capital,

Puisque son Or : soleil du mal,

Ne fait germer que la misère.

 

PETIT PORCHER

 

 

Il a dans les treize ans ; chez eux,

On est malheureux !

Il a mis un brin de bruyère

A sa boutonnière

Et tristement s'en est allé

Au pays du blé,

A la louée où quelque maître

Le prendra peut-être ?...

 

Petit porcher

Ho !...

T'es embauché !...

Le maître charretier t'attend, pauvre petiot !

Ho !...

 

Les coqs ne chantent pas encor,

Rien ne bouge, il dort

Avec « la Noiraude » et « la Rousse »

Dans l'étable douce,

L'étable close où le fumier

Tient chaud en janvier,

Et tandis que l'aube se lève

Il fait un beau rêve...

 

Petit porcher

Ho !...

Faut dénicher !

Le maître charretier a besoin d'un seau d'eau,

Ho !...

 

Sur la table où mangent les gens

Au  des champs

On apporte une miche noire

Et de l'eau pour boire.

Il mord dans son triste chanteau

Comme en du gâteau ;

Et ses yeux, tandis qu'il dévore

Réclament encore !...

 

Petit porcher

Ho !...

Assez mangé !...

Le maître charretier a fermé son coutieau

Ho !...

 

Hier c'était la fête chez nous

Les gâs étaient saouls :

Ils ne sont rentrés qu'à l'aurore

Demi saouls encore;

Le charretier au vin méchant

Jure, lui cherchant

A tout propos un tas de noises,

Bêtes et sournoises.

 

Petit porcher

Ho !...

Faut pas broncher

Le maître charretier a mis ses gros sabots

Ho !...

 

Ainsi toujours peinant, souffrant,

Il deviendra grand;

Et son tour enfin, viendra d'être

Le charretier-maître

Faisant peiner, faisant souffrir

Un autre martyr

Selon la routine suivie

Puisque c'est la vie !...

 

Petit porcher

Ho! ...

Sera changé

En maître charretier pour le porcher nouveau !

Ho !...

 

 

PETIT POUCET

 

Puisqu’on ne trouve plus sa vie

Au bout des sillons de chez nous,

Un jour, j’ai dû quitter ma mie

Pour la ville où pleuvent les sous ;

Et, ce jour-là, dans ma mémoire :

Lit clos des contes du passé,

J’ai vu se réveiller l’histoire,

L’histoire du Petit Poucet.

 

Refrain

En partant chez l’ogresse,

L’ogresse qu’est la vie,

J’ai semé des caresses

Pour retrouver ma mie !

 

Poucet semait parmi les sentes

Son pain bis et ses cailloux blancs.

Sur le corps blanc de ma charmante

Quel semis de baisers brûlants !

Sur son front et ses yeux en fièvres,

Sur son ventre et ses seins en fleurs,

Le geste rose de mes lèvres

A semé l’Amour de mon cœur.

 

Plus tard, pour retrouver ma mie :

« Où sont mes baisers d’autrefois ? »

Les baisers sont de blanches mies

Sous le bec des oiseaux des bois.

Plus un seul ! sur sa chair impure,

Un seul ! de mes baisers brûlants !

Tous sont partis sous la morsure

Du baiser des autres galants !

 

Ma mie qui ne se souvient guère

Se rappelle pourtant qu’un jour,

Je l’ai frappée dans ma colère

D’une gifle de mon poing lourd.

Elle me reproche ce geste

Toujours avec la même ardeur.

Le mal est un caillou qui reste

Dans les pauvres sentiers du cœur !

 

LES PETITS CHATS

 

Hier, la chatt' gris’dans un p'quit coin

D’nout' guernier, su' eun' botte de foin,

Alle avait am'né troués p'quits chats ;

Coumm' j’pouvais pas nourri' tout ça,

J'les ai pris d'eun' pougné' tertous

En leu-z-y attachant eun' grouss’ piarre au cou.

 

Pis j’m'ai mis en rout' pour l'étang ;

Eun' foués là, j’les ai foutus d'dans ;

Ça a fait : ppllouff !... L'ieau a grouillé,

Et pis pus ren !...Ils 'tin néyés...

Et j’sé r'parti, chantant coumm' ça :

"C'est la pauv' chatt' gris’qu'a pardu ses chats. "

 

En m'en allant, j'ai rencontré

Eun' fill’qu'était en train d’pleurer,

Tout' peineuse et toute en haillons,

Et qui portait deux baluchons.

L'un en main ! c'était queuqu's habits ;

L'autr', c'était son vent'e oùsqu'était son p'quit !

 

Et j'y ai dit : « Fill', c'est pas tout ça ;

Quand t'auras ton drôl’su' les bras,

Coumment don' qu’tu f'ras pour l'él'ver,

Toué qu'as seul'ment pas d'quoué bouffer ?

Et, quand mêm' que tu l'élév'rais,

En t'saignant des quat'vein's... et pis après ?

 

Enfant d’peineuse, i' s'rait peineux ;

Et quoiqu'i fasse i' s'rait des ceux

Qui sont contribuab's et soldats...

Et, - par la tête ou par les bras

ou par... n'importe ben par où ! -

I' s'rait eun outil des ceux qu'a des sous.

 

Et p't-êt qu'un jour, lassé d'subi'

La vie et ses tristes fourbis,

I' s'en irait se j'ter à l'ieau

Ou s’foutrait eun' balle dans la pieau,

Ou dans un bois i' s'accroch'trait

Ou dans un « cintiéme » i' s'asphysquerait.

 

Pisqu'tu peux l'empêcher d’souffri,

Ton pequiot qu'est tout prêt à v'ni,

Fill', pourqoué don' qu'tu n'le f'rais pas ?

Tu voués : l'étang est à deux pas.

Eh ! bien, sitout qu’ton p'quiot vienra,

Pauv' fill', envoueill'-le r'trouver mes p'tits chats !... »

 

 

LES PIES

 

Je suis un gâs du tour de France

Qui chemine depuis huit jours

Pour ner au bourg d'enfance

Où nichent ses amours.

J'ai le cœur gai comme un pinson

En suivant le bord de la Loire,

Mais soudain, malgré ma chanson,

Voilà que j'ai des idées noires.

 

Refrain

A main gauche, vers les semeurs,

J'ai vu s'envoler des pies :

(A main gauche, c'est du malheur !)

Et je songeais à ma mie !

 

Que se passe-t-il de si grave

A la maison vieille où fleurit

La giroflée dessus la cave

Et jusque dans le puits ?...

Je vois des gens noirs sur le seuil,

Quatre chandelles allumées,

Et, sur le bois blanc d'un cercueil,

Les fleurs en croix des giroflées !

 

Qu'arrive-t-il de si terrible ?...

Je vois ma belle allant au puits,

Tous les soirs, quand le voisin crible

L'orge pour l'écurie...

Et cette gueuse, chaque fois,

Lui jette un brin de giroflée :

Il n'en restera plus pour moi,

Pour fleurir mon jour d'arrivée.

 

Ah ! que ces choses sont affreuses !

Mais, dis-moi que ça n'est pas vrai

Et que les pies sont des menteuses

O semeur des guérets ?...

- Ne zyeute pas de tous côtés,

Passe, passe, le gâs qui passe !

Laisse venir les destinées

Et regarde la vie en face...

 

Refrain

A main gauche, vers les semeurs,

J'ai vu s'envoler des pies.

(A main gauche, c'est du malheur !)

Et je songeais à ma mie !

 

POURQUOI ?

 

Mes vieux, autant que j’m'en rappelle,

Avint eun' bell’maison en tuile :

l's m'él'vint coumme eun' demouéselle

Et j'allais au couvent d'la ville,

Pis, crac !... V'là les mauvais's années !

La bell’  maison qu'est mise en vente,

Toute ma famill’ qu'est ruinée,

Et moué que j'm'embauch' coumm' servante...

 

Pourquoué ? pourquoué ?

Je l’sais't-y, moué...

L’souleil se couch' sans dir' pourquoué !

 

Adieu mon bieau corsag' de mouére !

Faut qu’je pouille un cotillon d’serge,

Et, v'là qu'un jour qu'i' voulait bouére,

L’gâs au chât'lain rent'e à l'auberge ;

Je l’voués r'veni' le lend'main même

Et, de l’vouér, v'là mon coeur qui saute !

I' r'vient toujou's et v'là qu’je l'aime !

Pourquoué c'ti-là putôt qu'eun aut'e ?...

 

Pourquoué ? pourquoué ?

Je l’sais-t-y, moué ?

Les ros's fleuriss'nt sans dir' pourquoué !

 

V'là que j'i cède et qu'i m'engrosse,

Pis, i' s'ensauv' devant mon vent'e,

N' voulant pas traîner à ses chausses

L'amour douloureux d'eun' servante.

Ah ! l’scélérat, et quelle histouére !

Mais dans l’vin rouge et pur des vignes,

La dargniér' foués qu'il est v'nu bouére

J'ai trempé des herbes malignes...

 

Pourquoué ? pourquoué ?

Je l’sais-t-y... moué ?

L'tonnerr' tomb' ben sans dir' pourquoué ?

 

Si j'avais fait coumm' la vouésine,

Quand qu’son galant s'est tiré d’l'aile,

Alle en a r'pris deux, la mâtine !

Pourquoué qu’j'ai pas pu fair' comme elle ?

J’s'rais pas là, sous les yeux des juges,

Ces homm's juponnés coumm' des femmes

Qu'ensev'liss'nt un crim' sous l’déluge

D'un tas d'aut's crim's 'cor pus infâmes.

 

Pourquoué ? pourquoué ?

Je l’sais-t-y, moué ?

Eux non pus, i's sav'nt pas pourquoué ?

 

POUR UN VIOL

 

J'étais, quand c'tte affèr' m'a fait fout'e au d'dans,

Calouche, songeux, cloch'patte et brèch'dents,

Et j'sors de prison avec la mêm' touche:

Brèche-dents, cloch'patt', songeux et calouche.

Pourtant, y a Cath'rin', la femme au juré,

D'pis que le jug'ment d'son homm' m'a taré,

A' veut, avec moué, vouèr comment qu'ça s'joue,

 

Refrain

Et la v'là qui rit et qui m'donn' ses joues...

Tiens don', gadoue!

Et tra la la la la la!

Pour un viol au coin du boués,

Pasque j'étais laid et qu'j'avais pas d'filles,

On m'a condamné ; mais c'était pas moué...

Et v'là qu'à présent j'ai toutes les filles,

Pour un viol au coin du boués!

 

Et pis y a la bell’chât'lain' du chatieau

Qu'est lass’ des baisers polis d'bourgeouésieaux,

Si lass’ que sa chair de vic's en désire

L'étreinte baveuse et foll’ du satyre.

Et la v'là qui m'suit par les ch'mins du boués

Dans l'espouèr que j'vas r'nouv'ler mes explouèts

Et qu'j'vas la rouler sur les feuill's éparses;

Mais j'm'en dérang' pas... j'y fais c'tte bonn' farce!

Ben fait, sal’garce!...

Et tra la la la la la!

 

Eune avait l'air blanch' coumme un mouès de Mai...

Après tout, cell'-là j'aurais pu l'aimer;

A' v'nait m'vouèr au bouès, dans l'après-dînée

Qu'j'abattais les chên's à grands coups d'cognée.

J'me trouvais trop nouèr pour causer d'amour,

Fallait que j'essplique, et j'y dis un jour :

"Moué, j'étais pour ren dans c'tte histouèr' pâs prop'e!"

Et, depis c'jour-là, j'ai pas r'vu sa robe...

Ah! la salope!...

Et tra la la la la la!

 

Fill's ! v'avez tué l'amour d'un pauv' gâs

D'pis l'jour ousque v'êt's tombé's dans ses bras;

Car, tout en prenant vos baisers d'débauche,

J'ai vu-z-au travers de vout' téton gauche,

Qu'vout' coeur n'était ren qu'eun' butte d'fumier

Su' qui qu'vous plantez des fleurs en papier

Pour nous fère accrèr' qu'aux amours nouvelles

Y pouss’des bluets et des roses belles...

Bon guieu d'fumelles !..

Et tra la la la la la!

 

LE PRE D'AMOUR

 

Lorsque Gros-Jean se maria,

Londerira,

Avec la coquette Toinette,

En dot son père lui donna

Un pré tout blanc de pâquerettes.

 

Or, la Toinette le trompa,

Londerira,

Un beau soir sous les talles d'aunes

Et, par le pré, soudain leva

Un carré de boutons d'or jaunes.

 

Quand Gros Jean s'aperçut de ça,

Londerira,

Tua le galant et l'amante

Et, par tout le pré, ce jour-là

Fleurirent des roses sanglantes.

 

Maintenant oublis et frimas,

Londerira,

Ont fané les fleurs illusoires

Et, dans le pré, sur le verglas,

Rampent de grandes ronces noires.

 

LES P’TITS OISEAUX CHANTAIENT TROP FORT...

 

Voilà : ce matin je voulais

Honorer d’un brin de romance

L’éveil des nids pleins d’oiselets

Et le doux printemps qui commence

J’ai débouché mon encrier,

Pris une plume et du papier

 

Refrain

J’ai voulu faire une chanson

Mais tireli tirelirette

Dans mon champ rempli de moisson

Mais tireli tirelirette

Les p’tits oiseaux chantaient trop fort (bis)

 

Au bout des vers de ma chanson

Tombèrent d’un vol unanime

Fauvette, bouvreuil et pinson

Dont le bec pilla chaque rime

Et leur refrain assourdissant

Étouffa le mien en passant.

 

Ainsi ce soir auprès de vous

Froissant nerveusement des roses

Je cherche les mots les plus doux

Pour vous dire certaines choses

J’en trouve trop... qui sont très bien

J’ouvre la bouche et ne dis rien.

 

Refrain final

Je voudrais vous causer d’amour

Mais tireli tirelirette

Dans mon coeur qu’enfête le jour

Mais tireli tirelirette

Les p’tits oiseaux chantent si fort (bis).

 

RENOUVEAU

 

Ben oui, notre amour était mort

Sous les faux des moissons dernières,

(la javelle fut son suaire…)

Ben oui, notre amour était mort,

Mais voici que je t’aime encor !

 

Pan pan ! pan pan ! à grands coups sourds

Comme lorsqu’on cloue une bière,

J’ai battu les gerbes sur l’aire ;

Pan pan ! pan pan ! à grands coups sourds

Sur le cercueil de notre amour

 

Et pan pan ! les fléaux rageurs

Ont écrasé, dessous leur danse,

Le bluet gris des souvenances

(Et pan pan ! les fléaux rageurs !)

Avec le ponceau qu’est mon cœur !

 

Dedans la tombe des sillons

Quand ce fut le temps des emblaves,

Comme un fossoyeur lent et grave,

Dedans la tombe des sillons

J’ai mis l’amour et la moisson

 

Des sillons noirs un bluet sort

Tandis qu’une autre moisson bouge ;

Avec un beau ponceau tout rouge,

Des sillons noirs un bluet sort,

Et voici que je t’aime encor !

 

LE SACRILEGE IMPUNI

 

La Mari’ s’en va-t’à l’office

Y prier pour son bon ami

Qu’v’là déjà un mois qu’est parti

Au régiment prend’ du service.

 

Comme elle mettait l’pied dans l’église

L’facteur y donne un mot d’écrit,

Un mot d’écrit qu’son bon ami

Y’envoi’ d’ousqu’i’ fait son service.

 

Ell’ rentre et prend de l’ieau bénite,

Et pis s’ag’nouille, et pis s’assit

En songeant à son bon ami

Qui souffre loin d’elle, au service.

 

Pendant ben longtemps ell’résiste

Mais, à la fin, elle ouvre et lit

Le billet doux d’son bon ami

Qu’est en train de fair’ son service.

 

Là-d’ssus, les vieux saints d’pierr’ frémissent

Et le petit Jésus rougit

D’voir la lett’ de son bon ami

Qui l’aime en faisant son service.

 

Pour la punir d’la faut’ commise

Dieu décid ’qu’elle aura un p’tit

Dans les neuf mois qu’son bon ami

S’ra encore à fair’ son service.

 

Mais, il envoya vers la p’tite

Inutil’ment son Saint-Esprit,

Car le gâs avait fait l’petit

Avant que d’partir au service.

 

 

SAOUL, MAIS LOGIQUE...

 

N'me parlez pas de tous ces gens

Qui crient à tout l’monde, après boire :

« J's'rai décoré au jour de l'an ! »

Ou : « J'porte un nom qu'est dans l'histoire ! »

Moi, j’prends souvent mon p'tit plumet,

C'est permis, même en République !

Mais alors, je n' détonn' jamais...

Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique !

 

L'autre jour, un typ' très calé

Me contait, en payant un verre,

Qu'on doutait, du temps d'Galilée

De la rotation d’la terre.

"Croir' que la terr' ne tourne pas,

Mais, nom de nom ! que j'lui réplique,

On s’saoûlait donc pas dans c’temps-là ! "

Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique !

 

En rentrant chez moi, un beau soir

Qu’mes jamb's me r'fusaient tout service,

J'restai allongé su' l'trottoir

"Eh ben !... m' fit un agent d’police

Qu'attendez-vous-là su' l’pavé ? "

Et j'eus cett' réponse magnifique :

"J'attendais qu’vous veniez m' rel'ver... "

Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique !

 

Sur le boul'vard, sous un vent fou

Et par un temps froid de décembre,

Un' petit' dam' me dit " Mon loup,

Viens-tu ? Y a du feu dans ma chambre !

- Du feu dans ta chambr' ! ... Bon ! ... Alors

Je s'rais enchanté qu’tu m'expliques

Pourquoi qu’tu rest's à g'ler dehors... "

Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique !

 

En prenant l’train, gar' Saint Lazar',

Un' fois qu’j'étais saoûl comme un' grive,

Voilà qu’j'entends, à mon départ,

Siffler une locomotive ;

Alors, par la portier' j’lui cri' :

" Tu peux pas la fermer... bourrique !

On n'est pas dans un' écuri'. "

Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique !

 

Enfin, hier, mon médecin,

Désolé d’me voir toujours ivre,

M'dit : "Si vous continuez d’ce train

Vous n'avez plus grand temps à vivre ! "

Bon ! Si j’dois claquer prochain'ment

J’m'en vais vous r'tirer ma pratique :

Plus la pein' de m' soigner, maint'nant

Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique !

 

 

SAPRE VIN NOUVIEAU !...

 

 

Malgré la souéxantain' qu'est là,

Poure c’qu'est d’la pogn' j'en crains point

J’fais l’cric sous eun' vouéture ed’foin

Et j’porte un sac ed’blé coumm' ça.

Non, c'est pas les lutteux d’la fouére

Qui m' f'rin toucher l'épaule à bas...

... Allons, buvons un coup, les gâs !

C'est du p'quit vin, mais i' s’laiss’bouére.

 

Ah ! mon sapré p'quit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau !

C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père ?

Ah ! mon sapré p'quit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau !

Et que j'sens qui va, qui va m' fout' par terre !

 

Moué, j’ses tétu coumme un mulet,

C'que j'ai-z-en tét' j’l'ai pas aux pieds :

Y a Jean-Pierr' qui veut s’marier

Avec ma fille à qui qu’ça plait.

"Non, mon vieux, tant pis si tu l'aimes !

Moué ça m'va pas... tu l'auras pas !...

... Et pis, buvons un coup, mon gâs !

Tu la veux ?... j’te la donn' tout d’même !"

 

Ah ! mon sapré p'tit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau !

C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père ?

Ah ! mon sapré p'tit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau,

Et qui fout comm' ça mes projets par terre !

 

Si queuqu'un m' fait des mauvais'tés

J'garde un chien d’ma chienne à c'ti-là !

Avec mon vouésin Nicolas

J'ai pardu quand qu'on a plaidé ;

D'pis, i' vourait qu'on s'rapatrie...

"Non, que j'dis, non ! j’te r'caus'rai pas ! ...

... Eh ! dis don', vouésin Nicolas ?

Viens trinquer, c'est moué que j’t'en prie ! "

 

Ah ! mon sapré p'tit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau !

C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père ?

Ah ! mon sapré p'tit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau,

Et qui fout comm' ça ma rancun' par terre !

 

Quand on compte, un sou c'est un sou !

J'compte ! et j'aim' pas donner c'que j'ai !

C'est un traîneux qui veut loger

Et qui dit qu'il a souéf comm' tout !

« T'as souéf ? Va bouére à la rivière,

Et dans un fossé tu couch'ras...

... Non, reste icite et boués, mon gâs !

Mais, boués don'!... que j'rempliss’ton verre ! »

 

Ah ! mon sapré p'tit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau !

C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père ?

Ah ! mon sapré p'tit vin nouvieau

Qu'est 'core au bercieau,

Et qui fout en moué l'intérêt par terre !

 

LA SEPARATION

Réflexion d'un traîneux

 

Ah ! bon ! v'là d’quoué alleumer l’feu

Pou' fer' ma popott' de traîneux :

C’joumal qui roul’dans la venelle !

Mais, avant, lisons les nouvelles :

Bon guieu ! Y a 'cor la guerr' là-bas.

Ces pauv's Russ's lumérot'nt leu's memb'es.

Quiens ! Paraît qu'on cause à la Chambre

D'séparer l'Eglise et l'Etat !

 

L'Eglis’! quoué qu’ça peut êt' pour nous ?

Si gna un bon guieu qui fait tout,

C'est don' li qui fait la misère

Et les malheureux su' la terre ?

Mais, si l’bon guieu n'existe pas,

Pourquoué entret'ni tout' leu' vie

Les curés à dir' des ment'ries?

Séparons l'Eglise et l'Etat !

 

Mais l'Etat ? Quoué qu’c'est don' itou ?

C'est les gendarmes su' not' dous

Qui nous traqu'nt coumm' des bêt's sans gîte,

C'est l’tas des mauvais jug's qu'acquittent

Toujou's en haut, jamais en bas,

Et c'est les loués qui sont matines

Pour nous, pou's les gâs qui cheminent.

Séparons l'Eglise et l'Etat !

 

Z'yeutez par ci, z'yeutez par là :

V'là c’qu'est l'Eglis’! v'là c’qu'est l'Etat !

Qu'i's divorc'nt ou ben qu'i's s'raboutent,

J'me d'mande un peu c'que ça peut m'fout'e :

J'en s'rai-t-y moins peineux pour ça ?

C'est bon pou' les gens à leu-z-aise

De s'occuper d’tout's ces foutaises.

Séparons l'Eglise et l'Etat !

 

SERA CELLE QUI M’AIMERA

 

Ronde

Tout en dansant la ronde

Héla ! celui qu’est au mitan !

Faut que tu nous répondes,

Mais lorgne ben auparavant,

Hé là ! dis-nous laquelle

Est la plus belle ?

 

Refrain

La plus belle ?...

Dam’ je n’sais pas.

La plus belle

Sera celle

Qui m’aimera

 

Tout en dansant la ronde

Oh ! ces yeux que vous a Margot !

Et la nuque si blonde

De Suzon, quel nid à bécots !

Et les lèvres de Lise,

Quelles cerises !

 

Toutes après la ronde,

Margot comme Lise et Suzon,

Se sont, au bout du monde,

Ensauvées au bras d’un garçon ;

M’est restée la Mariotte

Laide et boscotte.

 

Dernier refrain

La plus belle ?...

Eh ben ! la v’là...

La plus belle

Sera celle

Qui m’aimera !

 

STANCES A LA CHATELAINE

 

Madame, c'est moi qui viens.

Moi, cela ne vous dit rien !

Je viens vous chanter quand même

Ce que mon cœur a rimé

Et si vous voulez m'aimer ?

Moi : c'en est un qui vous aime !

 

Oh ! vos mains, dont les pâleurs

Bougent, en gestes de fleurs

Qu'un peu de brise caresse !

Oh ! vos beaux yeux impérieux !

Un seul regard de ces yeux

Dit assez votre noblesse !

 

Vos aïeules ont été,

Sous le grand chapeau d'été

Fleuries comme un jour de Pâques,

Marquises de Trianon,

Et moi, fils de gens sans nom,

J'ai des goûts à la Jean-Jacques !

 

Votre parc est doux et noir :

Il y ferait bon ce soir

Pour achever ce poème

Que mon cœur seul a rimé.

Donc, si vous voulez m'aimer,

J'y serai, moi qui vous aime !

 

- Je chantais cela tantôt,

Aux grilles de son château.

A la fin, compatissante,

Elle dit à son larbin :

« Joseph, portez donc du pain

Au pauvre mendiant qui chante ! »

 

 

SUR LE PRESSOIR

 

Sous les étoiles de septembre

Notre cour a l'air d'une chambre

Et le pressoir d'un lit ancien ;

Grisé par l'odeur des vendanges

Je suis pris d'un désir étrange

Né du souvenir des païens.

 

Couchons ce soir

Tous les deux, sur le pressoir !

Dis, faisons cette folie ?...

Couchons ce soir

Tous les deux sur le pressoir,

Margot, Margot, ma jolie !

 

Parmi les grappes qui s'étalent

Comme une jonchée de pétales,

O ma bacchante ! roulons-nous-

J'aurai l'étreinte rude et franche

Et les tressauts de ta chair blanche

Ecraseront les raisins doux.

 

Sous les baisers et les morsures,

Nos bouches et les grappes mûres

Mêleront leur sang généreux ;

Et le vin nouveau de l'Automne

Ruissellera jusqu'en la tonne,

D'autant plus qu'on s'aimera mieux !

 

Au petit jour, dans la cour close,

Nous boirons la part de vin rose

Œuvrée de nuit par notre amour ;

Et, dans ce cas, tu peux m'en croire,

Nous aurons pleine tonne à boire

Lorsque viendra le petit jour !

 

SUR UN AIR DE REPROCHE...

 

A l'assemblée du pays

Quand j'étais petit, petit,

Guère plus haut qu'une botte,

Mon père, un bon paysan,

Me disait, en me glissant

Un gros sou dans la menotte :

 

Refrain

Tiens, p'tit gàs

V'là deux sous pour ton assemblée...

Tiens, p'tit gàs

V'là deux sous, mais n' les dépens’pas.

 

Avec les autres morveux

Je courais, le cœur joyeux,

Jusque sur la place en fête

Ecoutant le carillon

De l'inutile billon

Qui tintait dans ma pochette.

 

Les prestes chevaux de bois

Obéissant à la voix

Des orgues de Barbarie,

Les chevaux de bois tournaient

Habillés de beaux harnais

Où brillaient des pierreries.

 

Chez le marchand de gâteaux

Installé dessous l'ormeau

C'était la galette au beurre,

Et les sucres d'orge blonds,

Et la roue aux macarons

Qu'une plume d'oie effleure !

 

Devant tout ce Paradis

Je restais abasourdi,

N'osant rien dire et rien faire,

Et je nais chez nous

Pleurant, avec les deux sous

Que m'avait donnés mon père.

 

Ainsi, belle aux yeux charmants

Qui dites m'aimer vraiment,

Sans vouloir me laisser prendre

Parmi votre corps rosé

Ce que j'appelle un baiser,

Prés de vous je crois entendre :

 

Refrain

Tiens, p'tit gâs

V'là deux sous pour ton assemblée !

Tiens, p'tit gàs

V'là deux sous, mais n' les dépens’pas !

 

 

LES TACHES

 

L'matin, au coup d’clairon des oés

On saute à bas au grand galop,

Et l'on s'en va-t-aux champs piocher

Jusqu'à midi à nout' clocher.

A midi, on casse un morceau

Pis on r'pioch' tout le temps du tantôt.

Le souér, on rentre à la maison

Pour manger la soupe au cochon,

Et, prés d'sa femme eun' foués couché,

Avant d’dormi' faut 'cor... bûcher.

 

Et v'là comm' ça qu'est cheu nous :

On se r'pos’qu'un coup dans l’trou.

 

On trim' comme eun' bête el’lundi,

On fait la mêm' chous’le mardi,

Et, pou se r'poser l’méquerdi,

On fait comm' lundi et mardi ;

L'jeudi, à seul’fin d’se changer,

On va vend’ son beurre au marché.

Le venterdi et le sam'di

On r'prend la tach' du méquerdi

Et, l’dimanch' quand on prend du r'pous,

On n' le sent pas pasqu'on est saoul.

 

Et v'là comm' ça qu'est cheu nous :

On se r'pos’qu'un coup dans l’trou.

 

Tout l'hiver on bat à grands coups

Su' l'air' des granges le blé d'août.

Un coup qu'arrive el mois de mars

On peign' les champs avec sa harse.

Grobants sous l’souleil en été

On fane el’foin, on fauche el’blé.

En automne on coupe el raisin.

On fait l'vin doux, on sème el’grain.

Et quand que r'vient les moués d’janvier,

Reste pas qu'à s'chauffer les pieds.

 

Et v'là comm' ça qu'est cheu nous :

On se r'pos’qu'un coup dans l’trou.

 

Quand on est tout petit petiot

On va-t-à l'écot' de l’hamieau.

Quand qu'on attrap' douze à treize ans

Faut s'en aller piocher aux champs.

A vingt ans on sert sa Patrie,

En s'en r'venant d’là on s'marie,

On fait des petits à soun heure,

On est patriote, électeur,

Contribuabe ! ... et ça continue

Jusque là ousqu'on n'en pouv' pus...

 

Et v'là comm' ça qu'est cheu nous :

On se r'pos’qu'un coup dans l’trou.

 

T'AS-T'Y BEN FETE MON JACQUES ?

 

T'as-t'y ben fêté, mon Jacques,

La fêt' de la Libarté ?

T'as-t'y ben fêté, mon Jacques,

T'as-t'y ben fêté?

 

J'on envoueyé fout' la bon guieu d'ouvrage

Qui press’coumme el diab'e à l'entré d’mouésson,

Et pis, j’son partis traîner sous l'ombrage

Ousque les pompiers buvint au poinson ;

On s’n'est mis dans l’col tant qu’j'en pouvint mett'e,

Si qu’v'auriez vu ça quand qu'on s'est l'vé d’là !...

I' disint : « Hu' mon Jacqu's ! » et j'allint à dia !

(Jusqu'à nous vieill's jamb's qui voulint pus d’maîte !)

 

J'ons mis des lantarn's su' l’devant des f'nêtes

Pour qu’l'Egalité trouv' son compte itou

En fesant r'ssembler les maisons hounnêtes

A d'auceun's maisons qui l’sont point en tout !

Voueyons ! core un r'frain ! core eun' rinçounette !

Pour bouére et chanter, parsounn'ne r'naclait :

On lichait tertous après chaqu’couplet

Et la Marseillais’servait d’Pomponnette !

 

I' régnait partout la mêm' bounne entente :

Nout' maire dit : « Je... je... je n' men rappell’pus ! »

Au bieau d'un discours plein d'phras's éloquentes

Et j'ons fait : « Tant mieux ! » nous qu'avions trop bu !

C’brav' maire, ben qu'il 'tait itou coumme eun' boule,

Par un coup qu’nout' vin s'en v'nait d’nous r'monter

(C'est-y, voui ou non, d'la Fraternité ?)

A pris soun' écharp' pou' torcher nout' goule !

 

Y a temps pour tout' chose, et c'est fini d'rire !

T'es lib'e ed’cracher les impôts qu’tu doués :

V'là m'sieu l'Parcepteur et sa grouss’tir'-lire !

T'es l'égal de tous les peineux coumm' toué

Qu'ont des gâs qu’nous faut pour fair' : portez armes ! ...

V'là l’major avec eun' toués sous son bras ! ...

Et si tu r'chign's trop, mon Jacqu's tu goût'ras

D'la Fraternité d’tes frèr's les gendarmes ! ...

 

Le 14 juillet

 

LA TÊTE DE MORT

 

Un jour, en nant la terre

D’un coin de c’champ-ci où, jadis,

Se trouvait l’ancien cimetière

Qui reçut les vieux du pays,

En nant la terre nue,

Au creux d’un sillon noir et d’or,

Soudain, une tête de mort

Buta dans mon soc de charrue.

 

Et, prenant dans ma main calleuse,

Afin de mieux l’examiner,

Cette tête à grimace hideuse,

Sans lèvres, sans yeux et sans nez,

J’ai rêvé de filles jolies

Aux lèvres donneuses d’amour,

Aux yeux clairs comme un rai de jour,

Pour qui j’aurais fait des folies.

 

Voyant ce crâne à l’ossature

Jaune et verte, et dont le cerveau

Avait dû servir de pâture

Aux vers qui vivent des tombeaux,

J’ai rêvé d’un bourgeois très riche,

Gros de ventre et fort d’appétit,

Dont j’aurais servi, comme outil

A faire le boire et la miche !

 

Et jetant à travers la plaine

Selon mon désir, n’importe où,

Cette chose qui fut humaine,

Comme on jetterait un caillou,

J’ai rêvé d’un grand capitaine

Qui m’aurait emmené mourir…

Ou faire mourir, pour servir

Son œuvre de gloire et de haine !

 

Mais, en r’trouvant soudain la tête

Reposant en l’ombre d’un pré

Comme vont reposer mes bêtes

Lorsque mon champ s’ra labouré,

J’ai rêvé du travailleur blême

Pour qui l’existence est un poids,

D’un pauvre bougre comme moi,

Mort… comme je mourrons moi-même !

 

Variante des quatre derniers vers

 

J’ai rêvé d’un pauvr’ prolétaire

Pour qui l’existence est un poids,

D’un pauvre bougre comme moi,

Et pieusement j’l’ai r’mise dans la terre.

 

LA TOINON

 

Paraît qu’la Toinon qu'est parti' coumm' bonne

Pour aller sarvi' cheu des gens d'Paris

S'appelle à pésent : Mame la Baronne ;

Moué, je suis resté bêtement au pays.

Ça ne m'a jamais v'nu dans la caboche

Ed’coller un "De" par devant mon nom...

Et pourtant, du temps qu’j'étais tout p'tit mioche,

J'allais à l'école avec la Toinon !

 

A ses « tous les jours » all’port' robe ed’soie,

All’sait s’parlotter à chaqu’mot qu'all’dit ;

Moué, je suis resté bête coumme eune oie,

J'porte la mêm' blous’l’dimanche et l’sam'di.

Tout' la s'maine, all’mang' d’la dinde à la broche ;

Moué, tout' moun anné', j’bouff' que du cochon...

Et dir' que, du temps qu’j'étais tout p'tit mioche,

J'allais à l'école avec la Toinon !

 

All’reçoué cheu-z-ell’des moncieux d'la ville,

Des gens coumme i’faut qui li font la cour...

Et qui la fourniss'nt de bieaux billets d’mille ;

Moué, j’suis un pauv' gâs sans l’sou, sans amour !

Ell', du moins, all’vit sans que l’monde i' r'proche ;

Moué, quand que j’bracounne, on m' fout en prison...

Et dir' que, du temps qu’j'étais tout p'tit mioche,

J'allais à l'école avec la Toinon !

 

Ça m'gên' d’la vouèr riche et d’me vouèr si pauve,

Ça m' saigne ed’songer qu'alle aime un tas d’gàs

Qu'entr'nt avec leu's sous au fond d’soun alcôve

Et qu'ont les bécots qu'all’me baill'ra pas...

Aussi, j’dounn'rais ben tout c’que j'ai en poche :

Ma pip', mon coutieau, mes collets d’laiton,

Pour ét' 'core au temps oùsque, tout p'tit mioche,

J'allais à l'école avec la Toinon !

 

LE TOURNEVIRE AUX VAISSELLES

 

Su' la grand’place, y a des baraqu's et des roulottes,

Des bohémiens qu'ont des brac'lets d’cuiv' au pougnet,

Et les p'tiots, du fin fond des seigl's ou des genêts

Accourent avec de grous sous dans leux menottes.

 

L'assemblée est jolie à plein; mais c’qu'est l'pus biau,

C'est c’tourniquet là-bas, qu'a des vaissell's dessus,

Des assiett's qu'ont des coqs roug's et verts peints dans l’cul,

Des tass's pareill's ! - Et qui qui prend un numério ? -

 

- Ah ! les bell's tass's ! Les bell's assiett's ! En gangner une...

C'est ça qu'aurait bon genr' su' l’dressoir à la mère...

Et, pour prendr' el numério qui gangne... ou qui perd

D'vant l’tourniquet qui gric', les p'tiots lâch'nt leux fortune.

 

D'aucuns pard'nt. Et d'autr's gangn'nt eune assiette ou eun' tasse,

Ceux là, d'vant les vaissell's qu’leux doigts vont tournaillant

Trouv'nt qu'a font moins d'effet qu'a n'en f'sin cheu l'marchand

Et tertous r'niffl'nt la galett' chaud’su' la grand'place.

 

La galett' chaud’! La galett' qu'a du beurr' dedans

- Un sous l'quarquier ! La bonn' galette aux croustill's d'or -...

Mais les p'tiots s'en r'tourn'nt cheux eux avec la creus'dent,

Et c't'odeur de galett' qui les suit... Coume un r'mords...

 

- M'man, j'ai pardu mes sous à mettre au tourniquet. -

Qu'i geignouss'ront, la têt', dans l'devantiau des vieilles

Et l’pèr' dira : - Hou ! queux michants couyons qu’ça fait,

Qui s'laiss'nt 'cor encancher par des foutais's pareilles ! -

 

Pourtant les p'tiots en s'ront p't'êtr' là quand i's'ront vieux.

Du rest' el’père a jamais cessé d’fair' coume eux.

Il tourne au long d’sa vie l’tourniquet aux vaissell's...

Y a qu'les vaissell's qui chang'nt et all's n' sont pas pus belles.

 

Il tourn' le tourniquet su' l'autel du curé

Y a des paradis bleus qui nag'nt dans les assiett's,

Des bons Gieux qui vous ouvr'nt leux bras pleins de bonté...

Et quoué, tout c’que l’bagoût d’ces gâs-là sait y mett'.

