TABLE DES MATIERES
Volume
1
LA CHANSON DE PRINTEMPS DU CHEMINEUX
COMPLAINTE DES RAMASSEUX D'MORTS
Volume 2
IDYLLE DES GRANDS GARS COMME IL FAUT ET DES JEUNESSES BEN
SAGES
J'AI FAIT DES BLEUS SUR TA PEAU BLANCHE
LES MAINS BLANCHES, BLANCHES...
NOËL DE LA FEMME QUI VA AVOIR UN PETIOT ET QUI A FAIT UNE
MAUVAISE ANNEE
VOLUME
3
LES P’TITS OISEAUX CHANTAIENT TROP FORT...
T'AS-T'Y BEN FETE MON JACQUES ?
DEUXIEME LETTRE OUVERTE A M. LE CURE DE MEUNG
« J'EN AURAI LE CŒUR NET !... »
LES TROIS CHANSONS DU CARILLON
LES TROIS QUENOUILLES D'AUDEBERTHE
UNE LESSIVE QUI TOMBE UN JOUR DE FETE-DIEU
VARIATION SUR L'AIR DE MALBROUGH
VOLUME
4
CHANT DE REVOLTE DE CE 14 JUILLET
LA SUPPRESSION DES DEMI-PORTIONS
LA PLAISANTE PREMIERE COMMUNION
CHEMINOTS, QUEL JOLI SABOTAGE !
AU LIEU D'UN PAUV PETIT POMPON
LES JOYEUSETES DE LA GREVE PERLEE
L'ELECTION DU PRESIDENT DE LA CHAMBRE
CANTIQUE A L'USAGE DES VIGNERONS CHAMPENOIS
LES PIECES SOCIALES DE M. PAUL BOURGET
ALMANACH DE LA GUERRE SOCIALE 1910 1911
VOLUME
5
GALILEEN TES MIRACLES D'UN JOUR
LE TESTAMENT D'UN SALE PIERROT
LE VIN DE NOS VIGNES ET DE NOTRE AMOUR
Attends-moi ce soir, m'as-tu
dit, maîtresse ;
Et, tout à l'espoir d'avoir
ta caresse,
Je me suis assis au banc d'un
café ;
Mes yeux inquiets vont de la
terrasse
Au clair va-et-vient des
femmes qui passent,
Croyant chaque fois te voir
arriver.
Tout en t'attendant j'ai pris
une absinthe.
L'heure où tu devais venir,
l'heure tinte
Tu n'es pas là. Mon verre est
vide. Une autre absinthe !
L'eau tombe en mon verre à
très lentes gouttes
Et mon cœur où tel vient
tomber le doute
Pose des questions tout seul
et tout bas ;
Gardant comme un leurre un
brin d'espérance
Tandis que le soir
s'engrisaille, il pense
Au deuil de ma nuit si tu ne
viens pas.
Tout en t'attendant, j'ai
pris deux absinthes.
Ton heure est passée, une
autre tinte
Et rien encor ! Mon verre est
vide... Une autre absinthe !
Non, décidément ! Assez de
t'attendre !
Tu ne viendras pas, car je
crois comprendre
Ce que je saurai peut-être
demain ;
En partant me voir, d'autres
t'ont suivie.
Tu m'as oublié puisque c'est
la vie
Et t'es arrêtée à moitié
chemin.
Tout en t'attendant j'ai pris
trois absinthes,
Et compté trois fois les
heures qui tintent.
C'est bien fini ! Mon verre
est vide. Une autre absinthe !
Je veux me saouler à rouler
par terre.
Comme un vrai cochon. Quant à
toi, ma chère,
Si quelque regret te ramène
ici,
Et que tu me voies sous les
pieds des tables,
Ne t'arrête pas et va-t'en au
diable !...
J'ai le cœur trop sale en ce
moment-ci.
Je ne t'attends plus et
prends des absinthes
Sans me soucier des heures
qui tintent...
Holà ! garçon ! Mon verre est
vide !... Une autre absinthe !
C'est à l'aubarge de la route
Autour
De douze litres de vin blanc
;
Les rouliers causent, en
buvant,
D’l'amour !
"L'amour ! les fill's !
I' faut s'en fout'e,
Mes gàs ! "
Qu'a dit l’grand Claud’son
verr' levé.
"Eun' de pardu', deux de
r'trouvé's !
Et v'là !..."
"Moué ! l'Amour me
tourne la boule ?...
Ah ben !
J'aim' mieux bouér' jusqu'à
pard'e l’nord !
Hé ! l'aubargiste, apporte
encor
Du vin ! "
Et les v'là qui r'lich'nt et
qui s’saoulent
Tertous,
En gueulant coumm' des
dératés,
Lâchant des fois des vérités
D'homm's saouls !
Au mitan des rouliers qui
roulent,
Tout d'go,
V'là l’grand Claud’qui s’met
à pleurer...
Tout en pleurant, a soupiré :
"Margot !... "
Alcid’vient d’qu'ri du grand
papier, pour vingt centimes,
Cheu l'épicier' qu'en tient
esprés à son sarvice.
Il ouv'er soun affér !..,
son... dictiounnaire ed’rimes
Et sauc’sa pleum' dans
l’encr'!...
J'aurons bentout l’comice
Ou queuqu’fête en l'hounneur
des soldats d’souéxant'dix !
Pasqu'Alcid’ne fait guér' que
su' les cochons gras
Ou su' les malheureux moblots
d’l'Armée d’la Louére.
Les uns qu'on médailla, les
aut's qu'on médaill'ra,
Les uns qu'ont fit tuer, les
aut's que l'on tuera...
Chacun son genre ! Alcid’ne
sait chanter qu’la glouère !
Le v'la parti... Les vers et
les rimes s'épousent :
" Un, deux, troués,
quat', cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onz', douze !
Agriculture et préfectur'...
France et Vaillance !...
Si ses rim's sont pas rich's,
rich's, rich's : a' sont d’conv'nance !
Si ses vers n'ont pas d'aile,
i's ont ben douze pieds !
Douz' pieds pour mieux sauter
par-dessus vous souffrances
O les tach'rons peineux d’la
terre aux grous farmiers
Et vous dont les carcass's
engraiss'nt les blés d’Coulmiers !
Pasqu'Alcide a du taqute, et
soun âme en est pleine :
I' sait coumm' ça les chous's
qu'i' faut dire et pas dire
Au bieau mitan d’cérémoni's
républicaines,
Quand l’mair' pouill’soun
habit et que l’Préfet douét v'ni
Bref ! il a du mérite. I'
songe, il imagine...
Et ses vers, en tombant su'
l’papier d’l'épicière,
S'entass'nt coumm' les
lauriers d’la couronn' qu'i' va fere
Pour la race héroïque ou la
race porcine.
Ren ne l'dérange !... Y a ben
un p'tit rossignolet
Qu'a pas besoin d'affér' pour
tourner son couplet
Et qui chant' su' la f'nét'e ouverte
au ras du ciel :
- "Ta gueul', moignieau
! ... T'es pas un chanteux officiel ! "
Y'a l'vent qui pouss’la
sienn' dans la moisson bieauc'ronne,
Et ça n'est pas la v'nu'
prochain' du député
Qui l'met en train (pas pus
qu'a' ne l’frait s'arrêter)
- Chant', vent idiot
!... Alcid’se fout d’quoué qu’tu chantonnes,
Pour li la poésie ça n'existe
seul'ment
Qu’su' l’devant des estrad's,
qu'au pied des monuments !
Y a ben itou queuqu's
bergerets aux champs, à c'tt' heure,
Qu'ont un flutieau en poche
avec eun' garce au coeur :
..." De quoué fére eun'
chanson, c'est ben malin, pargué !
O gué ! j'aime ma mi' !... je
l'aime ben, ô gué ! "
- Alcid’n'en bourdit pas
d’son travail et d’son calme :
C'est pas des r'frains coumm'
ça qui font avouèr les palmes !
Alcid’ne bourdit pas d'vant
la Chanson d’la Vie...
Voui, mais v'là ses quat'sous
d’papier qui sont remplis,
Et dimanche el’Préfet dira :
" Très bien ! Bravo ! "
Ben ! si v'ét's pas contents,
vous autr's, quoué don' qu’vous faut ?
Le gas était un tâcheron
N'ayant que ses bras pour
fortune ;
La fille : celle du patron,
Un gros fermier de la commune.
Ils s'aimaient tous deux tant
et plus.
Ecoutez ça, les bonnes gens
Petits de coeur et gros
d'argent !
L'Amour, ça se fout des écus
!
Lorsqu'ils s'en revenaient du
bal
Par les minuits clairs
d'assemblée,
Au risque d'un procès-verbal,
Ils faisaient de larges
roulées
Au plein des blés profonds et
droits,
Ecoutez ça, les bonnes gens
Qu'un bicorne rend
grelottants !
L'Amour, ça se fout de la Loi
!
Un jour, furent tous deux
prier
Elle : son père ! Et lui :
son maître !
De les laisser se marier.
Mais le vieux les envoya
paître ;
Lors, ils prirent la clé des
champs.
Ecoutez ça, les bonnes gens
Qui respectez les cheveux
blancs !
L'Amour, ça se fout des
parents !
S'en furent dans quelque
cité,
Loin des labours et des
jachères ;
Passèrent ensemble un été,
Puis, tout d'un coup, ils se
fâchèrent
Et se quittèrent bêtement.
Ecoutez ça, les bonnes gens
Mariés, cocus et contents !
L'Amour, ça se fout des
amants !
V'là les pesans qu'ont fait
vendanges !
V'là les perssoués qui
pissent leu' jus ;
On travaille aux portes des
granges
A "rassarrer" l'vin
dans les fûts.
L'vin ! Ça met des moignieaux
qui chantent
Dans les coeurs et dans les
servieaux,
Mais moué qui n'fait qu'de
bouer de l'eau
J'me sens dans les boyeaux du
vente
Comm' des gernouill's qui
font coin-coin...
J’vourai ben m'foute eun'
saoulé de vin !
Tout l'monde est saoul su'mon
passage,
Mêm' le Maire qui vient
d'marier
Deux bourgeouésiaux de
l'environnage,
Et même itou Môssieu l'curé
Qu'a vidé trop d'foués son
calice :
M'en v'là des gens qu'ont
l'air heureux,
I's s'donn'nt la main ou
l'bras entre eux,
I's s'étayent et s'rend'nt el
sarvice
D'ramasser c'ti qu'a culbuté,
I's s'embrass'nt su'tous les
coûtés
Au'nom de la fraternité.
Et leu's dégueulis
s'applatissent
Coumm' des étouel's le long
du chemin.
J'vourai ben m'foute eun'
saoulé d'vin !
Allons les homm's, allons mes
frères !
Allons avancez- moué-z-un
verre,
J'veux fraterniser avec vous
;
J'veux oublier tout' ma
misère
En trinquant et buvant des
coups
Avec les grands, avec les
grous !
J'veux aphysquer les idé's
rouges,
Les idé's roug's et nouer's
qui bougent
Dans ma caboch'de gueux et
d'fou :
J'veux vous vouer et vouer
tout en rose
Et crouer qu'si j'ai mal vu
les choses
C'est p'têt' pas que j'étais
pas saoul.
Allons, avancez-moué-z'un
verre...
Je veux prend'e eun' cuite à
tout casser
Et l'souer couché dans un
foussé
Ou m'accottant à queuqu's tas
de pierres
Pour cuver mon vin
tranquill'ment
J'me rappell'rai p'têt' la
prière
Que j'disais tous les souers
dans l'temps,
Et l'bon Guieu et tout' sa
bricole
Et la morale au maît'
d'école,
Propriété, patrie, honneur,
Et respect au gouvarnement,
Et la longér' des boniments
Dont que j'me fous pour le
quart d'heure.
Je trouv'rai p'têt'e itou
qu'on a tort
D'voulouer se cabrer cont'
son sort,
Que le mond’peut pas êt' sans
misère,
Qu'c'est les grous chiens qui
mang'nt les p'tits
Et qu'si je pâtis tant su
c'tte terre
J'me rattrap'rai dans
l'Paradis.
Allons les homm's, allons mes
frères !
Je veux ben que j'n'ai pas
l'drouet au pain,
Laissez-moué l'drouet à la
chimère,
La chimèr' douc’des saoulés
d'vin.