 

Il tourn' le tourniquet su' l’canon d’la patrie :

Y a des souleils de glouér' dans des plats tricolores,

Des couronn's de lauriers verts, des branch's de chên' d'or

Et des band'roll's ousqu'est les dévis's héroïques ! -

 

Il tourn' le tourniquet su'l'dous d'son député

Y a des tass's aux r'bords dorés, coum' des bell's promesses :

V'aurez toujou' d’la soup' grass’dans vos tass's dorées

Et mêm' du vin vieux pour dorloter vot' vieillesse ! -

 

Quand qu'il aura jité ses sous, ses gâs, sa vie

Su' l'tourniquet qui tourn' pour le bien d'ceux qu'en vivent,

Il pens'ra que la loi, la r'ligion, la patrie,

C'est des imag's de fouér' dans des culs d'vaisséll’vide

Et la Raison cri'ra d'vant li :

La galette ! chaude !

 

 

LE TREFLE A QUATRE FEUILLES

 

Il faut abattre la moisson

Et la serrer en gerbes grosses;

Tous les gens solides se sont

Loués chez les fermiers de Beauce.

Au départ des gâs s’en allant

Prendre leur place aux tâches blondes

Les garçailles, à leurs galants,

Ont dit à la ronde

 

Refrain

Faucheur, mon beau faucheur,

Si vous trouvez un trèfle à quatre feuilles

Gardez-le pour que je le cueille.

Faucheur, mon beau faucheur,

Ça porte bonheur !

 

Mais au travers des chaumes roux

Le trèfle à bonheur est bien rare

Depuis qu’il pend à tous les cous

Des belles dames qui s’en parent ;

Et tous les gâs, des champs aux prés,

N’ont pu trouver, sous leurs faucilles,

Qu’un brin du trèfle désiré

Par toutes les filles.

 

Un seul brin ! Et tous les galants

L’ont voulu pour sa bonne amie ;

Le fer des faux soudain sanglant

S’est dressé dans les mains roidies.

Et dans la Beauce aux longs champs plats

Quand la moisson s’écarte et bouge

Le brin de trèfle est encore là

Tout rouge, tout rouge !

 

UN BON METIER

 

Pas ça, vieux gâs ! V'là qu’tu prends d’l'âge,

Faudrait vouèr à vouèr à t' caser ;

Tant qu'à faire, aut' part qu'au village,

Pasqu'au villag' faut trop masser

Pour gangner sa bouguer' de vie !

Dis donc, ça n' te fait point envie ?...

Si j'étais que d'toué, j'me mettrais

Curé !

 

Tu f'rais tes class's au séminaire

Où qu’nout' chât'tain, qu'est ben dévot,

T'entertiendrait à ne rien n' faire ;

Et tu briff'rais d’la tête d’vieau,

Du poulet roûti tout' la s'maine,

En songeant qu’d'aucuns mang'nt à peine...

Si j'étais que d’toué, j’me mettrais

Curé !

 

Et pis, quand t'aurais la tonsure,

Tu rabed'rais vouèr au pat'lin

Où qu’l'existenc’nous est si dure,

Où qu'all’t' s'rait agréable à plein...

Tu fourr'rais du foin dans tes bottes,

Avec les sous des vieill's bigottes...

Si j'étais que d’toué, j’me mettrais

Curé !

 

Tu prêch'rais l'abstinence en chaire,

Et tu f'rais maigr' les venterdis...

Tout's les fois qu’la viand’s'rait trop chère ;

Tu confess'rais l’mond’du pays

Et, dans l’tas des fill's brun's ou blondes,

Gn'en a pas mal qui sont girondes

Si j'étais que d’toué, j’me mettrais

Curé !

 

Tu s'rais queuqu'un dans la commune ;

Monsieu l'Maire s'rait ben avec toué,

Et j'profit'rais d’cette bonn' fortune

Pour am'ner un ch'min d'vant cheu moué...

Dam, fais c’que tu veux, j’forc’parsonne !

Mais v'là l'bon conseil que j'te dounne :

Si j'étais que d'toué, j'me mettrais

Curé !

 

VA DANSER !

 

Au mois d'août, en fauchant le blé,

On crevait de soif dans la plaine;

Le corps en feu, je suis allé

Boire à plat ventre à la fontaine :

L'eau froide m'a glacé « les sangs ».

Et je meurs par ce tendre automne

Où l'on danse devant la tonne

Durant les beaux jours finissants...

 

J'entends les violons... Marie !

Va, petiote que j'aimais bien ;

Moi, je n'ai plus besoin de rien !...

Va-t'en danser à la frairie,

J'entends les violons... Marie !...

 

Veux-tu bien me sécher ces pleurs?

Les pleurs enlaidissent les belles !

Mets ton joli bonnet à fleurs

Et ton devantier en dentelle :

Rejoins les jeunesses du bourg

Au bourg où l'amour les enivre ;

Car, si je meurs, il te faut vivre...

Et l'on ne vit pas sans amour !

 

Entre dans la ronde gaiement ;

Choisis un beau gâs dans la ronde,

Et donne-lui ton cœur aimant

Qui resterait seul en ce monde...

Oui, j'étais jaloux cet été

Quand un autre t'avait suivie ;

Mais on ne comprend bien la vie

Que sur le point de la quitter...

 

Après ça, tu te marieras...

Et, quand la moisson sera haute,

Avec ton homme au rude bras,

Moissonnant un jour côte à côte

Vous viendrez peut-être à parler,

Emus de pitié grave et sobre,

De Jean qui mourut en Octobre

D'un mal pris en fauchant les blés...

 

VENGEANCE

 

Me voici que j’entre au bourg,

Tiens, mais cette grande rue

Ne m’est-elle pas connue ?

Mais si da ! c’était un jour,

Mon cœur était jeune et tendre :

Une fille vint le prendre !

Et ce gros homme ventru

Ne l’ai-je pas déjà vu ?

 

Ah ! c’est l’épicier du coin !

Qui m’a refusé sa fille

En disant : « Je ne veux point

D’un tel gueux dans ma famille ! »

 

Puisque l’on a marié

Proprement la demoiselle

Au comptoir qui donc m’appelle ?

- C’est la femme à l’épicier

Qu’une chaude quarantaine

Pousse aux pires prétentaines !

Quand on a pas ce qu’on veut,

Il faut prendre ce qu’on peut !

 

La conjointe à l’épicier

M’offre, à défaut de la fille,

Pour rentrer dans la famille

Un chemin déjà frayé,

Et me voici donc, en somme,

Plus que proche du brave homme

A qui je laisse goûter

Cette étrange parenté

 

LES VIGNES SONT GELEES...

 

La vendange s'annonçait belle

Et l'espoir, pour nous,

En sourires de fleurs nouvelles

S'ouvrait au bout des jeunes pousses,

Mais, cette nuit, la lune rousse

A fait de ses coups !

 

Mon bel ami, les vignes sont gelées !

Tes deux arpents si verts sur le coteau,

Faut pas y songer !

Si l'on ne boit pas de vin cette année,

On boira de l'eau !

 

Si ta belle vendange est morte

La nuit du grand froid,

Nos vingt ans toujours bien se portent !

Les bourgeons roulent sous les souches

Mais il reste encor sur ma bouche

Des baisers pour toi !

 

Oui, nous n'irons pas en vendange

Dans les arpents blonds

Lorsque viendra la mi-septembre,

Mais dans le champ de nos caresses,

L'an tout au long, sans fin ni cesse,

Nous vendangerons !

 

Le vin doux dont l'âme pétille

Ne jaillira pas

Du pressoir aux rondes sébilles,

Mais de ton cœur tendre et farouche,

Comme du creux d'un pressoir rouge

L'Amour jaillira !

 

LE VILAIN GAS !

 

Ohé ! Là-bas,

Vous qui dansez en rondes claires,

Écoutez ça : c’était un pauvre gâs !

 

Au temps des contes de grand’mères,

C’était un rustaud si laid,

Si laid, si pauvre, et si bête

Que, pour danser dans les fêtes,

Nulle fille n’en voulait !

 

Ohé ! Là-bas,

Vous qui tournez par couples roses,

Écoutez ça : c’était un pauvre gâs !

 

Ses vingt ans murmuraient des choses

Et son cœur n’était point sourd.

Il en eut telle souffrance

Qu’il mourut, un soir de danses,

Au son des crincrins d’amour.

 

Ohé ! Là-bas,

Vous qui savez les baisers tendres,

Écoutez ça : c’était un pauvre gâs !

 

Le vieux sonneur alla descendre

Son méchant corps au tombeau.

Mais du froid cercueil de planches

Son cœur, au temps des pervenches,

Monta vers l’amour nouveau.

 

Ohé ! Là-bas,

Vous qui passez, les gais dimanches,

Écoutez ça : c’était un pauvre gâs !

 

Son âme prit corps de pervenche...

Et, comme une fille allait

Vers les danses coutumières,

Cueillit la fleur printanière

Pour la mettre à son corset...

 

Ohé ! Là-bas,

Vous qui tournez en rondes claires,

Écoutez ça : c’était un pauvre gâs !...

 

 

LES YEUX BLEUS

 

A une dame aux yeux noirs

 

Vous m'avez dit dans un sourire,

Que les yeux bleus (souvent songeurs),

Semblaient refléter et décrire

Les intimes penchants des cœurs.

 

Vous m'avez dit - lèvres sincères -

Que vous aimiez ce bleu profond,

Où vos yeux trouvaient plus sévères

Ces regards où tout se confond.

 

Ces regards fixes qui résument

La haine ou la joie ou l'amour,

Ces regards bleus qui vous consument

Et font tout un siècle d'un jour.

 

Vous les adorez, chère Dame,

Aussi je les chante pour vous,

Mystique, divine est leur flamme ;

Vous les trouvez si doux.., si doux!

 

Vous m'avez dit dans un sourire

Que ces yeux dictaient les espoirs.

Pourtant... (laissez-moi vous le dire)

Pourquoi vos beaux yeux sont-ils noirs ?

 

ŒUVRES DE JEUNESSE

L'AVEU

 

(Sonnet)

 

A ma dame

Ton âme avait alors la blancheur des grands lys

Que berce la chanson des vents rasant la terre ;

L'Amour était encor pour toi tout un mystère,

Et la sainte candeur te drapait dans les plis

 

De sa robe... Ce fut par les bois reverdis,

A l'heure où dans le ciel perce la lune austère.

Je te vis, je t'aimai, je ne pus te le taire

Et tout naïvement alors je te le dis.

 

Tu fixas sur mes yeux tes yeux de jeune vierge,

Brillants de la clarté douce et pure d'un cierge,

Ton front rougit.... tu n'osas pas me repousser.

 

Et l'aveu tremblotant, dans un soupir de fièvre,

S'exhala de ton cœur pour errer sur ta lèvre,

Où je le recueillis dans un premier baiser.

 

Pierre Printemps

Moulin de Clan, août 1897.

 

BALLADE A JEHANNE

 

Jehanne la pastourelle au cotillon de laine,

Un soir qu'elle gardait ses moutons dans la plaine,

Mystique, au bas du vieux clocher de Domrémy,

Ouît de saintes voix qui voltigeaient parmi

Les blés en deuil, et les bluets aux yeux en larmes

Et les coquelicots saignants : « Ma fille, aux armes ! »

Criaient les voix : « Il faut obéir au bon Dieu,

Ma fille, mets l'épée à la main, dis adieu

Aux tiens, et va porter ces mots de délivrance :

— L'Anglais sera bouté hors de la doulce France !...

 

Alors Jehanne quitta son cotillon de laine

Et laissa ses moutons au milieu de la plaine,

Pour chevaucher au loin, bien loin d'eux, en habit

De fer, allant combattre et chasser l'ennemi.

Elle arriva devant Orléans plein d'alarmes,

Hérissé de bastions, flanqué de tours « aux armes !...

Sus !... en avant !... » fit-elle, ardente, l'œil en feu,

Piquant son destrier et levant au ciel bleu

Son étendard baisé par les vents d'espérance :

— « L'Anglais sera bouté hors de la doulce France !...

 

Jehanne ne remit plus son cotillon de laine,

Et mourut sans revoir ses moutons, dans la plaine

Où les blés bruient au loin, tel le flot endormi

De la mer... Quand il eut bien souffert et gémi,

Son beau corps fut brûlé, mais, comme sous des charmes

Puissants, un cri partit dans le royaume : « Aux armes !...

Aux armes !... » Fils des preux d'antan qui faisaient vœu

De vaincre ou de périr ! Bon peuple ! Jehanne veut

Vous bénir tous !... Finis sont vos jours de souffrance !

— L'Anglais sera bouté hors de la doulce France !...

 

Envoi :

Bonne Lorraine, hélas ! quand crieront-ils : « Aux armes !..

Tes neveux du pays de l'Est, là-bas, un peu,

Dans la brume... Espérons ! car ta chère âme peut

Faire luire pour eux l'astre de la délivrance.

— Et bouter l'Allemand hors de la doulce France !...

 

Gaston Koutay

 

LA BOMBE

 

(Conte fantaisiste)

 

Les agents sont de braves gens

(Yon-Lug)

 

Hier soir à la sortie des ateliers, deux ouvriers se promenaient paisiblement sur le trottoir, causant entre eux et fumant leurs cigarettes.

Soudain l'un d'eux s'écria en s'adressant à son camarade « Mon vieux, avec Erness on a fait une bombe, une bombe à tout casser ! »

Un bon bourgeois recueillit avec effroi cette bribe de conversation et s'en alla la porter, aussi terrifié que s'il eût porté une marmite à renversement, à un sergot qui dormait à côté d'un bec de gaz. « Ils ont fait une bombe, ceux-là », fit-il, très pâle, au représentant de l'autorité qui ouvrit les yeux.

« Comment ça... Ils ont fait une bombe !... Les attentats a... narchistes vont reprendre... Gare à nous !... » s'éclata le sergot devenant violent. Et après avoir rassemblé une douzaine de ses camarades pris de peur comme lui, il arrêta avec toutes les précautions possibles les deux paisibles ouvriers qui se promenaient sur le trottoir causant entre eux et fumant leurs cigarettes. Et les deux infortunés ont couché au violon ; on les a relâchés au jour, il est vrai... Mais vous avouerez qu'il est un peu dur de passer une nuit sur la paille parce qu'on en a passé une autre à s'amuser... et faire la bombe.

 

Gaston Coûté.

 

CHANSON DE MESSIDOR

 

Dame (1) ! vois-tu les grands blés d'or

Sous les couchants de Messidor

Saillir longs et droits de la glèbe.

Ils ne sont pas encor si longs =

Que les flots de tes cheveux blonds

Où je cache mon front d'éphèbe.

 

Dame ! écoute la voix du vent

Dont l'aile caresse en rêvant

Une par une chaque tige.

Elle est moins vibrante d'émoi

Que ta chanson qui fait en moi

Courir des frissons de vertige.

 

Dame ! regarde voltiger

Les abeilles en l'air léger

Et se reposer sur les roses.

Leur miel plein d'arôme est moins doux

Que le baiser pris à genoux

Sur tes lèvres fraîches écloses.

 

Dame ! en ton geste noble et lent

Cueille un coquelicot sanglant

Pour l'épingler sur ta poitrine.

Il est moins rouge que mon coeur

Quand ton rictus aigre et moqueur

Le met en doute ou le chagrine...

 

(1) Chère (variante)

 

Août 1897.

 

LA CHANSON DU GUI

 

Le soir étend sur les grands bois

Son manteau d'ombre et de mystère ;

Les vieux menhirs, dans la bruyère

Qui s'endort, veillent, et des voix

Semblent sortir de chaque pierre.

L'heure est muette comme aux temps

Où, dans les forêts souveraines,

Les vierges blondes et sereines

Et les druides aux cheveux blancs

Allaient cueillir le gui des chênes.

 

Réveillez-vous, ô fiers Gaulois,

Jetez au loin votre suaire

Gris de la funèbre poussière

De la tombe et, comme autrefois,

Poussez votre long cri de guerre

Qui fit trembler les plus vaillants,

Allons, debout ! brisez vos chaînes

Invisibles qui vous retiennent

Loin des bois depuis deux mille ans.

Allez cueillir le gui des chênes.

 

Barde, fais vibrer sous tes doigts

Les fils d'or de la lyre altière,

Et gonfle de ta voix de tonnerre

Pour chanter plus haut les exploits

Des héros à fauve crinière

Qui, devant les flots triomphants

Et serrés des légions romaines

Donnèrent le sang de leurs veines

Pour sauver leurs dieux tout puissants

Et le gui sacré des grands chênes.

 

Envoi

Gaulois, pour vos petits-enfants,

Cueillez aux rameaux verdoyants

Du chêne des bois frissonnants

Le gui aux feuilles souveraines

Et dont les vertus surhumaines

Font des hommes forts et vaillants.

Cueillez pour nous le gui des chênes.

 

Copie d'une production polycopiée portant le cachet du lycée d'Orléans en date du jeudi 17 décembre 1896 - Seconde moderne.

 

 

COMME LES GAULOIS

 

à Da Costa

 

Partout, sans cesse, on nous reproche

D'aimer trop l'amour et le vin.

Si notre cœur n'est pas de roche

Pour les filles au corps divin,

Si nous remplissons notre verre

Pour le vider souventes fois,

Français ! nous n'y pouvons rien faire

Car c'est de la faute aux Gaulois.

 

Les vieux Gaulois, nos joyeux frères,

Pour se reposer des combats

Faisaient en leurs sombres repaires

Les plus gais festins d'ici bas

Dont les bruits aux ailes légères

Aient jamais rempli les grands bois...

Nous sommes les fils de nos pères !

Nous sommes les fils des Gaulois !

 

En leurs coupes la Vierge blonde

Versait l'hydromel à pleins bords,

Et chacun buvait à la ronde

Le nectar que buvaient les morts,

Au Walhala grave, en des crânes

Pour récompenser leurs exploits...

Et nous !... par respect pour leurs mânes

Nous faisons comme les Gaulois !

 

Le barde chantait sur sa lyre

Les passes d'armes et d'amour

Que les convives en délire

Racontaient chacun à leur tour :

Et l'ombre magique et sonore

Redisait l'écho de leurs voix...

Qui trouve mal qu'on fasse encore

Ce que faisaient les vieux Gaulois ?

 

Maintenant, si l'on nous reproche

D'aimer trop l'amour et le vin,

De n'avoir pas un cœur de roche

Pour les filles aux corps divin,

Et d'emplir aussi notre verre

Pour le vider souventes fois

Qu'ils aillent se faire lanlaire

Ceux qui nous trouvent trop... Gaulois !

 

Moulin de Clan, août 1897.

 

DANS VOS YEUX

 

Dans vos yeux

J'ai lu l'aveu de votre âme

En caractères de flamme

Et je m'en suis allé joyeux

Bornant alors mon espace

Au coin d'horizon qui passe

Dans vos yeux.

 

Dans vos yeux

J'ai vu s'amasser l'ivresse

Et d'une longue caresse

J'ai clos vos grands cils soyeux.

Mais cette ivresse fut brève

Et s'envola comme un rêve

De vos yeux.

 

Dans vos yeux

Profonds comme des abîmes

J'ai souvent cherché des rimes

Aux lacs bleus et spacieux

Et comme en leurs eaux sereines

J'ai souvent noyé mes peines

Dans vos yeux.

 

Dans vos yeux

J'ai vu rouler bien des larmes

Qui m'ont mis dans les alarmes

Et m'ont rendu malheureux.

J'ai vu la trace des songes

Et tous vos petits mensonges

Dans vos yeux.

 

Dans vos yeux

Je ne vois rien à cette heure

Hors que l'Amour est un leurre

Et qu'il n'est plus sous les cieux

D'amante qui soit fidèle

A sa promesse... éternelle

Dans vos yeux.

 

Pierre Printemps (1897).

 

 

DE L'INFLUENCE QUE PEUT AVOIR UN SIMPLE PALMIPEDE SUR LES OPINIONS POLITIQUES D'UN BRAVE RENTIER

 

Vous ne l'avez pas connu, vous, Monsieur Patafiol ? C'est regrettable, car il vous aurait paru, certes, très intéressant, surtout quand il développait ses théories (aussi changeantes que les figures d'un kaléidoscope) sur la question sociale.

C'était du reste un bien brave homme, et je puis vous certifier que, dans le cours de sa longue existence, il n'a jamais fait un centime de tort à son prochain (qu'il s'est toutefois bien gardé d'obliger). C'était le vrai type du petit rentier égoïste. De plus — il ressemblait en cela à bon nombre de nos politiciens fin de siècle — il avait le privilège de changer d'opinions aussi facilement que de chemises, qu'est-ce que je dis là ?, aussi facilement, c'est une manière de parler, car Madame Patafiol, pour restreindre les frais de blanchissage, ne lui donnait une chemise propre qu'une fois par mois, le dimanche où il la conduisait à la grand'messe, et à de telles conditions vous ne vous étonnerez pas que souvent le brave homme tournait sa veste avant d'avoir changé de linge sale.

A l'époque où il fut victime d'une petite aventure que je m'efforcerai de vous conter, il était abonné à un certain « Courrier... », organe de l'évêché, journal quotidien politique, littéraire (oh! combien...), agricole, industriel et financier, et naturellement le brave homme « tombait » toujours du même avis que «son» journal. Il glorifiait bien haut l'évêque et sa suite, accusait les républicains d'avoir fraudé aux dernières élections, et au besoin les traitait du haut en bas.

Mais on ne peut pas toujours invectiver les gens du matin au soir, c'est un métier qui devient fatigant. M. Patafiol choisit comme autre genre de distraction la pêche à la ligne. Tous les après-midis, il se rendait au bord du ruisseau, un peu « au-dessus » du moulin, et là, se livrait à l'attrayant plaisir de tremper du fil dans l'eau. Il s en nait régulièrement bredouille car les poissons étaient aussi rares à l'endroit qu'il avait choisi (permettez-moi la comparaison) que les cheveux sur sa tête, ce qui n'est pas peu dire, le brave homme ayant le dessus du crâne aussi nu, aussi poli, que la face postérieure d'un quadrumane.

Or un beau jour il vint à sa place habituelle, s'assit sur l'herbe comme de coutume, assujettit ses lunettes sur son nez, amorça avec un ver de terre, jeta sa ligne au beau milieu de la rivière, tira son journal de sa poche, jeta un coup d'œil sur une bande de canards dont les plongeons troublaient la tranquillité de l'onde, et se plongea lui-même dans la politique.

Son journal avait le monopole d'être très intéressant, des fois... pas toujours (il serait plus exact de dire : pas souvent). Justement, ce jour-là il était encore plus vide de faits et plus mal rédigé que de coutume, si bien que, la chaleur aidant, notre homme ne tarda pas à s'endormir, laissant échapper des ronflements d'ogre ou d'orgue (comme il vous plaira). Il lâcha sa ligne qui s'en alla à la dérive, le fil s'accrocha dans les nénuphars, le ver revint à la surface.

Aussitôt, un canard, par l'odeur alléché, se précipita goulûment (la sale bête) sur l'infortuné lombric qu'il avala d'une seule bouchée, puis, satisfait de son aubaine, il voulut ner vers ses compagnons, mais il ne put, et pour cause, il avait avalé l'hameçon.

Le réveil fut triste. M. Patafiol, en se frottant les yeux, aperçut le meunier (son plus grand ennemi politique), qui accourait vers lui, criant, la face pourpre de colère « Espèce de feignant ! Faut pus t'gêner. Si tu veux que j't'aide à prend' mes canards à la ligne ! »

M. Patafiol, forcé de s'incliner, fit des excuses, paya le malheureux volatile dont on ne put extraire l'hameçon ancré dans les intestins, et tout en s'en allant la tête basse par les sentiers fleuris, sa sainte bouche prononça une bordée d'injures à faire rougir le plus mal embouché des francs-maçons, contre un N... de D... de journal qui l'avait endormi.

Quelque temps après, il remplaça la feuille de l'Evêché par le « Radical », chauffa la candidature aux élections municipales du meunier aux canards (maintenant son ami sur le terrain politique) et ne conduisit plus Madame Patafiol à la messe... jusqu'à ce qu'un nouveau revirement s'opérât en lui.

Et il est mort, trois ans après, le cher homme, après avoir changé cinq fois encore d'opinions politiques. Pour un mois ou deux je crois que le Bon Dieu aurait dû le laisser vivre jusqu'à la demi-douzaine.

 

LE DEUIL DU MOULIN

 

Le vieux meunier dort, au fond d'un cercueil

De chêne et de plomb, sous six pieds de terre,

Et, dans le val plein d'ombre et de mystère,

Le moulin repose en signe de deuil.

 

La nuit a drapé ses murs de longs voiles

Crêpes aux plis noirs et silencieux,

Et sur le velours funèbre des cieux

Roulent des pleurs d'or tombés des étoiles.

 

La voix du vent dit, dans les roseaux roux,

Un hymne au bon Dieu pour la paix de l'âme

Du défunt, et l'onde égrène sa gamme,

Lente comme un glas, sur de gros cailloux.

 

Les saules ont mis leurs branches en berne

Au bord du ruisseau, dans l'obscurité,

Et le sentier même est comme attristé

Par l'air douloureux et lourd qui le cerne.

 

Et le vieux moulin, le pauvre moulin

Dont le maître est mort un matin d'automne,

Gît parmi les champs, sous la lune atone,

Seul et délaissé comme un orphelin.

 

Gaston Koutay

Meung-sur-Loire, mars 1897

Revue littéraire et Sténographique du Centre, n° 8, du 8 avr l 1897

 

DEUXIEME LETTRE OUVERTE A M. LE CURE DE MEUNG

 

Monsieur le Curé,

Je ne suis pas précisément de vos fidèles les plus pratiquants et vous ne me voyez pas souvent assister à la messe, me confesser, communier à la sainte table, mais malgré la divergence de nos idées sur l'opération du Saint-Esprit, vous me permettrez néanmoins de publier un plaidoyer en votre faveur.

Figurez-vous que de mauvaises langues veulent vous faire passer pour cabaretier et prétendent que dans votre « Cercle Saint-Joseph » vous vendez des bouteilles de bière et de limonade.

Si le fait était vrai, comme vous ne payez point patente, vous feriez ainsi aux débitants du pays une concurrence dont ils auraient droit de se plaindre.

Je ne peux pas souffrir qu'une pareille accusation pèse sur vous, car je sais que vous vous désintéressez des biens matériels d'ici-bas ; vous n'aimez ni l'argent, ni les profits, ni les petits cadeaux (à moins qu'ils n'aient pour but d'entretenir l'amitié) et à vous tout seul, vous surpassez Job et saint Martin.

Je m'inscrirai toujours en faux contre ceux dont l'audace prétend que vos petites soirées du « Cercle Saint-Joseph » vous rapporte bon an, mal an, une somme assez rondelette. J'irai même jusqu'à dire que vous payez des droits à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques pour les pièces que l'on joue sur votre scène.

Une chose cependant m'intrigue et je vous la dirai aussi franchement que si j'étais dans l'ombre sainte du confessionnal : Pourquoi changez-vous parfois les titres et modifiez-vous le texte des pièces en question ? Il est probable que vous ne manquez pas d'en avertir les auteurs en leur expédiant par mandat-poste, le montant de leurs droits. Quant à la sortie de vos spectacles, si les jeunes gens et les jeunes filles entretiennent des conversations en regagnant nuitamment leurs demeures, c'est certainement sur le Saint-Rosaire et autres sujets pieux que portent leurs dialogues.

D'ailleurs, Monsieur le Curé, ne leur prêchez-vous pas l'exemple de toutes les vertus ? Vous qui êtes de ceux qui marchent bien heureux, chastes et immaculés dans la voie du Seigneur : Beati et immaculati qui ambulant in via Domini.

Quand on mène, comme vous, M. le Curé, une vie d'abnégation et d'ascétisme, on n'entasse rien dans son coffre-fort : heureusement que vous n'avez pas de filles à doter ni de fils à caser.

Après cette apologie de votre personne et de votre caractère, je puis bien risquer une remarque sans méchanceté : Je trouve que votre costume de curé avec large chapeau et ample manteau, donne trop beau jeu aux mauvais plaisants qui vous accusent déjà de tenir un cabaret et qui vous comparent au fameux chansonnier Aristide Bruant, ancien seigneur du « Mirliton ».

Il est vrai que, si vous aviez sa cravate rouge et ses larges bottes, vous lui ressembleriez un peu tout de même, Monsieur le Curé.

J'espère que vous me pardonnerez volontiers cette plaisanterie, à moi qui, sur tous les autres points, me suis fait votre avocat, sans même vous demander d'honoraires. Agréez, Monsieur le Curé, etc.

 

Revue littéraire et Sténographique du Centre, n° 8, du 8 avr l 1897

 

LES ECUS DE LA VIEILLE

 

(Comédie en un acte de Gaston COUTE)

 

La mé Rapiat

Le pé Rapiat

La vieille tante

Le maître Narcisse    

 

La scène représente une vaste cuisine de campagne. C’est Dimanche. — La famille Rapiat vient de finir de déjeuner. La fille est montée dans sa chambre pour faire sa toilette ; la mé dessert la table et cause avec le pé qui fume sa pipe ; la vieille tante reste immobile sur sa chaise, les yeux bestialement rivés au fond de son assiette vide.

Au moment où le rideau se lève, on voit Julie ouvrir une porte et disparaître.

 

Le pé Rapiat

Dis donc la mé, où donc que c’est qu’est partie Julie ?

 

La mé Rapiat

Je crois ben qu’alle a été faire un brin de toilette parce que le gâs au maître Narcisse doit venir la chercher ce soir pour aller au bal.

 

Le pé Rapiat

Ah ! Ah !... Tiens mais, comme je vois, ça fait mine de marcher les amours. Le gâs en pince pour not’fille, y a pas de doute, et dam ! not’fille…

 

La mé Rapiat

… M’étonnerait pas qu’alle en pince itou pour le gâs !

 

Le pé Rapiat

Bah ! laisse donc faire, c’est ce qui nous faut.

 

La mé Rapiat

Ben sûr que c’est ce qu’i’nous faut.

 

Le pé Rapiat

Ça n’a pas l’air d’être un mauvais garçon ; on le dit seulement un peu dur comme ça avec les domestiques mais bah ! quand même que ça serait vrai, quoi que ça peut faire : pour qu’une femme soit heureuse en ménage, faut que son homme la batte de temps en temps, pas vrai, la mé ! Et pis tout ça c’est ren, c’est négligeable ; cé qu’est à regarder de pus près c’est que son père est le pus riche fermier de cheu nous.

 

La mé Rapiat

Le pus riche !... ah oui, l’pus riche !... Persounne saurait dire comben qu’il l’est. Il a un champ à côté de celui à Pierre, il en a un autre à côté de c’ti-là à Jacques, il en a un à côté de celui à tout le monde, il en a partout !

 

Le pé Rapiat

Et pis, tu parles de la terre ! Je veux ben que c’est que’qu’chose déjà, mais a’n’hui que ça a ben pardu de sa valeur faut considérer que c’est le moindre de tout ce qu’i’possède, le bonhom’. Il a des maisons d’éparpillées dans tout le bourg ; il a dans son coffre… ah dam ! ça je le savons pas, mais je sommes certains que y en a pus que dans le nôtre… et des actions su’les chemins de fer…

 

La mé Rapiat

Et des héritages à faire…

Le pé Rapiat

Mais voui, tiens encore, je songeais pas à ça… Ah bon Dieu !... si jamais on peut la caser là, not’Julie, a pourra se vanter d’être chouettement casée.

 

La mé Rapiat

Oui mais, ça sera pour en arriver là que ça sera peut-être pas commode… On dit le maître Narcisse un peu regardant, un peu près de ses intérêts et dam ! pourrait ben se faire qu’i’ne se laisse pas faire tout seul !

 

Le pé Rapiat

Je sais ben, je sais ben ! mais il est fin, va, le bonhomme. Il est comme nous, i’s’attend… i’… i’compte sur autre chose que sur ce que je donnons à not’fille. I voit ben que si on s’est donné le mal d’avoir recueilli eune vieille cruche de tante, qu’on l’héberge, qu’on la soigne comme un p’tit enfant, qu’on la traite quasiment comme si c’était not’mère, ça doit pas être pour des prunes…

 

La mé Rapiat

… Mais pour ses écus parce qu’alle en a, elle aussi, la vieille !... Ah ! le jour oùs qu’a’claquera… (se rapprochant de la vieille ; portant à sa bouche ses deux mains en forme de porte-voix et criant à tue-tête tout en s’efforçant d’adoucir ses paroles). Dites donc, hé ! ma tante, v’avez l’air d’avoir froid, si vous v’lez que je vous fasse un peu de feu.

 

La vieille

Non va ;  t’es ben gentille de songer à moi, mais c’est pas la peine : quand la fin arrive, y a pas de feu qui fasse, on a toujou’ froid.

 

La mé Rapiat (s’éloignant et reprenant sa voix naturelle) Bon ! Bon !... tant mieux… ça sera de l’ouvrage de moins. A’m’en donne assez comm’ça, la vieille bête. Alle est sourde comme un pot depuis eun’an qu’alle est avec nous ; ça l’a pris comme eune tape le jour oùs qu’alle est rentrée. J’avons fait venir le médecin qui nous a ben pris quarante bons sous pour nous dire que y avait ren à faire, que c’était la vieillesse, qu’on pouvait pas guérir de ça… Ca m’n’est eune charge que de l’avoir su’le dos, celle-là. Heureusement qu’à présent la v’la ben mal, alle est à la fin comme a’disait tout à l’heure et c’est pus qu’eune quesquion de jours ; et dam !... sitôt qu’a sera enterrée, nous autres je pourrons aller déterrer ses écus : derrière son linge, dans son ormoire… C’est là la cachette.

 

Le pé Rapiat

Mais en attendant, je sommes toujours point sûrs qu’a’ nous a mis su’ le testament.

 

La mé Rapiat

Non mais, voyons si a’ ne nous mettait pas qui donc que c’est que tu voudrais qu’a’ mette.

 

Le pé Rapiat

C’est vrai, je ne vois personne, je pouvons dormir tranquille. Alle a pus pas un parent… excepté nous autres. (On frappe à la porte.)

 

La mé Rapiat

Entrez ! (Paraît le maître Narcisse.)

 

Le pé Narcisse

Bonjour la compagnie !

 

La mé Rapiat

Salut, maître Narcisse que’ bon vent vous amène, prenez donc eune chaise.

 

Le pé Rapiat

Hé la mé ! va donc nous tirer eune chopinée de vin ; v’allez voir ça maître Narcisse, c’est du nouvieau. Je m’en vas vous y faire goûter. (Les deux hommes sont alors assis à table, l’un en face de l’autre.)

 

Le pé Narcisse

Je veux ben après tout parce que ça fait jamais de mal, mais je suis pas venu exprès pour goûter ton vin nouvieau. Voyons, parlons sérieusement ; tu t’es pas aperçu de que’qu’chose toi ?

 

 

Le pé Rapiat

Moi !... non !... pourquoi ?... de ren !

 

Le pé Narcisse

En ben, moi , je me suis aperçu que t’as eune fille qui plaît bougrement à mon gâs, la preuve c’est qu’on les voit souvent, même un peu trop souvent ensemble, ce qui fait jaser le monde. Et comme mon gâs arrive du service, qu’il a besoin d’eune femme pour s’établir je te viens demander ta fille… pour li… et de sa part. Ça sera un moyen de renouer nos liens de parenté, parce que j’avons été parents dans un temps. La vieille tante qu’est là, eh ben ! alle était cousine par sa mère avec défunt la mienne. Seulement le gâs, il est jeune encore, il ne sait pas ce que c’est que l’intérêt ; il se sait avoir quelque chose et y ne regarde pas si en se mariant avec ta fille, i’ ne va pas faire eune mésalliance.

Moi, je veille là-dessus.

Voyons ; dis-moi si t’es dans le dessein de donner ta fille à mon gâs, et dans ce cas-là comben que tu dois y donner.

 

Le pé Rapiat

Heu !... Heu !... ça demande réflexion. (A la mé qui rentre et pose la chopine pleine sur la table.) Dis donc la mé ! tu te doutais-t-y pas de ça, toi ? V’là le maître Narcisse qui vient me demander Julie en mariage pour son garçon… Quoi que t’en penses ?...

 

La mé Rapiat (d’un air désintéressé)

Hélas, mon Dieu !... si c’est les jeunes qui le veulent, moi je demande pas mieux.

 

Le pé Rapiat

Moi, j’y mets pas d’empêchements non plus (servant à boire et buvant). Tenez maître Narcisse, j’allons boire un coup d’abord, je voirons plus clair dans nos affaires, après… A vot’santé !

 

Le pé Narcisse

A la tienne Rapiat… Voui mais, c’est pas ça, tu me dis toujou’point comben que t’y donnes à ta fille… Voyons, faudrait tout de même s’entendre.

 

Le pé Rapiat

Dam ! écoutez maître Narcisse, j’ai que c’t’enfant-là, j’peux faire un sacrifice ; j’y donnerai… et la grande vigne qui fait suite à vot’champ de betteraves, de l’autre côté du bourg.

 

Le pé Narcisse

T’y donnes que ça. Bon Dieu ! C’est guère. Pense donc, moi je donne à mon gâs… et… arpents de terre, y en a eune différence, c’est énorme !... Je suis comme qui dirait en perte dans ce marché-là.

 

Le pé Rapiat

Dam ! maître Narcisse, écoutez encore que je vous dise. De ce moment v’là tout, mais tout ce que je peux donner, seulement… dans que’que temps d’ici je pourra donner à ma fille presque autant que vous donnez à vot’gâs.

 

Le pé Narcisse

Et comment que tu feras ?

 

Le pé Rapiat

Eh ben !... et la vieille tante, pourquoi donc qu’a’compte ? Alle en a assez, alle en a des écus. (Renouvelant le même manège que la mé.) Hé la tante ! Vous v’lez boire un coup avec nous ?...

 

La vieille

T’es ben gentil, mais je te remercie, j’ai pas soif.

 

Le pé Rapiat (reprenant sa voix naturelle)

Bon ! Bon !... Tant mieux, vieille bougresse, je l’aurons de reste. Tu nous uses assez comme ça. C’est des visites du médecin, c’est des remèdes du pharmacien, c’est… ça n’en finit pas !... Ah la vieille ! Allez maître Narcisse, le jour de sa mort, ça sera le premier jour de sa vie ous qu’a’ nous aura été utile…

… Ca s’ra un bieau jour itou pour nous.

 

Le pé Narcisse

Voui mais, voyons, c’est pas tout, quoi qu’on décide ?

 

Le pé Rapiat

Eh ben mais, ça ne tient qu’à vous. Marions-les tout de suite, le pus tôt sera le mieux parce que si l’on attend trop longtemps avant que de faire la noce et que la vieille vienne à claquer pendant ce temps là, faudra commencer par l’enterrement, et puis après, faudra porter le deuil pendant six mois, parce que c’est eune question de convenances, encore ça ; si on ne le faisait pas on trouverait à redire sur not’compte et faut point de ça… Faisons donc pas traîner les choses en longueur… et sitôt que  la vieille sera passée, eh ben ! je rajouterai à la dot de ma fille ce qui y manque pour qu’a’ soit assez grosse (pas ma fille, la dot quoique après tout la fille pourrait ben l’être aussi à ce moment-là).

 

Le pé Narcisse

Eh ben, à ces conditions-là je veux ben, allons pé… On va prévenir les enfants et pis on va passer chez le notaire.

 

La vieille

Eh !... eh !... où donc qu’v’allez ?... chez le notaire… Ecoutez donc avant que je vous parle de mon testament à tous les deux !... Hé Rapiat !...

 

Le pé Rapiat (à part)

Ah ben bon Dieu !... ah ben !... a’ m’a entendu !... ah ben !... alle est donc pus sourde ! (A la vieille.) Eh ben, ma tante, v’êtes donc pus sourde.

 

La vieille

Mais, mon neveu, je l’ai jamais été.

 

Le pé Rapiat (à part)

Ah ben !... en ce cas, c’est du joli.

 

La vieille

Non, j’ai jamais été sourde ; j’ai encore bon pied, bon œil… et bonne oreille par dessus le marché, ce qui fait que je n’ai pas laissé échapper toutes les mauvaises choses que t’as dit de moi : et je suis pas encore si près de claquer que t’avais l’air de le croire tout à l’heure, va, sois tranquille. « Ah la vieille bête !... » comme tu disais, alle est pas encore si bête que tu croyais, tiens !

 

Ah ! mon Rapiat tu viendras te moquer des anciens jusque sous leu’nez, toi ! Ah ! tu guetteras l’heure de ma mort pour avoir mes écus, toi ! eh ben ! je vas t’ôter c’te peine là, moi. Mes écus !... tu peux te fouiller mon vieux si t’as des poches. Mes écus… tiens, je n’ai pus ren qu’un parent de ben loin que je viens de me connaître tout à l’heure et qu’en a pas besoin de mes écus, eh ben !... c’est li qui va les avoir… V’entendez ben Narcisse, v’êtes mon héritier, v’allez m’emmener cheu vous ; je veux pus rester ici… Allons-nous en tout de suite… Vous reviendrez après pour signer le contrat si le cœur vous en dit.

 

Le pé Narcisse

Le contrat !... quoi faire à présent, c’est pus la peine… Tiens Rapiat, tu vois, le mariage n’est pus possible… Tu comptais su’la succession de ta tante pour amortir la différence que y aurait eu entre la dot de ta fille et celle de mon gâs… et c’est moi qui l’ai, la bougre de succession ! quoique j’y comptais pas, c’est vrai qu’on dit toujours que le bien vous vient en dormant…

C’est pus possible à présent !

 

Le pé Rapiat

Hein !... Ah ben !... c’est comme ça que t’arrange ça, toi, espèce de canaille, sale cochon ! Tu viens me voler eune succession… et pis tu veux pus de ma fille, fripouille.

 

Le pé Narcisse

(suivant la vieille qui s’en va, des paquets sous le bras)

Ha ! Ha ! Ha ! voyons Rapiat je pouvons tout de même pas tout te prendre, t’aurais été trop malheureux après. J’avons à choisir ; j’ai pris ce qui me plaisait le mieux : l’argent de ta tante, et je te laisse ta fille… sans argent !... Au revoir !...

 

Le pé Rapiat (à la mè qui se lamente)

Ah ben ! Nom de Dieu !... N’en v’là d’un tour… la vieille saleté !... Qui qu’aurait jamais cru ça d’elle ?...

 

Pierre Printemps

Moulin de Clan, août 1897

 

N. d. E. : Ce texte jusqu’ici inédit nous a été  communiqué par un de nos lecteurs que nous remercions.

 

 

GUEUX

 

Un soir d'hiver, quand de partout,

Les corbeaux s'enfuient en déroute,

Dans un fossé de la grand'route,

Près d'une borne, n'importe où

Pleurant avec le vent qui blesse

Leurs petits corps chétifs et nus,

Pour souffrir des maux trop connus,

Les gueux naissent.

 

Pour narguer le destin cruel,

Le Dieu d'en haut qui les protège

En haut de leur berceau de neige

Accroche une étoile au ciel

Qui met en eux sa chaleur vive,

Et, comme les oiseaux des champs,

Mangeant le pain des bonnes gens

Les gueux vivent.

 

Puis vient l'âge où, sous les haillons,

Leur cœur bat et leur sang fermente,

Où, dans leur pauvre âme souffrante,

L'amour tinte ses carillons

Et dit son éternel poème ;

Alors blonde fille et gars brun,

Pour endolir leur chagrin

Les gueux s'aiment !

 

Mais bientôt, et comme toujours,

— Que l'on soit riche ou misérable —

L'amour devient intolérable

Et même un poison à leurs jours,

Et sous tous leurs pas creuse un gouffre

Alors, quand ils se sont quittés,

Pour les petits qui sont restés

Les gueux souffrent !

 

Et, quand le temps les a fait vieux,

Courbant le dos, baissant la tête

Sous le vent qui souffle en tempête,

Ils vont dormir un soir pluvieux,

Par les fossés où gît le Rêve,

Dans les gazons aux ors fanés,

Et — comme autrefois ils sont nés —

Les gueux crèvent !...

 

Meung-sur-Loire, le 19 août 1898

Revue Littéraire et Sténographique du Loiret, n° 17, du 20 août 1898

 

 

LE GUEUX DES GRANDES ROUTES

 

 

Hélas ! Combien de fois l'avons-nous rencontré sur notre chemin, ce pauvre hère que le peu charitable jugement des hommes taxe souvent de lâcheté et de paresse !

La plupart du temps, ouvrier sans ouvrage et parfois sans famille, il va, de ville en ville, à la recherche d'un emploi, d'une place, mais une sorte de discrédit est jeté sur lui : on ne le connaît pas, et par cela même on est tout disposé à lui supposer des vices qu'il n'a pas (pris), du reste, pauvre gueux ! Il a ordinairement une mine si peu encourageante avec ses vêtements fripés, ses souliers troués, sa barbe hirsute, son visage blême où la misère a déposé une expression de tristesse méfiante et dure. Partout on refuse ses services. Alors après maintes tentatives infructueuses, il s'en va, découragé et la mort dans l'âme, il marche devant lui au *hasard, sur la grande route poudreuse ou blanche de neige, moderne juif errant, condamné par la loi immuable et cruelle de la Fatalité.

Au printemps, quand la violette fleurit dans les haies et sur les talus des fossés, quand les premières feuilles paraissent, plaquant de vert tendre les carcasses brunes des arbres de la route, quand l'oiseau chante, quand tout est gai dans la nature, lui seul est triste, et comment peut-il en être autrement ? Comment l'homme (je parle de l'homme de cœur) peut-il être joyeux quand il en est réduit pour vivre à tendre la main ?

Mais aux approches des mauvais jours, sa mélancolie se transforme en une tristesse plus sombre et plus noire encore. Oh, l'hiver ! oh, la saison morne et grise I C'est elle qui recevra les derniers soupirs de ce miséreux. Ses jours brumeux et ses nuits glaciales l'auront tué. Oh, l'hiver ! quand vient le soir, pendant que nous veillons dans une salle bien chaude, il est là, lui, sur la grand'route, blotti dans un fossé, au long d'un mur, au pied d'une borne, n'importe où. La bise aigre lui fouette le visage et pénètre au travers de ses haillons. La neige tombe et

amoncelle autour de lui sa ouate qui glace et paralyse, le couvre, l'enveloppe de ses draps blancs comme le linceul, froids comme la mort.

Là-haut les étoiles scintillent. Quand le matin terne et blafard aura pris leur place, un voyageur matinal le trouvera étendu, sans mouvement, sans vie, les membres tordus et bleus par le froid. Oh ! la triste existence. Oh ! le triste trépas.

Et dire qu'ils sont comme cela des mille et des mille en France qui meurent de cette mort, vivent de cette vie, se nourrissent de l'air des champs et de pain mendié, sans avoir d'autre domicile, sans même avoir d'autre patrie que la grand'route.

 

Septembre 1896

Etude qui donnera naissance au poème : « Sur la grand’route »

 

 

IDYLLE ROUGE

 

Le chemineux s'est dit : « Je veux

Cette jouvencelle aux cheveux

D'aurore blême ».

Mais la jouvencelle a du bien

Tandis qu'est gueux, gueux comme un chien

Le gâs qui l'aime !

 

Et la belle, aux riches galants

Seuls ! ouvrira les rideaux blancs

De son alcôve ;

Elle course le miséreux...

Alors, par les chemins poudreux,

Le gâs s'ensauve !

 

Errant le jour, de ci de là

Il geint, et la nuit lorsque la

Lune pâlotte

L'éveille au fond de son fossé,

Laissant saigner son cœur blessé

Le gâs sanglotte.

 

Dans l'ombre des vieux cabarets

Où le vin, des pichets de grés

A grands flots coule,

Il va se reposer un brin

Et, pour oublier son chagrin,

Le gâs se saoule !

 

Enfin, il vient de faire don

De sa raison aux femmes dont

L'amour s'achète.

Il va par les quais, triste et seul...

Le grand fleuve ouvre son linceul...

Le gâs s'y jette...

Meung-sur-Loire, 5 août 1898

Progrès du Loiret, n° 8, du 11 août 1898

 

 « J'EN AURAI LE CŒUR NET !... »

 

(Conte fantaisiste)

 

A ceux qui se disent trop vieux pour apprendre la sténographie

 

Elle allait avoir dix-huit ans, la demoiselle au maître Belaud, le fermier de la Bousie.

Elle venait de sortir de pension emportant de là son inévitable brevet et, sans posséder ce qu'on peut appeler des connaissances sérieuses, c'était une petite personne d'un esprit assez agréablement cultivé.

Le pé Belaud, qui avait perdu sa femme et n'avait plus que cette fille-là, la traitait en véritable enfant gâtée. Il lui avait acheté un piano dont elle tapotait gentiment-peut-être un peu plus souvent que les gens de la maison en avaient besoin ; il lui laissait prendre des leçons de dessin et passait par toutes ses fantaisies... Ah ! j'allais oublier quelque chose et quelque chose de très important : la demoiselle faisait aussi de la sténographie.

Elle allait avoir dix-huit ans (je l'ai déjà dit, mais mieux vaut deux fois qu'une) et ses grands yeux noirs, qui flam¬baient comme des braises lorsqu'ils rencontraient ceux d'un gars, semblaient en dire plus long qu'on ne le pensait.

Mais cependant, on ne lui supposait pas encore d'amoureux... on se trompait !

Un jour, le facteur apporta une lettre à l'adresse de la jeune fille « Mlle Berthe Belaud ». Celle-ci s'empressa de la lui prendre des mains et se sauva pour aller la lire dans sa chambre. Comme elle était occupée à cette intéressante... besogne, son père entra : « Tiens, quoi que tu fais donc là, Berthe ?

Tu vois bien, papa, c'est une ancienne camarade de pension qui vient de m'écrire.

Ah !... » fit le vieux et, curieux comme une dévote, incrédule comme saint Thomas, il s'approcha dans l'espoir de pouvoir lire un peu, sans en avoir l'air... ; mais, va au diable ! la lettre était écrite d'un bout à l'autre en sténographie.

Alors, il s'éloigna mécontent et grognant entre ses dents : « Tout ça n'est pas clair, des « hiérogriffes », comme ça, on n'y comprend goutte... ça fait rien, j'en aurai le cœur net. »

Et dès ce jour, le bonhomme, à la tête aussi dure qu'une souche de vigne, se mit à étudier la sténographie en cachette. Avec un entêtement rageur, un journal sous les yeux, un bout de crayon à la main, il se mit, lui qui n'écrivait qu'avec beaucoup de difficulté, à tracer des signes, à combiner des sons pour faire des mots et, au bout d’une semaine, il était capable de lire en ânonnant ; mais il pouvait lire.

Sur ce, une nouvelle lettre arriva... toujours au nom de sa fille ! Ce fut lui qui la reçut, il brisa l'enveloppe, tira le billet et le déplia : toujours de la sténographie ; Enfin, il lut :

 

« Ma mignonne,

Si tu savais comme je m'ennuie à la caserne et comme je souffre loin de toi. Enfin, heureusement que l'heure va bientôt sonner où je pourrai te presser de nouveau sur mon cœur et te dire de vive voix : « Ma petite Berthe, je t'aime... ».

Je pense qu'il serait indiscret pour nous autres de vouloir connaître la suite et, du reste, qu'y apprendrions-nous de bien intéressant ? Cette lettre n'échappait pas à la sublime banalité des missives amoureuses.

Alors le pé Belaud, malin comme un vieux renard, alla porter ce précieux billet à sa fille :

«Hé Berthe!... Berthe!... Ta camarade qui t'a écrit... seulement c'est encore en géo... en stén... o... en sténographie. Lis-m'en un petit bout, je serais curieux de voir comment qu'on peut comprendre quelque chose à ça ? ». La jeune fille, très embarrassée, en prit pourtant son parti et, inventant au fur et à mesure qu'elle parlait, elle lui lut une lettre supposée écrite par la supposée camarade.

Quand elle eut fini, tant bien que mal, rougissant et se troublant à chaque étape du mensonge qu'elle faisait, le vieux lui dit, un rire narquois sur la lèvre :

« Eh ben, tu sais pas, Berthe, j'ignore si ces petits signes-là ont deux sens ; mais, moi, v'ià ce qui me disent. > Et il relut la lettre... du soldat.

Après quoi, il s'en alla, joyeux, laissant la jeune fille toute confuse et lui pardonnant du fond du cœur en se disant : « Bah ! il faut ben que jeunesse se passe !... et pis, après tout, ça a encore eu un bon côté ; à présent, je sais la géo... lo... stén... o... la sténographie !... Mais ça me prouve aussi qui faudra que je marie la Berthe au plus tôt. »

 

Pierre Printemps

Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 18, du 5 septembre 1897

 

LE PAUVRE GARS

 

Il était une fois un gars si laid, si laid

Et si bête ! qu'aucune fille ne voulait

Lui faire seulement l'aumône d'un sourire ;

Or, d'avoir trop longtemps souffert l'affreux martyre

De ne pas être aimé lorsque chante l'amour,

Le pauvre gars s'en vint à mourir un beau jour...

On l'emmena dormir au fond du cimetière,

Mais, son âme, un Avril, s'échappa de la terre

Et devint une fleur sur sa tombe, une fleur

Qu'une fille cueillit et mit près de son cœur.

 

Moulin de Clan, octobre 1898

Progrès du Loiret, n° 70, du 12 octobre 1898

 

 

LA PAYSANNE

 

(dédiée aux gâs de Saint-Ay)

 

Paysans dont la simple histoire

Chante en nos cœurs et nos cerveaux

L'exquise douceur de la Loire

Et la bonté des vins nouveaux (bis)

Allons-nous esclaves placides,

Dans les sillons où le sang luit

Rester à piétiner au bruit

De chants guerriers et fratricides ?

 

Refrain

En route ! Allons les gâs !

Pour un nouvel été Marchons !

Marchons !

Semons le grain de la fraternité !

 

Sarclons les herbes parasites

Et que le chiendent soit brûlé !

Pour que ces racines maudites

N'étouffent plus le jeune blé ! (bis)

Arrachons à coups de science

L'erreur qui s'en vient infester

Les germes de la Vérité

Dans le champ de nos consciences !

 

Ne déversons plus l'anathème,

En gestes grotesques et fous,

Sur tous ceux qui disent : « Je t'aime »

Dans un autre patois que nous ! (bis)

Assez de sang, assez de larmes !

— De la joie et de la beauté ! —

Jetons hors de l'humanité

La gloire homicide des armes !

 

Soignons nos blés, soignons nos souches !

Que l'or nourricier du soleil

Emplisse pour toutes les bouches

L'épi clair, le raisin vermeil ! (bis)

Mais que tous les bras collaborent

vec le tendre soleil blond !

— Dans la ruche, pas de frelon

Qui la pille et la déshonore ! —

 

Saluons les vieux qui s'éteignent,

Et choyons leur dernier moment !

Ils ont lutté durant leur règne

A nous de lutter maintenant ! (bis)

Si la récolte s'est accrue

De ce que le père a pioché,

Il reste encore à défricher !

Poussons plus avant la charrue !

 

LE PETIT QUI PLEURE

 

Un gosse qui n'a pas sept ans

Chiale au sortir du vieux faubourg

Où ça sent la peine et l'amour.

Et je m'arrête, là longtemps :

Moi, dont le cœur saigne ce soir

Tout rouge, en un silence atroce.

Je m'arrête sur le trottoir

A regarder chialer ce gosse...

 

Refrain

Pleure, pleure mon petit gâs

Dis, pourquoi pleures-tu ? Pour rien !

Mais pleure : ça me fait du bien !

Pleure pour moi, qui ne peux pas !

 

 

LE PLUS VOLE DES DEUX

 

(Conte fantaisiste)

A mon ami Abel Renault.

 

Si nos gros fermiers beaucerons exploitent de larges domaines et possèdent pour la plupart, un bien large ventre qui ballotte sous leur blouse comme une barrique d'alcool qu'on dissimulerait pour passer à l'octroi, il en est très peu qui soient... larges, comme on dit. Il en est même si peu que, moi qui les connais tous, je n'en connais pas un seul auquel cette épithète puisse être applicable.

Ils sont tous aussi serrés... au moral, que certaines petites demoiselles le sont dans leur corset et si près de leurs intérêts, que de jeunes mariés ne le sont pas davantage, l'un de l'autre, la première nuit de leurs noces.

Et cependant, tous, excepté un et en comparaison de celui-là, ils peuvent passer pour des prodigues.

Oh ! mais celui-là, par exemple !... sa rapacité lui a joué... par l'intermédiaire de ses domestiques, un tour que vous n'hésiterez pas à qualifier de vilain tour, quand vous le connaîtrez.

Oyez plutôt.

Un beau jour, un beau jour qui fut le commencement de mauvais jours pour lui, il trouva quatre de ses poules étendues sur le flanc, à côté de son tas de fumier. « Zut !... » fait-il en donnant à cette exclamation une amplification que se refuse d'écrire ma chaste plume de jeune homme bien élevé.

« Quoi que ça veut donc dire ça ! v'la mes poules qui se mettent à crever à présent... oh !» Et ramassant les quatre cadavres, il s'en fut vers la cuisine de la ferme en se disant à part lui : « Je fais déjà comme ça une perte sensiblement sensible, c'est pas la peine de perdre davantage, du temps que je peux m'en dispenser. J'ai quatre poules crevées, quinze domestiques en bonne santé et qui cassent bien la croûte ; les domestiques mangeront les poules et du moins comme ça, si je sais pas comment que les sacrées volailles ont passées, je saurais par où qu'y passeront... » Les poules furent plumées, vidées, fricassées et servies aux domestiques qui les mangèrent sans dégoût...

Le lendemain, il trouva de même, quatre poules de « quervées ».

Le surlendemain encore !

Le sur-surlendemain toujours !

Et bien entendu, elles subirent toutes le même sort que les premières.

Alors pour enrayer l'épidémie, il fit venir le vétérinaire : celui-ci qui avait fait des études classiques avant d'entrer à Alfort, en perdit son latin et ne sut que lui réclamer trois francs pour prix de sa visite.

« Si c'est pas une maladie, c'est qu'y m'a jeté un sort ! » bougonna le vieux en payant.

Cà dura, comme ça un mois, puis, un soir qu'il se coucha, propriétaire seulement de quatre poules, fatalement ap¬pelées à ne pas voir le lever de l'aurore. C'était écrit !... Il ne put clore yeux, de la nuit, gémissant qu'il était sur ses pertes. Pertes, plus grandes, pour que c'en était, de faire manger de la charogne à ses domestiques, au risque de faire naître aussi une épidémie parmi eux.

Enfin, au petit jour il sauta du lit et s'en alla faire un tour dans la vaste cour de sa ferme.

Là, il vit ! trois poules sur le dos, au pied du tas de fumier et, non loin de là, le maître charretier en train d'étouffer la quatrième sous son gilet... Il préparait le repas du lendemain !...

 

Pierre Printemps

Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 22, du 5 novembre 1897

 

POUR LES PETITS

 

Le vent siffle au travers des trous de la mansarde

Où l'ouvrière coud sous la lampe et regarde

Ses deux petits, couchés dans le même berceau.

Et parfois, écartant un pan du grand rideau

A ramages pâlis, elle porte à sa lèvre,

Une blanche menotte et dit « Dieu, quelle fièvre !...

Heureusement pour eux que mon brave mari

Doit rapporter ce soir la paye du samedi

Et que, dans le quartier, j'irai de mon plus vite

Leur acheter du pain, des remèdes ensuite...

Soudain, des pas pesants font, dans l'escalier noir,

Tout trembler et sauter. Curieuse elle va voir

S'éclairant de la lampe à pétrole qui fume.

« Toi déjà !... Te voilà plus tôt que de coutume

Mon pauvre homme ! viens voir, les petits sont souffrants. »

S'écrie-t-elle, mais lui, reste les bras ballants,

L'air égaré, les yeux rouges comme une braise

Et, aussitôt rentré, tombe sur une chaise.

« Mais voyons ! Mais qu'as-tu ? — Ah ! ne m'en parle pas !

J'ai... J'ai... sale patron ! faut-il que tu sois bas...

Dire que ce sans cœur m'a jeté à la porte

Prétextant poliment que, vu la saison morte

Il ne peut occuper tant d'ouvriers chez lui ;

Il m'a donné mon compte, alors je suis sorti,

Et me voilà, hélas ! sans travail à cette heure

Devant mes deux enfants et ma femme qui pleure,

Dans mon bouge où tout sent la misère et la faim...

Allons vite ! il faut que cela ait une fin,

Et puisqu'il faut mourir, mourons donc tout de suite

Nous ne connaîtrons point la misère maudite

Et les repas sans pain. » Ce disant il saisit

Un réchaud à charbon et farouche se mit

A calfeutrer les joints de l'unique fenêtre…

La femme regardait son époux et son maître

Travailler à leur perte et, le cœur plein d'effroi,

Songeait aux chérubins qui, sans savoir pourquoi

S'éveilleraient au ciel parmi les anges roses

Et chercheraient en vain les visages moroses

De la mère sans âme et du père assassin.

« Non, arrête dit-elle en bondissant soudain,

Arrête, malheureux !... Grand Dieu qu'allions-nous faire ?

Tuer nos enfants, nous tuer ! J'aime mieux la misère

Moi, et puisqu'il le faut, eh bien je te défends

De mourir... tu te dois à ces chers innocents

Et je veux bien encor que ta vie t'appartienne

Mais la leur, insensé ! Mais la leur et la mienne !

Pourquoi la comptes-tu ? Apaise-toi un peu

Ouvre-nous la fenêtre, éteins vite ton feu

Vis et laisse-les vivre ou sinon je te crache

Au visage ces mots : « Meurs, va, tu n'es qu'un lâche. »

Les enfants assoupis sur le même oreiller

Toussotaient alors comme pour approuver

Ce qu'avait si bien dit leur courageuse mère

Protectrice et sauveur ; ... pendant ce temps le père

Bégayait à mi-voix, la honte sur le front

«Pardonne! j'étais fou... femme tu as raison!»

 

REQUIESCAT IN PACE

 

Comme s'effeuille une rose

L'amante dolente aux traits

Ravagés par la chlorose

Est morte au soir des regrets

Et sur le bord de sa fosse

Le vieux prêtre au dos cassé

A glapi de sa voix fausse

Requiescat in pace !...

 

Et maintenant pauvre chère

Elle git loin du soleil

Sous le grand champ en jachère

Où tout est paix et sommeil

Défunts tous les jours d'ivresse

Et les nuits de l'an passé

Défunts comme ma maîtresse

Requiescat in pace !...

 

Plus n'ai la force de vivre

Et par les tristes hivers

Sertis de larmes de givre

J'erre en sanglotant mes vers

Dans le vent qui les emporte

Mon pauvre cœur trépassé

Dort sur celui de la morte

Requiescat in pace !...

 

Moulin de Clan, 20 janvier 1898.

Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 40, du 5 août 1898

 

LA ROSE DE L'ABSENT

 

(Légende du Moyen Age)

 

 

Le beau chevalier était à la guerre...

Le beau chevalier avait dit adieu

A sa dame aimée, Anne de Beaucaire

Aux yeux plus profonds que le grand ciel bleu.

 

Le beau chevalier, à genoux près d'elle,

Avait soupiré, lui baisant la main :

« Je suis tout à vous ! soyez-moi fidèle ;

A bientôt !... je vais me mettre en chemin. »

 

Anne répondit avec un sourire :

« Toujours, sur le Christ ! je vous aimerai,

Emportez mon cœur ! allez, mon beau sire,

Il vous appartient tant que je vivrai. »

 

Alors, le vaillant, tendant à sa dame

Une rose blanche en gage d'amour,

S'en était allé près de l'oriflamme

De son Suzerain, duc de Rocamour.

 

Le beau chevalier était à la guerre

Anne, la perfide aux yeux de velours,

Foulant son naïf serment de naguère,

Reniait celui qui l'aimait toujours ;

 

Et, sa blanche main dans les boucles folles

D'un page mignard, elle murmurait

Doucement, tout bas, de tendres paroles

A l'éphèbe blond qui s'abandonnait.

 

Mais, soudain, voulant respirer la rose

Du fier paladin oublié depuis,

Elle eut peur et vit perler quelque chose

De brillant avec des tons de rubis.

 

Cela s'étendait en tache rougeâtre

Sur la fleur soyeuse aux pétales blancs

Comme ceux des lis et comme l'albâtre...

La rose échappa de ses doigts tremblants ;

 

La rose roula tristement par terre

Une voix alors sortit de son cœur;

Cette voix était la voix du mystère,

La voix du reproche et de la douleur.

 

« Il est mort, méchante, il est mort en brave !

Et songeant à toi, le beau chevalier ;

Son âme est au ciel, chez le bon Dieu grave

Et doux, où jamais tu n'iras veiller ;

 

Où tu n'iras pas, même une seconde,

Car ta lèvre doit éternellement

Souffrir et brûler, par dans l'autre monde,

Au feu des baisers d'un démon méchant... »

 

Et la voix se tut sous le coup du charme,

La fleur se flétrit, Anne, se baissant

N'aperçut plus rien, plus rien qu'une larme

Avec une goutte épaisse de sang.

 

 

Pierre Printemps.

Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 12, du 5juin 1897

 

SON DERNIER BOUQUET

 

(Nouvelle)

 

Ils s'aimaient !... le gars, nerveux et brun, aux épaules robustes, à la poigne solide, était farinier chez son père, le meunier du village ; la fille, mièvre et blonde, aux lourds cheveux tordus en chignon au-dessus de la nuque, était orpheline et vivait chez sa tante, une vieille lavandière qui l'employait à blanchir le linge au ruisseau.

Ils s'aimaient !... ils se l'étaient juré, un soir, en revenant de la danse, et, depuis ce temps-là, ils n'avaient jamais cessé de se le dire et de se le répéter ; mais comme ils ne pouvaient se voir qu'après journée faite, l'amoureux possédait un poétique moyen de correspondance pour parler au cœur de sa bien-aimée, à chaque instant, en une langue muette mais éloquente.

Souvent, dès l'aube, on le voyait se pencher sur le bord de la rivière et y jeter de petits bouquets de violettes ou d'églantiers, selon la saison ; ces fleurettes s'en allaient au fil de l'eau chantante, sans jamais s'accrocher aux roseaux de la rive et, quand elles arrivaient devant le lavoir communal, la belle fille essuyait, à un coin de son tablier, ses mains blanches où le savon moussait en bulles légères, cassait une branche au saule voisin et les amenait à elle. Puis, les prenant délicatement entre ses doigts fins, elle aspirait avec délices les parfums de jeunesse et d'amour qui s'envolaient de leurs corolles où les gouttelettes d'eau dansaient et roulaient, brillantes comme des perles fines.

Ils s'aimaient !... mais l'hiver approchant, les fleurs devinrent plus rares, les bouquets moins fréquents et leur amour, fragile comme les violettes, éphémère comme les roses, devait comme elles, avoir une fin.

La belle s'amouracha d'un beau clerc de notaire, toujours tiré à quatre épingles, beau parleur qui s'empara de son cœur sans qu'elle eut la force de s'en défendre.

Fini le bonheur ! Le cœur du pauvre gâs saigna bien fort, sous ces hardes blanches de farine et on le surprit souvent, lui, le solide gaillard d'autrefois, à pleurer sur son malheur.

« C'est le mai d'amour, on n'en guérit pas ! » chuchotaient autour de lui les commères ; pour cette fois, elles devaient avoir raison.

Une grise après-midi de novembre qu'il errait, morose et rêveur, il vint à passer devant la serre du château où se trouvaient des plantes rares et fragiles ; la porte était ouverte : il entra précipitamment comme un voleur, comme un fou, cueillir une branche d'oranger encore fleurie et s'en courut vers le vieux moulin au tic-tac langoureux. Là, comme les vaguelettes clapotaient doucement sous la roue brune, il se laissa tomber d'un air résigné dans l'onde claire où jouait un dernier rayon de soleil... Pouf !... Puis plus rien ; son corps reparut à la surface un peu plus loin et s'en alla au fil de l'eau chantante, sans s'accrocher aux roseaux de la rive, vers la belle fille, comme les fleurs de jadis...

Et lorsqu'il passa, les yeux fermés et les membres roidis devant celle qui l'avait si traîtreusement renié, il serrait encore, en une étreinte convulsive, la branche d'oranger — bouquet d'union nouvelle avec une nouvelle amante : la Mort !

 

Gaston Koutay.

 

 

SUR LA GRAND'ROUTE

 

Nous sommes les crève-de-faim

Les va-nu-pieds du grand chemin

Ceux qu'on nomme les sans-patrie

Et qui vont traînant leur boulet

D'infortunes toute la vie,

Ceux dont on médit sans pitié

Et que sans connaître on redoute

Sur la grand'route.

 

Nous sommes nés on ne sait où

Dans le fossé, un peu partout,

Nous n'avons ni père, ni mère,

Notre seul frère est le chagrin

Notre maîtresse est la misère

Qui, jalouse jusqu'à la fin

Nous suit, nous guette et nous écoute

Sur la grand'route.

 

Nous ne connaissons point les pleurs

Nos âmes sont vides, nos cœurs

sont secs comme les feuilles mortes.

Nous allons mendier notre pain

C'est dur d'aller (nous refroidir) aux portes.

Mais hélas ! lorsque l'on a faim

Il faut manger, coûte que coûte,

Sur la grand'route.

 

L'hiver, d'aucuns de nous iront

Dormir dans le fossé profond

Sous la pluie de neige qui tombe.

Ce fossé-là leur servira

D'auberge, de lit et de tombe

Car au jour on les trouvera

Tout bleus de froid et morts sans doute

Sur la grand'route.

 

LES TROIS CHANSONS DU CARILLON

 

A M. Bertrand,

pour le remercier de l'accueil tout... évangélique qu'il m'a fait dans ses bureaux du Patriote.

 

Quand les nouveau-nés, en leurs langes

Dorment sur les bras des marraines

Tels, de doux et blonds petits anges

Tombés des étoiles sereines

Digue digue dig, digue digue don !

Chante aux enfançons le grand carillon

Digue digue dig, digue digue don !

Pour qu'on vous baptise

Casquez, casquez donc !...

 

Quand sous les cieux des épousailles

Où le soleil d'amour scintille,

S'envolent des cœurs, les grisailles

Et s'en va le gars vers la fille.

Digue digue dig, digue digue don !

Chante aux amoureux le grand carillon

Digue digue dig, digue digue don !

Pour qu'on vous marie

Casquez, casquez donc !...

 

Quand s'éteignent comme des cierges,

Les grands-pères et les grand'mères

Et que gisent, emmi les serges

Des linceuls, leurs corps éphémères.

Digue digue dig, digue digue don !

Chante aux trépassés le grand carillon

Digue digue dig, digue digue don !

Pour qu'on vous enterre

Casquez, casquez donc !...

 

Orléans, 25 août 1898.

Le Progrès du Loiret, n° 23, du 26 août 1898

 

 

LES TROIS QUENOUILLES D'AUDEBERTHE

 

(Légende Magdunoise)

à Frottier

 

En ce temps-là vivait, au manoir de Meung, un vieux baron, si vieux que ses cheveux étaient blancs comme la neige ou le duvet des grands cygnes et si triste que, depuis la mort de son épouse, nul n'avait aperçu le moindre sourire sur sa lèvre tremblante.

Il avait auprès de lui sa fille Audeberthe, surnommée « la Pâle » à cause de la carnation de son teint. Elle allait avoir seize ans et, malgré l'affection qu'elle avait pour son père, elle s'ennuyait à mourir dans la solitude maussade qu'il lui faisait partager ; parfois aussi, de vagues et nuageuses bouffées d'amour passaient dans son âme avec les brises d'avril et lui donnaient comme la soif ardente des tendresses inconnues.

Un soir que, du haut d'une tour, elle regardait, sans trop bien comprendre encore, ses bons vilains des deux sexes qui s'en allaient, par couples enlacés, au bord de la Loire, sous la splendeur du soleil couchant, elle s'écria, transportée : « Notre-Dame ! que ces gens-là ont l'air heureux ; tout gueux qu'ils sont, ils me font envier leur sort ! »

Ses paroles furent entendues par un saint charitable et bon enfant qui se hâta d'accourir des profondeurs azurées du Paradis pour lui dire : « Ma fille, ton souhait sera exaucé ; prends ces trois quenouilles ; use des deux premières et fasse le bon Dieu que tu ne te serves jamais de l'autre ! »

Audeberthe remercia le saint et s'en fut, ravie...

Le lendemain, comme elle était remontée au haut de la tour, elle aperçut un jeune chevalier qui la regardait d'en bas. «Bonjour, belle dame!» lui dit-il ; elle répondit : « Salut, noble sire ! »

« Belle dame... » continua le chevalier « vous avez devant vous une pauvre créature en grand péril et que vous pouvez sauver... Mes gens ont été défaits, les ennemis me poursuivent... Je tombe de fatigue, cachez-moi un instant pour que je puisse me reposer afin de mieux combattre ensuite... » Cette fois, Audeberthe ne répondit rien, mais ses grands yeux noirs se fixèrent si étrangement sur ceux du beau chevalier que celui-ci comprit tout de suite qu'il n'avait plus rien à craindre. Alors, naïve, la pauvrette saisit la première quenouille et se mit à filer le chanvre avec une vitesse qui tenait du vertige ; au bout de quelques instants, un fil d'or souple et soyeux sortit de ses doigts ; elle le noua en forme d'échelle, accrocha d'un des bouts au sommet de la tour et jeta l'autre par terre. Le beau chevalier monta et... Audeberthe connut l'amour.

Quelques mois après, il revint, le courtois seigneur! il revint pour demander au vieux baron la main de sa fille. Celui-ci l'ayant accordée, on s'occupa des préparatifs des épousailles et Audeberthe prit la seconde quenouille dont elle fila la soie chatoyante qui devait servir à tisser sa robe de fiancée.

Mais avant que le mariage fût célébré, le beau chevalier devait partir encore une fois à la guerre. Il fit ses adieux à sa dame, et après lui avoir posé un dernier baiser sur la bouche, il s'éloigna au grand galop de son destrier de batailles. Il ne revint pas ! et quand Audeberthe apprit la nouvelle de sa mort, elle prit en pleurant la dernière quenouille et fila le lin du linceul dans lequel on devait ensevelir le corps de son amant.

Et Audeberthe, qui avait aimé et souffert pendant l'existence des trois quenouilles, vécut en bienheureuse durant le reste de ses jours, car son cœur avait trop saigné pour pouvoir aimer ou souffrir encore.

 

Pierre Printemps et Bodey.

Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 14, du 5juillet 1897

 

 

UN CREPE AU BRAS

 

L'an dernier, je les vis encor

Le petit frère aimable et rose

Dans sa tunique à boutons d'or

Avec sa sœur que la chlorose

 

Emportait — oh ! bien doucement

Vers la tombe muette et blanche.

Je les vis en me promenant

Sur le boulevard, le dimanche

 

Ils s'en allaient à petits pas

Tous les deux, dans l'allée ombreuse,

La fillette appuyant son bras

Maigriot et sa main fiévreuse

 

Sur le bras droit du garçonnet

Qui, tirant deux sous de sa poche,

Allait lui chercher un bouquet

A la marchande la plus proche.

 

Et le père aux cheveux tout gris

Fumait tristement son cigare

Sous les grands marronniers fleuris

Ecoutant le concert bizarre

 

Des petits pierrots batailleurs

Quand la petite était trop lasse

Vite, il prenait un des meilleurs

Bancs pour elle, sur la grand'place

 

Suivis de leur père, un monsieur

A barbiche, un vieux militaire,

Qui portait la légion d'honneur

En ruban à la boutonnière.

 

Et pas trop tard, avant la nuit,

Tous regagnaient leur domicile

Sans étalage, ni sans bruit,

Au travers du bruit de la ville.

 

Maintenant on peut les revoir

Ils sont deux. Dans la tombe blanche

La sœur dort. Un long crêpe noir

Un crêpe est cousu sur la manche

 

De la tunique à boutons d'or

Du petit frère aimable et rose

Et le père est plus triste encor

Dans sa redingote morose.

 

Le 12 janvier 1897.

 

UNE LESSIVE QUI TOMBE UN JOUR DE FETE-DIEU

 

(Récit de Gaston Couté)

 

Dans la rue jonchée de pauvres fleurs condamnées, par une coutume bête, à périr sous les pieds de la foule, entre deux rangées de draps qui — ainsi que les ivrognes — seraient mieux à leur place au lit que sur la voie publique, sous le dais de velours grenat, filigrane d'or, le curé s'avançait, gras, lent, majestueux, imposant, orné, chamarré — tel un bœuf gras un jour de Mi-carême.