Petiote, ne t'en va pas,
Avec le grand Pierre au bras,
Parmi la plaine aux récoltes
Où les moulins virevoltent
Sous les étoiles qui brillent
;
Car, vois-tu,
C'est pas bien sûr pour la
vertu
Des filles !
Bah ! si mon bonnet saute les
moulins,
Je le verrai bien !
J'aime mon galant — au beau
cœur de mai
Laissez-moi donc l'aimer,
Laissez-moi donc l'aimer !
Petiote, si t'as fauté,
Pour aller le rapporter
Tous les oiseaux qui t'épient
:
Vieux merle et méchante pie
S’envoleront à la ronde,
Et chez nous
Cela fera clabauder tout
Le monde
Bah ! Si les voisins
m'appellent : catin,
Je le verrai bien !
J'aime mon galant — au beau
cœur de mai
Laissez-moi donc l'aimer !
Petiote, au beau cœur de mai
Quand on s'est permis d'aimer
Dans les foins et sous les
haies,
En hiver l'Amour se paie
Par la douleur et la peine :
Le petit
Quelque jour de janvier tout
gris
S’amène !
Après tout, mon Dieu! si le
petit vient,
Je le verrai bien !
J'aime mon galant — au beau
cœur de mai
Laissez-moi donc l'aimer !
Petiote. après tout cela,
Serments du temps des lilas
Roulent devant votre porte
Au milieu des feuilles
mortes,
Et le grand menteux, le
lâche!
Le beau gars !
Qui vous fit choir dans ses
bras
Vous lâche !
Après tout, mon Dieu! s'il
fait ça... le chien!
Je le verrai bien !
J'aime mon galant — au beau
cœur de mai
Laissez-moi donc l'aimer !
La route est déserte aux
nuits de Saint Jean...
Le bon métayer venait de la
foire :
J'entendais chanter les écus
d'argent
Qui dansaient au fond de ses
poches noires.
Et je l'ai détroussé d'un
geste, au coin du bois
Où j'ai vu promener des
filles, une fois...
Holà ! bon métayer que j'ai
volé !
Deux mots, en se quittant,
pour te consoler !
On m'a volé... moi !
Et bien avant toi !
Au coin du bois...
C'était une fois au beau
temps de mai...
Les filles allaient cueillir
l'aubépine
Et mon cœur dansait et mon
cœur chantait
Comme un sac d'écus dessous
sa poitrine.
Des doigts étaient plus
blancs que d'autres en les fleurs
Et c'est entre ceux-là que
j'ai laissé mon cœur.
Car l'Amour n'est pas pour
les va-nu-pieds...
(Tu fis ta bourgeoise avec ma
jolie ! )
Mais les va-nu-pieds n'ont
pas de pitié
Pour le métayer tremblant qui
supplie.
Elle avait des doigts blancs
et toi de clairs écus !
Moi j'ai des poings de fer et
puis n'en parlons plus !
Hélas, bon métayer que j'ai
volé
Deux mots, encor deux mots,
pour te consoler !
Je suis volé... moi !
Et bien plus que toi !
Au coin du bois.
Un jour, un pauv'er
trimardeux
Qu'allait l'vent'vid',
qu'allait l'vent'creux
En traînant son bâton de
houx,
Un jour, un pauv'er
trimardeux
S'en vint à passer par cheu
nous !
Alla balancer le pied d'biche
De Monsieu l'maire à son
château
Et fit demande aux gens du
riche
D'un bout d'pain et d'un
gob'let d'ieau ;
Mais les domestiqu's, qui se
moquent
Des vent's en pein', des gens
en loques,
Li dir'nt : " Va t'en
chercher ailleurs !
Ici on n'dounn' qu'aux
électeurs"
Un jour, un pauv'er
trimardeux
Qu'allait l'vent'vid',
qu'allait l'vent'creux
En traînant son bâton de
houx,
Un jour, un pauv'er
trimardeux
S'en vint à passer par cheu
nous...
Alla cougner au presbytère
Dans l'espoir que l'on y
dounn'rait
Queuqu's sous de d'ssus
l'tronc d'la misère ;
Mais l'curé, qu'était'cor
guill'ret,
Confessait eune pêcheresse
Qu'avait moins d'pêchés que
d'joliesse ;
Et l'pauv' peineux eut bieau
gémir,
Parsounn, s'am'na pour
li'ouvrir !
Alors, s'assit en cont'e
eun'borne,
Tout en r'gardant les p'tits
moignieaux
Picoter su' la grand’rout'
morne
Dans l'crottin tout frais
chié des ch'vaux,
Quand qu'eun' sarvant' qui
m'nait à paître
Le bieau troupet d'vach's à
son maître,
Passa tout prés d'où qu'était
l'gas
Et li causa tout bas, tout
bas.
Dans les foins hauts, les
foins qui grisent,
A s'laissa faire ; et l'pauv'
glouton
S'mit à boulotter les cerises
De sa bouche et d'ses deux
têtons,
Lampa coumm' du vin chaud
l'ivresse
De ses bécots et d'ses
caresses ;
Pis, quand qu'i' fut ben
saoul, ben las,
I' s'endormit ent' ses deux
bras.
Un jour, un pauv'er
trimardeux
Qu'allait l'vent'vid',
qu'allait l'vent'creux
En traînant son bâton de
houx,
Un jour, un pauv'er
trimardeux
S'en vint à passer par cheu
nous...
I' fait bon à c’souér, en r'venant
des champs...
La rout' devient grise et
l’jour va mouri,
Sous les ombrag's ros's et
doux du couchant,
Comme un vieux au bas des
guigniers fleuris.
Pis les chous's appont'nt
l'entarr'ment du jour :
L’vent s’lève et s'en va
quêter des parfums
Dans les foins d'jà chus,
dans les blés d'jà lourds,
Et l’silenc’développ' son
drap su' l’défunt.
Mais tout d'un coup... teuf !
teuf ! teuf ! Un vacarme
Déchir' brutal'ment l’drap
fin du silence.
Teuf ! teuf ! ... Et v'là
l’vent qu'est d'eun' pestilence
A vous fér' jurer : ça, c'est
les gendarmes !
C'est pas les gendarm's !
C'est des gas d’la ville
Qu'ont mis, sans excus's, mon
rêve en déroute ;
C'est des bourgeouésieaux
dans leu' tomobile
Qu'ont failli m' bocquer au
tournant d'la route !
C'tte rout' ! J'ai passé
troués bounn's journé's d'ssus
La corvé' nous t'nait jusqu'à
la nuit nouère.
Nos tomb'reaux étin chargés à
plein cul
Des tas d’jarr' pell'tés aux
grév's de la Louére.
C'tte rout' ! J'ai cassé
l’pierré des carrières
Pour boucher en-d'ssus, pour
combler en d'ssous :
J'ai mis su' son dous des
emplât's en pierre,
J'ai mis dans'son vent' des
bouilli's de cailloux !
Et v'là que j'peux pus aller
su c'tte route
En r'venant des champs, par
le train d’mes pattes,
Les souérs qu'i' fait bon et qu'on
oubli' toutes
Les tâch's échignant's et la
vie ingrate !
Tout ça simp'elment pasque...
teuf, teuf, teuf...
On a fait du ch'min d'pis
quater vingt neuf !
Dans l’temps, nous seigneurs,
pou' leu's amusettes
S'en allint coumm' ça fér' la
chasse aux bêtes.
Les meut's trottaillint dans
l’blé plein d'promesses,
Queu joli grabuge aux champs
d’nous grand-pères !
Et, des foués, pour ren, pour
vouèr, pour l'adresse,
On visait l’manant penché su'
la terre !
A'n'hui, c'est pus ça. Les
seigneurs bourgeoués
Ont un joujou neu' qu'est la
'tomobile :
Ça fait du rafut, ça pue, et
ça file,
Ecouassant nous poul's,
écouassant nous ouées.
Mém', si queuqu’pésan sortu
des guérets,
Songeait su' la rout' coumm'
moué tout à l'heure,
Ça te l'aplatit coumm' deux
yards de beurre
Et c'est là qu'i' sent tout
l’pouéd du Progrès !
Ah ! n'y r'venez pus, bon
guieu d'écraseux !
J’counnais un moueyen pour
vous rend’moins fiers :
Le souér, su la route, un bon
grand fil fer,
Et v' écras'rez pus
parsounne, moué, si j'veux !
C'est une habitud’qu'à
Romorantin,
A Montélimar ou bien à
Pontoise,
Tout bourgeois envoi' l'fils
de sa bourgeoise
Etudier quéqu’chose au
Quartier Latin.
Un' fois su'l'Boul’Mich', au
papa qui pense
D'vant la docte foul’dont son
gas sera
Le patriotisme inspir' ce cri
là :
" Ah ! la belle
jeuness'. L'espoir de la France ! "
Et la bell’jeuness’s'en vient
et s'en va
Ses représentants ont d'vingt
ans à trente
Et tous étudi' la valeur des
rentes
Qu'ont s'fait dans les Suifs
ou les Panamas.
L'père les a gagnés. Eux,
i'les dépensent.
Ainsi va le monde. Et qu'est
c'que ça fait ?
On s'marie un' fois qu'on est
sous-préfet
" Ah ! la belle jeunesse
! L'espoir de la France ! "
D'aucuns ont en eux le petit
talent
De savoir gueuler : "
As-tu vu la ferme ?"
Et chez d'aut'l'amour des
bell’lettr' prend terme
Où l'on entend plus de
refrains beuglants.
D'aut' encor' s'appliqu’de
tout' leur constance
A faire un' cravate autour
d'un faux col,
Et dépass’ainsi l'programm'
des écoles
" Ah ! la belle jeunesse
! L'espoir de la France ! "
Ah ! la bell’jeuness’! Les
uns ont des moeurs
A fair' reverdir la muse à Coppée.
Manille et billard, bocks à
p'tites lampées
Et l'on va s'coucher quand il
est onze heures.
Dans la fin' vadrouill’les
autres se lancent
I' caus’de danseus’de boxe et
d'chevaux
Et s'saoul’à renifler dans un
chalumeau
" Ah ! la belle jeunesse
! L'espoir de la France ! "
Ça les prend parfois
d'vouloir de l'amour
I' n' manqu'pas d'trouver des
p'tit' goss’gentilles
Qui souvent leur donn'...
ent' deux coups d'aiguille
Et lorsqu'i' les r'trouv' un
soir au d'Harcourt
Après l'soulagement de leur
petit' panse
I'r'çoiv' les pauv grues avec
des gros mots :
Va donc, eh sal’vache ! va
donc, vieux chameau !
" Ah ! la belle jeunesse
! L'espoir de la France ! "
I'ont découvert un p'tit truc
certain
Et très en honneur pour
reprend’l'Alsace.
Ça consiste à faire du bruit
où l'on passe
En braillant " A bas
Chose, ou viv' Machin "
Mais comm' faut du temps pour
fair' un puits d'science
Surtout à piocher comme i'
pioch' parfois
l'n'f'ront qu'une année
d'service au lieu d'trois
" Ah ! la belle jeunesse
! L'espoir de la France ! "
Puis ça partira quelque beau
matin
Pour se marier à quelque
bourgeoise
Et ça s'ra bourgeois soi-même
à Pontoise
A Montélimar ou Romorantin.
Ça f'ra des discours sur la
tempérance
Et ça jugera comme Père la
Pudeur
Les infanticides et affair'
de moeurs
" Ah ! la belle jeunesse
! L'espoir de la France ! "
Mon Pierre aura voulu tantôt
Grimper encore à l'ormeteau
Pour y dénicher des
corneilles
Et, ce soir, quand il est
rentré,
Le pantalon tout déchiré,
Il avait peur pour ses
oreilles.
Dodo, dodelinotte,
Petit brise-fer, chetit
garnement...
Dodo, dodelinotte,
Tandis que ta maman
Ravaude ta culotte !
Mon Pierrot est si turbulent
On dirait notre biquin blanc
Qui fait toujours péter sa
corde ;
Quand on le voit se
trémoussant,
Dans tous ses mouvements on
sent
La joie de vivre qui déborde
Dodo, &
Mon Pierre est beau, mon
Pierre est fort
Dans son lit de 1er quand il
dort
On croirait un doux petit
ange.
Mais le matin, dès son réveil
Ça fait un brigand sans
pareil
Que le diable partout
dérange.