Les chantres suivaient, coassant, croassant (comment dois-je dire ? leur chant tient à la fois de celui de la grenouille et du corbeau) — enfin par respect pour des supérieurs (en âge) — je préfère écrire : entonnant les cantiques d'usage.

Ensuite venaient les enfants de chœur en surplis blancs, en petites calottes rouges, rouges à faire pâlir un drapeau de la Sociale, puis la marmaille des écoles, dont le nez morveux et l'air agacé de la plupart de ses représentants témoignaient du goût qu'ils avaient pour cette petite promenade où l'on ne pouvait ni remuer, ni causer.

Enfin, a l'arrière-garde se tenait le high-life féminin de notre petite ville dont les belles dames étaient en grand nombre à l'église pour prier, pour élever leur âme vers Dieu, pour l'implorer, pour... etc. (voir la suite de la définition de la prière dans le catéchisme, chap. , page ), mais n'oublions pas le principal, elles étaient venues aussi et surtout pour exhiber leurs toilettes neuves. Enfin, bref... après avoir cheminé un certain temps par les rues habitées du monde « comme il faut », la procession s'engagea dans un vilain quartier peuplé d'individus qui se ruinent en frais de lampions au 14 juillet et qui se feraient couper la tête plutôt que de tendre des draps le jour de la Fête-Dieu.

Enfin, heureusement qu'il existe des gens de cœur pour racheter leurs vilenies car à peine arrivé à la moitié de la prière qu'on venait de commencer, que tout le monde tourna la tête (oh ! la distraction...) du côté d'une petite maison basse à la porte de laquelle on apercevait deux draps, une chemise probablement placée là par inadvertance, ainsi que deux paires de chaussettes. Cela constituait un décor assez grotesque, mais bah ! quand l'intention y est !...

Quelque quinze jours après, Monsieur le Curé passait par hasard dans le mauvais quartier dont je viens de parler, il aperçut la locataire de la maison aux draps occupée à balayer le devant de sa porte.

Comme cette pauvre vieille avait l'air minable, avec sa robe en loques et ses savates éculées, il s'approcha d'elle et la questionna, bien résolu d'apporter un soulagement à sa misère.

C'était charitable sans doute, mais le brave homme aurait mieux fait de passer son chemin, car aux premières paroles, la vieille se rebiffa :

— « Vous dites, Môssieu le Curé ; vous v'lez nous mettre au bureau de Bienfaisance, nous aut' qu'avons point d'enfants... et ça, du temps qu'y a des malheureux voisins qui crèvent la faim avec leurs ribambelles de gosses... Ça s'rait du prop', ça, par exemple !

— Vos voisins ? grommela le saint homme de prêtre, je sais... Mais ne peuvent-ils pas vous imiter ? Ne peuvent-ils pas tendre des draps comme vous ?

— Mais, sauf vot' respect, j'en avons point tendu non plus, nous, d'draps !

— Comment ?... Mais, enfin, pourtant...

— Ah ! j'y suis. Faites excuse, Môssieu le Curé, mon homme devait aller le lendemain à la noce du cousin Léonard, et comme i'n'avait plus ni bas, ni ch'mises de prop' a fallu que j'y en blanchisse ! Par la même occasion, j'ai lavé les deux draps d'not' lit. Et dame, j'sommes si mal logés ; point d'grenier, point d'eour, j'ai été forcée d'faire sécher ma lessive dans la rue ! »

 

Moulin de Clan, 15 juillet 1896.

 

r

VALSE MYSTIQUE

 

A mon ami Abel Renault

 

Le soir, quand paraît la première étoile,

Les cœurs de tous ceux qui sont morts d'amour

Viennent vers la terre et fendent le voile

Qui les cache aux yeux des vivants, le jour.

Alors, dans la nuit brune et fantastique,

Leur sang meurtri pleut et retombe en pleurs

Sur l'herbe, troublant la mélancolique

Chanson de sanglots du vent dans les fleurs.

 

Et les cœurs en peine, et les pauvres cœurs

Dansent dans les airs la valse mystique !...

 

Ils accourent tous !... le cœur du poète

Et de son amante aux yeux langoureux,

Le cœur de l'éphèbe à la blonde tête,

Le cœur torturé des vieux amoureux,

Le cœur de la vierge aimante et pudique,

Le cœur de la femme aux baisers trompeurs,

Ils accourent tous !... pris d'un nostalgique

Besoin de revoir le val des douleurs.

 

Et les cœurs en peine, et les pauvres cœurs

Dansent dans les airs la valse mystique !...

 

Ils tournent noyés dans des flots d'extase,

Parmi des parfums lourds et capiteux

Tandis que la lune au front de topaze

Etincelle au fond du ciel nébuleux ;

Et leur tourbillon noir et magnétique

Poursuit son chemin, semant des lueurs

D'or en fusion dans la magnifique

Splendeur de l'espace aux vagues pâleurs.

 

Et les cœurs en peine, et les pauvres cœurs

Dansent dans les airs la valse mystique !...

 

Mais, sitôt que perce un clair rayon d'aube

Et qu'un chant d'oiseau bruit dans le vallon,

Leur essaim léger au loin se dérobe

Et plus rien !... alors, plaintifs, ils s'en vont,

Pour rentrer, passer sous le grand portique

D'azur diaphane enlacé de fleurs

D'opale où le Dieu calme et pacifique

Dénombre, un par un, le troupeau des cœurs.

 

Et le lendemain, tous les pauvres cœurs

Reviennent danser la valse mystique.

 

Pierre Printemps.

 

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VARIATION SUR L'AIR DE MALBROUGH

 

 

Au bon temps de naguère

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Au bon temps de naguère

C'était comme aujourd'hui, (bis)

 

Le duc est à la guerre

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Le duc est à la guerre

Sa dame pense à lui. (bis)

 

Quand, par une vesprée,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Quand, par une vesprée,

Aux portes du manoir, (bis)

 

Frappe mine atterrée,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Frappe mine atterrée,

Un page en pourpoint noir, (bis)

 

Dame ! ma gente dame !

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Dame ! ma gente dame !

Ton seigneur est défunt (bis)

 

Vois-tu voler son âme

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Vois-tu voler son âme

Sous l'horizon sans fin (bis)

 

Lui dit-il, tout en larmes,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Lui dit-il, tout en larmes,

Mais comme il est joli (bis)

 

La duchesse, que charment,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

La duchesse, que charment,

Les yeux de ciel pâli (bis)

 

Va prendre en sa main blanche,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Va prendre en sa main blanche,

Celle du damoisel. (bis)

 

Vers sa lèvre se penche,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Vers sa lèvre se penche

Et, douce comme miel : (bis)

 

« Le duc est mort en guerre,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Le duc est mort en guerre,

J'ai trouvé mieux que lui. » (bis)

 

Au bon temps de naguère,

Mironton, ton, ton, mirontaine,

Au bon temps de naguère

C'était comme aujourd'hui.

 

 

Orléans

Le Progrès du Loiret, n° 58, du 30 septembre 1898

 

LE VIEUX TROUVERE

 

(Chanson)

 

 

Dans ce temps-là, je n'avais rien,

Rien du tout dans mon escarcelle,

Et ma lyre était tout mon bien ;

Dans ce temps-là je n'avais rien

Que de grands trous à mon pourpoint

Et le cœur de ma damoiselle.

Dans ce temps-là je n'avais rien,

Rien du tout dans mon escarcelle.

 

J'allais chanter dans les manoirs

La geste du vieux Charlemagne,

Et, gueux d'argent, riche d'espoirs,

J'allais chanter dans les manoirs

Devant les dames aux yeux noirs

Dont les barons faisaient compagne.

J'allais chanter dans les manoirs

La geste du vieux Charlemagne.

 

On m'aimait... j'étais adoré

Car j'avais ce qu'il faut pour plaire :

Le regard vif, l'air déluré ;

On m'aimait... j'étais adoré

Et m'étais toujours figuré

Qu'on vivait d'amour et d'eau claire

On m'aimait... j'étais adoré

Car j'avais ce qu'il faut pour plaire.

 

Je payais souvent un baiser

D'un rondel ou d'une ballade

Lorsqu'on voulait bien me laisser,

Je payais souvent un baiser

Comme ça, sans jamais toucher

A ma bourse toujours malade,

Je payais souvent un baiser

D'un rondel ou d'une ballade.

 

Quand ma toute belle voulait

Un collier d'or aux lueurs folles

Pour entourer son cou fluet,

Quand ma toute belle voulait !...

Je lui faisais un chapelet

D'éblouissantes lucioles,

Quand ma toute belle voulait

Un collier d'or aux lueurs folles.

 

L'avenir était devant moi

Comme un jardin couvert de roses

Et, plus riant que pour un roi,

L'avenir était devant moi...

Mais, maintenant, au vieux beffroi

Vont sonner mes heures moroses.

L'avenir était devant moi

Comme un jardin couvert de roses.

 

Riche et vieux !... las ! m'ont dit adieu

Jeune pastoure et gente dame

Que mes cheveux blancs tentaient peu.

Riche et vieux !... las ! m'ont dit adieu

Car je n'attends qu'un mot de Dieu

Pour voir, vers lui, voler mon âme.

Riche et vieux !... las ! m'ont dit adieu

Jeune pastoure et gente dame !...

 

Pierre Printemps

 

 

VOLUME 4

INTRODUCTION

 

En juin 1910, le journal antimilitariste La Guerre Sociale annonçait que Gaston COUTE allait publier chaque semaine, dans ses colonnes, une chanson d'actualité. Singulière alliance, à première vue, que celle du poète beauceron et de la virulente feuille hervéiste ; alliance qui se prolongera jusqu'au bout puisque c'est à La Guerre Sociale que revint le triste privilège d'annoncer la nouvelle de l'hospitalisation puis du décès de COUTE.

En 1910, au moment où COUTE rejoignait ses rangs, La Guerre Sociale avait quatre ans. Elle était née à Clairvaux, ancienne abbaye cistercienne reconvertie en maison d'arrêt, de la rencontre d'un certain nombre de détenus, cosignataires d'une affiche antimilitariste dite «affiche rouge », tant pour sa couleur que pour les opinions qu'elle contenait. Malgré une certaine disparité idéologique, ces détenus décidèrent de continuer à s'exprimer dans un journal. Le 14 juillet 1906 avec la traditionnelle amnistie, fit le reste et, le 19 décembre 1906, sortait le premier numéro de La Guerre Sociale. Gustave Hervé, principal animateur de l'hebdomadaire, était né en 1871. Professeur d'histoire, il vint au journalisme politique avec l'affaire Dreyfus. Ses articles antimilitaristes du Travailleur Socialiste de l'Yonne le firent révoquer. D'autres articles plus virulents encore, parus dans Le Pioupiou de l'Yonne le conduisirent plusieurs fois au tribunal et en prison. Hervé bénéficiait alors dans les milieux révolutionnaires d'un grand prestige consécutif à un article antimilitariste intitulé « Le drapeau de Wagram » et connu sous le nom de « Le drapeau dans le fumier» à cause de sa conclusion non ambiguë : «Je voudrais qu'on rassemblât dans la cour principale du quartier, toutes les ordures et tout le fumier de la caserne et que, solennellement, le colonel, en grand plumet, vînt y planter le drapeau du régiment».

Une telle violence annonçait le ton de La Guerre Sociale qui fut d'abord antimilitariste. L'hebdomadaire tira jusqu'à 60.000 exemplaires en 1910, arrivant ainsi au deuxième rang des périodiques politiques derrière Les Annales Politiques et Littéraires (170.000 exemplaires) et devant, dans l'ordre : L'Eveil Démocratique (28.000), Les Temps Nouveaux (8.500), La Voix du Peuple (8.500), Le Libertaire (8.000), L'Anarchie (6.500), L'Action Française (4.000), Le Socialiste (3.000), etc. (1).

Gustave Hervé allait « virer » avec la déclaration de guerre. La crosse en l'air devint la fleur au fusil, et le 1" janvier 1916 La Guerre Sociale devint La Victoire, outrageusement nationaliste.

Parmi les principaux collaborateurs de La Guerre Sociale, en 1910, il faut citer Victor Méric, Eugène Merlot (Merle pour les journaux), les dessinateurs Grandjouan et A. Delannoy, Miguel Almereyda. Ce dernier, pour répondre à la police lors des manifestations, avait organisé une « Jeune Garde» chargée de résister aux assauts des «Cosaques». Les cinéphiles resteront reconnaissants à Almereyda d'avoir engendré celui qui deviendra Jean Vigo.

C'était donc un journal très actif et réputé dans les milieux révolutionnaires que rejoignit COUTE : l'hervéisme, en marge de la S. F. I. 0., eut une audience de courte durée, mais profonde. C'est Fernand Després qui fut chargé de solliciter la collaboration de COUTE au journal. COUTE était en effet l'un des rares poètes capable d'écrire des chansons politiques dans le ton des articles et dessins de La Guerre Sociale.

La chanson politique d'actualité avait à l'époque une très grande importance dans la mesure où elle popularisait de manière directe et accessible les opinions d'un journal.

On a trop tendance à juger ces chansons d'actualité en les opposant aux productions antérieures de COUTE. Il ne faut pas perdre de vue que ces chansons étaient non seulement lues, mais aussi apprises et chantées, à l'atelier comme dans la rue ; s'il existe une incontestable différence de forme entre ces chansons et les autres poèmes de COUTE, n'oublions pas que le fond reste le même, empruntant à la même thématique et que l'engagement du poète ne fait que se prolonger tout en s'actualisant. Ces chansons constituent, comme l'a écrit Henry Poulaille, des «chansons de combat», s'insérant dans une époque qui n'est pas toujours «belle», une époque de conflits sociaux, de grèves et de répression. Ce combat, COUTE l'a mené durant plus d'un an, sans rien perdre de sa verve ni de ses indignations. Faut-il voir en lui un naïf Don Quichotte manipulé par l'équipe de La Guerre Sociale et qui condamne son destin de poète au profit de chansonnettes mal fagotées et maladroites, ou simplement un homme engagé dans son temps, plus à l'aise au sein du mouvement ouvrier que dans les cabarets bien parisiens qui, déjà, manifestent quelques velléités de verser dans l'alimentaire et le nationalisme?

COUTE a dépassé sa condition de «chansonnier engagé» pour devenir un chansonnier militant. Il importe peu de s'interroger sur la valeur littéraire de ses chansons; il semble plus pertinent de constater qu'il y a eu chez lui une fidélité à soi-même et une logique indéniable dans la démarche. Le gros, le possédant, le député, le soldat, qui existaient dans l'œuvre de COUTE prennent corps et nom en fonction de l'actualité. Il est intéressant finalement qu'existent les «Stances à Lépine» au même titre que «Môssieu Imbu».

Ne renions pas ces « chansons de la semaine », pas plus que celles parues dans Le Libertaire ou La Barricade. Indépendamment de leur valeur spécifique (qui est loin d'avoir la nullité qu'on a parfois pu leur accorder), elles témoignent à leur manière en faveur du combat que COUTE a mené toute sa vie, combat bien différent de celui du «révolutionnaire cocardier» Montéhus qui mourut, lui, d'une légion d'honneur en plein cœur.

Qu'importe, pour l'œuvre de COUTE, que Gustave Hervé devînt ardent belliciste en 1914 ; ce dont on peut témoigner, au vu de son œuvre et de sa vie, c'est que COUTE aurait quitté Hervé dès que celui-ci se serait montré par trop patriotard et revanchard. Il n'aurait pas «pataugé dans la bêtise, la bassesse et la crapulerie » des pousse-au-crime de la guerre.

Il mourut le 28 juin 1911, huit jours avant d'être poursuivi pour « Hélas ! quelle douleur », une chanson de La Guerre Sociale.

Keméant, juillet-août 1977 ARTEP - Le Vent du Ch'min

 

(1) Source : Histoire générale de la presse française, tome III, Paris, P.U. F., p. 296. On mesure par ces chiffres le phénomène de la presse périodique de gauche et d'extrême gauche.

 

Avertissement

Nous n'avons pu expliciter toutes les références à l'actualité effectuées par COUTE. Nous n'avons apporté quelques précisions que lorsque l'événement traité était important. Pour un complément d'informations, l'on pourra se référer avec profit à son manuel d'histoire favori.

 

CHANSONS DU LIBERTAIRE

 

du 15 octobre au 12 novembre 1899

 

L'AMOUR ANARCHISTE

 

Le gâs était un tâcheron

N'ayant que ses bras pour fortune,

La fille, celle du patron,

Un gros fermier de la commune

Mais ils ne s'en aimaient que plus...

— L'amour se fiche des écus !

 

Lorsqu'ils s'en revenaient du bal

Par les minuits clairs d'assemblées,

Au risque d'un procès-verbal

Ils faisaient de larges roulées

Parmi le blé profond et droit...

— L'amour se fiche de la loi !

 

Un jour, tous deux furent prier

Elle, son père ! et lui son maître,

De les laisser se marier ;

Mais le vieux les envoya paître ;

Lors, ils prirent la clé des champs...

— L'amour se fiche des parents !

 

S'en furent dans quelque cité,

Loin des labours et des jachères,

Passèrent ensemble un été

Puis tout soudain, ils se fâchèrent

Et se quittèrent bêtement :

— L'amour se fiche... des amants !

 

(Du 15 au 21 octobre 1899)

Cette chanson figure dans le premier volume de nos éditions sous le titre : « L'Amour qui s'fout de tout », avec quelques légères variantes. (N. d. E.)

 

 

LES TAUREAUX

 

Bourgeois! nous sommes des taureaux

Captifs en vos arènes rouges,

Aux yeux d'une foule de gouges

De michés et de maquereaux

Bourgeois ! nous sommes des taureaux !

 

Bourgeois! nous sommes des taureaux

Que l'on torture et que l'on tue,

Et votre bêtise institue

Une gloire pour nos bourreaux

Bourgeois ! nous sommes des taureaux !

 

Bourgeois! nous sommes des taureaux

Qui démolirons nos barrières

Et ce jour-là dans vos derrières

Nos cornes feront des accrocs

Bourgeois ! nous sommes des taureaux !

 

(Du 22 au 28 octobre 1899)

 

 

CHANSON DE MOISSON

 

Sous l'aube qui blanchit leurs fronts

Les tâcherons

Aux bras hâlés

Songent, tout en fauchant les blés

De leurs patrons...

Les coquelicots bougent

Parmi la récolte

Comme des drapeaux rouges

Au vent de révolte !

 

Au souvenir des gueux défunts,

Songent enfin

Qu'on a tous droit

Au pain qu'on fait du blé qui croît

Quand on a faim!

Les coquelicots bougent

Parmi la récolte

Comme des drapeaux rouges

Au vent de révolte !

 

Réclament leur part du blé d'or

Que leurs efforts

A fait pousser

Et qu'ils ont souvent engraissé

Avec leur mort...

Les coquelicots bougent

Parmi la récolte

Comme des drapeaux rouges

Au vent de révolte !

 

Et s'ils refusent, leurs patrons !

Les tâcherons

Aux bras hâlés

Plutôt que de faucher les blés

Les brûleront !

Les coquelicots bougent

Parmi la récolte

Comme des drapeaux rouges

Au vent de révolte !

 

(Du 5 au 12 novembre 1899)

Dans Le Libertaire ont été également publiés : « Le Christ en bois » (voir tome I), « La tête de mort » (voir tome III). (N. d. E.)

 

r

LA SEMAINE RIMEE

 

Chansons de « La Barricade »

Juillet-août 1910

 

LOUPILLON 1910

 

Puisque, cet an-ci, les coteaux

Ont reçu dans leurs verts manteaux

Les dons coutumiers des comètes,

Bonnes gens, réjouissez-vous

En songeant au prochain vin doux :

Les vignes promettent...

 

Triste Armand, pour te reposer

Du travail que tu viens d'oser

Et pour en fuir les conséquences,

Va te terrer dans un sillon

De tes vignes du Loupillon

Pendant les vacances :

 

Là-bas — car, tout de même, il faut

Après ces matins d'échafaud

Une atmosphère qui vous change —

Tu voudras peut-être goûter

L'adorable sérénité

Des soirs de vendange?

 

Mais le vin, coulant en ces soirs,

Au pied des honnêtes pressoirs,

Aura la couleur de ton crime ;

Et tes yeux se refermeront,

Bourreau qui joue au vigneron

Sur quel rouge abîme ?

 

Quant à ce vin, jus de raisin

Cueilli par tes mains d'assassin,

Pas de danger que nul y touche?

Si l'on osait en boire un coup

Il pourrait vous laisser un goût

De sang, dans la bouche !

 

Voilà ton Loupillon foutu :

Car, si tous chantaient sa vertu

Après les vendanges dernières,

Cette fois-ci — par ton nombril ! —

Tu n'en vendras pas un baril,

Non! Moussu Fallières !

 

Mais, pour qu'il ne soit pas perdu,

Bois-le donc, à la faveur du

Premier gala qui vous rassemble,

Avec Alphonse et Nicolas

Car vous êtes bien faits, hélas !

Pour trinquer ensemble...

 

Le Subéziot.

(Samedi 9 juillet 1910)

 

STANCES A LEPINE

 

Rappelons qu'à cette époque, Aristide Briand n'était pas encore l'apôtre de la paix et qu'il était combattu violemment par les révolutionnaires. Lépine était alors préfet de police. — M. Lépine a été louange par M. Briand comme jamais il ne l'avait été, même par M. Clemenceau. Le président du Conseil ne se rappelle plus le temps où il traitait sans aucun ménagement « l'honnête homme » et « le bon citoyen ». On sait que M. Briand n'a pas craint de qualifier ainsi le chef suprême des brigands policiers.

L'Humanité.

 

 

Avant de s'être « adapté »

Lorsqu'il nichait du côté

Ingrat de la barricade,

Il ne fut pas toujours chic

Vis-à-vis de toi, Grand Flic !

Poléon de Vachalcade!

 

Il n'eut pas rien que des mots

Gentils pour les animaux

Attachés à ton service ;

Il parlait d'eux volontiers

En ces termes châtiés :

Les brutes de la Police!

 

Et même en un de ces jours

Où comme de vrais amours,

Cipaux et sergots besognent,

Il livra de tels assauts

Qu'il mit sa canne en morceaux

Sur la hure de tes cognes !

 

Mais à présent qu'il est là !

Esclave docile et plat,

Devant ta botte il se penche,

Guettant les moindres regards

Et te bombardant d'égards...

Ah ! tu  la tiens ta revanche !

 

Le pauvre ! il a tant besoin

Pour ne pas perdre son coin,

Des poignes de ta flicaille

Qu'il n'est plus fichu d'oser

Un mot pour te refuser...

— Que veux-tu, vaille que vaille ?

 

Quoi ? De Liabeuf, il te faut

La tête ?... Bien ! l'échafaud

Sera prêt. Donne ton heure !...

Et Rochette ?... Ah oui, pardon

Ça te défrise un peu : Donc

Que cette affaire-là meure !...

 

Alors, puisqu'il en est ainsi

Tout entier à ta merci,

Ne te gêne pas, bourrique !

Abuse tout à ton gré :

C'est toi, chef des flics, le Vrai

Chef de notre République !

 

Briand peut aller s'asseoir...

Sinon, nous pourrons le voir

— Pauvre Excellence qui tremble

Tout en jouant les costauds —

Te passer sa langue au dos

Ou... plus bas, si bon te semble ?...

 

 

Le Subéziot.

(16 juillet 1910)

 

 

LE DINDON DE LA FARCE

 

M. Yves Durand osera-t-il nier devant moi que c'est lui qui a pris l'initiative de (aire ajouter à ma plainte le post-scriptum des Manchons Hella ? Osera-i-il nier qu'il savait que je n'en avais pas, et que c'est lui qui a eu l'idée de m'en taire remettre « pour corser » la situation ?

Non, vraiment, j'en ai assez. On est venu me chercher. On m'a jeté dans la bagarre en me disant que je sauvais l'épargne française. Aujourd'hui, je ne suis plus qu'un misérable sur le dos duquel on voudrait tout mettre.

(Déclaration de Pichereau à un rédacteur de L'Intransigeant.)

 

 

Le sympathique directeur

De?... des... «Fantaisies Policières»

Un jour manda son régisseur

Et lui dit sans plus de manières :

 

— Voilà, mon cher Yves Durand,

— Notre prochaine pièce est prête :

Il ne manque qu'un figurant

Pour monter 1' « Affaire Rochette »

 

J'ose espérer un gros succès

Car je compte que ça va faire

Un scandale comme au Français.

« Les affaires sont les affaires ! »

 

Donc, grouillez-vous pour me trouver,

Où vous voudrez, quelque bon diable

Pouvant jouer au pied levé

Un bout de rôle... indispensable ?

 

— Bon ! fit l'autre et, sans chercher trop,

Il laissa sa dextre s'abattre

Sur l'épaule de Pichereau

Qu'il emmena droit au théâtre.

— Hé, hé ! pas mal !... très bien... Ça va !

Gardez votre petit costume

De vieux mineur de la Nerva,

Portez-le comme de coutume !

 

Mais, pour les gestes, halte-là !

Fourrez vos deux mains qui vous gênent

Dedans ces trois MANCHONS Hella

Et maintenant, entrez en scène !...

 

Marchez ! vous travaillez pour l'Art !

Pour la Beauté! Pour la Lumière !

Et je vous prédis, mon gaillard.

Un tabac monstre à la première...

 

Vient la première !... Tout d'abord

Ça va bien, on trouve ça drôle,

Et puis soudain, le traître sort

Cavalièrement de son rôle.

 

Alors, le public sans pitié

Réclame, siffle. Un titi pousse

Ce cri du haut du poulailler :

«  On dirait que ça sent la Rousse ! »

 

Voyant les choses se gâter,

Le régisseur de la Police

Disparaît, plein d'agilité,

Au fond d'une obscure coulisse

Et Pichereau seul reste là.

De trouille les fesses enduites,

Agitant ses manchons Hella

Sous la grêle des pommes cuites...

 

 

Le Subéziot

(Samedi 23 juillet 1910)

 

 

LE PAIN CHER

 

 

Tout le fumier des scandales,

Tel celui dont nous voyons

Les ordures qui s'étalent,

N'engraisse pas les sillons ;

 

Et cette « baugée » intense

Que viennent d'accumuler

Les porcs de la Préfectance

Ne fait pas pousser le blé !

 

La moisson sera mauvaise...

L'épi rare et languissant

A mûri mal à son aise

Dessous un soleil absent.

 

Et — conséquence fatale

De ce lamentable été —

Le pain, dans la capitale,

Va, sans doute, être augmenté?

 

Oui, le pain dont l'âme entière

Est toute pleine d'amour,

Le pain blanc de la prière,

Notre pain de chaque jour !

 

Le pain vaudra cher la livre

Cet hiver, annonce-t-on :

On aura du mal à vivre

Avec ce sacré « brichton ».

 

Dans bien des pauvres ménages

La femme ira (faut manger ! )

Mettre les meubles en gage

Pour payer le boulanger.

 

Les mêmes, dans la cuisine,

A la place du buffet,

Danseront la capucine

A l'heure où l'on doit bouffer.

 

Mais un jour, le philanthrope

De la Tour Pointue aura

L'heur de piquer sa syncope

Devant un tel embarras :

 

Il enverra vers le père,

Gréviste ou manifestant,

Tous les flics de son repaire

Pour l'assister à l'instant...

 

Sur le pauvre, en large averse,

Des pains tomberont alors

Plus lourds que ceux du commerce

Et qui tiennent mieux au corps !

 

 

Le Subéziot.

(Samedi 30 juillet 1910)

 

 

DELICATESSES D'ELEPHANTS

 

Les éléphants ont souvent des furies

De nègres saouls. On les voit mettre à sac

Plantations et factories

Foulant le corps sanglant de leur cornac.

 

Et puis après tout un carnage infâme

Ils vont, avec leur trompe, à petits jets

Arroser les fleurs de la dame

Qui vient d'Europe et lit du Paul Bourget.

 

Les éléphants ont cette humeur bizarre...

Celui qu'on loge à l'Elysée, chez nous,

A, l'autre jour, sans crier gare,

Trouvé moyen de faire un de ces coups,

 

Après avoir traîné ses grosses pattes

Parmi le sang de Liabeuf, il s'en vient,

Plein d'attentions délicates,

De gracier un ignoble vaurien.

 

Il ne peut pas voir ces choses affreuses ;

Des soldats faire office de bourreaux.

Que Graby se la coule heureuse

Et que sa peau demeure sans accroc !

 

Mais que n'a-t-il, notre doux pachyderme,

Même scrupule au moins qu'envers Graby

Envers ceux que torturent ferme

Les vils chaouchs, bourreaux de Biribi ?

 

S'émeut-il donc, lorsque dans une grève,

Quand ont sonné les sinistres appels,

Retentit la décharge brève

Et froidement enlevée des Lebels?

 

Et cependant les gens que l'on fusille

Sans jugement, par un arrêt subit,

Malgré qu'ils n'aient dans leur famille

Aucun mouchard, valent-ils pas Graby ?

 

Non. Tout ce temps, il s'ébroue dans sa mare,

Flairant l'odeur de meurtre qui lui vient

Du sein pourpre de la bagarre

Où les soldats couchent les citoyens.

 

Les éléphants ont cette humeur bizarre !...

 

Le Subéziot.

 (6 août 1910)

 

 

CHANSONS DE LA SEMAINE

 

Chansons de "La Guerre Sociale"

22 juin 1910-27 juin 1911

 

GASTON COUTE ENTRE A « LA GUERRE SOCIALE »

 

Chaque semaine nous publierons de lui une chanson satirique d'actualité.

L'auteur des «  Conscrits », des « Gourgandines », du « Christ en bois » et de tant d'autres poèmes d'une langue si savoureuse et si forte, vulgarisera à sa façon les idées de révolte et d'émancipation qu'il a toujours défendues.

Tous ceux qui apprécient le talent de Coûté se réjouiront... Se réjouiront aussi tous ceux qui regrettent le temps où la chanson satirique, écrite au jour le jour, constituait un des plus sérieux moyens de propagande révolutionnaire, le temps où les Jules Jouy, les Clovis Hugues, les Louis Marsolleau, les uns morts aujourd'hui, les autres passés de l'autre côté de la barricade, maniaient si bien le fouet de la satire.

La Guerre Sociale est heureuse qu'un poète comme Coûté ait accepté de mener dans ses colonnes le bon combat contre la bêtise des Riches et des maîtres, contre les iniquités de l'Ordre bourgeois.

La Guerre Sociale (Du 22 au 28 juin 1910)

 

POUR FAIRE PLAISIR AU «COLON»

 

Air : Le Père Dupanloup

Chanson pour le « concours de chansons de marche » organisé par le Ministre de la Guerre.

 

 

Les gâs ! plus de refrains cochons !

Va falloir y mettre un bouchon :

Puisque en march' le Colon nous prie

de ne plus chanter d'salop'ries...

Dig, dig, dig, din don : —

Si qu'on f'rait plaisir au Colon ?

 

Tout le long d’la route, chantons

Pour dérouiller nos ripatons,

Une chanson qui soit-z-à cheval-e

Dessus l'chapitr' de la morale...

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

Chantons comme i'-f'rait bon chez nous,

Comme i'-f'rait bon planter des choux,

ou dormir auprès de sa blonde,

Au lieu d'apprendre à tuer l'monde...

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

Chantons qu'i n'faut pas détester

Les gens du pat'lin d'à côté,

Parc' qu'i' s'dis'nt « je t'aime ! » dans un autre

Genre de patois que le nôtre...

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

Chantons, nous qui n'possédons rien,

Qu'on a soupe d'être des chiens

Prêts à bondir hors de la niche

Pour défendre le bien des riches...

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

Chantons à ceux qui d'mand'nt not' peau

Pour la plus grand' gloir' du drapeau,

Que nous nous foutons comm' d'un' guigne

De la gloire et de ses insignes...

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

Chantons pour dire aux ouvriers

Qui font la grèv' sur les chantiers :

« Dans les grèv's nous agirons d'même

Que nos copains du « dix-septième » !

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

Chantons pour eux, chantons pour nous,

(Populo, c'est l'frèr' de Pitou (1) !)

Et comm' chanson d'marche finale

Allons-y d'1'Internationale !

Dig,...

Ça va fair' plaisir au Colon !

 

 

(Du 22 au 28 juin 1910)

(1) Pitou : nom populaire donné aux soldats ; il existe aussi comme autres sobriquets : chapuzot et dumanet. (N. d. E.)

 

 

L'AFFAIRE CHEVAUX-JACQUELIN

 

ou : Les affaires sont les affaires !

Air : La combinaise

 

 

Après l'premier tour d'scrutin,

Comm' par hasard i's s'rencontrèrent :

Chevaux dit : « ça va, vieux frère ?

— Heu, ça branl' dans l'manch' — fit Jacqu'lin —

— Bah ! r'prit Ch'vaux, amène,

Entre radicaux, il faut qu'on se soutienne :

Ta main dans la mienne !

Et voyons tous deux si l'on ne pourrait pas

Arranger tout ça !

Y-a-p't-être un moyen !...

Causons peu, mais causons bien :

 

Refrain

Si tu veux faire avec moi la Combiné,

Nibé, lubé,

Pin, pin ! la combinaise, ah !

Tout's mes voix

Sont à toi,

Pour 30.000 ball's j'peux fair' la combiné

Nibé, lubé,

Pin, pin ! la combinaise, ah !

Vlà mon prix

Et c'est un prix d'ami !

 

« C'est trop cher pour c'que ça vaut !

Tes partisans ne sont tout d'même

Que d'vulgair's poir's du Onzième ?

— De quoi, de quoi, hennit Chevaux,

Pas bonnes mes poires !

Mais tu n'entends rien à ce genre d'histoire

Tiens ! tu peux m'en croire :

En te faisant l'prix que je te fais ici

C'est tout juste si

J'n'y mang' pas d'argent !...

— Bon, dit Jacqu'lin s'engageant :

 

« Je veux bien faire avec toi la combiné

Nibé, lubé,

Pin, pin ! la combinaise, ah !

Entendu

C'est vendu

Mais r'pass' pour toucher l'prix d’la combiné

Nibé, lubé,

Pin, pin ! la combinaise, ah !

Dans un mois :

J'n'ai qu' 40 sous sur moi ! »

 

Après quoi s'mir'nt à chercher

Un bon coin, pas trop loin pour boire

Un' bouteill' comme à la foire

Afin d'arroser leur marché ;

Puis au bout d'deux s'maines,

Azurés's d'espoirs et de doux rêv's pleines,

Le grand jour s'amène !

Mais alors : adieu veaux, vach', cochons, couvé's

Le scrutin ach'vé

C'est comm' qui dirait

La chut' de leur pot au lait !

 

Vlà comm' tout craque au mitan d’la combiné

Nibé, loupé,

Foutu' la combinaise, ah !

Ces farceurs

D'électeurs

N'ont laissé dans l'urne et pour la combiné

Nibé, loupé,

Foutu' la combiné, ah !

Qu'un lapin

A l'adress' de Jacqu'lin !

 

Sur ce — « j'march' plus' » dit Jacq'lin

— Ah ! canaille ! fait Ch'vaux qui s'emballe,

Si tu n'raqu's mes trent' mill' balles

Y a des jug's autr' part qu'à Berlin !... »

Ah ! la bonne histoire :

Des candidats qui r'fus'nt de s'payer... nos poires

C'est à n'y pas croire ?

Et d'entendr' deux lascars comm' ça gueuler :

«  — Zut ! je suis roulé. »

Ben, on a beau dir'

Ça fait tout d'même plaisir !...

 

Car d'ordinaire au fond d’la combiné

Nibé, lubé,

Pin, pin ! d’la combinaise, ah !

Les roulés

Les volés

Ceux qui font les frais de tout's les combinés,

Nibé, lubé,

Pin, pin des combinais's, ah !

Pas d'erreur :

Ce sont les électeurs !...

 

 

(Du 29 juin au 5 juillet)

 

 

LA CHANSON DES SILOS

 

Air : La Chanson du linceul – « Les tisserands »

 

Sous le soleil qui nous accable,

Sous les injur's et sous les coups,

Nous tombons sur le bord des trous

Qu'on nous fait faire dans le sable.

 

Creusons des silos, mes garçons :

C'est notr' tombeau que nous creusons !

Creusons des silos, mes garçons :

C'est notr' tombeau (bis)

Que nous creusons !

 

Des germes de sourde révolte

S'entassent en nos cœurs trop gros

 Et les chaouchs, lâches bourreaux,

En feront un jour la récolte.

 

Creusons des silos, mes garçons

C'est leur tombeau que nous creusons !

C'est leur tombeau (bis)

Que nous creusons !

 

De sang et de honte flétrie,

— Pour les horreurs que l'on subit

En ton nom, en ton Biribi —

Tu peux crever, vieille Patrie !

 

Creusons des silos, mes garçons

C'est son tombeau que nous creusons

C'est son tombeau (bis)

Que nous creusons !

 

(Du 6 au 12 juillet 1910)

« Tu vois, là-bas, au bout de la cour, ces trois trous à moitié bouchés avec du sable ? C'étaient des silos. J'en ai vu descendre, là-dedans, des malheureux ! [...] On y avait mis un type auquel on a attaché les mains derrière le dos. Il est resté près de quinze jours. »

Georges Darien (Biribi).

 

 

QUE LE SANG RETOMBE SUR VOUS

 

Air : Le Midi bouge

 

Voilà que Liabeuf dit

Sous le coup'ret maudit,

— Effort suprême

Pour clamer son honneur

« Non ! Non ! Quand même,

Je n'suis pas un sout'neur ! »

 

Refrain

            — Hou, hou !

La Veuve bouge Tout est rouge !...

Hou, hou !

Que l'sang retomb' sur vous.

 

MAUGRAS, n'es-tu point là?

C'est pour toi tout cela

            — Ohé, Beau-Gosse !

Pour que tu puiss's mentir,

Menteur atroce

Davantage à l'av'nir !...

 

LEPINE, en cet instant,

Tu dois être content,

Pèr' des bourriques,

Vois les airs triomphants

Et sympathiques

De tes petits enfants !...

 

BRIAND, lav' toi les mains

Dedans ce sang humain ; (bis)

La belle affaire!

Qu'on mette un homme à mort

Ton ministère

Aujourd'hui vit encor' !

 

FALLIERES, pôvre Armand,

Dors bien tranquillement (bis)

— Les personn's grasses

Ont l'sommeil bienveillant. —

Rêv' de la grâce

D'un prochain Soleilland !

 

A moins, mon doux agneau,

Que l'ombre de Carnot (bis)

Sur toi ne passe,

Transformant sans égard

Ton rêv' bonasse

En un affreux cauch'mar !...

 

(Du 29 juin au 5 juillet 1910)

 

 

CHANT DE REVOLTE DE CE 14 JUILLET

 

Air : La Marseillaise

 

 

La rude épaule populaire

Jeta l'Ancien Régime à bas

En un jour de juste colère :

Le peuple n'en profita pas ! (bis)

Et, sous notre ère tricolore,

Le règne odieux des bourgeois

A remplacé celui des rois :

Notre servage dure encore !

 

Refrain

Courage travailleurs ! en un noir bataillon

Marchons, marchons....

Elle viendra notre Révolution!

 

Ces gens-là viennent, camarades,

Sous notre nez, exécuter

Leurs hypocrites mascarades

En l'honneur de la Liberté (bis)

Mais, tandis que les lampions brillent,

Hervé s'endort à la Santé :

Pour étouffer la Vérité

Ils ont refait d'autres Bastilles !

 

Ils n'ont que ces mots dans la bouche :

Le Progrès et l'Humanité !

Mais si de sa tombe farouche

Aernoult (1) pouvait ressusciter... (bis)

Car pour refaire la nature

De nos Garçons au front trop fier

A Biribi, lugubre enfer,

Ils ont rétabli la torture

 

Ils parlent aussi de Justice,

En évoquant quatre-vingt-neuf,

Mais ils ont laissé leur police

Couper la tête à Liabeuf (bis)

Et Briand, valet de nos maîtres,

a pour nous des airs insultants :

Il sait bien qu'on n'est plus au temps

où l'on guillotinait les traîtres !

 

Mais ça changera, camarades...

O vaillant peuple du Faubourg,

Qui fit jadis des barricades,

Tu te lèveras un beau jour ! (bis)

Et ce jour nos cœurs seront aises

En vous retrouvant avec nous,

Petits soldats, petits pioupious :

Dignes fils des gardes françaises.

 

 

(Du 13 au 19 juillet 1910)

 

(1) Aernoult, assassiné le 2 juillet 1909, à Djenan-ed-dar {Algérie) par les chaouchs militaires.

Aernoult était un ouvrier couvreur.

En 1905, vers la fin de l'année, éclatait la grève des terrassiers du métro. Il y eut au Château, près de Romainville, des incidents de grève : chasse au renard, chambardement d'un chantier.

Aernoult s'était joint à ses camarades de la « Terrasse ». Il était de Romainville. Il fut reconnu et dénoncé à la police. Il gagna rapidement les mines de Courrières.

Par défaut, on le condamnait pour faits de grève à deux mois de prison. Quelques jours avant la catastrophe de Courrières, Aernoult revenait à Romainville. La mort n'avait pas encore voulu de lui. Mais la prison le réclamait. Arrêté, jugé, il fut cette fois condamné à dix mois de prison. A peine âgé de dix-neuf ans, il était enfermé à la Petite Roquette. Un jour il reçut là, la visite d'un « rabatteur » de caserne : « quand, à votre âge on a une condamnation, lui dit ce personnage, le mieux est de s'engager pour se réhabiliter ! ».

Affaibli, désemparé, Aernoult céda ; à sa libération il partit pour l'Afrique, engagé dans les chasseurs d'Afrique.

C'était alors un beau gars, robuste, solide« un peu là », un gars tout blond comme une jeune tille, pas méchant pour un brin, point nerveux, tranquille et de bonne humeur.

Bientôt exténué par des corvées au-dessus de ses forces, roué de coups par le lieutenant Sabotier, les sergents Casanova et Beignier, victime de mille sévices, dans sa cellule, pantelant, saignant, bâillonné puis mis à la crapaudine dans les affres de l'agonie : il mourait à vingt-trois ans, le corps meurtri de coups. Reconnaitra-t-on qu'il a été frappé à la tête ? demanda un capitaine inquiet, — Non, dit le major, l'on croira qu'il s'est assommé contre les murs de sa cellule !

La Guerre Sociale.

 

 

NOS Q. M. EN VACANCES

 

Air : Quand on a travaillé

 

 

Voici les vacanc's ! — Ça pu' dans la Chambre

Grâce à tout l'ling' sal' qu'on y déballa,

Et ce cri joyeux réveill' plus d'un membre

Qui dormait, le nez dans cette odeur-là.

Voici les vacanc's ! Tous bouclent bagage

Et se précipit'nt, pour passer l'été

Vers les frais sommets ou la verte plage

Histoir' de s'refaire un peu la santé…

 

Refrain

Quand on a... rien foutu

Pendant six s'main's au plus :

(On n'peut pas s'tuer pourtant

Pour quinz' mill' francs par an !)

Quand on a... rien foutu

Pendant six s'main's au plus,

On a vraiment besoin

De se r'poser trois mois au moins !

 

D'aucuns vont aller sur quéqu' plag' mondaine

Chercher dans le jeu l'oubli d'ieurs travaux

Auront-ils la guigne, auront-ils la veine

L'soir au casino devant les p'tits ch'vaux ?

Quelle vi' d'enfer ! La roulette apporte

Dans le simple cours de son p'tit trajet

Des émotions autrement plus fortes

Que cell's qu'ils éprouv'nt au vot' du budget !

 

D'autres, en quelque provinc' retirée

Gout'ront les douceurs de la vi' d'château,

S'essoufflant au bal, toute la soirée

Mangeant d’la poussier' le jour en auto :

Il faudra qu'ils soign'nt leur langage où sonne

Souvent plus d'un mot un peu sans façon :

On ne parle pas à Mam' la Baronne

Comme à ses confrèr's du Palais Bourbon.

 

Quelques-uns, de plus rustique nature

Nemrods bedonnants et joyeux garçons

Iront dans leurs terr's faire l'ouverture

Traçant les guérets, battant les buissons ;

Mais de fusiller les lapins qui s'vautr'nt

Dans le serpolet et le thym en fleurs,

C'est plus fatiguant que d'en poser d'autres...

De ceux-là qu'ils pos'nt à leurs électeurs !

 

Ils seront vit' las de cette existence,

Nos chers députés, nos graves élus,

Rincés par le jeu, vannés par la danse,

Fourbus par la chass' ne se tenant plus ;

Et quand les premiers brouillards de novembre

Sur l'onde et les bois viendront se poser

Nous les verrons tous regagner la Chambre

Pour pouvoir enfin vraiment se r'poser...

 

Refrain final

Quand on s'est esquinté

Comm' ça tout un été

On n'peut pas s'tuer pourtant

Pour quinz' mill' francs par an !

Quand on s'est esquinté

Comm' ça tout un été

On a vraiment besoin

De n'plus rien foutr' huit mois au moins !

 

 

(Du 20 au 26 juillet 1910)

En 1910, les députés s'étaient généreusement octroyé une rémunération de 15.000 francs annuels. L'expression Q. M. (quinze mille) devint rapidement, pour les chansonniers notamment, synonyme de député. (N. d. E.)

 

 

LE DOSSIER DE DAMOCLES

 

Air : Le petit panier

M. Lépine est bien tranquille du côté de M. Briand. Il le tient, comme Colly l'a dit en pleine Chambre. Le dossier présidentiel est volumineux ! Et il parait que M. Lépine le garde dans son cabinet même.

L'Humanité.

 

 

Dans un' ribouldingue

Un roi, paraît-il,

Sur lui, vit un lingue

Pendre au bout d'un fil :

L'roi fit la grimace

Mais plus ne souffla, Pensant : «  si l'fil casse

Je suis chocolat !... »

 

Refrain

A... ristide a la frousse

Que l'chef de la Rousse (bis)

Lui lass' tomber su' l'nez

Son petit dossier ! (bis)

 

De not's policières

C'dossier est si plein

Qu'la pans' de Fallières

Près d’la sienn' n'est rien,

Et quand on l'dépose

Quéqu' part, un moment :

Ça sent la mêm' chose

Qu'au derrièr' d'Armand !...

 

Comme un livre rare

Que nul ne connaît

Lépine le gare

Dans son cabinet :

Et, farceur sinistre,

Parfois, il en lit

Un' page au ministre

Qui s'trouble et pâlit !

 

Briand demand' grâce,

Mais l'autre lui dit,

Remettant en place

Le dossier maudit :

« Y-en a six cents pages

Comm' ça dans l'mêm' goût...

Si tu n'es pas sage

J'les fais voir partout !... »

 

Aussi, que des « cognes »

Sur un citoyen

Dégain'nt sans vergogne :

Briand ne dit rien !

Qu' la Police outrage

Sans cess' le public ?...

Aristide est sage :

Il laiss' fair' les flics !...

 

 

(Du 27 juillet au 2 août 1910)

 

 

LA COMPLAINTE DE GRABY

 

Air : La Complainte de Géomay (A. Bruant)

 

 

Comme il était fils de mouchard,

Dans la « Rousse » i' d'vait fair' plus tard

Sa carrière :

Voyou féroce et sans pitié

Il aurait honoré l'métier

De son père ! (bis)

 

Il aurait pu de temps en temps

Zigouiller des manifestants

Et descendre

Jusqu'à des p'tits goss's ainsi

Que l'on a vu fair' ces jours-ci

Au pont d'Flandre ! (bis)

 

Mentant et bavant tout son saoul

Il aurait pu fair' couper 1' cou

D'un pauvr' diable

Aussi bien qu'ce Maugras qu'on a

Vu complic' d'un assassinat

Effroyable, (bis)

 

Il aurait pu, soirs et matins,

Rassasier tous ses instincts

D'brut' mauvaise :

Dans la mouscaille et l'raisiné

Le bougre aurait pu s'en donner

A son aise ! (bis)

 

Môssieu Lépine aurait pensé

Par-devant le nombre insensé

D'ses victimes :

« Voilà le serviteur rêvé !... »

Et puis il aurait approuvé

Tous ses crimes ! (bis)

 

Mais c'est-y-bêt' ! Vlà que l'mouch'ron,

Sans attendr' les ordr's du Patron,

Dans sa hâte

De voir couler le sang humain

Un jour a voulu mettr' la main

A la pâte... (bis)

 

Qu'il soit puni cet imprudent !

Mais tout doux, tout doux, cependant :

Qu'on s'rappelle

Que pour un apprenti mouchard,

Il a simplement péché par

Excès d'zèle !... (bis)

 

(Du 3 au 9 août 1910)

 

NOTICE SUR GRABY

Avec la complicité d'un nommé Michel, assassina, à coups de pieds et à coups de poings dans un wagon de chemin de fer de première classe, une dame d'un «  certain âge » d'aspect cossu, nommée Madame Gouin. Is la dévalisèrent et jetèrent le cadavre sur la voie.

DERNIERE HEURE

Nous sommes en mesure d'affirmer que le soldat Graby, après avoir été gracié de la peine de mort par le mastodonte élyséen (1), verra un 14 juillet prochain sa peine entièrement effacée. Graby reviendra donc prochainement parmi nous.

Dans cette attente, la Préfecture de Police lui réserve une des premières places dans une brigade de la Sûreté. Graby sera chargé de veiller spécialement sur les vieilles rentières.

Espérons qu'il saura se montrer à la hauteur de sa mission.

La Guerre Sociale. (Du 27 juillet au 2 août 1910)

(1)Il s'agit de Fallières. (N. d. E.)

 

 

LES SOLDATS ONT LA JAUNISSE

 

Air : Joséphine, elle est malade

« La jaunisse militane est déjà représentée au cimetière du Père Lachaise par les sapeurs du génie ! »

L'Humanité.

« Sur la demande du Maire, vingt-deux ouvriers boulangers militaires ont été réquisitionnés et envoyés à Aubagne pour remplacer les grévistes ».

Les Journaux.

 

 

Les soldats ont la jaunisse !

Pour soigner ces pauvres gâs,

Major ! rengain' tes services

Et ton ipéca (bis)

Tu ne peux rien à leur cas !

 

Si l'ouvrier s'met en grève,

Trouvant son salair' trop bas

Pour faire un' besogn' qui l'crève :

Ces vaillants soldats (bis)

La font pour un bon d'taba' !

 

Pris d'un courage effroyable,

Quand i' s'agit d'fondr' dessus

Le boulot du pauvre diable

Ils ne savent plus (bis)

C'que c'est que d'tirer au cul !

 

Ils sont bons à toutes choses,

A tout ils mettent la main :

Si ça continu', j'suppose

Qu'on les verra d'main (bis)

Vider l'pot Faubourg Saint-Germain ?

 

Ce jour, poudrant leur gueul’ jaune

D’la farin' des boulangers,

Font l'pain dans les Bouch's du Rhône

Afin d'empêcher (bis)

Tous les mitrons de manger !

 

A Paris de quell’ manière

Ils prodiguent leurs talents :

Déménageurs de cim'tière

I's vont trimbalant (bis)

Des Macchabé's purulents

 

Si, dans sa tombe encor neuve

Le cadavr' d'un fusillé

De Draveil ou de Vill'neuve (1)

Allait s'réveiller (bis)

Au nez de son meurtrier?

 

L'vant son linceul écarlate

Que l'sang a teint dans ses flots,

I' cri'rait «  A bas les pattes,

Espèc' de salop (bis)

Et fous-moi l'camp au galop ! »

 

Ça leur coup'rait la jaunisse

A tous ces malheureux gas,

Major ! mieux que tes services

Et ton ipéca (bis)

Qui ne peuv'nt rien à leur cas !

 

 

(Du 4 au 10 août 1910) (2)

(1)       Draveil et Villeneuve : tristes illustrations du rôle de Clemenceau comme briseur de grèves. Des grévistes furent tués par la troupe à Draveil, en mai 1908, et à Villeneuve-Saint-Georges en juillet 1908. (N. d. E.)

(2)       Ce numéro de La Guerre Sociale comportait une erreur de date ; il faut lire : «  du 10 au 16 août 1910 ». (N. d. E.)

 

 

L'OISEAU QUI VIENT DE France

 

Air : C'est un oiseau qui vient de France

 

 

Il paraît qu'un homme-volant

Vient de passer d'une aile altière

Dedans un bon petit biplan,

Par-dessus le poteau frontière !

L'accueillant en libérateur,

Les gens des provinces perdues

Ont tendu leurs mains éperdues

Vers le vaillant aviateur.

 

Refrain

Comme dans l'antique romance

Chef-d'œuvre des Cafés-Concerts,

Ils ont soupiré vers les airs : (bis)

« C'est un oiseau qui vient de France »

 

Après avoir séché les pleurs

De la Lorraine et de l'Alsace

Et déployé les trois couleurs

Il est reparti dans l'espace ;

L'air martial et décidé,

De gloire et de conquête avide,

Il a dans son élan rapide

Franchi le Rhin comme Condé !

 

Refrain

Mais un bon Teuton de Mayence

S'écria, dès qu'il l'aperçut :

«Sentinelles!... tirez tessus !.. (bis

C'est un oiseau qui fient te France ! »

 

Alors il monta jusqu'aux cieux

Regardant tournoyer les balles,

Dessous son vol audacieux,

Comme en d'impuissantes rafales ;

Puis narguant le gros Zeppelin

Qu'on dépêcha pour le combattre

Devant Berlin il vint s'ébattre...

Victoire !... il rentre dans Berlin !

 

Refrain

Les cœurs palpitent d'espérance ;

Déroulède est tout embrasé,

Et les bistros vont pavoiser...

C'est un oiseau qui vient de France !

 

L'ardent émule de Latham

S'en vient maintenant de descendre

Devant les marches de Potsdam

Sommant le Kaiser de se rendre...

C'est fait ! Le Kaiser se rendant

Avec tout un butin énorme

Dont quinze-cents beaux uniformes !

C'est la revanche de Sedan !

 

Refrain

(Dernière heure)

Mais hélas ! ce fait qu'on avance

Semble de moins en moins certain ;

C'est quelque «  Canard » du « Matin » (bis)

C'est un oiseau qui vient de France !

 

(Du 17 au 23 août 1910)

 

LA SUPPRESSION DES DEMI-PORTIONS

 

Air : Ah ! mes enfants !

 

L'autr' jour chez mon bistro, réinstallant pour dîner,

J'commande, en dépliant ma serviett' sous mon nez,

Ma d'mi-portion :

« Monsieur, m'répond alors le patron, d'un air dign'

Nous avons supprimé dans notre grand meeting

Les d'mi-portions !

 

— L'vin n'est plus abordabi', la viande est hors de prix !

Nous n'pouvons plus donner, puisque tout renchérit

De d'mi-portions ;

C'est l'temps qu'est caus' de ça, les temps sont bien changés :

Ah ! sous l'Empir' Monsieur, on pouvait en manger

Des d'mi-portions ! »

 

« — Ça va bien ! fais-je alors, pas tant de boniments

Et servez-moi, puisque y-a pas mèche autrement

Toute un' portion ! »

Là-dessus, il s'éclipse et r'vient d'un geste fier

M'apporter cett' portion à qui j'trouve un grand air

De d'mi-portion!

 

Un minuscul' morceau d'bœuf filandreux et sec

Et (je les ai comptés) seize fayots avec :

Vlà ma portion !

Or, les fayots nombraient des fois jusqu'à dix-neuf

 Dans mon assiette autour du même morceau d'bœuf

En d'mi-portion!

 

Je me dis «  Tiens, le bougre a sûr'ment plaisanté...

C'est encore un bateau qu'il a voulu m'monter :

Les d'mi-portions ! »

Mais voici le quart d'heur' de Rab'lais, j'tir' six ronds

Que j'étal' sur la tabl' pour payer au patron

Ma d'mi-portion !

 

Mais — « Non, Monsieur, dix sous ! rectifi'-t-il, je crois

Avoir prév'nu Monsieur que nul n'avait plus droit

Aux d'mi-portions...

Eh ben! r'prends-je, en saignant d'quat' autr's ronds ma fortune

Vous en avez d'l'astuc', vous ! et sûr'ment plus d'un'

Demi-portion !

 

Lorsque vous déclarez, sur un air convaincu

Qu'en votre honnêt' gargot' les clients n'trouv'ront plus

De d'mi-portions,

Vous avez un' bizarr' façon d'vous exprimer ?

C'est pas les d'mi portions qu'vous avez supprimée

C'est les portions ! »

 

(Du 24 au 30 août 1910)

 

 

VACHE-QUI-VOLE

 

Air : Le Curé de Pomponne

 

— On vient d'arrêter l'inspecteur Robert qui avait volé 10.000 francs à une folle.

Les Journaux.

 

 

A l'infirmeri' du Dépôt

Une pauvre démente

Répétait le même propos

De façon insistante ;

Elle s'écriait comm' ça :

«  Croyez-en ma parole,

J'viens d'voir tout à l'heur' — larira ! —

Une vache-qui-vole !... »

 

— «  Très bien » déclarèr'nt les docteurs

Et tout le mond' pensa d'même :

« Les exploits des aviateurs

Lui travaill’nt le système ;

La conquête de l'air y a

Fait perdre la boussole...

Laissons-la tranquill' — larira —

Avec sa vach'-qui-vole !

 

— Mais, écoutez-donc, nom d'un chien !

Insista la louftingue

« Cett' vach'-là volait si bien...

Qu'ell' m'a fait mon morlingue !

Où donc est l'roussin qui m'fouilla

Parce que j'étais folle ?

Qu'on aill' me le chercher, — larira —

J'veux voir ma vach'-qui-vole »

 

On am'na l'inspecteur Robert

Le héros de ce drame,

R'connu avoir fauché l'auber

De la malheureus' femme ;

Dix-mill' ball's, ça n'était pas

Pour une simple obole

Qu'avait opéré, — larira ! —

Cette vache-qui-vole !

 

« C'est, avoua-t-il en pleurant

Afin d'avoir des r'ssources

Pour pouvoir comme Yves Durand

Tripoter à la Bourse

Qu'j'ai mis d'un geste indélicat

La main sur ce Pactole

Et que j'ai joué, — larira ! —

Au jeu de vach'-qui-vole.

 

Mon coup — si l'on veut raisonner —

Etait aussi honnête

Et tout aussi bien combiné

Que l'Affaire « Rochette » :

Pourquoi donc cett' toqué'-là

Que le diabl' patafiole

Est-elle venu' — larira ! —

Parler de vach'-qui-vole ? »

 

Après les scandales d'hier

Qui demain vont reprendre,

Lépin' savour' ce fait divers

Simple histoire d'attendre !

Car le jour où se réveili'ra

L'enquête qui somnole

T'entendras r'parler — larira ! —

Sans dout' de vach's qui volent !

 

 

(Du 31 août au 6 septembre 1910)

 

 

LA PLAISANTE PREMIERE COMMUNION

 

Air : Le bal à l'Hôtel de Ville (Mac-Nab)

L'incapable successeur de Léon XlII vient de décréter que dorénavant les enfants feront leur première communion non pas à l'âge de onze et douze ans, mais à sept ou huit ans !

Pourquoi pas tout de suite au biberon ?

Ce serait encore plus prudent pour sauvegarder la pureté de la foi et préserver les jeunes âmes de la contagion du doute et des embûches du libre arbitre.

Le Rappel.

 

 

I' s'en pass' de tout's les couleurs

A la place du Tertre :

L'aut' soir un marchand d'sacrés-cœurs

Et d'souv'nirs de Montmartre,

En rentrant chez lui

Autour de minuit

Trouve — spectacle infâme ! —

Un méchant curé

Qu'avait l'doigt fourré

dans le... nez de sa femme ! (bis)

 

Voyant s'étaler sous son toit

Des mœurs aussi mauvaises,

Vlà l'pauvr' qui gueul' comme un putois

En bousculant les chaises :

— « Sacré nom de d’là !

Qu'est-ce que tu fous là,

Pourceau de sacristie ? »

L'autr' sans s'déranger,

D'un ton dégagé,

Répond : «j'présent’ l'hostie ! » (bis)

 

Prenant pour un vil calembour

Cett' réplique du prêtre,

L'marchand braill' « tu vas faire un tour

Par-dessus la fenêtre,

Espèc' de Borgia

Au monde il n'y a

Pas d'salaud d'ton calibre ! »

Mais l'autr' fait un sign'

Très noble et très dign'

De sa main resté' libre (bis)

 

«  Là, là, vous allez éclater !

Calmez-vous mon brave homme !

Oyez plutôt la volonté

De notr' Saint-Pèr' de Rome :

Pour quTâme des enfants

Au Mai triomphant

Demeure inaccessible,

Faut qu'nous leur donnions

La Saint' communion

L'plus tôt qu'il est possible ! (bis)

 

Or, enceint' de quatr' mois au plus

Votre épouse fidèle

S'préoccup' déjà du salut

Du p'tit qu'ell' porte en elle ;

Et, chrétienn' zélé',

Ell' m'a fait app'ler

Pour qu'en sa r'trait' profonde

Je fass' communier

Votr' jeune héritier

Avant qu'i n'vienne au monde ! (bis)

 

C'est scabreux d'colloquer l'bon Dieu

En pareille occurrence :

Mais la grâc' pass' par ousqu'ell' peut

Mon brave, y-a pas d'offense ! »

— «  Non, non ! ...fait l'papa

Qu'en reste baba,

Mais je trouve, mazette !

Que votr' sacrement

N'est... évidemment...

Pas dans une... musette ! » (bis)

 

Là-dessus, le curé s'en va...

Alors notr' Boubouroche,

Avec des airs de St Thomas

Dit à sa femme : « approche ! »

Et l'oreill’ collé'

Su' l'ventre gonflé,

I' s'écri' : « Mélanie,

J'entends — quel succès —

L'salé' qui chant' «c'est

L'plus beau jour de ma vie » (bis)

 

(Du 7 au 13 septembre 1910)

 

 

UBU PRESIDENT

 

Air : Le Roi Dagobert

« C'est à se demander si cet homme (Fallières) a une conscience ? »

L'Humanité.

 

 

Ce grotesque salaud

Nous avait semblé rigolo

Quand de par l'esprit

De ce brav' Jarry,

Nous le connum's roi

D'un lointain endroit,

Mais fini d'rir' maint'nant

MERDRE !... C'est lui notr' Président !

 

L' « boufre » n'a pas changé

Il met toujours avant d'juger,

Sous son cul pesant

Justice et bon sens.

« Ces chos's Père UBU

On n's'assoit pas d'ssus,

Veuillez l'ver votr' séant!

MERDRE — répond le Président.

 

« Voyons, hier encor

Vous étiez contr' la pein' de mort ?

— Oui, mais à présent

J'en suis partisan :

Si quelques chrétiens

Perd'nt leur tête, eh bien !

Moi, j'garde en attendant

MERDRE — ma plac' de Président ! »

 

Allons, corne de bœuf !

Dites-moi quel est ce Liabeuf ?

— Un pauvr' travailleur,

Un' victim' des « mœurs »

— Ça suffit ainsi :

Qu'on l'passe à la sci'

A dédoubler les gens!

Et MERDRE ! rugit l'Président !

 

Puis après un répit :

« — Qui ça peut-il êtr' que Graby ?

— un vil assassin,

L'fils d'un argousin....

— C'est asssez... ho là

Que l'on ouvre la

Porte aux grâc's et viv'ment !

MERDRE — pardonne le Président !

 

« Eh bien !... et Duléry ?

— Il était soldat, comm' Graby —

Mais on ne peut pas Comparer leur cas,

Et c'est excessif

Pour un coup d'canif

D'encourir tel jug'ment...,

MERDRE, MERDRE ! — dit l'Président

 

« — Son père est policier

Que fabriqu'nt donc ses devanciers?

— C'sont des gens d'honneur,

De brav's travailleurs...

— Bon ! leur fils va voir

Le danger d'avoir

De semblables parents,

MERDRE ! au poteau ! » fait l'Président !

 

« Père UBU, mon p'tit chou,

Allons voyons quand cess'rez vous

Ces bourdes cruell's

Et présidentielle?

Vraiment on croirait

Qu' vous les fait's exprès :

Le peuple est mécontent

J’l’EMMERDRE... gouaill' le Président !

 

 

(Du 14 au 20 septembre 1910)

 

LIABEUF

 

L'affaire Liabeuf qui lit un bruit énorme dans toute la France fut — en somme — un ignoble chantage policier.

Arrêté vers la fin juillet 1909 par deux agents en bourgeois qui prétendaient l'avoir vu recevoir de l'argent d'une femme sur la voie publique, le tribunal correctionnel — sur leur témoignage — lui infligea 3 mois de prison et 5 ans d'interdiction de séjour. Les agents avaient menti.

Liabeuf jura de se venger.

Après avoir purgé sa peine il revint à Paris et cette infraction lui valut encore 1 mois de prison.

Libéré, il retrouve du travail, d'autant plus que ses patrons avaient de lui une très bonne opinion. Il était passé maître dans sa profession de cordonnier. De nombreux témoignages concordaient : à savoir que Liabeuf était un bon ouvrier sobre, habile et courageux, qualités singulièrement incompatibles avec l'accusation jadis portée contre lui : d'être un souteneur et un apache.

Dans la crainte d'être encore arrêté, harcelé qu'il était par la police des mœurs, il se confectionna minutieusement à l'aide de cuir et de semences : deux formidables brassards ! Inévitablement il y eut rencontre avec les agents — bagarre terrible et Liabeuf succomba sous le nombre ; malgré son âpre défense il reçut un coup de sabre dans la poitrine après avoir à coups de revolver et de tranchet, abattu l'agent Deray.

Condamnation cette fois à la peine de mort. Un manifeste de recours en grâce adressé à Fallières malgré l'opinion publique et l'insistance de ceux qui l'avaient signé : Séverine, Rochefort, Anatole France, Jaurès, Léon Bailby, Camille Pelletan, l'Abbé Lemire, Jacques Dhur, Henri Maret, Edouard Drumont, Steinlen, etc.

Liabeuf proclama au moment de son exécution :

«  J'affirme que je ne suis pas un souteneur !

 — Quand même, je ne suis pas un souteneur ! »

La Guerre Sociale.

 

LA MORT DE MADAME LIABEUF

 

L'assassin, c'est Lépine. Madame Liabeuf est morte.

Le prolétariat de Saint-Etienne a lait à cette mère, de solennelles et grandioses funérailles.

Ne pouvant être présents, c'est de tout coeur nous nous sommes associés à cette manifestation nécessaire.

Mais alors que le crime policier vient de faire s'ouvrir une tombe nouvelle, nous nous faisons un devoir de dénoncer encore le responsable.

Tous les grands noms de tous les partis s'étaient associés pour réclamer la grûce de Liabeuf, victime d'une affreuse erreur judiciaire. La France ouvrière s'était par de vastes meetings, associée à cette requête.

Pour couvrir les gredins de son abjecte police des mœurs, le préfet de police opposa son veto à ce recours en grâce. Avec une sauvage ténacité, il exigea la tête de la victime de ses argousins. Le roi fainéant de l'Elysée la lui jeta lâchement.

Et la vieille mère est morte, tuée de douleur, sans avoir eu la consolation d'être vengée.

La Guerre Sociale.

(Du 12 au 18 avril 1911)

 

DULERY

 

Pauvre petit pioupiou exécuté à Biribi « dans les formes légales » pour avoir blessé légèrement d'un coup de canif un ignoble chaouch qui le « passait à tabac ».

 

 

A LA FAÇON DE BARBARIE...

 

Air : A la façon de Barbari mon ami

 

 

Depuis le temps que Nicolas,

Ce tapeur plein d'astuce,

Fait chez nous, après chaqu' gala,

Un nouvel emprunt Russe :

A notre tour, allons-nous donc

La faridondaine, la faridondon

Emprunter quelque chos' chez lui

Biribi

En son pays de Barbarie

Mes amis?

 

« Emprunter » ? après tout, faut pas

Qu'ce mot vous estomaque !

Ce qu'on doit emprunter là-bas

C'est... le knout des cosaques !

Pour mater les apach's — dit-on —

La faridondaine, ...

On veut nous apporter ici,

Biribi

Cette façon de Barbarie

Mes amis !

 

On n'supprim'rait à c'régim'-là,

Ni l'vic', ni la misère

(Ni la polic' qui rend hélas !

Les apach's nécessaires —)

Mais quand l'Peuple bronche... ai-donc !

La faridondaine, ...

On pourrait le traiter aussi

Biribi

A la façon de Barbarie

Mes amis !

 

Voyez-vous comm' ça s'rait chic

Pour Lépine et ses « vaches »

D'pouvoir nous m'ner comm' des Moujiks

A grands coups de cravaches?

Pour Briand quell' jubilation

La faridondaine, ...

D'nous voir assaisonnés ainsi

Biribi

A la façon de Barbarie

Mes amis?

           

I' n'manqu' que c'dernier avatar

Pour que notr' République

A l'Empir' du P'tit Pèr' Fouettard

Soit dev'nue identique :

S'il arriv' nous nous souviendrons

La faridondaine, ...

Que l'on jett' des bomb's en Russie

Biribi

Contr' les façons de Barbarie

Mes amis!

 

Mais espérons que l'fouet n'plaqu'ra

Ses caresses brutales

Qu'sur l'rable des vieux magistrats,

Dans les maisons spéciales :

Chacun s'amuse à sa façon,

La faridondaine, ...

Mais qu'on n'nous impos' pas aussi

Biribi

Le petit jeu de Barbarie

Mes amis !

 

(Du 21 au 27 septembre 1910)

 

 

LA GREVE DES CHARCUTIERS

 

Air : Andouill's - Marche (Dranem)

(En avant le bataillon des Andouilles)

Les patrons charcutiers ont fait appel aux ouvriers allemands, mais ceux-ci se sont refusés à remplir le rôle de jaunes.

Les Journaux.

 

 

L'autr' jour dans Paris v’là qu'les charcutiers,

Plaquant en cinq sec leur cochon d'métier

Où l'salaire est mince et rud' le boulot !

S'sont mis à chanter cet air rigolo :

 

Refrain

« Halte là ! ne faisons plus les andouilles

Et qu'les patrons pendant c'temps-là se débrouillent :

S'ils n'veul'nt pas y mettr' le prix

Pour fair' fair' leur cochonn'ri'...

Trou la la la la la la

Les andouill's rest'nt là ! »

 

Alors les patrons qui voulai'nt manger

— Sous l'affair' Dreyfus — tous les étrangers,

Oubliant soudain leurs ressentiments,

Ont fait l'embauchag' d'ouvriers aU'mands :

 

Refrain

« Qu' voulez-vous ? pourvu qu'on fass' nos andouilles

Dans l'commerce i' faut qu'on se débrouille :

Y-a des fois qu'la cochonn'ri'

Fait oublier la Patri'...

Trou la la...

Les andouill's sont là ! »

 

Mais les ouvriers venus d'Outre-Rhin,

S'rendant compt' des chos's en sautant du train,

S'sont mis à leur tour en d'voir de chanter,

En un bel accès d'solidarité :

 

Refrain

« Dans ce cas nous ne f'rons pas les andouilles

Et qu'les patrons à leur ais' se débrouillent :

Nous n'ferons par d'cochonn'ri's

A nos frèr's de c'pays-ci...

Trou la la...

Qu'les andouill's rest'nt là »

 

Maintenant, que vont faire les patrons ?

— Si vous tenez bon, les patrons cèd'ront !

Et cett' grèv' malgré l'dir' des plaisantins

Ne finira pas en... eau de boudin !

 

Refrain

Charcutiers ! ne fait's pas les andouilles

Et qu'les patrons pendant c'temps se débrouillent

Ceux qui travaill'nt en c'moment

Y-a d'quoi leur crier vraiment

Trou la la...

Les andouill's, les v'là !

 

(Du 28 septembre au 4 octobre 1910)

 

 

CHANSON POUR LA CLASSE

 

Air : La terre (J. Jouy)

 

 

Petits conscrits de vingt ans,

Ohé la classe !... en partant

A l'Armée,

Si l'un d'entre vous ne sait

Pas encor ce que c'est

Que l'Armée,

Hâtez-vous donc d'entonner

Avant d'être bâillonnés

Par l'Armée,

Cette petite chanson

Pour tuyauter ce garçon

Sur l'Armée

 

C'est l'exil du nid chéri

Où tes amours ont fleuri

Que l'Armée !

Adieu les petits mots doux

On va t'en foutre, mon chou

Dans l'Armée :

En entendant résonner

Les jurons des galonnés

De l'Armée

Hélas ! bien souvent ton front

Frémira sous les affronts

De l'Armée...

 

Morne et docile troupeau

Amassé sous un drapeau :

C'est l'Armée !

Petit bleu, malheur à toi !

Si tu ne marches pas droit

A l'Armée

Car les bagnes algériens

Ne sont pas faits pour les chiens

Dans l'Armée,

Et les horreurs qu'on subit

Au fin fond de Biribi :

C'est l'Armée

 

La gardienne qui défend

Le Capital triomphant

C'est l'Armée !

Si ton père et tes frangins

Font grève le mois prochain,

Dans l'Armée

Vers l'usine on t'enverra

Sac au dos et l'arme au bras

Toute armée,

Pour tirer sur tes parents (!) :

Voilà pourquoi l'on te prend

A l'Armée !

 

Ce salaud qui cravacha

Un jour un de ses soldats :

C'est l'Armée !

Duléry mis au poteau

D'autres l'y suivant bientôt :

C'est l'Armée !

Nos rapines de coquins

Parmi les douars marocains !

C'est l'Armée,

Et le souvenir vermeil

De Narbonne et de Draveil

C'est l'Armée

 

Mais à présent, avant tout,

C'est toi ! mon gâs et c'est nous

Cette Armée !

On verra bien, Nom de Dieu !

Si l'on fait ce que l'on veut

De l'Armée?

Le chemin ouvert déjà

Par le dix-septième est là,

Dans l'Armée !

Conscrit, tu t'en souviendras

Tout le temps que tu seras

A l'Armée!

 

(Du 5 au 11 octobre 1910)

 

 

LA CARMAGNOLE DES CHEMINOTS

 

 

Dans toute la société (bis)

Parmi les métiers exploités (bis)

S'il existe un boulot

Qui n'est pas rigolo

Hélas ! c'est bien le nôtre :

Les cheminots (bis)

Hélas ! c'est bien le nôtre :

Les malheureux cheminots !

 

Au long des lign's entre les rails (bis)

S'il est dur notr' sacré travail (bis)

En revanch' nous gagnons

Des masses de pognon

Pour tous les actionnaires

O cheminots (bis)

Pour tous les actionnaires

O ! malheureux cheminots !

 

Si ces messieurs par nos efforts

Emplissent leur grand coffre-fort

Nos gosses en ce jour

Peuv'nt battre du tambour

Sur leur 'tit ventre vide

O cheminots (bis)

Sur leur 'tit ventre vide

O ! malheureux cheminots !

 

On n'veut plus crever su' l'turbin (bis)

Pour nos bambins, nos bambins (bis)

Crever de faim pendant

Qu'un' poigné' de feignants

Entassent des fortunes

O cheminots (bis)

Entassent des fortunes

O ! malheureux cheminots !

 

Que demand’nt tous les cheminots ?

Chaq’ semaine un jour de repos

Et pour les moins payés

Qui soi’nt dans le métier

Ils veul’nt la thune ronde

Les cheminots (bis)

Ils veul’nt la thune ronde

Les malheureux cheminots

 

Allons-y, marchons tous en chœur (bis)

Et si quéqu’joyeux saboteur (bis)

Pour fair’ marcher un brin

La Grève, arrêt’ les trains

Ils auront le sourire

Les cheminots

Ils auront le sourire

Les malheureux cheminots

 

Refrain

En avant ! viv’ la Grève !

Des cheminots ! (bis)

En avant ! viv’ la Grève !

Des malheureux cheminots !

 

(11 octobre 1910)

 

 

CHEMINOTS, QUEL JOLI SABOTAGE !