Dodo, &
Mon Pierre, je suis fière au
fond
de le savoir si polisson,
En le voyant si frais, si
rose ;
Car, s'il est toujours à
sauter,
C’est signe de bonne santé,
Et son sang vif en est la
cause...
Dodo, &
Aussi, dors tranquille.
Pierrot.
Tu ne donneras jamais trop
De pareil travail à ta mère :
Pour les tout petits drôles
blonds
Vaut mieux user des pantalons
Que des drogues
d'apothicaire.
Refrain
Dodo, dodelinotte.
Petit brise-fer, chetit
garnement...
Dodo, dodelinotte,
Tandis que ta maman
Ravaude ta culotte.
Les Bohémiens, les mauvais
gas
Se sont am'nés dans leu'
roulotte
Qui geint d'vieillesse et qui
cahotte
A la queu' d'un ch'val qui n'
va pas ;
Et, pour fair' bouilli' leu'
popote,
Nos biens ont subi leu's
dégâts.
Ah ! mes bonn's gens ! J'ai
ben grand'peine !
Ces gueux d’Bohémiens m'ont
volé :
Un tas d’bourré's dans mon
bois d’chêne,
Un baiscieau d’gerb's dans
mon champ d'blé,
Mais c'est pas tout ça qui m'
caus’si grand’peine ! ...
Au mitan de c'tte band’de
loups
S’trouvait eun' garce si
jolie
Avec sa longu' criniér'
fleurie
Comme un bouquet de soucis
roux ;
Si joli' que je vous défie
D'en trouver eun'
pareill’cheu nous.
Ah ! mes bonn's gens ! J'ai
ben grand'peine !
Pasque ces Bohémiens
d’malheur
Qu'ont pillé mon bois et ma
plaine
Ont encore emporté mon coeur.
Et c'est surtout ça qui m'
caus’si grand'peine !
Les Bohémiens, les mauvais
gas,
Sont repartis dans leu'
roulotte
Qui geint d’vieillesse et qui
cahotte
Au derriér' d'un ch'val qui
n' va pas ;
Et la bell’qui fait leu'
popotte
F'ra p'têt' cuir' mon coeur
pour leu' r'pas.
Ah ! mes bonn's gens ! J'ai
ben grand'peine !
J’veux qu'i's m' volent tout
les Bohémiens
Mais qu'i's dis'nt à la
Bohémienne
Qu'à m' rend’mon coeur qu'i'
y' appartient,
Ou sans ça j'mourrai d'avoir
si grand’peine ! ...
- Hé l'arpenteux ! prends tes
outils, et pis arrive !
L'vieux est défunt : je
r'venons d'sa mess’de huitive.
Tréne ta chéne et toun
équerr' de coins en cornes
Et toué, l’carrier, tri'
moué-z-au mitan d'la carriére
Et m'équarris quat' blocs de
ta pierr' la moins g'live...
V'la c'qui me r'vient ! Qu'on
n'y touch' pus ! Posez les bornes !
Là-d'ssus, l'héritier rent'e
en plein dans son avouèr.
I' r'nif'e au-d'ssus d'eun'
mott' la qualité d'sa terre,
Il égueurne eun épi pour
vouer si l'blé s'ra bieau
Et va s'coucher, benheureux
d'se vouer dans sa pieau,
Ben tranquill’pour son blé,
ben tranquill’pour sa terre.
I' s'mél'ront pus aux biens
et aux récolt's des aut'es,
A présent qu'on les a cagés
ent'er quat' bornes.
Eun' foués au creux des
draps, i'li prend des idées :
" Avouér des champs à
soun à part, c'est ben, qu'i fait.
Ça n'empéch'point d'ét' deux
à coucher dans l'mém' lit ;
Jusque là j'ai counnu qu'les
fill's à fuméyiers,
Les fill's qui tomb'nt su'
l'foin, les fill's qu'ont des pequits ;
A c'tt' heur', j'veux eun'
femme à moué, qu'les aut's y vienn'nt pas !... "
Et l'lend'main i'
s'habill’bieau et pouss’jusqu'au bourg
Trouver les arpenteux et les
carriers d'l'Amour.
- Hé môssieu l'mair', môssieu
l'curé ! ... Bonjour, me v'là !
C'est à caus’que
Et que m'la faut tout d'eun'
piéc’sans miett' de partage.
Dressez les act's ! Sounnez
les cloch's du mariage !
Qu'on n'y touch' pus ! Posez
des bornes, que j'vous dis !
L'époux-propriétére emporte
sa mariée,
La r'nif' coumm' la tarr'
chaud', la magn' coumme el’bon blé,
L'ouv'er coumme un sillon,
l'ensarr' coumme eun' mouésson,
Et s'endort, ben sûr qu'alle
aim'ra pus qu'li, à c't'heure :
Eun' femm' marié' porte eun'
borne su' son coeur.
Ah ! vouiche ! ... Un
moués?... Eun an ?... N'importe, c'est pas long !
I' pourrait la r'trouver, la
born', dans un tas d'paill'e
Oùsque sa femme a pris
coutum' de v'ni sans li.
Et les coucous prenn'nt de la
malic’dans l'Avri'.
Bref, un péquit s'amène et
(c'est ben drôl', le monde ! )
C't ancien courreux,
qu'emplissait les fill's à la ronde
Sans jamés voulouére
r'counnaît'e un brin d'sa s'maille,
V'là qu'i' r'counnaît à c't'
heure un drôl’qu'il a pas fait !
- Hé l'gas ! T'es mon gas,
t'entends ben ?... C'est moué ton père !
T'es à moué, comprends ben,
coumm'ma femme et ma terre,
Et t'auras mes idé's su'les
femm's et la terre...
Point d'aut's ! Baiss'ta têt'
qui vire au vent. Qu'a'boug' pus !
C'est mon Autorité, la born',
que j'pos’dessus !
Et l'pér'-propriétér' dort
su' ses deux oreilles...
Mais, nom de Dieu ! v'là
qu'un matin, v'la qu'i' s'réveille.
V'la qui tomb'le nez sur la
borne du chaumier,
V'là que l'gâs li fait chouèr
la sienn' su' l'bout des pieds
Et part avec d'aut's idé's,
des idé's à li,
Su' les femm's et la terr',
su'l'Amour et la Vie !
Ah ! queu coup qu'c'est pour
li, pauv'e propriétère !
C'tte gaup' qui l'fait cocu !
C'tt enflé qu'a mal tourné ! ...
Queu coup ! Sa femm' déborné,
son gas déborné ! ...
D'ell'-même, eune larme s'en
hasarde au long d'son nez.
Mais quoué ! tout est pas
pardu : la récolte pousse
Ent'les quat' born's qui
rest'nt planté's au creux d'sa terre,
Et soun oeil roug' s'adoucit
d'vant la mouésson douce.
...I' s'couche et passe un
quarquier d'nuit assez tranquille ;
Mais l'cauch'mar l'empougne à
la fin d'son premier soumme :
l'vouét la terr' qui s'enlèv'
par-dessus les bornes
Coumme aux pays chauds, quand
la mer engouff' les îles,
Et l'blé qui mont', qui
mont', qui monte à grands flots roux,
Mêlant la part de l'un à la
part de tertous !
Ah ! ce rév' ! ... Ce
mém'rév' qui barce les sans-l'sou !
Ce rév', qu'était qu'un rév',
coumm' les rév's qu'on peut faire...
Ce rév' a fait querver
l'pauv'er propriétére.
Not' chât'lain, qui laiss’son
gibier
Trotailler dans ses bois
d’Sologne,
Peut pas souffri' les
braconniers ;
Et, si jamais i's les
empognent,
Ses gardes les livr'nt
aussitôt
Aus gendarmes qui les
emmènent
Pour ren, pour un méchant
lap'reau
Coll'té-z-au mitan d’ses
garennes.
Un bon conseil Môssieu l’chât'lain
:
Ecoutez-le ben, il en vaut la
peine.
Veillez-don' moins su' vos
lapins.
Et veillez mieux su' vot'
chât'laine.
Pour pas qu’son bien soit
galvaudé
I' poste un garde au pied
d’chaqu’chêne
Et pass’tout son temps à
l’garder,
Mais, tandis qu'i court son
domaine
A traquer comm' gibier
nouvieau
Les mauvais gas qui s'y
hasardent,
I' laiss’sa bell’dame au
châtieau
Sans seul'ment y laisser un
garde.
La pauv' tit' femme se dit
comm' ça :
" Quelle existenc’que
j’mèn', tout de même !
Les braconniers sont des
beaux gas,
L’temps doit êt' moins long
quand on aime ! "
Et c'est c’qui fait qu’pas
mal de ceux
Qu'on chasse comm' des bét's
infâmes
Des grands bois de chên's à
Mossieu
Rentr'nt dans les draps fins
à Madame.
En leu's bras coum' dans un
collet
Les mauvais gas lui prenn'nt
la taille
Et, tout l’long d’son p'tit
corps follet,
Leu's gueul's s'en vont en
maraudaille ;
Les voleux, d'pis sa bouch'
fleuri'
Lui prenn'nt un par un,
c’qu'all’a d’charmes
Et quand qu'is y ont tout
pris, tout pris,
A s’garde ben d’qu'ri les
gendarmes.
Vers la land’tout' ros’de
bremailles
Déval'nt le gas et la
garçaille
Qoué don' qu’c'est pour
fair', si vous plaît ?
P'têt' ben qui va qu'ri des
balais,
P'têt' ben qu'all’va rentrer
ses vaches ?
Mais à c’cas-là pourqoué
qu'is s’cachent
Quand on fait pas d’mal
on craint ren....
D’quoué qu'alle a peur ?
Quoué qu’c'est qu'i craint ?
Dans la land’tout' ros’des
bremailles
Rodaill'nt le gas et la
garçaille
I's r'gard'nt tous deux,
d’tous les côtés
Des fois qu'on s'rait à les
guetter
En s'apercevant qui gna
personne
I mord à même sa bouch'
mignonne
Coum' dans eun mich' quand il
a faim.
All’s’laiss’fair', si ben
qu'à la fin,
Sur la land’tout' ros’de
bremailles
Roul’le gas avec la garçaille
Et tout en s'en r'tournant,
tandis
Qui s’dis'nt tous deux : pas
vus, pas pris,
Gn'a des brins d’bremailles
qui pendillent
Après les cotillons d’la
fille
Après les pans d’la blouse du
gas
Et l’mond’devin' en voyant ça
Quoué qu'ont fait l’gas et la
garçaille,
Dans la land’tout' ros’des
bremailles.
Dis, sais-tu, ma jolie
en revenant du bal danser
On A pris les sentiers.
Les sentiers s'en vont dans
la nuit
Dis, sais-tu, ma jolie
Où s'en vont les petits
sentiers ?
Nous mèneront-ils au seuil de
la ferme
Où dans le lit à rideaux
bleus
Ta vieille s'endort tandis
que ton vieux
Visite l'étable avec sa
lanterne ?
Nous mèneraient-ils au plein
des éteules
Où les grillons chantent ce
soir,
Comme des petits curés tout
en noir,
Pour les épouses du revers
des meules !
Nous savons jusqu'où les
vieux nous permettent,
I i nous respectons trop les
vieux
Qui sont à l'étable ou dans
le lit bleu
Pour- aller plus loin qu'un
baiser honnête...
Mais comme, ce soir, tu
parais plus blonde
Que' le clair de lune en ton
cou !
Et comme il te fait
frissonner partout
Le vent qui s'embaume en les
meules rondes !
Ah ne rêvons pas de choses
pareilles !
Ça serait mal, bien mal,
vois-tu?
Pour ta dot, les blés ne
pousseraient plus,
Et ton vieux viendrait me
prendre aux oreilles!...
Mais, pourtant, mon Dieu !
pourtant il me semble...
Les meules sont là, devant
nous !
Chez vous est bien
loin... on ne sait plus où ?
Et comme je brûle !... et
comme tu trembles !...
Dis, sais-tu, ma jolie
En revenant du bal danser
On a pris les sentiers.
Les sentiers s'en vont dans
la nuit
Dis, sais-tu, ma jolie
Où s’en vont les petits sentiers
?
Lorsque nous passions sur le
bord du fleuve
Au temps où l'Amour murmurait
pour nous
Sa chanson si frêle encore et
si neuve,
Et si douce alors en les
soirs si doux
Sans songer à rien, trouvant
ça très drôle,
De la berge en fleurs où
mourait le flot,
Comme des gamins au sortir
d'école,
Nous jetions tous deux des
cailloux dans l'eau.
Mais j'ai vite appris le
couplet qui pleure
Dans la chanson douce en les
soirs si doux
Et connu le trouble
angoissant de l'heure
Quand tu ne vins plus à mes
rendez-vous ;
En vain vers ton cœur monta
ma prière
Que lui murmurait mon cœur en
sanglots
Car ton cœur était dur comme
une pierre
Comme les cailloux qu'on
jetait à l'eau.
Je suis revenu sur le bord du
fleuve,
Et la berge en fleurs qui
nous vit tous deux
Me voit seul, meurtri, plié
sous l'épreuve,
Gravir son chemin de croix
douloureux.
Et, me souvenant des clairs
soirs de joie
Où nos cailloux blancs
roulaient dans le flot,
Je songe que c'est ton cœur
que je noie
A chaque caillou que je jette
à l'eau.
Je suis parti sans savoir où
Comme une graine qu'un vent
fou
Enlève et transporte :
A la ville où je suis allé
J'ai langui comme un brin de
blé
Dans la friche morte
Notre Dame des Sillons!
Ma bonne Sainte Vierge, à moi
!
Dont les anges sont les
grillons
O Terre! Je reviens vers toi
!
J'ai dit bonjour à bien des
gens
Mais ces hommes étaient
méchants
Comme moi sans doute.
L'amour m'a fait saigner un
jour
Et puis j'ai fait saigner
l'Amour
Au long de ma route.
Je suis descendu bien souvent
Jusqu'au cabaret où l'on vend
L'ivresse trop brève;
J'ai fixé le ciel étoilé
Mais le ciel, hélas! m'a semblé
Trop haut pour mon rêve.
Las de chercher là-haut,
là-bas
Tout ce que je n'y trouve pas
Je reviens vers celle
Dont le sang coule dans mon
sang
Et dont le grand cœur
caressant
Aujourd'hui m'appelle.
Au doux terroir où je suis né
Je reviens pour me prosterner
Devant les miracles
De celle dont les champs sans
fin
De notre pain de notre vin
Sont les tabernacles.
Je reviens parmi les guérets
Pour gonfler de son souffle
frais
Ma poitrine infâme,
Et pour sentir, au seuil du
soir,
Son âme, comme un reposoir
S'offrir à mon âme.
Je reviens, ayant rejeté
Mes noirs tourments de
révolté
Mes haines de Jacques,
Pour que sa Grâce arrive en
moi
Comme le dieu que l'on reçoit
Quand on fait ses Pâques.
Refrain :
La Marie va-t-à cloche-pied :
Elle a cassé son sabot blanc
Pour s'en aller au sabotier ,
Au sabotier qu'est son galant
!
Ah! dit sa mère, tout en
peine,
Des sabots de l'autre semaine
!
Les voilà beaux, les voilà
frais !
C'en est honteux pour ta
famille :
Tu casses des sabots, ma
fille,
Comme l'évêque en bénirait !
Hou ! L'imbécile qui sautille
Comme un grillon sous les
faucilles,
Prends les trente sous que
voilà
Et va-t'en jusqu'à la clairière
Pour y quérir une autre paire
De sabots meilleurs que
ceux-là !
Elle s'en court comme une
folle
Vers la clairière où volent,
volent
Les copeaux blonds du
sabotier ;
Et ma foi ! La première chose
Qu'elle offre là, de son
corps rose,
N'est pas du tout son petit
pied.
Lorsque la nuit vient à
paraître
Entre les fûts noirs des
vieux hêtres,
La Belle s'en ne avec
Des sabots neufs dessus les
pattes,
Des copeaux partout qui la
grattent
Et des baisers tout plein le
bec !
Leur amour ne fait que
d'éclore :
Les sabots casseront encore !
Mais quand Marie pourra
passer
Un mois sans en casser trois
paires,
C'est que l'Amour de la
clairière,
L'Amour aussi sera cassé.
Le jour meurt au ras des
guérets
Et son parfum dernier
embaume.
Au seuil de la maison de
chaume ;
Pierre, un gâs qu'elle a
remarqué
Parmi ceux qui s'approchent
d'elle,
Revient des champs, bien
fatigués :
“ Holà ! " dit la belle.
Holà ! Monsieur Pierre,
bonsoir !
Vous rentrez des champs de
bonne heure ;
Venez donc un brin vous
asseoir
Sur mon banc, devant ma
demeure.
- Ma foi ! ça n'est pas de
refus;
Je suis si las, mademoiselle,
Que mes pieds ne me portent
plus !
- Ah ! Ah ! dit la belle.
Mais, faisons la causette un
peu ;
Connaissez-vous quelque
nouvelle ?
- Rien du tout, du tout,
hormis que
Vous êtes toujours la plus
belle !
Les raisins sont-ils bien
rosés ?
- Oui !... mais moins doux,
Mademoiselle,
Que doivent être vos baisers
!
- Chut ! Chut ! dit la belle.
Car le monde, à cette
heure-ci,
Du fin tond des labours
remonte ;
S'il entendait parler ainsi
Il jaserait sur notre compte.
Lors, dit en soupirant le
gâs,
Comment faire, Mademoiselle,
Pour que les gens n'entendent
pas ?
- Rentrons !... dit la belle.
Vous dormirez en paix, à
riches !
Vous et vos capitaux,
Tant que les gueux auront des
miches
Pour planter leurs couteaux!
(Moralité du couteau de Th.
Botrel.)
Quand le gueux eut décanillé
A l'aurore approchante,
Ce bon bougre de métayer
Que le barde nous chante,
Fit des expliques à sa femme
Qu'il venait d'ézyeuter
Par montre d'une si belle
âme,
Par tant -de charité.
" Pour protéger les
capitaux
Et le somme des riches,
Quand la Faim brandit ses
couteaux,
Sacrifions quelques miches !
"
L'honnête homme, sans qu'on
l'y pousse,
Nous dit ta parenté :
Fille directe de la Frousse,
O sainte Charité !
Si ton sein est un beau
coussin
Où quelques-uns se vautrent ;
Elle naît aussi de ton sein,
La bassesse des autres !
Au gîte affamé, Quand tu
rentres,
C'est pour précipiter
La saine lâcheté des ventres,
Infecte charité !
Tu te saoules dégoûtamment
Malgré ton eau bénite !
Et, saoule, tu t'en vas
semant
Ta pudeur hypocrite :
Alors, tu n'es plus qu'une
grue
Dansant à la santé
Des mille douleurs de la
Rue...
Garce de charité !
Pauvret qui laissas ton
couteau
Dans la miche alléchante,
Partons le quérir aussitôt,
Viens avec nous et chante :
“ Métayer du blé que féconde
L'amour blond de l'Eté,
Il faut du pain pour tout le
monde
Et plus de charité !
Qu'il est loin le jour de
notre rencontre !
Pourtant, vois la croix que
mon doigt te montre
En face d'un Saint du
calendrier ;
Ou si, par hasard, ton cœur
se rappelle,
Cherche dans ton cœur ; tu
verras, ma belle,
Que c'était encore au
printemps dernier...
Refrain
Ce jour-là c'était un jour de
dimanche.
Nous étions au bois à courir
tous deux ;
Les petits oiseaux chantaient
dans les branches...
Nous, dans les sentiers, nous
faisions comme eux.
On chantait l'amour, Dieu de
la jeunesse,
Qui fleurit les cœurs où luit
sa caresse,
Comme le printemps fleurit
les buissons...
A leurs becs mignons, à nos
lèvres folles
C'était le même air, les
mêmes paroles,
Et c'était toujours la même
chanson.
Refrain
Ce jour-là c'était un jour de
dimanche.
Le soleil de Mai brillait
dans les cieux ;
Les petits oiseaux s'aimaient
dans les branches...
Nous, sur l'herbe en fleur,
on a fait comme eux.
Mais après le temps des
extases saintes,
Des baisers brûlants, des
folles étreintes,
Nous vîmes venir le dégoût
prochain,
L'insipidité des fausses
caresses
La stupidité des vaines
promesses
Et notre amour mort au bout
du chemin.
Refrain
Ce jour-là c'était un jour de
dimanche.
La neige tombait tristement
des cieux ;
Les petits oiseaux mouraient
dans les branches...
Notre pauvre amour avait fait
comme eux.
Souvent, maintenant, alors
que je songe
Même à nos douleurs, même à
tes mensonges
Dans l'ennui profond où je
suis tombé
Je rêve qu'un jour prochain
nous rapproche
Et souventes fois je fais le
reproche
A mon cœur naïf de s'être
trompé.
Refrain
Mignonne, aujourd'hui c'est
encor dimanche
Si nous nions au bois tous
les deux ?
De nouveaux oiseaux chantent
dans les branches...
Veux-tu que l'on fasse encore
comme eux ?
L'matin, quand qu'j'ai cassé
la croûte,
J'pouill’ma blous', j'prends
moun hottezieau
Et mon bezouet, et pis, en
route !
J'm'en vas, coumme un pauv'
sautezieau,
En traînant ma vieill’patt'
qui r'chigne
A forc’d'aller par monts, par
vieaux,
J'm'en vas piocher mon
quarquier d'vigne
Qu'est à couté du champ
d'naviots !
Et là-bas, tandis que
j'm'esquinte
A racler l'harbe autour des
" sas "
Que j'su', que j'souff', que
j'geins, que j'quinte
Pour gangner l'bout d'pain
que j'n'ai pas...
J'vois passer souvent dans la
s'maine
Des tas d'gens qui braill'nt
coumm' des vieaux ;
C'est un pauv' bougr' que
l'on emmène
Pour l'entarrer dans l'champ
d'naviots.
J'en ai-t-y vu d'pis l'temps
que j'pioche !
J'en ai-t-y vu d'ces
entarr'ments :
J'ai vu passer c'ti du p'tit
mioche
Et c'ti du vieux
d'quater'vingts ans ;
J'ai vu passer c'ti d'la
pauv'fille
Et c'ti des poqu's aux
bourgeoisieaux,
Et c'ti des ceux d'tout' ma
famille
Qui dorm'nt à c'tt' heur'
dans l'champ d'naviots !
Et tertous, l'pésan coumme el'riche,
El'rich' tout coumme el'pauv'
pésan,
On les a mis à plat sous
l'friche ;
C'est pus qu'du feumier à
pesent,
Du bon feumier qu'engraiss’ma
tarre
Et rend meilleurs les vins
nouvieaux :
V'là c'que c'est qu'd'êt'
propriétare
D'eun'vigne en cont' el'champ
d'naviots !
Après tout, faut pas tant que
j'blague,
Ça m'arriv'ra itou, tout ça :
La vi', c'est eun âbr' qu'on
élague...
Et j's'rai la branch' qu'la
Mort coup'ra.
J'pass'rai un bieau souèr
calme et digne,
Tandis qu'chant'ront les
p'tits moignaux...
Et quand qu'on m'trouv'ra
dans ma vigne,
On m'emport'ra dans l'champ
d'naviots !
Sous les bois, l'automne
s'enfonce
Avec ses gros sabots pleins
d'eau ;
Sur ses pas, au travers des
ronces,
Naissent les champignons
nouveaux...
Va, ma mie, aux bois de chez
nous,
(Il est un peu tôt pour qu'on
danse !)
Fais bonne cueillette et
surtout
Pas d'imprudence !
Les champignons, les
champignons !...
Y en a des mauvais et des
bons !
Les vrais mousserons sont
tout roses
Comme un baiser entre nous
deux,
Mais, à ça près, la même
chose,
Y a des faux mousserons près
d'eux.
Les trahisons sifflent
toujours
Derrière le baiser qui sonne.
Comme en les jours de notre
amour
Qui suit l'Automne.
Les champignons, les
champignons !...
Y en a des mauvais et des
bons !
Que l'on se trompe et que
l'on s'aime :
On ne peut pas changer son
coeur l
Mais on peut encor, tout de
même,
N'y cuisiner que du
bonheur...
Les faux mousserons ont
poussé
Comme les vrais, sans nous
attendre,
Mais c'est à nous de les
laisser
Ou de les prendre !
Les champignons, les
champignons !...
Y en a des mauvais et des
bons !
Laisse à pourrir dans la
clairière
Comme champignons vénéneux
Tous les soucis et les
misères .
Et reviens où sont les
vielleux.