 

Air : Ah ! Mesdames voilà du bon fromage

 

 

Cheminots, quel joli sabotage !

Voilà du sabotag' parfait

Et Mossieu Lépin' demand' qu'est-c' qui l'a fait ?

 

Refrain

— Celui qui l'a fait...

Il est de son village !

Cheminots, quel joli sabotage

Voilà du sabotag' parfait

Et Mossieu Lépin' demand' qu'est-c' qui l'a fait ?

 

On l'appell' Chos' dans son entourage

Mais un' personn' qui le connaît

M'a dit qu'c'était Machin qu'il se nommait !

 

Refrain

Celui qui l'a fait

Le joli sabotage

On l'appell' Chos', dans son entourage,

Mais un' personn' qui le connaît

M'a dit qu'c'était Machin qu'il se nommait !

 

Ses cheveux sont noirs comm' le cirage

Dans la nuit, mais il se pourrait

Que l'bougre soit blond lorsque le jour paraît !

 

Refrain

Celui qui l'a fait

Le joli sabotage

Ses cheveux sont noirs comm' le cirage,

Dans la nuit, mais il se pourrait

Que l'bougre soit blond lorsque le jour paraît !

 

 

Il a l'nez au milieu du visage

Et, signalement plus complet,

Il paraît qu'il a du poil... sur les mollets

 

Refrain

Celui qui l'a fait

Le joli sabotage

Il a l'nez au milieu du visage

Et, signalement plus complet,

Il paraît qu'il a du poil... sur les mollets.

 

Il demeure on n'sait à quel étage,

A Courbevoie ou Bagnolet :

Pour plus d'renseign'ments d'mandez à son pip'let !

 

Refrain

Celui qui l'a fait

Le joli sabotage

Il demeure on n'sait à quel étage,

A Courbevoie ou Bagnolet :

Pour plus d'renseign'ments d'mandez à son pip'let !

 

S'il vous plaît d'en savoir davantage

Maintenant, Môssieu le Préfet

Adressez-vous donc à celui qui l'a fait !

 

Refrain

Celui qui l'a fait

Il est de son village

S'il vous plaît d'en savoir davantage

Maintenant, Môssieu le Préfet

Adressez-vous donc à celui qui l'a fait !

 

(Du 12 au 18 octobre 1910)

 

 

ÇA VA, ÇA VA, LA GREVE MARCHE

 

Air : Meunier, Meunier, tu es cocu ! (Bruant)

 

Nous apprenons avec chagrin (bis)

Qu'Brisson n'a pas pu prendr' le train

Ça va, ça va, la Grève marche !

C'qui fait que, de c'tt' affair'-là

L'train n'marchait pas !

 

Au banquet, Briand n'peut cacher (bis)

Qu'il a chié plus qu'il n'a mangé

(Ça va, ça va, la Grève marche !)

L'appétit du Renégat

Ne marche pas !

 

On vient d'app'ler sous les drapeaux (bis)

Tous les malheureux cheminots

Ça va, ça va, la Grève marche !

Car i' s'peut qu'ces bougres-là

Ne marchent pas !

 

L'métro, l'bâtiment en ce jour (bis)

Vont se mettre en grève à leur tour

Ça va, ça va, la Grève marche !

Y-a qu'les affair's des bourgeois

Qui n'marchent pas !

 

Le « vieux bouc » a mis le grappin (bis)

Sur quelques-uns de nos copains

Ça va, ça va, la Grève marche !

Mais pour l'arrêter... cell'-là

I’ n'pourra pas !

 

(14 octobre 1910)

 

VIVE LA LIBERTE !

 

Air : Vive la république - vive la liberté

 

D'puis que l'Gouvernement pourri

D'Aristid' le Cynique

A déchaîné dessus Paris

Ses troupeaux de bourriques

On entend plus qu'un cri :

Vive la République (? ?)

C'est l'cri d'actualité

Vive la Liberté ! (? ?)

 

« Ah ! vous trouvez, bons cheminots,

Votr' salair' trop modique !

Moi j'vous appell' sous les drapeaux

— Dit cet homme pratique —

Comme ça pour la peau...

Vive la République, (??)

Vous s'rez forcés d'gratter

Vive la Liberté (? ?)

 

Vous, à qui j'ai jadis parlé

D'descendre avec des piques

Si j'vous entends seul'ment gueuler

Contre ma politique

Je vous fais tous boucler

Vive la République (? ?)

Hein ! j'en ai-z-un'... Santé ?

Vive la Liberté (? ?)

 

Mais pondez tant qu'il vous plaira

Des papiers ironiques,

Car j'us' pour qu'ils ne m'atteign'nt pas,

D'un moyen magnifique :

Sur l'marbre, tous en tas

Vive la République (? ?)

Je les fais barboter

Vive la Liberté ! (? ?) »

 

Allons-nous toujours rester là

En «  boulots » pacifiques,

Subissant le mors et le bât

De c'régime horrifique ?

De bon cœur on n'criera

Vive la République !

Qu'quand il aura sauté...

Vive la Liberté !

 

(15 octobre 1910)

 

 

NIB DE CONSPIRATEURS !

 

Air : Viens Poupoule

 

Vlà comm' c'est au jour d'aujourd'hui :

On n'peut plus fair' pipi

Sans qu'la Rouss' vienne analyser

Ce que l'on a pissé.

Si quelque bon bougre, en passant,

Lâche un pet innocent,

Immédiat'ment un tas d'mouchards

Vienn'nt lui sentir quéqu' part,

Mais grâce à

C'régim'-là

Quel merveilleux résultat !

 

Refrain

Aristide, Aristide, vient

D'découvrir un complot

Tout à fait rigolo

            Ho!

Aristide, Aristide, bien !

Mais y-a qu'un p'tit malheur !

NIB de conspirateurs

 

Le Jaune, dans son cabinet

Fait en c'moment l'effet

De c'goss' qui marche dans la nuit

Sans rien voir devant lui :

I' n'pass' personn' sur le chemin

Mais le sacré gamin

N'fait qu'rêver tout en marchant

D'histoires de brigands ;

Et pris d'peur,

Quell' clameur !

Le v'là qu'il gueule : « Au voleur »

 

C'est aussi le moyen classiqu'

D'sauver la Républiqu'

l ne bourrera jamais trop

Le crâne à Mascuraud !

Mais si c'est encore permis

D'rire un brin à Paris,

Laissez-nous devant ce p'tit jeu

Nous gondoler un peu !

Ah ! ah ! ah !

Nom de d'là !

Elle est vraiment bonn' cell' là

 

Au refrain

 

(17 octobre 1910)

 

 

BRAVE CHAUSSETTE A CLOUS

 

Air : Petite brunette aux yeux doux

 

Quand l'régiment part en campagne

Si la chaussett' russe accompagne

Les pieds nickelés des pioupious

Nous, on a la chaussette à clous !

Bon bougre, par ces temps de grèves

Chaque matin, quand tu te lèves,

Ne va pas oublier surtout

De chausser la chaussette à clous !

 

La march' victorieus' d'une armée

S'opèr' par ta grâce embaumée

Chaussette russ' ! Mais on s'en fout :

Nous, on a la chaussette à clous !

Oui, pour arranger le derrière

Aux judas d’la classe ouvrière

Qui vendent leurs copains pour trent' sous,

Nous nous avons la chaussette à clous !

 

EU' ne sort pas, comm' bien l'on pense,

D'chez l'fournisseur des Elégances

Mais elle est pratique comm' tout,

Cette brave chaussette à clous!

Et, pour les servic's qu'on lui d'mande,

C'est la plus large et la plus grande

Qui prime, soit dit entre nous,

En fait de chaussette à clous!

 

Hal'tants, effarés, mine sombre,

Tous les renards grattant dans l'ombre

Rentrent subito dans leurs trous

Quand ils voi'nt la chaussette à clous !

Dans le trait'ment de la jaunisse,

Les plus incurables guérissent

Quand on les frictionne à grands coups...

A grands coups de chaussette à clous !

 

Dedans les cas où la machine

A bosseler, sa p'tite frangine,

Fait du boulot un peu trop mou,

Faut lui joindr' la chaussette à clous !

Allons, bon bougre enfile et lace

Tes plus formidables godasses :

Tu port's ta victoire à leur bout...

En avant la chaussette à clous !

 

(18 octobre 1910)

 

 

LE SAUVEUR

 

Air : Minuit Chrétien, c'est l'heure solennelle

 

Minuit, bourgeois, c'est la fin de la grève,

Et l’homm'-poisson de la place Beauvau

S'en est venu chasser les mauvais rêves

Qui d'puis quéqu' temps chahutai'nt vot' cerveau.

Les militants gis'nt au fond de ses geôles,

Sous le collier rentrent les travailleurs,

Allons, bourgeois, remercier le drôle

Briand ! Briand !

Voilà votre Sauveur !

 

Ancien apôtr' de la grèv' générale :

C'est grâce à lui que vous pourrez encor

Pour quelque temps caresser d'vos mains sales

L'or entassé dedans vos coffres-forts

Allez, bourgeois, saluer votre maître

Et cavalez bien vite à l'Intérieur

Porter l'encens et la myrrhe à ce traître

Briand ! Briand !

C'est lui votre Sauveur !

 

Allons, bourgeois bégueules et sévères,

Fait's pas d'chichis : il est pour vous grand temps

De pardonner l'histoir' de Saint-Nazaire :

Ouvrez-lui donc la porte à deux battants !

Recevez-le au sein de vos familles

Et, pour lui faire encore plus d'honneur

Mariez-le avec toutes vos filles.

Briand! Briand!

C'est lui votre Sauveur !

 

Pourtant, bourgeois, si c'est fini la grève !

Chantez votre triomph' modestement

Car, de cett' lutte où l'exploité se lève

Vous ne voyez que le commencement.

Comme on reçoit' toujours ce que l'on sème

Il se pourrait, ma foi ! que tout à l'heur'

Il n'arriv' pas à se sauver lui-même,

Briand ! Briand !

Il est frais le Sauveur!

 

(Du 19 au 25 octobre 1910)

 

 

CE POLICIER-LA...

 

Air : Elle est épatant' cett' petit' femm'-là!

à Hennion -Guichard et Cie

 

 

C'est un policier qu'a vraiment du nez

Rien n'peut s'dérober à sa clairvoyance ;

Chaqu' fois qu'on l'envoi' perquisitionner

Il recueill' des chos's d'un' portée immense !

L'autre jour ayant gravi l'escalier

D'un bougre qui perche au d'ssus du « cintième »

Savez-vous c'qu'il a trouvé dès l'palier ?

Ben, il a trouvé qu' c'était haut, tout d'même !

 

Refrain

Il est épatant ce policier-là,

On n'a pas idé' de tout l'flair qu'il a,

Il prétend connaîtr' les saboteurs

Du fil à couper l'beurr' ;

Laissons-lui la gloir' de les arrêter ;

Mais un p'tit exploit dont il n'peut s'vanter.

C'est d'avoir inventé ce fil-là !

Dir' qu'ils sont tous comm' ça !

 

De son œil de lynx, avant d'pénétrer

En l'antr' du dang'reux révolutionnaire,

Il a rapid'ment inspecté l'carré

Sans rien constater d'extraordinaire ;

Mais devant l'W.-C. qu'orn' les cabinets

Ayant pris le temps d'faire un' courte pause

Il a découvert... que c'était d'I'anglais :

Pour l'mettr' sur un' pist' faut vraiment peu d'chose !

 

Après une entré' fait' d'un pas prudent,

Il a visité les meubles en douce :

Il a dit —« C'est drôl’, mon nom n'est pas d'dans ! »

En feuill'tant un vieux dictionnair' d'Larousse ;

Mais r'marquant en têt' de quelques journaux,

Les manchett's de nos éditions spéciales,

Il a présumé d'un p'tit air finaud :

« Ce gaillard doit lir'... la Guerre Sociale ? »

 

Au porte-manteau, dans chaqu' vêtement,

Plongeant une main à qui rien n'échappe

Il s'est exclamé : « J'tiens l'argent all'mand »

C'était tout bonn'ment un' vieill' pièc' du Pape ;

Mais continuant sa perquisition,

S'il n'a pas trouvé de bomb' meurtrière :

Au laboratoire, avec précaution

Il a fait porter une bonb... onnière !

 

Puis ayant fouillé, r'fouillé, trifouillé

Il est descendu, la mine ravie,

Oubliant seul'ment ses propres papiers ;

On n'peut pas songer à tout dans la vie :

Mais il n'était pas encore au second

Que l'jugeant tout d'suite en un rud' langage

Le bon bougre s'est écrié « quel c... »

Il a dû «  saisir » le reste au passage

 

 

(Du 26 octobre au 1" novembre 1910)

 

r

IL AVAIT UN TIRE-BOUCHON !

 

Air : Elle avait un' jambe en bois

 

On a traduit en correctionnelle à Paris, un homme, sous l'inculpation de port d'arme prohibée — on l'avait trouvé porteur d'un tire-bouchon.

Les Journaux.

 

 

D'puis quéqu's jours la Police

Se dépensait en vain.

Mais grâce à sa malice,

Ell’ triomphe à la fin ;

Ell’' vient de mettr' la patte

Sur un individu

Dont la noirceur éclate

D'façon inattendu'

Car au moment

D'son « emball'ment » :

 

Il avait un tir'-bouchon

Dans la poch' de son veston ;

On s'demande où s'arrêt'ra

L'audace des scélérats ?

Ah!

Il avait un tir'-bouchon...

Afin d'tirer les bouchons

Lorsqu'il voulait déboucher

Des bouteill's trop bien bouché's...

L'co-chon !

Il avait un tir'-bouchon !

 

« Ah ! lui dit l'commissaire

D'un p'tit air connaisseur,

Du crim' de la Glacière

Seriez-vous l'auteur?

Car enfin, sapristoche !

Je ne crois pas m'tromper,

Vous avez dans votr' poche

Une arme prohibé' !

Et l'garnement

R'prit cyniqu'ment :

 

—Ça ?... mais c'est un tir'-bouchon

Que j'porte dans mon veston!

(On s'demande où s'arrêt'ra

L'audace des scélérats ?)

Ah!

—Ça ?... mais... c'est un tir'-bouchon

C'est pour tirer les bouchons

Lorsque j'ai-z-à déboucher

Des bouteill's trop bien bouché's »

L'co-chon

Il avait un tir'-bouchon

 

— « N'êt's-vous point — lui dit l'juge —

C saboteur endurci

Qu'a fait tant de grabuge

Durant tous ces temps-ci ?

Car si de sabotage

Vous n'vous mêliez null'ment,

A quel sinistre usage

Vous servait c't'instrument ?

Et le bandit

Lui répondit :

 

—Ben quoi ?... C'est un tir'-bouchon

Que j'porte dans mon veston

(On s'demande où s'arrêtera

L'audace des scélérats?)

Ah!

—Ben quoi ?... C'est un tir'-bouchon...

C'est pour tirer les bouchons

Lorsque j'ai-z-à déboucher

Des bouteill's trop bien bouché's »

L'co-chon

Il avait un tir'-bouchon !

 

« Vous avez — dit Lépine —

Conspiré ! Sans cela

Ce chos'... cette machine...

Ké qu' ça viendrait foutr' là ?

Non, ça n'est pas la peine

De m'creuser l'ciboulot

Car je tiens (quelle veine !)

Un' pièc' du complot »

L'conspirateur

Fit « Et ta sœur ! »

 

Dans l'troubl' de leur âme

Les juges épatés

D'voir un êtr' si infâme

L'ont tout d'suite acquitté,

Se disant « Pas possible

D'condamner c'gredin-là

Son crime est trop terrible...

Fallièr's le graciera ! »

Rapport à ça

Il s'en tira !

 

 

(Du 2 au 8 novembre 1910)

 

 

L'HONNETE HOMME

 

Air : Héloïse et Abailard (Aï aï ma mère, aï ai papa) (Xanro))

« Je suis un honnête homme ! »

(Discours de Briand.)

 

Bons bougr's, il est de par le monde

Des chos's que l'on n'se figur' pas,

Mêm' l'espac' d'un' pauvre seconde,

Eh oui ! ma mère ! eh oui ! papa !

Et vous allez tous rester comme

Deux ronds d'flan en apprenant ça :

Aristide est un « honnête homme »

Aïaï ma mère, aïaï papa !

 

Que Puech apais' la cru' d’la Seine,

Qu'Rostand soit modeste et qu'Sarah

N'ait guèr' dépassé la trentaine,

Mon dieu ! ma mèr', mon dieu ! papa !

Qu'un Loyson ne soit pas un' bête,

A la rigueur on peut croir' ça,

Mais qu'Aristide soit honnête !...

Aïaï ma mère, aïaï papa !

 

Si Briand est un honnête homme,

Les crapul's et les renégats

Comment faudra-t-il qu'on les nomme ?

Dis-donc ma mèr', dis donc papa ?

Dans ce cas sans aucun' réplique,

Nous d'vons admettre que Judas

Etait un gaillard sympathique...

Aïaï ma mère, aïaï papa !

 

Après les sal'tés qu'il a faites

Comment vous expliquez-vous ça?

Aristide est encore honnête !

Allons, ma mèr', allons papa,

Criez « Miracl' » sur son passage !

S'il reste honnête, c'est comm' la

Saint' Vierge a gardé son puc'lage

Aïaï ma mère, aïaï papa !

 

Aristide est un honnête homme !

Qu'est-c' qui fait courir ce bruit-là ?

Ça s'rait bon à savoir, en somme :

Est-c' toi ma mère, est-c' toi papa ?

Personn' n'ayant l'culot suprême

D'aventurer un' chos' comm' ça :

C'est Briand qui l'a dit lui-même...

Aïaï ma mère, aïaï papa !

 

(Du 16 au 22 novembre 1910)

 

 

DISCOURS D'ARISTIDE

 

Devant le monument de Jules Ferry

Air : Les deux gendarmes (Nadaud)

 

Messieurs, au nom d’la République,

Si, par-devant ce monument

D'allure vraiment artistique

Je prends la parole un moment,

C'n'est pas pour autre chose, en somme,

Qu'pour fair' l'élog' de Jul's Ferry...

Jul's Ferry c'était un bonhomme

Tout à fait dans l'genr’ de Bibi !

 

Parfait'ment, messieurs, moi j'estime

Qu'en politiqu' la Trahison

Est une chose légitime

Et que les traîtres ont raison :

J'ai fait litièr' de mes principes

Et j'ai né mon habit...

Jul's Ferry, tiens ! c'était un type

Tout à fait dans l'genr' de Bibi

 

Ah ! je sais que lorsqu'on ajuste

Une épithète au bout d'mon nom,

Ce n'est pas pour m'app'ler « Le Juste »

Non, Messieurs, non, mille fois non !

Quels fâcheux surnoms l'on m'applique

Et combien en ai-je subi ?

Jul's Ferry fut un sympathique

Tout à fait dans l'genr' de Bibi

 

Mais, si vil que puisse apparaître

Aristide le Dégoûtant

Le Vendu, le Jaune, le Traître,

Messieurs, le mépris n'a qu'un temps !

Et vous fait's mon apothéose

En inaugurant ce... fourbi...

Jul's Ferry n'était pas autr' chose

Qu'un gaillard dans l'genr' de Bibi

 

Messieurs, vous allez dir' peut-être

Avec un semblant d'vérité,

Qu'à ma boutonnièr' je viens d'mettre

Les fleurs que j'venais lui porter ?

Mais bah ! c'est la mêm' chos' en somme

Parler de moi, c'est parler d'iui !

Jul's Ferry était un grand homme

Tout à fait dans l'genr' de Bibi

 

(Du 23 au 29 novembre 1910)

 

 

LES LOUPS

 

Air : Les Gueux (Béranger)

 

«  La classe bourgeoise nous traquant comme des fauves va nous obliger à nous défendre comme des loups. »

(Delpech, après le verdict de Rouen.)

 

 

Parce qu'on n'veut plus être

Des moutons humbles et doux

Qui s’laiss'nt tondre par leur maître,

On nous trait' comme des loups...

 

Les loups, les loups !

Allons, tous debout

Et défendons-nous

Comme des loups !

 

Pris d'une rage incongrue,

Briand, le Grand Louvetier

Vient d'ordonner la battue :

On nous traque sans pitié !...

 

Notre sang rougit la terre :

Liabeuf, Aernoult, Duléry

Et bien d'autres prolétaires,

Dessous leurs coups ont péri !

 

Des ch'minots qui se soul'vèrent

Dans la grèv' de l'autre mois,

Et nos copains de la « Guerre »

Sont dans les griff's des bourgeois !

 

L'horreur de tous ces supplices

Ne leur suffit pas encor :

Voilà que les .chiens d'justice

Condamnent Durand à mort 1

 

Leur meut' s'acharne à nos trousses

Aboyant sur le chemin,

De rag' de honte et de frousse...

Qui de nous tomb'ra demain ?...

 

Les loups, les loups !

Les loups, malgré tout,

Ne tomb'ront pas tous

Vivent les loups !

 

Si parmi la meute sombre

Qui vacarme derrièr' nous,

Un grand loup sortait de l'ombre

Pour venger les autres loups ?...

 

Les loups, les loups !

Les loups sont à bout :

Craignez leur courroux,

Oui, gare aux loups.

 

 

(Du 30 novembre au 6 décembre 1910)

 

 

AU LIEU D'UN PAUV PETIT POMPON

 

(Chanson de route)

Air : Tu n'manieras pas mes tétons

« Voici que le pompon disparaît par ordre du Ministre de la guerre. On parle de le remplacer par le plumet »

Les Journaux.

 

C'est ben l'cas d'dir' nom d'un pompon!

Que l'Minisse i-songe au troufion,

Puisque grâce à sa décision :

Je port'rai, tu port'ras

Nous port'rons un plumet haut d'ça,

Au lieu d'un pauvr' petit pompon

tontaine

Au lieu d'un pauvr' petit pompon

ton-ton !

 

Ça n'empêch'ra pas l'adjudant,

D'nous engueuler, d'nous foutr' dedans

Mais c'est égal en attendant

Je port'rai, etc.

 

Ben sûr que ça n'nous mettra pas

Deux liards de graiss' dans notr' rata,

Mais pour se r'fair' des mauvais r'pas :

Je port'rai, etc..

 

Si d'aucuns tournent d’l’œil encor

Par la vacheri' du Major,

Pour se consoler de leur mort :

Je port'rai, etc..

 

Ça n'nous sauv'ra pas certain'ment

D'tous les sal's vic's du Régiment,

Mais quand nous s'rons saouls maintenant :

Je port'rai, etc..

 

Si les rich's s'engueul'nt, Nom de Dieu

Faudra qu'on s'batt', nous, entre gueux

Mais quel plaisir de s'battr' pour eux :

Je port'rai, etc...

 

En guerr' la mitraill' balai' tout,

Les pompons, les plumets itou,

Et puis les gueul's qui sont d'ssous !...

Je port'rai, etc..

 

Aussi malgré c'tt'innovation,

Rien n'est changé pour le troufion,

C'est toujours la mêm' position :

Je port'rai, etc..

 

(Du 7 au 13 décembre 1910)

 

 

LES JOYEUSETES DE LA GREVE PERLEE

 

Air : La bonne aventure au gué

 

« Tel commerçant ayant commandé un wagon de café, reçoit un wagon de charbon ! »

Les Journaux,

 

 

En cett' grève qui ce jour,

Est loin d'êtr' finie,

L'sabotag' se teint' d'humour

Et de fantaisie ;

Bons bougres pour rigoler

Chantons de la Grèv' perlé' :

Les bonn's aventur's ô gué!

Les bonn's aventures !

 

Attendant un pardessus

D'carrure spacieuse,

Moussu Fallier's a reçu

Un maillot d'danseuse :

Un maillot mignon, rosé,

Pour l'éléphant d'I'Elysé' !

La bonne... etc..

 

D'Rostand, le sacré fiston,

Ayant fait commande

D'un' gross' caiss', d'un mirliton

Sa surpris' fut grande :

C'est chez c'pauvr' Brisson qu'on a

Trimballé ces objets-là!...

La bonne... etc..

 

Coûtant, victim' de c'gâchis,

R'cevant l'autr' semaine

Cent bouteill's d'eau de Vichy,

Etait bien en peine :

Afin de les employer

S'en sert pour s'débarbouiller !

La bonne... etc..

 

Lépine qu'affol' ce sa¬

botage ironique,

Si ça n'était fait déjà

Tourn'rait en bourrique...

Il a r'çu hier matin

Six bell's vach's... du Cotentin !

La bonne... etc..

 

Depuis qu'd'un cam'lot du roy

Il a pris la beigne,

Aristid' goûte, ma foi !

Très peu les châtaignes,

Aussi pour lui quel affront !

D'rec'voir un sac de marrons !

La bonne... etc..

 

Enfin, presque tous les jours

Chez nous l'on déballe

Des chos's qui n'étaient pas pour

La «  guerre sociale »

Entre autres certains dossiers

Plein d'documents policiers !...

La bonne aventure ô gué

La bonne aventure !

 

(Du 14 au 20 décembre 1910)

 

r

NOEL

 

Air : Noël des Gueux (Richepin)

 

Noël ! Noël ! Voici la nuit

Où naquit autrefois Celui

Qui devait délivrer les hommes :

Noël ! Noël ! des hommes sont

A cette heure même en prison,

Noël ! à l'époque où nous sommes !

 

Noël ! Noël ! Sous les cieux blancs

Descendit voilà deux mille ans

Le blond enfançon de Judée,

Sous le règne du Renégat (1)

Noël ! Noël ! des gens sont là

Pour avoir émis une idée !

 

Noël ! Noël ! Les carillons

Dégringolent en tourbillons

Du haut des vieux clochers qui vibrent ;

Noël ! Noël ! Cloches sonnez :

Nos amis sont emprisonnés,

Et nous, sommes-nous bien plus libres ?

 

Noël ! Noël ! Parmi la nuit,

Sonnez les cloches d'aujourd'hui

Pour étouffer le bruit des crimes,

Et sonnez encore une fois

Pour qu'on n'entende pas les voix

De tous ceux-là que l'on opprime !

 

Noël ! Noël ! Les travailleurs

Ne comptent plus sur ce Sauveur

Qui descendit sous les cieux blêmes ;

Noël ! le peuple exaspéré

Las de souffrir et d'espérer :

Songe à se délivrer soi-même !

 

(Du 21 au 27 décembre 1910)

(1) Il s'agit d'Aristide Briand. (N. d. E.)

 

 

GLOIRE A ROUSSET

 

Musique d'A. Mario

Pour saluer la mise en accusation des assassins d'Aernoult, les Bons Bougres aimeront à chanter le poème vengeur de Gaston Couté. Plus que jamais : « vive Rousset... libre ! »

 

 

Aujourd'hui la Patrie a semé trop de crimes

Parmi les sables de là-bas

Et le peuple est lassé de pleurer les victimes

Qui sont ses frères et ses gas.

Dans le pays de longs murmures

Ont fait place aux muets sanglots :

Assez d'odieuses tortures !

Il faut combler tous les silos !

 

Refrain

Vive Rousset ! que ce cri vibre,

Hideux chaouchs pour vous flétrir !

Vive Rousset, et qu'il soit libre

C'est Biribi qui doit mourir.

 

Le sang du pauvre Aernoult étoilait sa cellule :

Mais l'ombre cernait les barreaux.

Et déjà le silence, avec le crépuscule,

Couvrait le forfait des bourreaux,

Quand, de Rousset l'appel tragique

Vint retentir comme un tocsin

Dans l'enfer des bagnes d'Afrique :

A l'assassin ! A l'assassin !

 

Rousset, après avoir rempli son noble rôle,

Sur ses épaules de martyr,

Sentit les quatre murs de son horrible geôle

Plus sourdement s'appesantir.

Mais, rengainez la griffe immonde

Que sur sa chair vous abaissiez,

Pour renifler le vent qui gronde...

O vils et lâches carnassiers !

 

Héros de Biribi, nous saluons ta gloire !

Rousset, tes lauriers sont plus beaux

Que les lauriers fleuris au sein de la Victoire

Et moissonnés sur des tombeaux.

Et vous ! crevez dans votre honte

Comme en un linceul empesté,

En entendant ce cri qui monte

Du plein cœur de l'Humanité :

 

 

Au refrain

(Du 28 décembre 1910 au 3 janvier 1911)

 

ROUSSET

Son acte est vraiment admirable.

Témoin de l'assassinat d'Aernoult, il n'hésita pas à dénoncer le crime commis, à nommer les coupables et à se déclarer prêt à en témoigner devant n'importe qui.

Alors que la plupart du temps, les disciplinaires témoins des actes de sauvageries à Biribi, se taisaient par peur des représailles terribles des chaouchs, Rousset n'hésita pas. Il savait ce que cela devait lui coûter : le cachot, les menaces, les tortures, le conseil de guerre, la condamnation.

Cet homme, un héros celui-là, n'a pas tremblé un seul moment, il a crié ce qu'il avait vu, ce qu'il savait.

Il paye actuellement dans un de ces bagnes abominables qui sont la honte de l'humanité son acte courageux et son geste héroïque. Et cet homme est un de ceux que l'opinion publique, trompée par les journaux bourgeois, appelle des « Apaches », c'est un hors-la-loi ! C'est un malhonnête homme ! Il est à Biribi.

La Guerre Sociale

(Du 23 février au 1er mars 1910)

 

 

LA CHANSON DES FILS

 

Air : La Chanson du fil (X. Privas)

 

Saboteur des plus habiles,

Sous tes cisailles agiles (1)

Quand les fils tombent avec

Un malin petit bruit sec,

Une sourde mélopée

De tes lèvres échappée

Tandis que tu te défil's

Chante ce destin des fils...

Pour qu'en haut lieu l'on en tire

Matière à sage leçon,

Bon bougre, nous allons dire

Ta chanson !

 

Fils de couleur sombre,

Sur tous les réseaux

Manquent un grand nombre

De bons cheminots

Dans la nuit confuse

C'est vous qui paierez

Pour ceux qu'on refuse

De réintégrer;

Vengeance bénie :

Sautez et dinguez,

Fils des Compagnies,

Pour les révoqués !

 

En cette heure brève,

Pour Ceux-là qui sont

Depuis notre Grève

Au fond des prisons,

O fils que j'honore

De mes ciseaux noirs,

Il faut choir encore

Une fois ce soir!

Si demain nos frères

Ne sont parmi nous

Et justice entière

Accordée à tous,

Les longs fils sonores,

Les fils sous la main

Tomberont encore

Demain !

 

(Du 4 au 10 janvier 1911)

(1) Rappelons que La Guerre Sociale avait coutume d'invoquer dans ses pages « Mam'zelle Cisaille » (le sabotage), ainsi que « le citoyen Browning » (l'arme à feu). (N. d. E.)

 

 

PITOU LIT LA GUERRE SOCIALE

 

Air : L'anatomie du conscrit

 

 

Aussi vrai que j'm'appell' Pitou

Je n'm'en r'sens pas pour les lectures

Et j'lisais trois fois rien du tout

Avant qu'arriv' c'tt'aventure :

Gesticulant, grinçant les dents

L'autr' jour v’là l'colon qui s'emballe

Et qui pari' comm' çà d'foutr' dedans

Les ceuss's qu'auraient la « Guerr' Sociale »

 

La «Guerr' Social'?» — que j'réfléchis —

Ké qu' c'est qu'ce fourbi délétère ?...

J'saisis 'cor pas tous les chichis

De c'sacré métier militaire !

J'fourr' le doigt d’la perplexité

Au plus creux de mes foss's nasales,

Sans pouvoir me représenter

C'que pouvait êtr' « la guerr' sociale » !

 

De cett' gymnastiqu' ne gardant

Qu'un' migraine carabinée,

Le lendemain, j'vois l'adjudant

Qui rapplique dans la chambrée :

Là ! v’là-t-y pas c'bougr' de cochon

Qui fait prendr' l'air à notr' ling' sale

Et qui chahut' nos polochons

Afin d'trouver la « Guerr' Sociale »

 

« Au fait — que j'iui dis, timid'ment —

Mon adjudant, voulez-vous m'faire

La grâce d'un p'tit renseign'ment :

Ké qu' c'est donc enfin qu'cett' affaire?

— Foutez-d'moi ? L'drapeau dans l'fumier !

S'pèc' d'andouille !... Internationale !...

Comprenez pas ! Bêt' comm' vos pieds —

Nom de dieu ! quoi ! la Guerr' Sociale !

 

 

Cett' lumineuse explication,

En mon entend'ment difficile,

N'apporta pas un' solution,

Mais l'dimanch' promenant en ville,

Chez le marchand d'journaux du coin

J'vois un p'tit canard qui s'étale,

J’l’achète et je l'zieut', sans témoin...

Tiens, tiens... C'est ça la « Guerr' Sociale » !

 

« Foi d'Pitou ! y a d’la vérité !

Et cett' machin'-là m'intéresse —  » :

Depuis j'trouv' moyen d'dégoter

Tous les numéros qui paraissent ;

Je m'imbib' comm' ça, tout du long

D'tout's les idé's qui s'en exhalent...

Dir' que c'est la faut' du colon

Si j'Hs maint'nant « la Guerr' Sociale ».

 

 

(Du 11 au 17 janvier 1911)

 

L'ELECTION DU PRESIDENT DE LA CHAMBRE

 

Air : Le joueur de luth

 

Les « quinz' mill' » pleins d'émotion (bis)

Caus'nt encor de l'Election (bis)

Mais les bons bougr's en c'tt'affaire

N'voient rien d'extraordinaire :

Un fauteuil de président

N'est pardieu ! pas fait pour rester vide,

Un fauteuil de président

C'est fait pour mettre un cul d'dans !

 

Qu'on hisse le vieux Brisson (bis)

Ou Popaul le beau garçon (bis)

Dessus le siège suprême

Au fond l'résultat est l'même :

Un fauteuil, etc..

 

Brisson triste et solennel (bis)

N'a sans dout' pas d'Deschanel (bis)

Le physiqu' plein d'élégance,

Mais ça n'a pas d'importance

Un fauteuil de président

N'est pas fait pour poser la figure,

Un fauteuil de président

C'est fait pour mettre un cul d'dans !

 

L'malheur c'est qu'ce cul nous r'vient (bis)

A nous, braves citoyens (bis)

Qu'les p'tits calculs intéressent

A trente mill' francs la fesse !

Un fauteuil de président

A c'compt'-là n'restera jamais vide,

Un fauteuil de président

Y aura toujours un cul d'dans !

 

Le cul d'Paul ou l'cul d'Henri (bis)

Y a pas d'différenc' de prix (bis)

Et pour nous, ces bons apôtres

N'en feront pas plus l'un qu'l'autre :

Le fauteuil de président !

Qu'voulez-vous franch'ment qu'ça nous foute?

Le fauteuil du président,

Qu'un cul ou l'autr' soit d'dans ?

 

Brisson est élu ! C'est bon ? (bis)

L'« vieil homme » au Foli's Bourbon (bis)

Triomph' comme à la R'naissance

Rapport à cett' circonstance :

Un fauteuil de président

N'est pardieu ! pas fait pour rester vide ;

Un fauteuil de président

C'est fait pour mettre un cul d'dans !

 

(Du 18 au 24 janvier 1911)

 

 

LE BEAU GESTE DU SOUS-PREFET

 

Air : Ça vous fait tout d'mêm' quelque chose

« A Epernay, M. Nepoty, sous-préfet, a pris l'initiative de faire placarder dans les communes viticoles le discours de M. Briand ! »

 

 

Tandis que les riches fraudeurs

Qui n'connaiss'nt pas d'anné's mauvaises

Se livrent tous avec ardeur

A leurs petites combinaises,

En Champagn' les pauvres vign'rons

D'puis les vendang's se serr'nt la panse,

Et pourtant r'connaissons qu'ils ont

— Dans leur malheur — un' sacré' chance !

 

Si les braves gens d'Epernay

N'ont plus rien dans leurs cav's moroses

Ils ont 'core un bon sous-préfet

Et ça... c'est tout d'mêm' quelque chose !

 

Les cloch's s'étant mis's à clamer

De désespoir, au sein de l'ombre,

Et les paysans affamés

A circuler en troupes sombres ;

Devant ces manifestations

De la misère champenoise,

Un' grand' poussé' de compassion

Remua son âme bourgeoise

 

« Il serait tout à fait urgent

Avec les moyens dont j'dispose

De fair' quéqu' chos' pour ces brav's gens.

Y a pas, il faut fair' quelque chose !

 

Se mettant en quatr' pour tirer

De cette détresse infinie

Ses malheureux administrés,

Il eut un éclair de génie :

Moyen superbe et... radical

Pour apaiser les ventres vides

I’ vient d'leur offrir le régal...

Du dernier discours d'Aristide

 

l'r'gar' pas à la quantité

Des grand's affich's que l'on appose !

Quand y a vraiment nécessité

M'sieu Nepoty fait bien les choses !

 

La manne du bon sous-préfet

Pleut sur les plus humbles campagnes...

Ce Nepoty ! hein, quel succès !

C'est le sauveur de la Champagne ;

Pendant c'temps les malheureux gas

A qui l'on présente en pâture

Les boniments du Renégat

Continu'nt à s'mettr' la ceinture-

 

Refrain

Hélas ! pauvres vign'rons sans vin

Rincez-vous l'œil avec cett' prose.

Mais si vous n'voulez crever d'faim

I' s'ra prudent d'trouver autr' chose.

 

 

(Du 25 au 31 janvier 1911)

 

 

CANTIQUE A L'USAGE DES VIGNERONS CHAMPENOIS

 

Air : Esprit saint, descendez en nous /

« En Champagne, à Vandières, des vignerons ont résolu, en raison des poursuites exercées pour la perception des impôts, de ne laisser pénétrer aucun huissier sur le territoire de la commune et de ne rentrer dans la légalité qu'après avoir reçu les satisfactions qu'ils réclament. »

Havas.

 

Depuis l'temps qu'vous vous foutez d'nous,

C'est bien notre tour après tout,

De nous foutre un petit peu

— Oui messieurs —

De nous foutre un p'tit peu de vous !

 

Le percepteur passe chez nous :

— « Bonn's gens, faut abouler vos sous !

— Ah ! Mossieu le percepteur

Et voir' sœur ?