Là, vers ton devantier à
fleurs
Et vers ta caresse fleurie,
Je tends mon bec, je tends
mon coeur,
Ce soir, ma mie.
Qu'ils soient tous bons les
champignons !
Et que tous nos baisers
soient bons !
L'hiver est long, les temps
sont durs
Et la vie n'est pas gaie.
J'avons pus d'farin' qu'eun'
mesur'
Dans un racoin d'la maie.
J'avons qu'un bout d'salé pas
cuit
Dont l'dessus est tout blême
;
Mais coumm' c'est la
Chand'leur an'hui,
Faisons des crêpes tout
d'même !
C'est la Chand'leur, mes
pauvr'ers gens,
Faisons des crêp's dans la
ch'minée
A seul’fin d'avouèr de
l'argent
Toute l'année !
Pour dev'ni' rich' faut
travailler.
Que tout le mond’se hâte !
Mari', dans le grand saladier
Tu vas battre la pâte.
V'là d'l'ajonc qui brûle en
lançant
Des tas d'petit's étouéles.
Allons ! pé Mathieu, cré bon
sang !
T'nez bon la queu' d'la poêle
!
Disez les fill's, disez les
gas !
Qui qu'en fait sauter eune?
Ah ! la bell’crêpe que voilà
!
Alle est rond’comme eune
leune,
Eune' Deuss’! Mari' je
n't'aim'rai p'us
Si tu veux pas la prendre...
- Sacré couillon tu l'as
foutu'
Au beau mitan des cendres !
Depis que je fêtons cheu nous
Quand la Chand'leur s'amène
Je soumm's core à trouver un
sou
Dans l'talon d'nout' bas
d'laine ;
Mais pisqu'an'hui nous v'là
chantant
Devant les crêp's qui
dansent,
C'est toujou's eun' miett' de
bon temps
D'gagné su' l'existence !
Pendant c'temps-là j'ruminons
pas
Nos mille et mill’misères :
Les vign's qu'ont le
phylloxera,
Et la vache qu'est en terre.
Et moué que je vas être vendu
!
Bah ! si l'huissier arrive
Je lui coll'rons la poêle au
cul
Pour y montrer à vivre !
Je ne t'aime plus comme
avant,
Et toi ?... ne mens pas de la
sorte !...
Je sens ton baiser dans le
vent
Tomber comme une feuille
morte.
Qu'importe ! Au fond du bois
glacé
Coule encor la sève
éternelle.
Notre amour vient de
trépasser,
Crions : Vive l'Amour, ma
belle !
Nous sommes là deux amoureux,
Deux ! Au bois où l'hiver va
s'abattre,
Mais quand fleuriront les
coucous,
Ah ! combien, combien
serons-nous ?
Quatre !
C'est pas la peine de pleurer
Puisque l'on en a pas
envie...
D'autres galants vont
t'adorer,
Et j'ai confiance en la Vie.
Car ici-bas, les amours sont
Comme ces rouges vers de
terre,
Que la bêche met en tronçons
Un jour, dans un coin de
parterre.
Pas besoin de se dire adieu
En faisant des cérémonies...
Nous nous reverrons en ce
lieu
Parmi les choses rajeunies.
Nous nous retrouverons,
berçant
Un nouvel amour l'un et
l'autre,
Et nous saluerons en passant
Ces amours : les petits du
notre
Pour tous les bougres qui
braconnent
Dedans la Sologne aux
bourgeois
Ça n'est pas quand la lune
donne
Qu'il faut aller au bois :
Sous les sapinières
prof'ondes
On rampe dans le noir.
- J'aime la Françoise qu'est
blonde
Faut pas voir tout en noir.
Par la nuit de poix et
d'angoissc
Quand on rentre, le carnier
plein,
Coucher auprès de sa
Françoise,
Le garde au châtelain :
Ce chien vendu qui fait sa
ronde
Vous happe dans le noir.
- J'aime la Françoise qu'est
blonde
Faut pas voir tout en noir...
Lors, même le jour devient
sombre,
Car les juges, ces salopins,
Vous foutcnt des six mois “ à
l'ombre >
Pour trois méchants lapins.
En prison, le coeur pleure et
gronde
Seul ! tout seul dans le
noir.
- J'aime la Françoise qu'est
blonde !
Faut pas voir tout en noir.
J'ai fait ça que je vous
raconte
En nant vers mes amours
Un soir où j'ai réglé le
compte
D'un garde d'alentour-
Le sang faisait des flaques
rondes...
C'était rouge, et puis noir.
- J'aime la Françoise qu'est
blonde
Faut pas voir tout en noir.
J'avais, à l'aut' bout du
village,
Un vieux cousin à héritage
Qu'était riche... on sait pas
comben !
Mais, l'malheur ! i'
s'portait 'cor ben
Et, malgré sa grande
vieuture,
l'n'tenait point à sauter
l'pas.
Moué, j'me disais : "
Querv'ra donc pas ?...
Bon Gueu ! qu'les vieux ont
la vi' dure ! "
A la fin des fins, las d'attendre,
Un bieau soér qu'i g'lait à
piarr' fendre
Et qu'i f'sait partout noér
coumm' poué,
Sans ren dir', j'caval’de
d'cheu moué ;
J'entre en coup d'vent dans
sa masure,
J'tomb'dessus, j'y sarre
el'collet ;
Mais l'bougre i' v'lait pas,
i' r'naclait...
Bon Gueu ! qu'les vieux ont
la vi' dure !
A pesent qu'j'ai soun
héritage,
On m'respect' partout dans
l'village ;
On est prév'nant, on est
poli...
Mais, chaqu'fois que j'couch'
dans son lit,
Pendant tout le temps qu'la
nuit dure,
I' vient rôder tout près d'mon
ch'vet
Pour m'en faire autant qu'j'y
en ai fait...
Bon Gueu ! qu'les morts ont
la vi' dure !
J'sais pas c'qui m'produit
c't'effet là,
Mais, j'cré ben qu'c'est
l'Printemps que v'là ;
Son cochon d'soleil
m'émoustille,
Mon coeur bat coumme eun
enragé !
Dam', vous savez, à l'âg' que
j'ai
J'aurais grand besoin d'me
purger ;
J'veux eun' fille !
A chaqu’maison que j'vas
frapper,
Ça m'rend tout chos’d'entendr'
japper
Les chiens en chass’darriér'
leu' grille.
Et, quand que j'les vois deux
par deux,
Les moignieaux m'ont l'air si
heureux
Qu'ça m'dounn' des envi's
d'fair' coumme eux ;
J'veux eun' fille !
Pisque les gâs qui foutent
rien,
Les chanceux, les ceuss’qu'à
l'moyen
D'avoér eun' femme et d'la
famille
Font ben l'amour itou
queuqu'fois...
Pourquoué que j's'rais moins
qu'les borgeois ?
Moué, non pus, bon Guieu !
j'se'pas d'bois...
J'veux eun' fille !
Des fill's ! on peut pas
vivr' sans ça ;
On s'en pass'pas pus qu'on
s'pass'ra
De l'air, du
"boère" et d'la croustille ;
Et, mêm', pour casser un
morcieau,
J'attendrai ben jusqu'à
tantôt...
A c'tte heur', c'est d'la
fumell’qu'i m'faut ;
J'veux eun' fille !
Et quoiqu’j'soy' pas
appétissant
Quand qu'on m'voit coumm'ça,
en passant,
Dans ma p'lur' qu'est pus
qu'eun' guenille,
Ej'm'en fous... à d'main
coumme à d'main,
Et gare aux fill's, le long
du ch'min...
Faura que j'mang' pisque j'ai
faim ;
J'veux eun' fille !
Dans le matin clair, où meurt
sa chanson,
Le bon paysan, qui jette à
mains pleines
La bonne semence aux sillons
des plaines
A l'espoir de faire un jour
la moisson...
Mais les corbeaux, dont le
vol brun
Passe en l'air commc une
tcmpête
En faisant du soir sur sa
tête,
Les corbeaux mangeront son
grain.
Après avoir mis ses sous dans
son bas,
Le bon paysan fermc son
armoire
Lorsqu'il s'en revient de
,>endrc à la foire
Le veau que sa vache un jour
a mis bas.
Mais les corbeaux, dont
jamais rien
Ne peut repaître l'avarice,
~ Gens de loi et gens de
justice, ~
Les corbeaux voleront son
bien.
Tout en lui chantant “ dodo,
l'enfant do ”
Le bon paysan demande à son
mioche :
“Petiot, prendras-tu ma hotte
et ma pioche
<Quan.d le poids des ans
courbera mon dos ?>
Mais les corbeaux cruels, ~
qui sont
Les puissants et les gens de
guerre, ~
Aux pauvres vieux ne songent
guère :
Les corbeaux tueront son
garçon.
Parmi la splendeur des soleils
couchants,
Le bon paysan dont la tâche
est faite
Pense avoir la fin d'une
bonne bête
Qui meurt de vieillesse au
milieu des champs.
Mais les corbeaux viendront
encor,
~ Qui sont les marchands de
prière, ~
Et du défunt, clos dans sa
bière,
Les corbeaux se feront de
l'or 1...
A la fin, pourtant, l'heure
sonnera
Ou, lassé de voir les
corbeaux qui voltent
En prenant ses gars, ses
sous, ses récoltes,
Le bon paysan se révoltera...
Et dam ! à grands coups de
sabots,
A coups de faux, à coups de
pioches,
Pour ses blés, ses biens et
ses mioches
Il abattra tous les corbeaux
!...
L’automne sourit au flanc des
coteaux
En le rouge orgueil des
grappes vermeilles,
Allons les beaux gas ! Hotte
sur le dos !
Filles, emportez serpes et
corbeilles
Et, tout en chantant, bras
dessus dessous
Dans les vignes d’or prenez
la volée.
Refrain
Allez en vendange et
dépêchez-vous
(Les raisins sont mûrs, les
raisins sont doux)
N’attendez pas la gelée,
N’attendez pas la gelée.
Mordant ou frôlant les
raisins rosés,
Les lèvres ont l’air de
raisins farouches
Allons les beaux gas !
Cueillez des baisers,
Filles, pour cela,
tendez-leur vos bouches ;
Et vers le bonheur
d’au-dessus de nous
Vendangeurs d’amour prenez la
volée.
Le temps de vendange et celui
d’amour
Durent dans la vie une nuit
de rêve,
Hélas les beaux gas ! Le
bonheur est court
Filles ! La jeunesse est
encor plus brève !
Et l’hiver blanc, fils des
automnes roux,
Glace le baiser qui prend sa
volée.
Queu jour don' qu'c'est
aujourd'anhui ?
J'sés seu'ment pas coumment
que j'vis
Depis que j'vas clopan-clopi,
Su' la rout' blanche
Et sous l'souleil qui
m'abrutit !
Vouéyons ! c'était hier
venterdi
Et ça douet ét'e anhui sam'di
?
C'est d'main Dimanche !
Au matin, coumm'les cloch's
sounn'ront
Pou' la grand'mess', les
houmm's pouill'ront
Eun' blous’prop'e, et les
femm's mettront
Eun' cornett' blanche
Pour prier l'bon guieu des
brav's gens,
Qu'est un bon guieu
qu'exauc’seul'ment
Les voeux des ceuss's qu'a
des argents...
C'est d'main Dimanche !
Les famill's mettront
l'pot-au-feu,
Lich'ront la soupe et
bouff'ront l'boeuf
Autour d'eun' napp' blanche
et dans l'creux
Des assiett's blanches.
Et pis les homm's, après
baffrer,
Iront s'saouler au cabaret.
Coumm'tous les aut's jours
j'me tap'rai...
C'est d'main Dimanche !
Garçaill's et gâs iront
cueuilli
Au long des hai's le mai
fleuri
Qu'est si blanc qu'on dirait
quasi
De la neig' blanche ;
Et j'vouérai rouler en bas
d’moué
Des coupl's en amour et en
joué,
Et j'me tap'rai 'core c'tte
foués ! ...
C'est d'main dimanche !
Le souér, les garçaill's et
les gàs,
Et les mamans et les papas,
Iront s'coucher ent'er les
draps
Des vieill's couch's blanches
Pour pioncer jusqu'au matin
v'nu ;
Moué, pistant le gîte
inconnu,
J'irai, eun' band’de chiens
au cul...
C'est d'main Dimanche !
Tous mes dimanch's i' sont
coumm'
Depis bentout dix ans que j'vas
Su' la grand'route ! Et ça
n'chang'ra
Qu’quand la mort blanche
M'foutra l'coup qui
m'délivrera...
Et je n'pourrai dire que
c'jour-là,
Comm' tous les heureux
d'ici-bas :
" C'est d'main Dimanche
! "
Des coups, faut' d'un point :
on gagn'pas !
C'est ben pour ça qu'nous
candidats
Veul'nt embaucher tout
l'monde !
A l'aubarge d'l'Ecu d'Argent
Z'ont fait att'ler l'grand
char à bancs
Pour ceux qui moribondent !
Et hue !... Ai don !
V'là l'char à bancs des
moribonds :
C'est queuqu's vouéx d'pus
qu'ça va nous foute !
Mais hue ! ... Ai don !
Pour que leu's bull'tins
soi'nt 'cor bons,
Faut pas qu'ces gas-là
crèv'nt en route !
C'est pas tant qu'on veut les
ach'ter,
Mais, pour la pein' qu'i's
vienn'nt voter
Malgré leu' mal aux tripes,
On yeu' baille un paquet
d'taba' :
C'qu'est ben consolant pour
des gas
Qui vont casser leu' pipe !
P'têt' tout à l'heure, à
c'souèr, ou d'main,
I's diront pus d'bêtis's,
voui ben !
Aussi, tandis qu'i's roulent,
I's discut'nt 'cor leu's
opignons,
Mais i's peuv'nt 'ja pus
s'mett' de gnons
Su' l'tournant d'la margoule
!
C'tte foués, vot'ront tout
d'mêm' tertous,
Mais, faurait p'têt' pas,
après tout,
Leu' d'mander davantage !
Pasqu'i's s'rin partis su'
l'grand tour,
Si qu'on v'nait les r'qu'ri
dans huit jours,
Au scrutin d'ballottage !
Ma foué !z'un coup qu'on est
dans l'trou
I' faut ben crér' que l'on
s'en fout
Des soeurs ou d'môssieu
Chose,
Car ces électeurs turbulents
Présent'rint, comme un
bull'tin blanc
La pierr' carré' d'leu'
tombe.
Les pésans tertous s’sont ben
échignés
Autour des mouéssons, autour
des batteuses
Mais à c'tt' heure le blé
r'gorge leu' gueurgner :
Z'en prenn'nt eun' pougné'
dans leu' mains calleuses
Qui r'jitt'nt en gueulant
après l’mauvais sort :
Les tas d'blé sont pleins
d’ces bestiol's malines
Qui s’font eun' maison
d’chaqu’petit grain d'or
Après en avouer sucé la chair
fine.
Pésans ! i' va fallouér
chauler :
Y a trop d’charançons dans
vout' blé !
Les pésans tertous s’sont ben
échignés
Pour él'ver les p'tiots qui
croutillin ferme,
Et déjà les grands sont
partis gagner
Le pain -de chaqu’jour aux
tâch's gris's des fermes ;
Mais les gas d’mossieux Untel
et Untel
Vont ét'dans queuqu’temps
noummés fonctionnaires
Dans eun'
plac’tranquill’coumme un bieau coin d’ciel
Où qu’c'est qu'is coul'ront
la vi' sans ren fére !
Pésans ! i'va fallouér
chauler :
Y a trop d'charançons dans
vout' blé !
Les pésans tertous s’sont ben
échignés
Pour payer l'impôt, pour fér'
les corvées ;
Les queuqu's tit's piéc's
d'or tiré's au meugner
Vars el parcepteur se sont ensauvées
;
C'est pou' graisser l’bec à
ces foutus gas
Car, si ça n'fait ren, faut
vouer coumm' ça mange !
Sûr que dans l'budget, ça
fait pus d’dégâts
Qu’les mauvais's bestiol's
dans tout l’blé des granges
Pésans ! i' va fallouér
chauler :
Y a trop d'charançons dans
vout' blé !
Les pésans tertous s’sont ben
échignés,
Mais i's s'en vont qu'ri deux
pierr's de chaux vive
Qu'i's mett'nt à
s'éteind’dans l'ieau d'un baquet
Et v'la qu'i's arros'nt de
c'tte blanch' lessive
Les pauv'ers tas de blé
pourris d’charançons ;
Alors, tous ces sal's
inséqu's agonisent,
Tout' la varmine querve, et
les pésans sont
Les maît's à présent, d’leu
Miche r'conquise !
Pésans, d'main, i' faura
chauler,
Chauler pus loin que vaut'
tas d'blé !
Hu, Dia, Huo !
Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu
d'chameau !
C'est un charr'quier
qu'engueul’ses chevaux...
Les pauv'ers bêt's s'en vont
avec
Eun' charge terrible au
darriére
Et, du garot à la croupiére,
A's ont pus pas un pouél de
sec :
I' s'en fout, c'est pas soun
affaire !
Esquinté's ou pas esquintées
La côte est là... faut la
monter !
Et v'lan ! ... et j'te gueule
et j'te fouette :
C'est coumme eun'pleu'
d'grêlons d'avri'
Qui leu'tomb' su'l'dous, et s'arrête
Qu'un coup rendu's à
l'écurie.
Hu, Dia, Huo !
Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu
d'chameau !
C'est l'charr'quier qu'est
d'venu sargent
En fesant son temps
d'régiment :
Les soldats marchent
coumm'les ch'vaux ;
Mém' qu'les ch'vaux pouvin
'cor répond'e
Aux coups de fouet du
charr'quier
Par un coup d'tête ou un coup
d'pied :
Mais les soldats, qui sont du
monde
Eux aut's... i's ont pas
l'drouet d'répond'e :
Gn'a s'ment pas d'loué
Grammont pour eux.
Et l'charr'quier leu'
coummande : Eun, deuss...
J'm'en fous ! ... Rompez !
... Huit jours de bouéte !
Par file à gauch' ! ... Par
file à drouéte ! ...
Hu, Dia, Huo !
Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu
d'chameau !
C'est l'charr'quier qu'est
d'venu farmier
Après s'avouer ben marié ;
C'est un grous électeur de
France
Qui fait manger des
ouverriers
Et, pour la pein', mén' leu's
consciences
Coumm' des ch'vaux et
coumm'des soldats :
Allez à la mess’! ... Y'allez
pas ! ...
Lisez ci !... Votez pour
c'ti-là ! ...
Hu, Dia, Huo !
Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu
d'chameau !
C'est l'charr'quier qui voit
v'ni' la mort
Et qui voudrait ben vivre
encor...
Viv'... c'est rouler, rouler
toujou's
En dévalant eun' route en
pente
Qui conduit su' l'rabord d'un
trou.
Un coup qu'on est à la
descente
Gn'a pus moyen d'caler la
roue.
Et l'charr'quier, qui m'nait
gens et bêtes,
Peut pus s'mener... son coeur
s'arrête,
Ses yeux s'brouill'nt, sa
raison fout l'camp ;
Et, dans la fiév'er du
délire,
En s'raidissant, i' cess’pas
d'dire
C'qu'i' gueulait à ses
ch'vaux, dans l'temps :
Hu, Dia, Huo !
Bon Guieu d'cochon, Bon Guieu
d'chameau ! !...
En ce temps-là, c'était
l'Empire ou la République
Ou c'était l'Roué : ça vaut
pas la peine d'eune esplique !
Dans un bourg, par le val de
Louére ou la Bieauc’blon.de,
Deux femm's fir'nt chouér
eun' bessounné d'leu' gidouill’ronde :
La p'ermiére eut deux gas, et
deux garces la s'conde.
On appla les gas : Jean et
Jacques,
Les garces : Touenette et
Marie.
Les gas étint coumm' deux
grous oeufs de Pâques
Et les garces frél's coumm'
des oeufs d'pardrix.
I's poussèr'nt près des blés
: d'eune an à chaqu’récolte.
On mit les gas en culottes
Et les garc's en cotillons ;
Et i's s'trouvér'ent -
bessons, bessoun'ns - après l'école,
Les gas portant barbes
folles,
Les garc's avec des tétons.
I's s'trouvér'nt dans eune
plaine oùsque c'était la vie
Par les bissons d'mûr's
douc's et les tallé's d'orties,
Et i's voi'nt le bounheur, en
mêm' plac’que l'souleil,
Leu' fer' signe, au fin bout
d'la plain' nouère et varmeille,
Et i's partir'nt - bessons,
bessoun'ns - tout quat' d'un coup
Pour agripper l'bounheur
oùsque j'courons tertous.
Jean et Mari' prir'nt la
rout', la grand'rout' tout dréte
Oùsqu'l'aubargiste fum' sa
pip' devant l'aubarge,
Oùsqu'la port' des Mairi's
s'ouvre aux blancs mariages
Et oùsqu'les gens dounn'nt le
bonjour au gard'champête.
La rout', la bounn' route
oùsqu'on est hounnête !
Touénette et Jacqu's prir'nt,
à tous les hasards des champs,
Les ch'mins d'travars', les
mauvés ch'mins
Oùsqu'on s'aim' sans aut'
consent'ment
Que l'consent'ment d'l'Avri'
qui vient,
Et oùsqu'on détrousse, à nuit
nouère,
Les marchands d'boeu's qu'ont
fait des pistol's à la fouère.
Les ch'mins d'travars', les
mauvés ch'mins.
Mari' s'achiésa su' eun'
born' de la grand'route,
Ses deux mains su' ses
tétons, pour pas qu'on y touche,
Et a r'garda longtemps passer
les épouseux :
Ceuss dont les sabiots sal's
dis'nt les arpents fartiles
Et ceuss’qui sont flusqués
pour teni' plac's en ville.
Enfin, a suivit Jean l'pus
rich' de ces moncieux.
I's sortir'nt de d'cheu
l'mair' pour entrer cheu l'curé
Et l'souér des noc's pour
fer' le compt' des billets d'mille,
A r'tira ses deux mains
crouésé's su' son corset.
Touénette, en counnaissanc’d'amour,
Courantina, tétons au vent,
Ecoutant aux poch's des
passants
C'tte chanson des écus
sonnants
Qui fait r'dresser l'oreille
aux sourds.
Un jour à Jacqu's, un jour à
Jean
Et'core à eun aut'e eun aut'
jour,
Pour senti' su sa pieau la
chatouill’des jaunets
A'laissa leu's mains les
fourrer dans son corset.
Jean et Marie eur'nt
eun'boutique au long d'la route.
Et leu' noms à la porte en
lett'ers grand's et grousses.
Pernant l'Argent, darrière un
comptouér soulennel
Aux ceuss qu'avint l'moueyen
d'et' de leu' clientèle,
I's am'nér'nt la faillit' du
concurrent du coin
Qui s'en alla fini d'eune
hounourab'el mort
Dans l'foussé aux vaincus,
sous les yeux des pus forts !
Jacqu's jeta par d'ssus les
moulins sa blous’d'enfance
Et échappa dans l'vent large
des mauvés ch'mins
Aux p'erjugés qui vous
r'vienn'nt coumm' des vieill's romances.
Pernant l'Argent, en
farfouillant dans les sarrures,
Simp'elment oùsqu'y en avait,
aux ceux qui 'nn'avint,
I'mit un pauv' chat'lain
dépouillé en posture
D'endousser eun' besace et
d'aller qu'ri son pain !
Et l'mond’par les cités
nouvell's et les bourgs vieux,
R'gardait aller, avec des
jug'ments dans la bouche :
Jean et Mari' su' la
grand'route.
Môssieu ! Madam' ! Madam' !
Môssieu !
La Touenette et l'Jacqu's, dans
les michants ch'mins,
Putain ! Voleux !Voleux !
Putain !
Mais eun hivar la neig' tomba
Quinz' jours, troués
s'main's, sans fin ni cesse ! ...
Epésse, épésse !
Par d'ssus les born's, par
d'ssus les pa's,
De tell’magniér' qu'alle
enterra
La dret' route et les ch'mins
tortus
Et qu'les deux garc's, et
qu'les deux gas,
Malgré tout's les étouél's du
ciel
S'y trouvér'nt bel et ben
pardus !
Si ben pardus ! ... qu'au
moues d'dégel
L'même mond', par les cités
nouvell's et les bourgs vieux
R'gardait aller, avec d'aut's
jug'ments dans la bouche
L'Jacqu's et la Touénett'
(par maldounn ! ) sur la grand'route,
Môssieu ! Madam' ! ... Madam'
! Môssieu !