A-t-elle autant d'barb' que vous?

 

Le percepteur adress' chez nous

Maintenant des p'tits billets doux

De toutes les couleurs

Tous en... chœur —

Les gâs, les gâs, torchez-vous !

 

Voilà l'huissier qui vient chez nous :

— Vilain oiseau, que voulez-vous ?

— Je venais à propos

D'vos impôts

Je venais pour saisir tout !

 

— Eh ! bien ! alors, rentrez chez nous

Si ces chos's-là sont dans vos goûts

Vous aurez le plaisir

D'y saisir

Un coup d'pied... vous savez où ?

 

(Du 1er au 7 février 1911)

 

 

AU 22e

 

(Chanson de route)

Air : Auprès de ma blonde

La 2e Batterie du 22 eRégiment d'Artillerie, casernée au quartier Noailles, a refusé de monter à cheval en disant que la nourriture était insuffisante et que l’« ordinaire » faisait des économies exagérées au préjudice des hommes.

L'Intransigeant.

 

Quand j'étais chez mon père (bis)

Avant d'venir ici, (bis)

Ma pauvre mère était fière

De mon bel appétit…

 

Refrain

C'est au vingt-deuxième

Qu'il fait bon, fait bon, fait bon...

C'est au vingt-deuxième

Qu'on m'a fait servir !

 

Il n'y a pas en France (bis)

D'régiment mieux choisi (bis)

Pour les gâs qu'ont la chance

D'êt' dans l'même cas qu'Bibi (au refrain)

 

Les vieux m'ont dit d'apprendre (bis)

C'que c'est qu’l’économie : (bis)

C'est aux dépens d'mon ventre

Qu'on me l'apprend ici !

 

Si comme nourriture (bis)

Tu n'aim's pas l'sing' pourri (bis)

T'as qu'à t'mettr' la ceinture,

Comme on dit à Paris !

 

Pour la façon charmante (bis)

Dont je me trouv' nourri (bis)

Vlà mes boyaux qui chantent..

La gloir' de la Patri' !

 

Mais chos' pas ordinaire (bis)

Dont je reste ébahi (bis)

Si je n'y mange guère

J'me fais bien chier ici !

 

(Du 8 au 14 février 1911)

 

 

BERCEUSE DU « DORMANT »

 

Air : Le p'tit quinquin

Dans toute la région du Nord, les mamans pauvres ont l'habitude de confier leurs bébés à une soigneuse. Puis elles s'en vont gagner leur vie à la fabrique, à l'usine, dans les tissages.

La soigneuse a beaucoup d'enfants à garder. Pour ne pas être dérangée elle leur fait boire le « dormant » qui est une décoction de tête de pavot ! Le petit bébé gorgé d'opium... s'endort

Marcel Sembat (Les Hommes du Jour).

 

Voyant pour l'usin' partir sa mère,

Le pauvr' ‘tit « quinquin » abandonné,

Dans ses langes gris de la Misère

S'débat en gueulant comme un damné !

Alors la vieille « soigneuse »,

En manière de berceuse

Grogn' tout en faisant

Téter sa drogue à c't'innocent !

 

Refrain

Tiens, vlà du « dormant »

Ch'tit garnement

Qui gueul' tout l'temps...

Tu ne gueul'ras plus

Lorsque tu l'auras bu !

 

Voyant les richess's qui sont sur terre,

L'« gosse au dormant » ayant grandi,

Devant l'injustic' de sa misère

Commence à r'sauter comme un maudit :

Alors, arrive le Prêtre

Qui sert au malheureux être

Une décoction

De tous les pavots d’la R'ligion...

 

A vingt ans, n'ayant rien su' la terre,

Qu'est-c'qu'il irait faire au régiment ?

Se battr' contr' des frèr's de misère :

Ça ne lui sourit aucunement !

Mais on l'saoûl' comme un' bourrique

De sottis's patriotiques !

Nom de dieu, qu'c'est beau

La gloire et l'honneur du drapeau !

 

Plus tard, sombre esclav', noir prolétaire,

Sentant en son cœur l'orag' monter,

A bout d'injustice, à bout d'misère,

Il est sur le point de s'révolter ;

Pour le fair' tenir tranquille

Son député, brave « quinz'-mille »

A coups d'boniments

Vient lui foutre encor du « dormant »

 

(Du 15 au 21 février 1911)

 

 

MOUCHARDS AMATEURS

 

Air : L'expulsion des princes

Aujourd'hui le «  Matin » offre une prime de 1.000 francs à celui qui découvrira l'auto mystérieuse !

(18 février 1911)

 

L'« Matin » pour activer l'élan

Vers l'azur et vers la lumière

Des biplans et des monoplans

Fit l'circuit d'I'Est, l'anné' dernière ;

Depuis il a trouvé plus fort :

Et maintenant il encourage

Un tout autre genre de sport

Que l'on appell' le mouchardage !

 

Vraiment nous n'avions pas assez,

Pour empester notre existence,

De tous les mouchards engraissés

Au râtelier d’la Préfectance?

Grâce à cette annonc' dont l'horreur

En première page s'étale,

Des tas de mouchards amateurs,

Vont surgir dans la Capitale !

 

— Mill' ball's — Allons, vite au turbin,

Vous qui suivît's les aventures

D'Sherlock Holmes, d'Arsèn' Lupin,

Tirez profit de vos lectures :

Manœuvrez si subtilement

Qu'à votre flair rien ne résiste,

Allons ! bonn's gens, c'est le moment,

Qui n'a pas sa petite piste ?

 

Allons, en route mes bonn's gens,

Et que nos vœux vous accompagnent ;

Parmi vous, les plus diligents

Se sont déjà mis en campagne :

C'matin j'ai trouvé mon pip'let

Qui de sa dextre aventureuse,

Fouillait dans mes lettr's, il cherchait

Des trac's de l'auto mystérieuse !

 

S'fourrant partout, à tout instant,

On connaissait une certaine

« Mouche du coche » dans le temps,

Au temps du Père La Fontaine

Comme elle, vous fourrant partout,

Bonn's gens, qu'exit' ce billet d'mille,

Aujourd'hui, nous aurons en vous

Les mouchards de l'automobile !

 

(Du 22 au 28 février 1911)

 

 

ADIEUX A ARISTIDE

 

Air : Tu t'en vas et tu nous quittes !

 

Tu t'en vas et tu nous quittes,

Tu nous quitt's et tu t'en vas ;

Tu peux t'trotter au plus vite

Aristide... on n'te r'tient pas.

Tout l'mond' te dit ici

Au revoir... et merci !

 

En souvenir de ton passage

Plac' Beauvau, charmant séjour,

Emporte, dans tes bagages,

La girofle' de Lacour :

Tu peux y joindre tes

Seiz' voix d'majorité !

 

Emporte ce surnom sinistre

Qui vint se plaquer un jour

Sur ta gueule de ministre

Et qu'tu garderas toujours :

Briand le renégat !

Emport' ce surnom-là !

 

Emporte toute la haine

Des malheureux cheminots :

Ceux dont tu doublas la chaîne

Ceux qui sont dans les cachots ;

T'auras, en vérité,

Un' rud' charge à porter !

 

Ce règn' d'horreur et de honte

Dont enfin voici le bout,

Ton règne, Aristide, compte

Un heureux jour malgré tout :

Et c'est — comm' par hasard —

Le jour de ton départ !

 

Tu t'en vas et tu nous quittes,

Tu nous quitt's et tu t'en vas ;

Disparais parmi la suite

Du cortèg' de Mardi Gras :

Sal' pantin, c'est l'moment

Allons, ouste !... Fous l'camp !

 

(Du 1" au 7 mars 1911)

 

 

COMPLAINTE DES TERR' NEUVAS

 

Air : Les marins de Groix

 

Y faut qu'tout l'mond' mange ici-bas : (bis)

C'est-y pas vrai, les Terr' Neuvas ?

Ma traderi tra la la

Ma traderi tra la lère !

 

Nous autr's si l'on part su' l'batieau : (bis)

C'est pour qu'i's mang'nt, tous nos petiots

Ma traderi, etc..

 

Des fois l'un d'nous, tomb' dans la « mé » : (bis)

Comm' dans un' grand' gueule affamé'

Ma traderi, etc..

 

Tant pis pour lui le pauvr' garçon : (bis)

Faut qu'i's mang'nt aussi les poissons !

Ma traderi, etc..

 

Les ceuss's qui restent après ça (bis)

S'mett'nt à pêcher ces poissons-là..

Ma traderi, etc..

 

S'mett'nt à pêcher avec ardeur : (bis)

C'est pour engraisser l'armateur !

Ma traderi, etc..

 

I' faut qu'tout l'mond' mange ici bas : (bis)

Ya qu' nos petiots qui ne mang'nt pas...

Ma traderi, etc..

 

Puisque l'on n'gagn' pas su' l'batieau (bis)

De quoi fair' manger nos petiots !

Ma traderi, etc..

 

Alors qué qu'on va fout' là-bas ?... (bis)

C'est-y pas vrai les Terr' Neuvas

Ma traderi tra la la

Ma traderi tra la 1ère.

 

(Du 8 au 14 mars 1911)

 

LES PIECES SOCIALES DE M. PAUL BOURGET

 

Air : Le rondibé du radada !

On joue en ce moment « Le Tribun » au Vaudeville !

 

J'adore me fair' saboter

Au five o'clock, en prenant l'thé :

Pourvu qu'mon flirt se trouve là ?

Mon mari est au syndicat

Qui joue au baccarat.

Ah! ah!

Nom de dieu, marquise,

Cette toilette est d'un goût !

Et de vous voir tout simplement exquise

C'est un plaisir bien doux !

 

Les socialist's et les grèvist's

Tous ces gens sont des anarchist's

I's peuv'nt aller à la Santé

Mais laissez-moi vous demander

Où pass'rez-vous l'été ?

Ah ! ah !

Moi ça m'est égal,

N'import' quell' plag' je m'en fous !

Mais sur les bords de la... Grèv' générale

On dit qu'il fait si doux !

 

L'Prolétariat, le Patronat,

La mazurka et caetera...

Viendrez-vous à mon prochain bal ?

Cotillon et question social'

J'n'entrav' que pouic et dall'

Ah ! ah !

Ça n'fait rien marquise

Bien qu'on n'y pige rien du tout

Les pièc's social's de Bourget, quoi qu'on dise,

C'est un plaisir bien doux !

 

(Du 22 au 28 mars 2011)

 

 

ON LES EMM... !

 

Air : Le Midi bouge

 

 

Vlà les Patriotards

Qui r'font du pétard :

Ils recommencent

A gueuler d'menaçants

« Vive la France ! »

Au nez d'tous les passants...

Un' deux !

On les emmerde (bis)

Un' deux !

Nous nous foutons bien d'eux !

 

M'sieu Bunau-Varilla

Réclame avec éclat

— Au nom d’la France —

Qu'on n'vend' plus su' l'boul'vard

Qu'les bourd's intenses

De son sacré canard

Un' deux, etc..

 

L'dramaturge Téry

Veut régner sur Paris

Sans concurrence :

Il exig' qu'on n'jou' plus

— Au nom d’la France —

Que ses pièc's de cocu...

Un' deux, etc..

 

D'vant la Colonn', Gohier

N'peut passer sans crier :

— Au nom d’la France ! —

Je fais essoriller

L'premier qui pense

Qu'c'est pas moi qui l'ai chié...

Un' deux, etc..

 

 

Tous les fils à papa

Font d’la charpi' déjà

— Au nom d’la France ! —

I's veul'nt ces chers petits

A l'ambulance

Panser nos abattis

Un' deux, etc..

 

Malgré tout le boucan

Qu'ils font en invoquant

Le nom d’la France,

Légers biplans, flottez

Dans l'ciel immense

Au nom d'l'Humanité

 

Refrain

Un' deux!

On les emmerde (bis)

Un' deux !

Nous nous foutons bien d'eux !

 

 

(Du 29 mars au 3 avril 1911)

 

SERENADE A M. VAUTOUR

 

Air : La sérénade du pavé

L'union syndicale des locataires avait invité ses adhérents à se joindre à la manifestation des familles nombreuses afin de protester contre l'augmentation des loyers.

 

 

Si nous chantons sous ta fenêtre,

O sinistre Mossieu Vautour,

Notre chanson ne va pas être

Une douce chanson d'amour ;

Nous connaissons ton cœur de pierre

Tous les cœurs des proprios sont

Taillés dans la même matière

Que les murs gris de leur maison !

 

Refrain

Sérénade des locataires

Dont on augmente le loyer

Vole pour les propriétaires

En train de roupiller...

Sérénade des locataires

Va-t-en saboter sans pitié

Le sommeil (bis) des propriétaires!

 

Si nous chantons sous ta fenêtre,

Toi qui dors près d'un coffre fort

Où la misère d'un tas d'êtres

Se condense en quelques sacs d'or ;

C'est pour te dire, ô vieux rapace

Si ton coffre n'est plein encor,

Nos cœurs où la fureur s'amasse

Aujourd'hui sont pleins jusqu'au bord

 

Si nous chantons sous ta fenêtre

Avec ces accents enragés,

C'est pour te dire, ô notre maître,

Que les temps vont bientôt changer :

Il approche le grand Orage

Dont l'aile viendra balayer

Ton gros immeuble à six étages

Niche à pauvres, mine à loyers !

 

Si nous chantons sous ta fenêtre

A pleines gueules : « ça ira !

A la lanterne il faut les mettre

Les Proprios on les pendra ! »

C'est pour te donner une idée

De l'affreux terme qu'un beau jour

Aux mains d'une foule excédée

Tu devras payer à ton tour !...

 

Si maintenant, sous ta fenêtre

Notre chant vengeur retentit

Proprio qui nous as fait mettre

A la porte avec nos petits,

C'est pour qu'en ta chambre bien close

Il vienne à pénétrer, changeant

En cauchemars tes songes roses...

Qui sont pour toi rêves d'Argent.

 

 

(Du 12 au 18 avril 1911)

 

CES CHOSES-LA

 

Au Vigneron champenois

Air : Ce qu'une femme n'oublie pas.

 

Lorsque t'entendais parler au village,

Brave homme à la têt' dur' comm' ton sabot,

De l'Action directe et du Sabotage,

Tu restais vitré comme un escargot ;

Calme paysan des coteaux tranquilles,

Au fond d'ta jugeot' tu pensais comm' ça :

« C'est des inventions des gâs de la ville

Et, moi, je n'peux pas comprendr' ces chos's-là ! »

 

Si les exploiteurs qui pressur'nt tes frères,

Pauvres ouvriers, pauvres citadins,

Font l'geste d'abattr' leurs griff's sur ta terre

Ta vieill' « comprenoir » se réveill' soudain :

Paysan, t'es pas si bêt' qu'on suppose

Ni qu'tu veux l'faire croir', sacré nom de d’la !

Si ton intérêt se trouv' mis en cause

T'as rud'ment vit' fait d'comprendr' ces chos's-là !

 

Aujourd'hui, voilà c'qui s'pass' dans la Marne

D'après les dernièr's nouveil's des journaux :

Au sac des celliers la foule s'acharne

Brisant les bouteill's, crevant les tonneaux ;

Les ruisseaux débord'nt de flots de champagne

Et les vign's avec leurs grands échalas

Sont comm' des bûchers au coeur des campagnes...

Foutre ! t'as grand'ment compris ces chos's-là !

 

Esclav' des usin's, esclav' de la terre,

Les voeux de nos cœurs sont les mêmes vœux :

Tous deux nous souffrons de la mêm' misère.

Nous avons le même ennemi tous deux !

Paysan, mon vieux, allons, que t'en semble ?

Pour la grande lutt' qui bientôt viendra,

Donnons-nous la main et marchons ensemble

A présent que t'as compris ces chos's-là !

 

(Du 12 au 18 avril 1911)

 

NOUVEAU CREDO DU PAYSAN

 

Air : Le Credo du Paysan

— Nous ne voyons de salut qu'en la Révolution ! — disent les vignerons.

Les Journaux.

 

Bon paysan dont la sueur féconde

Les sillons clairs où se forment le vin

Et le pain blanc qui doit nourrir le monde,

En travaillant, je dois crever de faim ;

Le doux soleil, de son or salutaire,

Gonfle la grappe et les épis tremblants ;

Par devant tous les trésors de la terre,

Je dois crever de faim en travaillant !

 

Refrain

Je ne crois plus, dans mon âpre misère,

A tous les dieux en qui j'avais placé ma foi,

Révolution! déesse au cœur sincère,

Justicière au bras fort, je ne crois plus qu'en toi ! (bis)

 

Dans mes guérets, au temps de la couvraille,

Les gros corbeaux au sinistre vol brun

Ne pillent pas tous les grains des semailles :

Leur bec vorace en laisse quelques-uns !

Malgré l'assaut d'insectes parasites,

Mes ceps sont beaux quand la vendange vient :

Les exploiteurs tombent dessus bien vite

Et cette fois, il ne me reste rien !

 

Au dieu du ciel, aux maîtres de la terre,

J'ai réclamé le pain de chaque jour :

J'ai vu bientôt se perdre ma prière

Dans le désert des deux vides et sourds ;

Les dirigeants de notre République

Ont étalé des lois sur mon chemin,

D'aucuns m'ont fait des discours magnifiques,

Personne, hélas ! ne m'a donné de pain !

 

Levant le front et redressant le torse,

Las d'implorer et de n'obtenir rien,

Je ne veux plus compter que sur ma force

Pour me défendre et reprendre mon bien.

Entendez-vous là-bas le chant des Jacques

Qui retentit derrière le coteau,

Couvrant le son des carillons de Pâques :

C'est mon Credo, c'est mon rouge Credo !

 

(Du 19 au 25 avril 1911)

 

COMPLAINTE DE L'ESTROPIE

 

Air : Le vieux mendiant

Un soldat du 35e d'Artillerie à Vannes, François Thépaut, fut blessé à la jambe par une ruade de cheval. Soigné à l'hôpital, il demeure infirme et doit se servir de béquilles pour marcher. Avant hier un ordre du Ministère ordonne de renvoyer Thépaut dans sa famille et lui alloue la somme dérisoire de 200 francs à titre d'indemnité. Thépaut refuse et pleurant à chaudes larmes, dit « qu'il ne partirait pas ». On parvint à le déshabiller et à le revêtir d'effets usagés ; puis quatre hommes, commandés par un maréchal des logis, l'expulsèrent du quartier et le remirent entre les mains de gendarmes qui l'attendaient à la grille et le conduisirent à ta gare !

Paris - Journal.

 

 

 

J'étais un gaillard bien bâti

Et l'Major ne trouvant pas d'vices

Dans l'fonctionn'ment d'mes abattis,

M'a dit : « t'es bon pour le service !

Un bougre comm' toi, mon fiston,

Ça doit servir dans l'artill'rie ! »

— Merci m'sieu l'Major !... Et chantons

Les louanges de la Patrie !

 

Là-bas on m'fourre un canasson

Qu'avait l'cul comme un' petit' folle ;

Un jour, i' m'colle un coup d'chausson

Vlan, au travers des deux guibolles :

A l'hôpital, portez-moi donc

Comme un paquet de chair meurtrie...

Et chantons, les copains, chantons

Les louanges de la Patrie !

 

Maint'nant, c'gâs, dont l'Major avait

Palpé les abattis solides,

O régiment, qu'en as-tu fait ?

— «  Je ne suis plus qu'un invalide ! —

En m'en nant au canton

Que r'trouv'ra ma pays' chérie «

— Un pauvr' béquillard ! — Et chantons

Les louanges de la Patrie !

 

De quoi ? Tu t'mets à rouspéter

Tu chial's et tu fais des grimaces,

Tu t'obstin's espèc’ de moch'té,

A n'pas vouloir vider la place ?

Allons ! à la porte illico,

Qu'on l'empoign'... sans cérémonie

Et chantons ! — Ah ! les saligauds ! —

Les louanges de la Patrie !

 

Chez nous les gens viv'nt en piochant,

Du mois d'janvier au mois d'décembre :

Pour arracher son pain d'son champ

On a pas trop de tous ses membres !

J'peux plus poser mes ripatons :

Comment fair' pour gagner ma vie ?

— Tiens, voilà deux sous ! — Et chantons

Les louanges de la Patrie !

 

C'est pour ça que vous me trouvez,

Clochetant et portant besace,

Sur le chemin que vous suivez

Entendez-vous conscrits d’la classe?

A présent que j'vous ai conté

L'histoir' de mes patt's démolies,

J'pens' que vous allez tous chanter

Les louanges de la Patrie !

 

 

(Du 26 avril au 2 mai 1911)

 

PREMIER MAI

 

Air : Le temps des cerises (J.-B. Clément)

 

C'est le Premier Mai.

Debout, camarades ! Pour les travailleurs, pour les ouvriers,

C'est un jour de fête !

Et tous, aujourd'hui, relevant la tête,

Désertent l'enfer de leurs ateliers...

C'est le Premier Mai. Marchons, camarades !

Sous le libre azur des cieux printaniers !

 

C'est le Premier Mai. Debout, camarades !

Esclaves courbés sur les durs travaux

Des grandes usines,

Un peu de fierté monte en nos poitrines

Avec le parfum des lilas nouveaux...

C'est le Premier Mai. Marchons camarades !

Un grand souffle ardent passe en nos cerveaux !

 

C'est le Premier Mai. Debout, camarades !

Au milieu du ciel, le soleil vainqueur

Luit pour tout le monde :

Hélas ! notre part de sa clarté blonde

Sert à fabriquer l'or de l'Exploiteur...

C'est le Premier Mai. Marchons camarades !

Nous avons aussi des droits au bonheur !

 

C'est le Premier Mai. Debout, camarades !

Par la ville allons, la main dans la main

Et crions justice.

Il est temps qu'un peu d'équité fleurisse

Entends-tu, bourgeois au cœur inhumain?

C'est le Premier Mai. Marchons camarades !

Et clamons nos droits sur notre chemin !

 

C'est le Premier Mai. Debout, camarades !

Déjà l'Avenir se laisse entrevoir :

Ayons confiance !

Après l'âpre hiver, le Printemps s'avance,

Chassant les corbeaux au triste vol noir...

C'est le Premier Mai. Marchons, camarades !

Les jeunes rameaux sont couleur d'espoir !

 

(Du 26 avril au 2 mai 1911)

 

 

HELAS! QUELLE DOULEUR

 

Air du cantique

 

 

Hélas ! quelle douleur

Emplit mon cœur

Et de moi s'empare ;

Hélas ! quelle douleur

Emplit mon cœur

Devant tant d'malheurs !

J'ai perdu (mon cas n'est pas rare !)

Mon mouchoir parmi la bagarre...

Hélas ! plus de mouchoir

Pour pleurer c'soir

Les « victim's du d'voir »

 

O brav' Faralicq (1),

L'plus doux des flics

Et tellement bête !

O brav' Faralicq,

Toi le 'plus chic

Des cogn's et des flics !

On a voulu voir si ta tête

Etait d'bois, comme on le répète…

Mais j'n'ai plus d'mouchoir

Pour pleurer c'soir

Les « victim's » du d'voir !

 

Guillaume' (1) t'as pris tantôt

Un coup d'couteau

Entre les épaules

Guillaum' t'as pris tantôt

Un coup d'couteau :

Ça fait froid dans l'dos !

En songeant à ton sort pas drôle

Y a de quoi pleurer comme un saule

Mais j'n'ai plus d'mouchoir

etc…

 

Ah ! mon Dieu ! te voilà

Dans quel état :

Pauvre Portenseigne (1)

Ah ! mon Dieu, te voilà

Dans quel état ?

Presque chocolat !

T'es couvert de blessur's qui saignent :

Attends un peu que je te plaigne

Je n'ai plus d'mouchoir etc…

 

Sinistres policiers

Vous qui cogniez

Sur nous sans relâche

Sinistres policiers

Vous qui cogniez

Sur nous sans pitié,

Vous pouvez crever, tas de vaches,

On n'pleur' pas les brut's et les lâches !

Je n'ai plus d'mouchoir

Pour pleurer c'soir,

Les « victim's » du d'voir !

 

 

(Du 3 au 9 mai 1911)

 

(1) Faralicq, Guillaume, Portenseigne : policiers présents lors du 1" mai 1911.

Faralicq, officier de paix, reçut de la part d'un manifestant un coup de matraque qui lui valut... une otite.

Guillaume, officier de paix, fut blessé d'un coup de couteau.

Portenseigne, agent cycliste, «dans la peau duquel un stylet fut oublié le 1er mai » (La Guerre Sociale du 17 mai). (N. d. E.)

 

ÇA SENT LA ROUSSE

 

Air : Petronille tu sens la vanille (Dranem)

 

 

Bourgeois ! vous d'vez un' fier' chandelle

A notre Dam' d’la Tour pointu'

Car vous l'avez échappé belle :

Trois gredins avaient résolu

D'fair' sauter Paris en cinq sec

Et la moitié d'Asnièr's avec !

 

Refrain

Non Lépine, ça sent la Rousse,

Ça sent vraiment trop la Rousse !

Dans cette affaire on r'connaît l'art

Du plus balourd de tes mouchards

Xavier, Xavier, Xavier... Guichard (1) !

 

Pour discuter sans trop de risques

Les apprêts de leur mauvais coup

Dans l'intérieur de l'Obélisque

La nuit ils avaient rendez-vous !

S'croyaient là-d'dans bien à l'abri

Mais le concierg' les a surpris !

 

La polie' prév'nue au plus vite

Trouva dans ce monument

Trent' cinq p'tits paquets d'dynamite

Numérotés bien proprement :

Sur le paquet numéro six

On lisait « paquet pour Monis »

 

Les criminels songeaient à faire

Sauter aussi l'exécutif,

Mais pour fair' sauter l'pèr' Fallières

Avaient-ils assez d'explosifs ?

C'est qu'il doit en falloir un stock

Pour déplacer un pareil bloc !

 

La ferme, avec tes balivernes !

Non, Lépin’ tu ne nous f'ras pas

Prendr' des vessi's pour des lanternes

Quoique t'imagin's pour cela,

Le coup du complot on l'connaît

L'autr' jour tu nous l'as déjà fait

 

A la fin si tu continues

A faire assommer l'populo,

Par tout' ta racaill', dans la rue,

Tu pourras voir un vrai complot,

Un chic, un bath, un réussi

Mais ne parlons pas d'celui-ci !

 

 

(Du 10 au 16 mai 1911)

 

(1) Après les événements du 1er mai fut agité par la Préfecture l'épouvantail d'un complot justifié par la découverte (après coup) de quelques pétards. Coûté y voit là une manœuvre de Guichard, autre policier, qui deviendra plus tard directeur de la P. J., à peu près le temps de l'affaire Stavisky. (N. d. E.)

 

LA MARSEILLAISE DES REQUINS

 

Air : La Marseillaise

Le conseil des Ministres décide que « nous irons à Fez ! »

Les Journaux.

 

Allez ! petits soldats de France

Le jour des poir's est arrivé.

Pour servir la Haute Finance

Allez vous en là-bas crever ! (bis)

Tandis qu'au coeur de la fournaise

Vous tomb'rez, une balle au front,

De nos combin's nous causerons

En fredonnant la « Marseillaise » !

 

Refrain

Aux Armes, les enfants ! formez vos bataillons,

Marchez ! marchez ! nous récolt'rons

Dans le sang, des sillons !

 

Allez ! guerriers pleins de courage,

Petits fils de la liberté,

Allez réduire en esclavage

De pauvr's Arbis épouvantés ! (bis)

Dans leurs douars, que le canon tonne

Plus fort que le tonnerr' d'Allah :

Nous alignions pendant c'temps-là,

Des chiffres en longues colonnes !

 

Allez-y ! qu' les cadavr's s'entassent

Par centaines et par milliers,

Que la plaine où les balles passent

N'soit plus qu'un immense charnier! (bis)

D'vant l'récit de tout's ces misères,

En ouvrant le journal de d'main,

Nous song'rons, nous frottant les mains :

« Ça n'biche pas trop mal, les affaires ! »

 

Allez ! si les autres voraces,

Si tous les requins d'Outre-Rhin,

Font en c'moment un' sal' grimace

Ça n'nous défris' pas l'moindre brin (bis)

Un' nouvell' guerre ? on s'en fout, puisque

C'est vous qui marcheriez encor

Pour défendre nos coffres-forts

Alors ! franch'ment, NOUS qu'est-c'qu'on risque

 

Nous entrerons dedans la place

Après que vous n'y serez plus :

Nous y trouverons vos carcasses

Près des carcasses des vaincus ! (bis)

Et sur les tombes toutes proches,

Se r'joignant à deux pieds dans l'sol

Avec l'or du meurtre et du vol

Nous emplirons froid'ment nos poches !

 

(Du 17 au 23 mai 1911)

 

SA DERNIERE...

 

Air : Cadet Roussel

 

 

I’ n'peut plus passer aujourd'hui (bis)

Un' semain' sans fair' parler d'iui, (bis)

Et d'façon tragique ou badine,

Faut toujours qu'on caus' de Lépine...

Ah ! ah ! ah ! oui vraiment

C'sacré Lépine est épatant !

 

S'il s'intéresse avec passion (bis)

Aux choses de l'aviation (bis)

C'n'est pas pour fonder une école,

Pour préparer des « vach's-qui-volent » !

Ah ! ah ! ah ! non vraiment,

Y en a déjà trop pour l'instant

 

D'ailleurs pour son compt' personnel (bis)

Sans s'élancer au fait du ciel (bis)

Par un moyen plus... terre à terre

I' s'tient constamment dans l'Ether-e

Ah !, etc…

 

Mais il trouve, autour de ce sport (bis)

Des occasions de faire encor (bis)

Charger la foule pacifique

Par l'armée de la République !

Ah !, etc…

C'est le sport le plus épatant

 

 

Dimanch' dernier on vit ainsi (bis)

Le champ d'aviation d'Issy (bis)

Transformé soudain par son œuvre,

En véritable champ d'manœuvre

Ah !, etc…

 

Pourquoi donc tous ces cuirassiers (bis)

Dont les chevaux march'nt sur les pieds ? (bis)

Tous ces cuirassiers, pauvres cuistres,

C'est pour veiller sur les ministres !

Ah !, etc…

Mais fallait veiller autrement

 

Grâce à tout's ces précautions-là, (bis)

L'monoplan qui dégringola

S'en vint dans sa chute sinistre

Casser la gueule aux dits Ministres !

Ah ! ah ! ah ! oui vraiment

C'sacré Lépine est épatant

 

Aussi, comme cette fois-ci (bis)

C'n'est pas l'populo qu'est occis (bis)

Nos maîtres jugeant d'autre sorte,

Vont peut-êtr' le foutre à la porte

Ah !, etc…

Nous autres on trouve qu'il serait temps.

 

(Du 24 au 30 mai 1911)

 

LE CLAIRON

 

Air : Le clairon (P. Déroulède)

Le capitaine Cayaba du 40e d'Infanterie, commande à son trompette d'artillerie de faire les sommations. Le soldat se met à pleurer et ne peut souffler qu'une fois.

(Les grèves agricoles du Gard.)

L'Humanité.

 

Les tâcherons sont en grève,

Un rouge soleil se lève

Sur les sillons de là-bas ;

Mais pour défendre la terre

Des riches propriétaires,

En avant petits soldats

(Tarata, tarata, tarata, tatatata !)

 

Un long frisson de révolte

Passe parmi les récoltes :

Il faut marcher à l'instant

Sur cette foule hagarde,

Sinon, soldats, prenez garde ;

C'est Gafsa qui vous attend

Tarata, etc..

 

Qu'après vos charges farouches

Le sang inonde les souches

Dans les vignes des patrons,

Pour faire sabrer tes frères

Dont tu vécus la misère,

En avant ! sonne clairon !

Tarata, etc..

 

L'ordre est donné, l'heure est grave

Mais le clairon est un brave,

Est un brave petit gâs ;

A peine a-t-il fait un geste

Que tout son être proteste ;

Le clairon ne sonne pas !

 

Bravo ! mais que dans le cuivre,

Pour l'appel qui nous délivre

De nos communs exploiteurs,

Demain ton souffle résonne,

Petit clairon sonne, sonne

A pleins poumons, à plein cœur ! Tarata, etc..

 

(Du 30 mai au 6 juin 1911)

 

 

AH ! AH ! MOI J'M'EN..,

 

Air : Le petit homme gris (Béranger)

 

AU BANC D'INFAMIE...

 

...De nouvelles poursuites sont, paraît-il, intentées à la Guerre Sociale ! Gaston Coûté, Auroy et un « sans patrie » (Hervé) seraient poursuivis pour » apologie de faits qualifiés « crimes » à raison de leur article et chanson (Hélas ! plus de mouchoirs...) de notre numéro du ler mai.

C'est avec joie que la Guerre Sociale fera, en grand, devant la Cour d'Assises, le procès des cosaques de la République française et de leur chef le fou dangereux : Lépine !

La Guerre Sociale.

(Du 7 au 13 juin 1911)

 

Idé' vraiment sublime,

Le Parquet, aujourd'hui

Me poursuit :

Oui j'ai commis un crime

Dont tout le mond' frémit

Mes amis !

Ah ! ah ! moi j'm'en... (bis)

Ah ! ah ! moi j'm'en ris.

Ah ! qu'il est gai (bis)

Le Parquet de Paris !

 

J'suis un êtr' hors nature ;

En apprenant que l'Hic

Faralicq

Avait pris sur la hure

J'n'ai pas pu verser d'pleurs,

Quelle horreur ! Ah I, etc..

 

Vite, qu'on m'embastille,

Qu'on m'appliqu' sans tarder

Ni compter,

Le brod'quin et les ch'villes,

Qu'on me clou' sur la croix

D'têt’-de-bois ! Ah !, etc..

 

Ça n'est pas là, je gage

Qu'je r'trouvrai « mon mouchoir

De l'autr' soir » :

Quand un merle est en cage,

C'est là qu'il chant' le mieux,

Nom de dieu !

Ah ! ah ! moi j'm'en (bis)

Ah ! ah ! moi j'm'en ris

Ah! qu'il est gai (bis)

Le Parquet de Paris

 

(Du 7 au 13 juin 1911)

 

MOUCHARDS !

 

Air : Les laquais (X. Privas)

dédié à MM. Foumy et Bled

 

Rampez — ainsi que des vipères

Dans les chemins creux de l'été —

Parmi la boue et les ornières

De la vieille Société ;

Allez répandre par le monde

Votre venin, de toute part :

Vous êtes des bêtes immondes,

Mouchards !

 

Tâcherons de l'ignominie,

Trimez dur, descendez bien bas,

Pour pouvoir toucher en la vie

Votre salaire de Judas :

Il est menu comme l'aumône

Qu'un bourgeois accorde aux déchards ;

Vous êtes les plus laids des jaunes,

Mouchards !

 

Allons, salauds, tous à l'ouvrage !

Glissez-vous parmi les bons gâs :

Souillez tout sur votre passage,

Semez du doute à chaque pas ;

Mais le masque qui vous déguise

S'en vient à tomber tôt ou tard :

Nous bénissons votre sottise :

Mouchards !

 

Ce jour-là, que les gens qui passent,

Tous ! les grands comme les petits,

Viennent vous jeter à la face

L'ultime geste du mépris ;

Et sur votre sale trombine

Si vous récoltez des mollards,

Portez-les tout chauds à Lépine

MOUCHARDS !

 

(Du 14 au 20 juin 1911)

 

LA PETITE FLEUR BLEUE..

 

Air : Ça fait toujours plaisir!

 

Dimanche, dans tous les quartiers de Paris, on vit des dames mûres, des dames élégantes et des petites jeunes filles insister auprès de chacun pour lui vendre une Fleur bleue montée en épingle — « Pour nos soldats du Maroc — disaient-elles — et pour les agents victimes du devoir ! »

Les Journaux.

 

 

Les deux mains dans mes poches,

Me prom'nant dimanch' soir,

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Me prom'nant dimanch' soir,

Un' dam' de moi s'approche

Tout au coin du trottoir,

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Tout au coin du trottoir ;

En voyant sa figure,

Je fus forcé d'conv'nir

Que la dame était mûre...

Ça fait toujours plaisir

Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! .

Ça fait toujours plaisir !

 

Heureus'ment mes alarmes

Ne durèr'nt qu'un moment,

Ah !...

Ne durèr'nt qu'un moment,

Ça n'était pas ses charmes

Qu'elle offrait présent'ment,

Ah !...

Qu'elle offrait présent'ment.

Non ! cette femme honnête

Vint simplement fleurir

Le r'vers de ma jaquette...

Ça fait toujours plaisir

Ah !, etc.

 

— Pour le Maroc — dit-elle

Après c't'acte élégant

Ah !...

Après c't'acte élégant,

Brandissant avec zèle

Une boîte en fer blanc

Ah !...

Une boîte en fer blanc ;

Alors, natur' benoîte,

Je pus voir s'engloutir

Mes deux ronds dans sa boîte...

Ça fait toujours plaisir

Ah !, etc.

 

 

Maint'nant que va-t-on faire

De mes pauvres deux ronds ?

Ah !...

De mes pauvres deux ronds ?

La « casse » de la guerre,

C'est eux qui la paieront !

Ah !...

C'est eux qui la paieront

Par ricochet, je pense

Qu'ils vont ainsi servir

Aux Requins d'La Finance...

Ça fait toujours plaisir !

Ah !, etc.

 

A d'autr's usages encore

Servira mon billon :

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Servira mon billon

Les doux flics que j'adore

En auront un' portion !

Ah !...

En auront un' portion !

Ayant r'çu des châtaignes

Lorsque l'on peut se dir' :

« Ça, c'est pour Portenseigne »

Ça fait toujours plaisir

Ah !, etc.

 

Depuis lors, en des termes

Pris au langag' des fleurs,

Ah !...

Pris au langag' des fleurs,

La fleur bleu' qu'un' main ferme

Piqua près de mon cœur,

Ah !...

Piqua près de mon cœur,

M'dit d'façon péremptoire

Et m'répète à loisir :

« Mon vieux, tu n'est qu'un' poire ! »

Ça fait toujours plaisir !

Ah ! Ah ! Ah ! Ah,

Ça fait toujours plaisir !

 

(Du 21 au 27 juin 1911)

 

ALMANACH DE LA GUERRE SOCIALE 1910 1911

 

 

REVISION

 

 

Je suis à poil et cependant

Je ne suis pas chez ma voisine ;

Sur moi la toise en descendant

A fait un bruit de guillotine,

Et voici mossieu le Major,

Etre doux comme le tonnerre,

Qui me palpe et me palpe encor,

D'un geste de vétérinaire.

 

Alors sans bouger le sourcil,

Je chante pendant ce temps-là :

Si tu n'as pas vu mon cul, le voici,

Si tu n'as pas vu mon cul, le voilà !

 

Devant moi, le nombril caché

Sous le tricolore bandage,

Les maires, témoins du marché,

S'intéressent au marchandage :

Œil sournois, œil terne et chassieux,

Regard de veau, regard de fouine,

Tous les regards de tous ces yeux

Courent sur moi comme vermine.

 

Alors sans bouger...

 

— Le gaillard n'est pas trop mal fait !

Il a même une bonne tête... »

Comme au Comice, le Préfet

Admire aussi la belle bête ;

Et j'entends ce sacré major

Louanger ensuite à son aise

Un tout autre endroit de mon corps

Objet de gaîté bien française...

 

Alors sans bouger...

 

De la chair jeune de vingt ans

Qu'étalera fièvre ou bataille,

Savez-vous que c'est épatant

Quand on la drogue ou qu'on la taille !

Et le morticole abruti

Portant du velours sur la manche

Numérote mes abatis

Pour les lendemains de revanches...

 

Alors sans bouger...

 

C'est la croix au dos du mouton

Il a dit « Bon pour le service » ;

Un sergent vague écrit mon nom

Sur la liste des sacrifices...

Hé ! l'homme aux manches de velours,

Même quand on est militaire,

Faut pas vendre la peau de l'ours

Avant qu'on ne l'ait mis par terre !

 

Dernier Refrain

Si tu viens pour la mienne ici,

Je chante en m'en allant par là :

Si tu n'as pas vu mon cul, le voici !

Si tu n'as pas vu mon cul, le voilà !

 

 

PRINTEMPS

 

Le printemps va bientôt naître. Les hirondelles

Pour que l'azur s'en vienne égayer son berceau

Fendent le crêpe du brouillard à grands coups d'ailes,

Prestes et nets ainsi que des coups de ciseaux.

 

Des rustres stupides et des corbeaux voraces

Qui s'engraissaient parmi les horreurs de l'hiver

En voyant les oiseaux d'espoir traverser l'air

Se liguent aussitôt pour leur donner la chasse.

 

Les hirondelles agonisent en des cages,

Leur aile saigne sous la serre des corbeaux,

Mais parmi l'azur qui crève enfin les nuages

Voici l'Avril ! Voici le printemps jeune et beau.

 

O gouvernants bourgeois à la poigne cruelle

Emprisonnez les gens, faites en des martyrs,

Tuez si ça vous plaît toutes les hirondelles,

Vous n'empêcherez pas le printemps de venir.

 

ETE

 

Pour emblaver ces champs, quelques gas ont suffi

Ils n'ont jeté que quelques poignées de semence

Mais le miracle blond de l'Eté s'accomplit

Cent faucheurs sont penchés sur la moisson immense.

 

De chaque grain tombé dans la nuit du sillon

Un bel épi s'est élancé vers la lumière

Et nul ne peut, sous le vol bleu des faucillons

Compter tous les épis de la récolte entière.

 

O vous, plus isolés encor que les semeurs

Qui sont passés dans la plaine au temps des emblaves,

En la nuit des cerveaux et l'intensité des cœurs

Jetez votre bon grain sur le champ des Esclaves.

 

Fiers semeurs de l'Idée, jetez votre bon grain.

Il dormira comme le blé dort dans la terre.

Mais innombrable, aux beaux jours de l'Eté prochain,

Votre moisson resplendira dans la lumière !

 

 

AUTOMNE

 

Comme un monde qui meurt écrasé sous son Or,

La Forêt automnale en son faste agonise

Et ses feuilles, comme les pièces d'un trésor,

S'amoncellent sous le râteau fou de la bise.

 

Parmi la langueur des sous-bois, on sent flotter

La même odeur de lente mort et de luxure

Qui vous accable au cœur des trop riches cités :

Tout l'Or de la Forêt s'exhale en pourriture !

 

Mais nous savons que de l'amas de ce fumier

Doit fleurir, en l'élan de la sève prochaine,

La gaieté des coucous, la grâce des aubiers,

La douceur de la mousse et la beauté des chênes.

 

Notre Société ressemble à la Forêt,

Nous sommes en Novembre, et l'Automne est en elle.

O fumier d'aujourd'hui ! plus ton lit est épais !

Plus l'Avril sera vert dans la Forêt nouvelle !

 

HIVER

 

Tristes, mornes, muets, voûtés comme une échine

De malheureux tâcheron, les vieux monts ont l'air

D'un peuple d'ouvriers sur un chemin d'usine,

Et leur long défilé semble entrer dans l'Hiver.

En un effeuillement lent de pétales sombres

La neige tombe comme tombe la Douleur

Et la Misère sur le dos des travailleurs.

La neige tombe sur les monts. La neige tombe.

Emprisonnant leur flanc, écrasant leur sommet,

Sous un suaire dont la froideur s'accumule

Encor ! Toujours ! plus fort ! la neige tombe. Mais

Au simple bruit d'un pas heurtant le crépuscule,

Les vieux monts impassibles travaillent soudain

Et leur révolte gronde en avalanche blanche

Qui renverse et qui brise tout sur son chemin...

Sur notre monde un jour, quelle horrible avalanche !

 

VOLUME 5

ALLUMETTES DE CONTREBANDE

 

Allumettes de contrebande...

Vous en faut-y d'mes p'quits bouts d'boués ?

J'en ai cor vingt paquets su' moué

Qui m'font grous vent' sous ma houpp'lande

Mes allumett's à moué, sont pas

Comm' les allumett's de l'Etat,

Vous savez, cell's qui veul'nt pas prendre

Quand qu'i' s'agit d'allumer l'four

Pour cuire à tertous du pain tende...

Moué j'suis pas l'épicier du bourg

Moué nom deguieu !

J'vends des allumett's qui prenn'nt feu

 

Allumettes de contrebande

Au coin du ch'min Pandor m'a dit

Comme ed coutume en vein' d'esprit

« T'as l'air enceinte à vouer ton vent'e ?

Y a eun hospic' pas loin d'icite

Oùsque tu pourras fair' tes couches... »

Et me v'la-z-au trou encore un coup.

Quoué nom deguieu ?

J'vends des allumett's qui prenn'nt feu !

 

Allumettes de contrebande...

A la fin j'finis par comprend'e,

Ça n'est pas pus malaisé qu'ça :

Des foués j'les gên' ceux qu'est d'I'Etat

Messieurs du Pab', Messieurs du Sac,

Messieurs du Cod', du Goupillon...

Voici, pour allumer l'bout d’bougie

Qui fait baisser les z-œils, pleurs d'nuit

Su' l'sang d'leu's crouéx, d'leu's galons

Su' tous les crim's de leu's meyions

Su' l'injustice ed' leu' justice

Su' la bêtis' de leu' r'ligion

Voui, nom deguieu !

J'vends des allumett's qui prenn'nt feu

 

Allumettes de contrebande...

Faurait pas trop pousser à bout

Hé les sieurs qui tienn'nt la gouverne

Ou putôt si... C'est ça qu'je d'mande

Queuqu' bieau souer ousque l'vent s'rait fort

Usine, églis', prison, caserne...

Gar', nom deguieu !

J'vends des allumett's qui prenn'nt feu !

 

N. d. E. — Le manuscrit que nous avons retrouvé n'est pas de la main de Couté. Il porte cette indication : « Donner à l'impression le manuscrit écrit par moi car celui-ci est plein de mots mal orthographiés et puis il y a des lignes qui manquent ».

 

 

APRES LA LETTRE

 

Hier, j'étais bien près, ma brune,

J'étais bien près de t'adorer

Quand tu m'as dit : « Je t'écrirai ! »

Je suis parti, chantant fortune.

Et ce matin, à mon lever,

Ta lettre vient de m'arriver

 

Ta lettre est d'un banal insigne

Avec son griffonnage étroit

Et son pauvre style est d'un froid

A patiner entre les lignes :

Après tout ce que j'en ai lu

Je sens que je ne t'aime plus !

 

Ton esprit est nul, ton cœur vide !

Et devant ta lettre je vois

Que tu ne portes rien en toi,

Rien hormis ta beauté stupide ;

Et moi qui voulais t'adorer

J'en reste colère et navré.

 

Lors, de sur ma table j'enlève

Et je déchire à grands coups secs,

Puis j'allume ma pipe avec

Ce billet de deuil de mon rêve...

Et maintenant, de toi je ris !...

Aussi, pourquoi m'avoir écrit !

 

L'AUTRE FAISEUR DE MIRACLES

ou

 

GALILEEN TES MIRACLES D'UN JOUR

 

Malgré toutes les eaux de Lourdes

Et les simples des rebouteux,

La pauvrette était toujours sourde

Et la nuit emmurait ses yeux ;

Maintenant, elle attrape l'âge

Où l'on danse avec les garçons,

Et l'on cause par le village

D'une soudaine guérison.

 

Refrain

Galiléen, tes miracles d'un jour

L'Amour

Les fait toujours.

Les aveugles voient, l'ouïe revient aux sourds

Devant l'Amour.

 

Un jour qu'elle allait, la pauvrette !

Sans entendre l'oiseau chantant,

Sans voir fleurir la pâquerette

Un gâs passait dans le Printemps ;

Et comme elle pouvait encore,

Malgré tout, plaire aux amoureux,

Lui mit un long baiser sonore

Sur les oreilles et les yeux.

 

Rien qu'un baiser ! Pas de prières !

Non plus d'herbes de la Saint Jean !

Et le gâs à l'étreinte claire

Partit plus loin dans le Printemps ;

Mais, là-dessus, la pauvre fille

Disait : « Je suis guérie, je vois

Dans mon cœur un soleil qui brille

Et j'entends en mon cœur des voix... »

 

musique de : Marcel LEGAY

 

LA CHANSON DU LABOUREUR

 

Un jour en nant la terre

D'un coin de champ sis où jadis

Se trouvait l'ancien cimetière

Qui reçut les vieux du pays,

En nant la terre nue,

Au creux d'un sillon noir et d'or,

Soudain, une tête de mort

Buta dans mon soc de charrue.

 

Lors, prenant dans ma main calleuse,

Afin de mieux l'examiner

La tête à grimace hideuse,

Sans lèvres, sans yeux et sans nez,

J'ai rêvé de fille jolie,

Aux lèvres donneuses d'amour,

Aux yeux clairs comme un rais de jour

Pour qui j'aurais fait des folies.

 

Voyant son crâne à l'ossature

Toute blanche et dont le cerveau

Avait dû servir de pâture

Aux vers qui vivent des tombeaux,

J'ai rêvé de bourgeois très riche

Gros de ventre et fort d'appétit

Dont j'aurais servi comme outil

A faire le Boire et la Miche.

 

Et lançant à travers la plaine,

Selon mon désir, n'importe où !

Cette chose qui fut humaine

Comme on jetterait un caillou,

J'ai rêvé de grand capitaine

Qui m'aurait envoyé mourir

Ou faire mourir pour servir

Son œuvre de Gloire et de Haine.

 

Mais après, en voyant la tête

Reposer en l'herbe du pré

Où s'en vont reposer mes bêtes

Lorsque mon champ est labouré,

J'ai rêvé de travailleur blême,

De pauvre bougre comme moi,

Mort comme je mourrai moi-même !

 

N. d. E. — Variante de « La tête de mort », poème reproduit dans le tome III, page 48.

 

LA DEBAUCHEUSE

 

On ne voit plus sa rouge cotte.

Oùsqu'est la garce, encore un coup ?

Dedans un chaumier qui gigotte

Avec un galant à son cou !

C'est comme ça, depuis l'aurore :

Elle a pris et veut prendre encore

Tous les beaux tâcherons d'août.

 

Ah saprée garce, saprée garce !...

La moisson qu'est encore éparse !

 

Sûr qu'il a passé moins de gerbes

Depuis l'aurore, entre ses bras

Et contre ses tétons superbes,

Qu'il a passé, passé de gâs !

Elle fait sa moisson de mâles :

Sur son corps s'entassent les râles

Mais le blé ne s'entasse pas !

 

Ah saprée garce, saprée garce !...

La moisson qu'est encore éparse !

 

Après son étreinte endiablée,

Les moissonneurs s'en vont, fourbus

Et saouls comme au soir d'assemblée

Du trop de baisers qu'ils ont bus ;

Et les gaillards à forte pogne

S'en nent à la besogne,

Mais c'est pour se coucher dessus !

 

Ah saprée garce, saprée garce !...

La moisson qu'est encore éparse !

 

Maintenant la coiffe en détresse,

Elle revient parmi les gens

Chercher un bailleur de caresses

Mais, le ciel se brouille, aux couchants,

Et malfaisante ! Et furibonde !

Comme son amour sur le monde,

La grêle tombe sur les champs...

 

Ah saprée garce, saprée garce !

La moisson qu'est encore éparse !...

 

LE FACHEUX MADRIGAL

 

Belle aux beaux yeux cette nuit-là,

Après danser, on s'en alla

Par les prés où le muguet pousse ;

On ne voyait, dans l'ombre douce,

Que vers luisants, à chaque pied

De houx, de fusain et d'aubier.

 

(Pardon belle, de ma sottise :

Un lourdaud qui madrigalise

Se double souvent d'un fâcheux !)

Je comparai vos jolis yeux

A ces vers luisants qui brillaient

Dans le feuillage noir des haies !

 

Cette nuit-là, belle aux beaux yeux,

Sous le buisson noir des cheveux

Moi, je voulais que vos prunelles

Soient deux lucioles jumelles

Et j'étais fier ainsi, d'avoir

Causé galamment pour un soir

 

(Pardon, belle de ma sottise :

Un lourdaud qui madrigalise

Se double souvent d'un fâcheux !)

Je comparai vos jolis yeux

A ces vers luisants qui brillaient

Dans le feuillage noir des haies !

 

Aux premiers souffles du matin

Les vers luisants étaient éteints ;

Vous prîtes une luciole

— Ah ! la dégoûtante bestiole !

— Ah vos beaux yeux, belle aux yeux d'or

Après qu'aura soufflé la Mort !

 

(Pardon, belle de ma sottise :

Un lourdaud qui madrigalise

Se double souvent d'un fâcheux !)

J'avais comparé vos beaux yeux

A ces vers luisants qui brillaient

Dans le feuillage noir des haies.

 

musique de : Marcel LEGAY

 

LES FAUCHEUX DE COULMIERS

 

(incomplet)

 

A Coulmiers avant la guerre

Les pères de ces gâs-là

Fauchaient comme leurs grands-pères,

Fauchaient, fauchaient à pleins bras

Et ceux dont les gestes augustes

Faisaient du pain pour tertous

Arrivaient à vivre juste

Assez pour souffrir beaucoup !

 

Refrain

Les blés sont mûrs à Coulmiers

Les gâs des fermiers fauchent dans les champs

Fauchent en songeant.

 

musique de : Léo DANIDERFF

 

LES FOINS

 

Il a passé des vols de faulx,

Dans les foins drus dans les foins hauts

Les foins qui sèchent

Sous les brûlures des midis

Et sous les souffles attiédis

De la nuit fraîche.

 

Leur parfum, vers les cieux d'espoir,

Monte comme d'un encensoir

Du cœur des glèbes,

Troublant les vierges aux yeux clairs

Et mettant du feu dans la chair

Des blonds éphèbes.

 

Leur tapis, sur les foins dormants,

Vibre le soir au froissement

Du pas des couples

Et leur lit, sous les lunes d'or,

Trésaille du frisson des corps

Jeunes et souples.

 

Et leur linceul, où sont gisants

Les cadavres des fleurs des champs

De toutes sortes

Qu'ont semé les faulx des faucheurs,

Reçoit encor la pâle fleur

Des pudeurs mortes !...

 

LE JOLI JOLI BOUQUET

 

 

Colin chante dans le bois

Après avoir fait cueillette au bois

D'un bouquet de violettes

Qu'il a promis à Colette ;

Par tous les fourrés du bois

Colin qui songe à Colette

Chante à pleine voix :

 

Ah ! Ah ! Il est pour ma mie, ô gué !

Le joli joli bouquet.

 

Rencontre en un coin de bois

Jeannette qui va seulette

Au bois.

— Donne-moi des violettes ?

— Mais comme il est pour Colette

Mon joli bouquet des bois

N'en prends qu'une violette

Lui dit-il à demi-voix

 

Il est pour ma mie, ô gué !

Le joli joli bouquet !

 

En revenant sous le bois

Trouva cinq ou six Jeannettes

Au bois

— Donne-moi des violettes !

Colin oublia Colette

Et tout son bouquet des bois

S'en fut aux mains des Jeannettes

Lors, dit en baissant la voix

 

Que dira ma mie, ô gué !

Du joli joli bouquet

 

Puis il s'en alla du bois

Laissant toutes les Jeannettes

Au bois.

Arriva devant Colette

Sans bouquet de violettes

Puisqu'il resta dans le bois

Epars aux mains des Jeannettes

Et dit à piteuse voix

 

J'ai perdu ma mie, ô gué !

Le joli, joli bouquet.

 

— ne bien vite au bois !

Fait comme ordonnait Colette

Au bois,

Pour refaire une cueillette

De fleurettes pour Colette

Mais ne trouva plus au bois

Un seul brin de violette

Lors, se dit : « Une autre fois

 

 

Garde pour ta mie, ô gué

Ton joli, joli bouquet. »

 

musique de : Alcib MARIO

 

MES AGNEAUX... (1)

 

A peine est-il né le terrible enfant

Que vivement le supplice du carcan,

Déjà depuis si longtemps supprimé,

A son égard on veut le restaurer.

 

Quoique très jeune, il est bien populaire

Et bien connu de tous les prolétaires,

Cinglant le fort, défendant l'ouvrier,

Il est pour eux un robuste bouclier.

 

Intervenant dans les louches histoires,

Il cherche toujours et veut tout savoir.

Puis, au grand jour, il clame la vérité

Bien qu'en disent les exploiteurs Cassoret.

 

Dans la police, son œil fait le déclic ;

Aussi est-il haï de tous les flics.

Un béguin il n'a pas de l'idiot place

Qui suce autre chose que de la glace !

 

Et toi, malheureux prophète Lebas,

Garde-toi bien quand tu voyageras

D'annoncer la mort du pauvre petit

Qui te prouve aujourd'hui sa bonne vie.

 

Un con...seiller, le fameux Michonneau,

L'aime beaucoup, voire plus que sa peau,

Y tient bien plus qu'à ses derniers cheveux,

Sans oublier ses deux énormes yeux.

 

Malgré ce fumier, il pousse et grandit,

Epate tout le monde tellement il fortifie

Envers, contre tous ces crocodiliens

Rien n'arrêtera le Réveil Artésien.

 

LE SUBEZIOT

 

(1) In Le Réveil Artésien, n° 27, 11 septembre 1910 et L'Action Syndicale, même date.

 

N. d. E. — Ce poème signé « Le Subeziot » est, selon toute vraisemblance, l'œuvre de Gaston Couté, « Le Subeziot » étant son surnom habituel en langage beauceron. Le Réveil Artésien et L'Action Syndicale, deux journaux révolutionnaires du Pas-de-Calais, ont publié en juillet et août 1910 deux autres textes parus dans La Guerre Sociale.

 

MON COCHON DE BLAIR

 

Voici l'roman d'un pauv' jeune homme

D'un jeune homm' qui n'est aut' que moi

Personn' ne sait comment j'me nomme

Et pourtant je me nomme Eloi.

Je n'sors jamais, je bois à peine,

Je suis sobre comme un chameau,

Mais par suit' de quel phénomène ? —

J'ai l'nez roug' comme un coqu'licot.

 

Refrain

Ah mon cochon d'blair !... qui m'a fait tant d'tort

Mais que j'support'rai tout' mon existence,

Ah mon cochon d'blair !... tu m'dégout's quand j'pense

Que toi, tu m'plaqu'ras un' fois que j's'rai mort.

 

V'nu d'chez moi dans l'but d'fair' des lettres,

En entrant dans l'mond' parisien

J'allais me présenter pour être

S'crétair' d'un académicien :

D'vant mon nez roug' comm' sa rosette

Le digne immortel s'écria :

« Oh la la !... c'tte gueul' !... c'tte binette !... »

Et poliment, me renvoya.

 

Dans les cabarets artistiques,

Au public, j'allais représenter,

Avec, sur mes lèvr's ironiques,

Des chansons d'actualité ;

Mais m'voyez-vous ? les mains aux poches

Et mon nez au-d'ssus du piano,

Comm' j'étais frais pour fair' le r'proche

Au princ' de Gall's d'être un poivrot.

 

Dans un théâtre populaire,

Pour y jouer les amoureux,

On m'engagea. Quand j'disais « Chère...

J'brûl !... » J'avais l'nez roug' comm' du feu

Et des voyous en bras d'chemise

Du haut du poulailler m'gueulai'nt :

«Bravo pour l'amant d'la marquise

Qu'a pas r'culé d'vant les Anglais ! »

 

Bref, d'un sal' métier à un aut'e

J'ai gaspillé mes bell's anné's

Et tout ça rien que par la faute

D'mon nez, d'mon nez, d'mon fichu nez ;

Il m'a causé bien des déboires

Mais, en ce moment-ci, j'm'en sers

Et j'fais, moi qu'ai jamais pu boire,

Les poivrots, au Café-Concert.

 

NOEL DE LA PAUVRE FEMME

 

(chanson vécue)

 

Dedans la boîte du clocher,

Voici les carillons qui sonnent ;

Et moi sur le point d'accoucher,

En mon giron ça carillonne ;

 

NOËL ! NOËL ! C'est aujourd'hui que Jésus naquit dans l'étable,

NOËL ! Il naîtra cette nuit, un drôle encore plus misérable...

 

0 toi, qui vient dans mon sabot

Me descendre avec un petiot,

De la misère et de la peine,

Noël ! Mon Roi ! Noël ! Mon Dieu !

Fais un miracle, attends un peu...

Attends jusqu'à l'année prochaine.

 

musique de : Jeanne WILLEME

 

LA PAIX

 

Des gâteux qu'on dit immortels,

Des louftingues en redingote

L'adorent au pied des autels

De leur ligue de patriotes :

Des écrivassiers de mon cul

En touchants mélos d'ambigu

Ou romances pour maisons closes

Nous chantent cette horrible chose : La Guerre !

 

Refrain

Oui mais, si nous avions la guerre,

Devant le feu, qui donc filerait comme un pet ?

Voyons les cabots de la guerre,

Foutez-nous la Paix !

 

Notre faux n'abat plus moisson

Sous nos marteaux plus rien ne vibre

Et nos cœurs gardent la chanson

Que lance au vent tout homme libre

Car nos mains dociles ont pris

Les divers outils de carnage

Pour au même plus bas prix

Même sale et stupide ouvrage

 

Refrain

Un sou par jour !

Ohé ! Sur tout le chantier de la guerre

C'est pour un sou que l'on tuerait son frère

Un sou par jour !...

En grève, en grève !... en grève et pour toujours.

 

Autres titres : « Chanson pour les conscrits » et c Grève »

musique de : Léo DANIDERFF

 

SOUTANE

 

ou

 

CHACUN DOIT AIMER

 

Il a bien vingt ans mais pas plus !

Il est encor frais émoulu

Du séminaire

Et s'en vient de prêchi, prêcher

Contre la chair et ses péchés

Petit vicaire !

 

Refrain

Au mois de mai

Tous les rosiers ont des roses !

Au mois de mai

Tout un chacun doit s'aimer !

 

Après la messe, il est allé

En égrenant son chapelet

Vers le bois proche :

Et maintenant le vieux bedeau

Sonne les vêpres sur le dos

Des grosses cloches

 

Tiens l'abbé n'est pas encor là ?

Qu'arrive-t-il ?... Enfin voilà

Que chacun prie,

En l'attendant, devant son banc !

Mais toujours rien, au soir tombant,

Que signifie ?

 

Je crois, dit enfin le sonneur

Qu'il est arrivé du malheur,

Dans le bois proche

Y a deux voleurs à chaque bout,

Y a des vipères, des grands loups

Des hautes roches !

 

On a tout fouillé, tout levé

Et c'est tout ce qu'on a trouvé

Du beau vicaire :

Auprès d'un moulin qui tournait

Sa soutane avec le bonnet

D'une rosière...

 

musique de : Marcel LEGAY (non retrouvée)

 

LE TEMPS D'AMOUR

 

Ma mi' joli' qu'j'aim' ben à c't'heure

Ma mi' joli' pourquoué qu'tu pleures

Ta p'tit' têt' triste ent'er mes bras ?

Tu m'demand's si j't'aim' pour la vie

Pens' pas à ça ma mi' jolie

Nout' amour dur'ra c'qu'i' dur'ra !

 

La vie est court' ma mi' jolie,

Mais l'amour est moins long qu'la vie,

Un jour s'en vient, l'lend'main s'en va ;

J'avons laissé fleuri les roses,

All's mourront, j'en s'rons-t-y la cause ?

Nout' amour dur'ra c'qu'i' dur'ra !

 

Qu'i' dur' jusqu'à trois années pleines

Qu'i' dur' trois mois, qu'i' dur' trois s'maines

Quoué qu'ça peut faire pisqu'i' mourra

Mais avant qu'i' meur ma mignonne

Gaspaillons pas l'temps qu'nous dounne

Nout' amour dur'ra c'qu'i' dur'ra !

 

Ma mi' joli', ta bouch' m'aguiche

Ta gorg' m'affol', viens que j'les biche

Su' les foins qui nous tend'nt leu's draps

Et ne compt' pas l'temps par année

Mais par caress' qu'on s's'ra donnée

Nout' amour dur'ra c'qu'i' dur'ra !

 

musique, de : Alcib MARIO

 

LE TESTAMENT D'UN SALE PIERROT

 

J'ai vingt ans et j'peux en viv' cent

Si je vis autant qu'mon grand-pére,

Mon nez d'un vif étourdissant

Dénote une santé prospère ;

C'est vrai qu'j'ai bon tempérament,

Mais, faut qu'un coup pour qu'on s'défile :

Y'a tant d'cochers par la grand' ville !...

En tout cas, v’là mon testament.

 

Refrain

Mes vieux copains, quand je mourrai,

Ne plantez pas d'saule au cim'tiére :

Ça pourrait faire tomber l'tonnerre

Su' la tombe oùsque j'roupill'rai !

 

Quand vous m'verrez prés d'tourner d’l’œil

Montez vitement à ma piaule,

Laissez vot' curé sur le seuil

Et tâchez seul'ment d'êt' drôles

Pour qu'on rigole encore un brin :

Au lieu d'vous rapp'ler vos prières

Entonnez un' chanson dernière

Que j'essaierai de r'prendre au r'frain.

 

Tout autour de mon pieu, gueulez !

Dansez la gigue avec vos belles !

Fait's du chahut pour que l'pip'let

De ma crevaison se rappelle :

Et, si jamais vous dégottez

Quelque peu d'galett', s'il en reste

Dans les doublur's de mes vieill's vestes,

Allez-les boire à ma santé !

 

Et toi, cher', garde tes deux sous !

C'est entendu : tu m'aim's, je t'aime !...

Mais des symbol's, moi, je m'en fous !

Garde tes deux sous d'chrysanthéme,

T'as cor beaux nichons et beaux yeux,

D'amour tu n'es pas encor lasse,

Va, choisis, pour qu'il me remplace

C'lui d'mes amis qui t'plaira l'mieux !

 

Et toi qu'elle aura remarqué,

Que tu sois Jean, que tu sois Jacques,

Ne fais pas de ce vieux chiqué

Aussi vieux que les œufs de Pâques :

— « Non !... c'est trop frais !... Attends quèqu's jours.

Quand tu m'verras raid' su' ma couche,

Dis-lui, tout en prenant sa bouche,

« Ton amant est mort !... Viv' l'Amour !... »

 

LE TRISTE INDIVIDU !

 

 

Il allait à l'école

Mais c'était un fléau,

De mêm' que la rougeole,

Pour les pauvres marmots

Comme une épidémie

On craignait ses plaisant'ries.

Quand il apparaissait

Tout's les fill's se débinaient.

 

Refrain

C'est le triste individu

Qui vient nous montrer son... œil

Quand arrive le printemps

Y s'fait app'ler Soleilland

Il est la terreur des squares

Des cinémas et des gares

Il oblige les enfants

A rester chez leurs parents.

 

Il eut par injustice

Et puis par protection,

D'son cousin le minisse

A quinze ans, l'prix Montyon

Sur tout's les plac's publiques

Il venait s'mer la panique

Comme un diable en enfer

Avec un' grand' queue... par derrière

 

Avec un air infâme

On le voit dans l'Métro

Terroriser les dames

Et les plus comme il faut

Sous sa p'lisse en fourrures

Il se croit en plein' nature ;

Sans craindr' les courants d'air

Il se montre nu comme un ver.

 

Il eut toutes les veines

Et devint député.

Avec un tel sans gêne

Ça n'pouvait pas rater

Mais ce fut bien aut' chose

Quand vint la saison des roses,

L'ignoble polisson

Viola la constitution.

 

C'est un triste individu,

Heureus'ment qu'on en fait plus

Quand arrivait le printemps

Ça dev'nait inquiétant.

On peut ner au square

Sans craint' de voir ce jaguar...e

Attenter à la pudeur

Comm' s'il était sénateur.

 

 

 

N. d. E. — Soleilland viola une petite fille d'une famille nantaise et la tua par peur d'être dénoncé. Toute la presse de l'époque parla de l'affaire et les parents d'évoquer aussitôt le triste personnage pour faire obéir les enfants, lequel remplaça ainsi le Père Fouettard.

 

LE VIN DE NOS VIGNES ET DE NOTRE AMOUR

 

(incomplet)

 

Sous les étoiles de septembre

La cour close a l'air d'une chambre

Et le pressoir d'un lit ancien ;

Grisé par l'odeur des vendanges,

Je suis pris d'un désir étrange

Né du souvenir des païens.

 

Refrain

Couchons ce soir tous les deux sur le pressoir

Dis, faisons cette folie

Couchons ce soir tous les deux sur le pressoir

Margot, Margot, ma jolie !

 

musique de : Léo DANIDERFF

 

LES VIOLETTES

 

J'ai pris « chaud et froid » en faisant

Danser d'autres filles

Et, dans ma poitrine à présent

Grince un violon malfaisant

Et piétinent d'affreux quadrilles :

Ma mie est là qui tend vers moi

— Ma mie est si bonne ! —

Un bol de tisane des bois

Et ses yeux bleus chargés d'émoi

Dont chaque regard me pardonne.

 

Refrain

„.Ah ! comme je tousse !...

(La tisane est douce,

La tisane aux violettes !)

...La mauvaise toux !...

(Ah ! Les chers yeux doux,

Les chers yeux de violettes !)

 

Au bol blanc, moins blanc que sa main,

Je bois deux gorgées

Et des violettes soudain,

Fleurissent comme en un jardin

Dans ma poitrine ravagée ;

Tandis que ses grands yeux, couleur

Des fleurs qui parfument

La tisane de leur douceur

Versent du printemps dans mon cœur

Plein de remords et plein de brume.

 

Je vais guérir, grâce au pardon

De ces violettes

Ecrasées sous mes rigodons

Aux jours de folle trahison

Où j'ai laissé ma mie seulette !

Je vais renaître par l'Amour

De ces yeux fidèles

A qui j'ai fait ces mêmes jours

Verser des pleurs cuisants et lourds

Par mes légèretés cruelles.

 

TEXTES RETROUVES

LA CHANSON DES FUSILS

 

 

Nous étions fiers d'avoir vingt ans

Pour offrir aux glèbes augustes

La foi de nos cœurs éclatants

Et l'ardeur de nos bras robustes;

Mais voilà qu'on nous fait quitter

Notre clair sillon de bonté

Pour nous mettre en ces enclos ternes

Que l'on appelle des "casernes":

 

En nos mains de semeurs de blé

Dont on voyait hier voler

Les gestes d'amour sur la plaine,

En nos mains de semeurs de blé

On a mis des outils de haine...

O fusils qu'on nous mit en mains,

Fusils, qui tuerez-vous demain?

 

Notre front qui ne s'est baissé

Encor que par devant la terre

Bouge, en sentant, sur lui peser

La discipline militaire;

Mais s'il bouge trop, notre front!

Combien d'entre nous tomberont

Par un matin de fusillade

Sous les balles des camarades?

 

Nos yeux regardent sans courroux

Les gâs dont les tendresses neuves

S'essaiment en gais rendez-vous

Là-bas, sur l'autre bord du fleuve;

Mais un jour de soleil sanglant

Ah! combien de pauvres galants

Ayant un cœur pareil au nôtre

Coucherons-nous dans les épeautres?...

 

Nous trinquons dans les vieux faubourgs

Avec nos frères des usines:

Mais si la grève éclate un jour

Il faudra qu'on les assassine!

Hélas! combien les travailleurs

Auront-ils à compter des leurs

Sur les pavés rougis des villes

Après nos charges imbéciles?...

 

Mais, en nos âmes de vingt ans,

Gronde une révolte unanime:

Nous ne voulons pas plus longtemps

Être des tâcherons du crime!

Pourtant , s'il faut encore avant

De jeter nos armes au vent

Lâcher leur décharge terrible,

 

Nous avons fait choix de nos cibles:

En nos mains de semeurs de blé

Dont on voyait hier voler

Les gestes d'amour sur la plaine,

En nos mains de semeurs de blé

Puisqu'on vous tient, fusils de haine!...

Tuez! s'il faut tuer demain,

Ceux qui vous ont mis en nos mains!...

 

 

 

REDEMPTION

 

(Poème légendaire)

 

 

Les cloches, dans le clair matin,

Jettent leur appel argentin

Et, par les sentes de la lande

Qui dort au bas du ciel serein

Passent des filles de marins,

Allant à la messe par bandes.

 

La jouvencelle aux airs fluets

Qui porte en ses yeux de bluets

L’insondable infini des rêves

Va prier pour son fiancé

Qui, par un jour de l’an passé,

S’est embarqué sur cette grève.

 

Elle court, parmi les genêts,

Plus vive et plus preste que n’est

Un oiseau d’avril dans les branches,

Elle court et ses longs cheveux

Où le soleil a mis le feu

Déferlent sous sa coiffe blanche.

 

Elle arrive, courant toujours

En échangeant de gais « bonjour ! »

Au bas des marches de l’église

Où le vieux facteur du hameau

Vient lui remettre « un petit mot »

Du « bon ami »… Douce surprise !

 

L’heure de la messe approchant,

Les cloches au-dessus des champs

Font tomber leurs notes massives,

Lors, elle rentre en regrettant

De n’avoir plus un seul instant

Pour pouvoir lire sa missive.

 

Dans le chœur, elle va s’asseoir

Parmi les vapeurs d’encensoir

Qui bleuissent les vitraux roses ;

Elle ouvre son livre et se met

A chanter dévotement, mais

Son cœur fol rêve d’autre chose.

 

Puis le Malin qui sait toujours

Perdre les femmes par l’amour

Vient lui susurrer dans l’oreille :

« Sais-tu ce que te dit ton amant

Qui vogue parmi les tourments

De la mer au fauve pareille ?...

 

…Tu ne sais pas ? Tu peux savoir !

Prends sa lettre, regarde voir… »

Et laissant entrer dans son âme

L’Esprit adroit, l’Esprit subtil

La belle dit « Ainsi soit-il ! »

Puis se cachant comme une infâme

 

Derrière un vieux pilier tremblant

Elle parvient faisant semblant

De lire son livre de messe,

A déchiffrer enfin le court

Et profane billet d’amour

Plein de serments et de promesses.

 

Mais, relevant soudain les yeux,

Sachant avoir offensé Dieu

Dans le sein de l’austère église,

Elle voit, le cœur plein d’effroi,

Le long des murs ternes et froids

Tous les saints qui se scandalisent.

 

L’archange Michel terrassant

Le serpent du Mal menaçant

Semble crier : « au sacrilège ! »

Le bon évêque Nicolas

Drapé dans sa chape lilas

Gronde dans sa barbe de neige.

 

La Vierge, d’un air irrité,

Etend le bras pour lui jeter

En pleine face l’anathème

Et le petit enfant Jésus

Rougit comme s’il avait su

Lire sous sa lettre : « Je t’aime ! »

 

Alors, la messe prenant fin,

Elle fuit toute seule, afin

De pleurer en paix sur sa faute ;

Elle erre parmi les genêts,

Plus sombre et plus triste que n’est

Un oiseau de nuit de la côte.

 

Car des vols de blancs goélands

Semblent clamer en la frôlant :

« Tu vas salir nos pures ailes

Démone ! Démone ! Va-t-en

De là l’empire de Satan

Où le feu d’enfer étincelle.

 

Et la pauvre se dit : « C’est vrai !

Las ! c’est là que je m’en irai,

Damnée… oui, je serai damnée !...

Seigneur !.. ayez pitié de moi

Je ferai pénitence un mois !

Deux mois !.. six mois !.. toute l’année.

 

Mais Dieu dont le glorieux fils

Est mort pour racheter jadis

Les péchés de la Magdeleine

Veut qu’un autre homme meurt encor

Et donne l’âme de son corps

Pour en purifier la sienne.

 

Il déchaîne les éléments…

La mer furieuse et bramant

Dans le crépuscule qui tombe

Des profondeurs du firmament

Va devenir pour son amant

Le drap mortuaire et la tombe.

 

Et peut-être ce pauvre amant

Qu’emportera le flot dormant

Ira s’échouer sur la grève

Où celle qu’il vient d’exaucer

L’attendait pour se fiancer

Pourra voir de ses yeux de rêves

 

Un cadavre livide de froid

Etendu les deux bras en croix

Sous l’orbe du soleil sévère

Comme Celui-là qui fut pour

Effacer les fautes d’amour

Crucifié sur le Calvaire.

 

 

 Moulin de Clan, octobre 1897