Marie et Jean (par maldounn)
dans les michants ch'mins,
Putain ! Voleux ! ... Voleux
! Putain !
Et moun histouer' s'arrête à
c't'heure...
Vous v'lez savouér si qu'i's
ont agrippé l'bounheur ?
Non ! ... l'bounheur,
I' s'agripp' pas ! Pus on
l'approch', pus i' s'racule.
Mais ça se r'ssemb'el tout
d'mêm' ben
Eune hounnet' femme et eun'
putain,
Eun hounnéte houmme et eun'
crapule !
Bon guieu ! la sal'commune !
... A c'souèr,
Parsounne a voulu
m'ar'cevouér
Pou' que j'me gîte et que
j'me cache
Dans la paille, à couté d'ses
vaches,
Et, c'est poure ren qu’j'ai
tiré
L'cordon d'sounnette à ton
curé
Et qu'j'ai cougné cheu tes
déviotes :
Les cell's qui berdouill'nt
des pat'nôt'es
Pour aller dans ton
Paradis...
S'ment pas un quignon d'pain
rassis
A m'fourrer en travars d'la
goule...
I's l'gard'nt pour jiter à
leu's poules ;
Et, c'est pour çà
qu'j'attends v'ni d'main
Au bas d'toué, su' l'rabôrd
du ch'min,
En haut du talus, sous l'vent
d'bise, .
Qu'ébranl’les grands bras
d'ta crouéx grise...
Abrrrr ! ... qu'i' pinc’fort
el’salaud !
E j'sens mon nez qui fond en
ieau
Et tous mes memb'ers qui
guerdillent,
Et mon cul g'lé sous mes
penilles ;
Mais, tu t'en fous, toué,
qu'i' fass’frouéd :
T'as l'cul, t'as l'coeur,
t'as tout en boués !
Hé l'Christ ! T'entends-t-y
mes boyaux
Chanter la chanson des moignieaux
Qui d'mand'nt à picoter
queuqu'chose ?
Hé l'Christ ! T'entends-t-y
que j'te cause
Et qu'j'te dis qu'j'ai-z-eun'
faim d'voleux ?
Tell'ment qu'si, par devant
nous deux,
I'passait queuqu'un su' la
route,
Pour un méyion coumm' pour
eun' croùte,
I' m'sembl’que j'f'rais un
mauvais coup ! ...
Tout ça, c'est ben, mais
c'est point tout ;
Après, ça s'rait en Cour
d'assises
Que j'te r'trouv'rais ; et,
quoué que j'dise
Les idée's qu'ça dounne et
l'effet
Qu'ça produit d’pas avouer
bouffé,
Les jug's i's vourin ren
entend'e,
Car c'est des gâs qui sont
pas tend'es
Pour les ceuss’qu'a pas
d’position ;
I's n'me rat'rin pas, les
cochons !
Et tu s'rais pus cochon
qu'mes juges,
Toué qui m'v'oués vent' creux
et sans r'fuge,
Tu f'rais pas eun' démarch'
pour moué :
T'as l'vent', t'as l'coeur,
t'as tout en bois !
L'aut'e, el'vrai Christ !
el'bon j'teux d'sôrts
Qu'était si bon qu'il en est
mort,
M'trouvant guerdillant à
c'tte place,
M'aurait dit : " Couch'
su'ma paillasse ! ... "
Et, m'voyant coumm'ça querver
d'faim,
I'm'aurait dit : "
Coup'-toué du pain !
Gn'en a du tout frés dans ma
huche,
Pendant que j'vas t'tirer
eun'cruche
De vin nouvieau à mon poinson
;
T'as drouét coumm' tout
l'monde au gueul'ton
Pisque l'souleil fait pour
tout l'monde
V'ni du grain d'blé la mouésson
blonde
Et la vendange des sâs
tortus... "
Si, condamné, i' m'avait vu,
Il aurait dit aux jug's :
" Mes fréres,
Qu'il y fout' don' la
premier' pierre
C'ti d'vous qui n'a jamais
fauté ! ... "
Mais, toué qu'les curés ont
planté
Et qui trôn' cheu les gens
d'justice,
T'es ren ! ..., qu'un mann'
quin au sarvice
Des rich's qui t'mett'nt au
coin d'leu's biens
Pour fair' peur aux
moignieaux du ch'min
Que j'soumm's... Et, pour ça,
qu'la bis’grande
T'foute à bas... Christ
ed’contrebande,
Christ ed'l'Eglis ! Christ
ed’la Loué,
Qu'as tout, d'partout, qu'as
tout en boués ! ...
Aujourd'hui le temps est
épouvantable :
Il pleut et mon coeur
s'embête à pleurer.
J'ai pris, d'un paquet
traînant sur ma table,
Une cigarette au fin bout
doré ;
Et j'ai cru te voir en
toilette claire
Avec tous tes ors passés à
tes doigts,
Traînant par la vie, élégante
et fière
Sous les yeux charmés du
monde et de moi.
Refrain
Ah ! la bonne cigarette
Que j'ai fumée...
Pourtant mon coeur la
regrette,
O bien-aimée !
Ah ! la bonne cigarette
Que j'ai fumée...
Pourtant mon coeur la
regrette,
O bien-aimée !
J'ai pris une braise au
milieu des cendres
Et je me suis mis alors à
fumer
En m'entortillant dans les
bleus méandres
De ma cigarette au goût
parfumé ;
Et j'ai cru sentir passer sur
mes lèvres
Un baiser pareil aux baisers
brûlants
De ta bouche en feu, par les
nuits de fièvres
Où je m'entortille entre tes
bras blancs.
J'ai jeté ce soir parmi la
chaussée
Cigarette morte au feu du
tantôt ;
Un petit voyou qui l'a
ramassée
Part en resuçant son maigre
mégot ;
Et, devant cela, maintenant
je pense
Que ton corps n'est pas à moi
tout entier,
Que ta chair connaît d'autres
jouissances
Et que je te prends comme un mégottier.
Au vieux moulin bieauceron
Qui tourne quand la
bis'vente,
Qui tourne en faisant ron ron
Coumme un chat qui s'chauffe
el'vent'e,
Y'avait eun' fois un pauv'gâs
Qu'avait pour viv' que ses
bras.
I'trimait à s'échigner,
En s'maine et même
el'dimanche,
Pour qu'les mangeux d'pain
gangné
N'n'ayin toujou's su'la
planche.
Mais, un jour que son moulin
Grugeait du blé pour la
gueule
Des bourgeoisieaux du pat'lin,
S'fit prende el'bras sous la
meule...
Et, d'pis qu'i peut pus
masser,
I's'trouv' sans l'sou et sans
croûte ;
Mais ceuss’qu'il a
engraissés,
Tous les bourgeoisieaux, s'en
foutent...
Car l'vieux moulin bieauceron
Tourn'toujou's quand la
bis'vente,
Tourn' toujou's, en f'sant
ron ron
Coumme un chat qui s'chauffe
el'vent'e...
Et gn'a core eun aut'
meugnier
Qui trim'la s'maine et
l'dimanche
Pour qu'les mangeux d'pain
gangné
N'n'ayin toujou's su'la
planche ! ...
Cheu nous, le lend'main d'la
bataille,
On est v'nu quéri'les
farmiers :
J'avons semé queuq's
bott'lé's d’paille
Dans l’cul d'la tomb'rée à
fumier ;
Et, nout' jument un coup
ett'lée,
Je soumm's partis, rasant les
bords
Des guérets blancs, des
vign's gelées,
Pour aller relever les
morts...
Dans moun arpent des "
Guerouettes ",
J’n' n'avons ramassé troués
Avec Penette...
J’n' n'avons ramassé troués :
Deux moblots, un bavaroués !
La vieill’jument r'grichait
l'oreille
Et v'la-t-y pas qu’tout en
marchant,
J’faisons l'ver eun' volte
d’corneilles
Coumm' ça, juste au mitan
d’mon champ.
Dans c’champ qu'était
eun'luzarniére,
Afin d’mieux jiter un coup
d’yeux,
J’me guch' dessus l’fait' d'eun'
têtiére,
Et quoué que j’voués ?... Ah
! nom de Dieu ! ,,.
Troués pauv's bougr's su'
l’devars des mottes
Etint allongés tout à plat,
Coumme endormis dans leu'
capote,
Par ce sapré' matin d'verglas
;
Ils’tin déjà raid's coumme
eun' planche :
L’peurmier, j'avons r'trouvé
son bras,
- Un galon d’lain'roug' su'
la manche -
Dans l’champ à Tienne, au
creux d'eun' râ'...
Quant au s'cond, il 'tait
tout d'eun' pièce,
Mais eun' ball’gn' avait
vrillé l’front
Et l’sang vif de sa
bell’jeunesse .
Goulait par un michant trou
rond :
C'était quand même un fameux
drille
Avec un d’ces jolis musieaux
Qui font coumm' ça r'luquer
les filles...
J’l'ont chargé dans mon
tombezieau ! ...
L'trouésième, avec son casque
à ch'nille,
Avait logé dans nout' maison
:
Il avait toute eun' chié'
d’famille
Qu'il eusspliquait en son
jargon.
I' f'sait des aguignoch's au
drôle,
Li fabriquait des subeziots
Ou ben l’guchait su' ses
épaules...
I' n'aura pas r'vu ses
petiots ! ...
Là-bas, dans un coin sans
emblaves,
Des gâs avint creusé l’sol
frouéd
Coumm' pour ensiler des
beutt'raves :
J’soumm's venu avec nout'
charroué !
Au fond d'eun'tranché', côte
à côte,
Y avait troués cent morts
d'étendus :
J'ont casé su' l’tas les
troués nôt'es,
Pis, j'ont tiré la tarr'
dessus...
Les jeun's qu'avez pas vu la
guarre,
Buvons un coup ! parlons pus
d’ça !
Et qu’l'anné' qui vient soit
prospare
Pour les sillons et pour les
sas !
Rentrez des charr'té's
d’grapp's varmeilles,
D’luzarne grasse et d’francs
épis,
Mais n' fait's jamais
d’récolt' pareille
A nout' récolte
ed’d'souéxant'-dix ! ...
Ah ! quand j'avais vingt ans
sounnés,
Ah ! quand j'avais vingt ans
sounnés,
Margot s'en allait vouer ses boeufs
Avec eun' ros’roug' dans les
ch'veux.
A' m' l'a dounné.
Viv'nt les fill's dont j'suis
l'amoureux !
J'ai eun' rose, et j'en aurai
deux !
Paf ! quand qu’j'étais cor'
ben rablé,
Paf ! quand qu’j'étais cor'
ben rablé,
J'ai vu la garce au pér'
Françoué's
Qu'avait eun' ros’blanch'
dans les doué'ts
Et j'y a' volée !
Viv'nt les fill's qui
s'fleuriss'nt pour moue !
J'ai deux ros's, et j'en
aurai troués !
Bah ! quand j'sés dev'nu ben
renté,
Bah ! quand j'sés dev'nu ben
renté,
Catin est v'nu m' chatouiller
l'nez
Avec eun' rose au coeur fané
!
Et j’la ach'tée !
Viv'nt les fill's qui vend'nt
ces ros's-là !
J'ai troués ros's, mais j'en
veux pus qu'ça.
Las ! me v'là vieux, me v'là
ruiné,
Las ! me v'là vieux, me v'là
ruiné,
Y a pus d’ros's roug's à
l'âge que j'ai.
Des blanches ? Foli ! Faut
pus songer
Mém' aux fanées.
Viv'nt les fill's qui
m'aimeront pus !
Moué, j'ai troués ros's et
j'meurs dessus.
V'là les conscrits d'cheu nous
qui passent ! ...
Ran plan plan ! L'tambour
marche d'vant ;
Au mitan, l'drapieau fouette
au vent...
Les v'là ceuss’qui
r'prendront l'Alsace !
l's vienn'nt d'am'ner leu'
numério
Et, i's s'sont dépêchés d'le
mett'e :
Les gâs d'charru' su' leu'
cassiette,
Les gâs d'patrons su'leu'
chapieau.
Tertous sont fiârs
d'leu'matricule,
Coumme eun' jeun' marié d'son
vouél’blanc ;
Et c'est pour ça qu'i's vont
gueulant
Et qu'on les trouv' pas
ridicules.
I's ont raison d'prend’du bon
temps !
Leu' gaîté touche el'coeur
des filles ;
Et, d'vouèr leu's livré's qui
pendillent,
Les p'tiots vourin avouèr
vingt ans.
Les vieux vourin êt'e à
leu'place ;
Et, d'vant leu's blagu's de
saligauds,
Des boulhoumm's tout blancs
dis'nt : " I faut
Ben, mon guieu ! qu'la
jeuness’se passe... "
Et don', coumm'ça,
bras-d'ssus, bras-d'ssous,
l's vont gueulant des
cochonn'ries.
Pus c'est cochon et pus i's
rient,
Et pus i's vont pus i's sont
saoûls.
Gn'en a mém' d'aucuns qui
dégueulent ;
Mais les ceuss’qui march'nt
core au pas,
Pour s'apprend'e à fair' des
soldats,
l's s'amus'nt à s'fout' su'
la gueule.
Pourquoué soldats ? I's en
sav'nt ren,
- l's s'ront soldats pour la
défense
D'la Patri' ! - Quoué
qu'c'est ? - C'est la France...
La Patri' !... C'est tuer des
Prussiens !...
La Patri' ! quoué ! c'est la
Patri' !
Et c'est eun' chous’qui
s'discut' pas !
Faut des soldats ! ... - Et
c'est pour ça
Qu'à c'souér, su' l'lit
d'foin des prairies,
Aux pauv's fumell's i's
f'ront des p'tits,
- Des p'tits qui s'ront des
gàs, peut-être ? -
A seul’fin d'pas vouer
disparaître
La rac’des brut's et des
conscrits.
Un soir qu’il gelait à tout
fendre,
Un gâs de chez nous fut
attendre
Une garçaille de chez nous
Au coin du bois, leur
rendez-vous
Et, dessous la lune blêmie,
Histoire de passer le temps,
En attendant sa mie
Le gars allait chantant...
Le gars allait chantant
En attendant sa mie,
En attendant sa mie.
Du haut des cieux tendus de
crêpes,
Comme un essaim de folles
guêpes
De la neige dégringola.
Et la belle n’était pas là...
Lors, par la campagne
endormie,
Dans son lit glacial et
blanc,
En attendant sa mie
Le gars allait tremblant...
Le gars allait tremblant
En attendant sa mie. (bis)
Pendant tout ce temps la
garçaille
Faisait d’amour grande
ripaille
Au coin du feu bien
chaudement,
Entre les bras d’un autre
amant;
Et, pressentant cette
infamie,
Pauvret au cœur naïf et
franc,
En attendant sa mie
Le gars allait pleurant...
Le gars allait pleurant
En attendant sa mie. (bis)
Le mordit de baisers la bise;
Le gel à travers sa chemise
Ses fines aiguilles planta,
Et pour lui le hibou chanta,
Si bien que, quand l’aube
palie
Au-dessus du bois apparut,
En attendant sa mie
Le pauvre gars mourut...
Le pauvre gars mourut
En attendant sa mie. (bis)
Y a des pouériers en
espaliers
Qu'écartent des branches
grises :
Leu's bras qu'on a crucifiés
!
Au long des murs de l'église,
'
Et ces pouériers, coumme il
convient
A la natur' de la terre,
Sont des pouériers de “Bon
Chrétien"
Dans l’jardin du presbytère.
Aux alentours du moués
d'mari',
Aux temps des mess's
printanières,
L’parfum des vieux pouériers
fleuris
Monte a coûté des prières ;
Et quand l'automne à son
tour, vient
Accompli' son ministère,
On cueill’des pouér's de “Bon
chrétien"
Dans l’jardin du presbytère.
Ah ! bell's pouér's douc's au
grain léger,
C'est y pas - putout qu'eun'
poumme !
Vous, qu'et's cause -du
premier péché
Dans l’jardin du premier
houmme ?...
Ah ! pouér's fondant's coumme
un miel fin
Qu'embaume et qui
désaltère...
Ah ! pouér's, bounn's pouér's
de “Bon Chrétien",
Dans l’jardin du presbytère
!...
Nout' curé mang' les fruits
piochés
Par les merl's et les
abeilles,
Pis, il emporte à l'Evêché
Les plus bieaux dans eun'
corbeille,
Mêm' je n' sais pas queue qui
Ie r'tient
D'en envouéyer au
Saint-Père...
Y a tell'ment d’pouér's de
"Bon Chrétien"
Dans l 'jardin du presbytère.
Un peineux avait pris eun'
foués
L'mêm' train qu'son voisin :
un bourgeoués.
L'train les roulait ben
doucett'ment
Chacun dans leu' compartiment
:
En troisiém' classe el’pauv'
peineux
Guerdillait su' un banc
pouilleux,
Tandis qu'en première
el’bourgeoués
S'carrait l'cul dans
l'v'lours et la souée.
Mais'tt' à coup, avant
d'arriver
V'là l'train qui s'met à
dérailler,
Et, quand qu'après on détarra
Deux morts qu'avint pus
d'têt's ni de bras,
Parsounn' put dir' lequel des
deux
Qu'était l'bourgeoués ou ben
l'peineux
Les gas ! apportez la
darniér' bouteille
Qui nous rest' du vin que
j’faisions dans l’temps,
Varsez à grands flots la
liqueur varmeille
Pour fêter ensembl’mes
quat'er vingts ans...
Du vin coumm' c'ti-là, on
n'en voit pus guère,
Les vign's d'aujord'hui
dounn'nt que du varjus,
Approchez, les gas,
remplissez mon verre,
J'ai coumm' dans l'idé' que
j'en r'boirai pus !
Ah ! j'en r'boirai pus !
C'est ben triste à dire
Pour un vieux pésan qu'a tant
vu coumm' moue
Le vin des vendang's, en un
clair sourire
Pisser du perssoué coumme
l'ieau du touet ;
On aura bieau dire, on aura
bieau faire,
Faura pus d'un jour pour
rempli' nos fûts
De ce sang des vign's qui
rougit mon verre.
J'ai coumm' dans l'idé' que
j'en r'boirai pus !
A pesant, cheu nous, tout
l’mond’gueul’misère,
On va-t-à la ville où l'on
crév' la faim,
On vend poure ren le bien
d’son grand-père
Et l'on brûl’ses vign's qui
n'amén'nt pus d’vin ;
A l'av'nir le vin, le vrai
jus d’la treille
Ça s'ra pour c'ti-là qu'aura
des écus,
Moué que j'viens d’vider
nout' dargnier' bouteille
J'ai coumm' dans l'idé' que
j'en r'boirai pus.
Hé ! l'cabaretier, au
tournant du ch'min,
J'somm's deux chemineux
qu'ont chacun eun' gueule
Pus chaude et pus sèch' que
l'chaum' des éteules.
Hé ! l'cabaretier, au
tournant du ch'min,
Toué qu'as des futaill's et
un cellier plein,
Va quéri à boire et
vers'-nous un coup !
- Les gâs, v'avez-t-y des
sous ?
Hé ! le boulanger, su' la
plac' du bourg,
J'somm's deux chemineux
qu'ont l'vent' qui commence
A leur chantouanner eun'
drôle ed romance !
Hé ! le boulanger, su' la
plac' du bourg,
Apport'-nous la mich' que tu
r'tir's du four,
Et pass' ton coutieau, qu'on
s'en coupe un bout !
- Les gâs, v'avez-t-y des
sous ?
Hé ! la garce bell', dans
l'boug' plein d'soulauds,
J'somm's deux chemineux qui
pass'nt leurs nuitées
Sans jamais r'cevoir la
moindr' bécotée.
Hé ! la garce bell', dans
l'boug plein d'soulauds,
Ouvre-nous tes bras, et
bourr'-nous d'bécots
Jusqu'à c'que tu voi's que
j'en soyins saouls !
- Les gâs, v'avez-t-y des
sous ?
Hé ! Môssieu l'curé, au
templ' du bon Dieu,
J'somm's deux chemineux qui
cassons nout' pipe,
Mais qu'ont ben vécu dans les
bons principes !
Hé ! Môssieu l'curé, au
templ' du bon Dieu,
Vous nous direz-t-y eun'
prière ou deux
Avant qu'on nous jitt'
tertous dans l'mêm' trou ?
- Les gâs, v'avez-t-y des
sous ?
Môssieu, j'traînais coumme
ed' coutume.
J'tomb' dans eun' foule où qu'des
légumes
En queue d'morue :
L'préfet, l'mair',
l'archiviss du bourg,
Inaugurint en troués discours
Vout'e estatue !
Tertous ont fièr'ment ben
parlé :
On vouét qu' c'est des gâs
qu'est allé
Dans les écoles !
Moué, môssieu, j'sés guére
orateur ;
Mais quoué ! j'soumm's pus
qu'nous deux, à c't' heure :
J'prends la parole !
Et, d'abord, j'ai dans les
vingt ans ;
Vous, v'ét's morts, mais ça
dit pas quand
Qu'v's avez pu naît'e ?
V'ét's du pat'lin : moué,
j'sés d'ailleurs ;
J'ai, par conséquent, pas
l'hounneur
De vous counnaît'e !
J'peux pas discuter :
j'discut' pas
Les victouér's ou les
almanachs
D'vout'e existence ;
Et, tout c'que v's avez dit
ou fait,
C'est parfait, môssieu, c'est
parfait !
J'l'approuv' d'avance !
Vout' figur' n'a ren qui déplaise
:
J'en ai crouésé des plus
mauvaises
Au coin des routes !
Mais, pour la fer' vouér en
plein bronze
Plac' du Martroué, sous les
quinconces,
Comben qu'ça coûte ?
Dix mill' francs ! Et putôt
pus qu' moins !
Qu'i's gueul'nt partout, les
citouéyens
D'vout' vill' native.
Dix mill' francs ! Au prix
oùsqu'est l'pain
Ça f'rait comben d'hotté's,
comben
D'mich's de quat' liv'es ?
Or, moué, j'ai pas bouffé,
môssieu,
Depis un jour, depis huit
lieues.
Ça, c'est trop fort !
Mais, si tant haut qu' v'
avez pété,
Vous pétez pus à l'heure
qu'il est.
Moué, j'pète encore !
Dix mill' francs ! Ça vous
fait bell' jambe,
A vous qu'on r'trouv'rait pas
un memb'e
Dans la terr' nouére !
Dix mill' francs pour eune
estatue !
Dix mill' francs ! Dix mill'
francs d'foutus !
C'est ça, la glouére !
Et v'là c'que c'est qu'eun
houmme illust'e
Qu'a p't-ét'e été humain et
juste
Dans l'temps jadis !
C'est queuque rev'nant en
ferraille
Qu'entass' dans son vent'
sans entraille
Le pain d'nout' vie !
Et c'est tout, tout c'que ma langu'
trouve
Au travers d'la faim qui
m'alouve
A tourner d'mieux...
Mais, dans leu's discours à
flafla,
Pas un des aut's avait dit ça
:
J'vous l'dis, môssieu ! ..,
O les parcepteurs ! O les
capitaines
Qu'épous'nt des femm's qu'ont
des grous sacs de dot,
Ah ! la dot ! la dot ! la dot
ed' la mienne !...
- V'allez-t-y m'trouver
berlaudin vous aut'es,
O les parcepteurs ! O les
capitaines !
V'là l'histouére : Avant qu'
je n' parte au sarvice,
J' m'étais fait cheu nous
eun' tit' bounne amie ;
A c't âge, alle avait
quasiment point d' vices
Et ça me r'tenait d'la biger
pus loin
Qu' son bec ros' qui v'nait
de li-même me qu'ri'
Des bécots pus simpl's
qu'eun' becqué' d'bon pain.
J'y réclamais s'ment : «
Attends-moué qu'je r'vienne...
Troués ans, ça pass' vite !
... et j'nous marierons...
Tu s'ras tout en blanc, du
vouéle à la tréne !
Gn' aura des pougné's
d'rubans au violon ! »
Et pis, j' sés parti !
- « Eun'! deuss !... par l'flanc
douéte !
Poch'té !... filer doux !...
fout' huit jours ed' bouéte ! »
...Enfin, du moment qu' c'est
pour la Patrie !...
Mais, pendant c'temps-là, ma
'tit' bounne amie
S' faisait enjôler par un
bourgeouésieau,
Et quand j'sés r'venu, après
mon rabiot,
Je n' l'ai pus r'trouvée au
mitan d'la ronde
Des jeuness's ben sag's qui
dans'nt aux fins d' vêp'es :
All' 'tait à Paris,
qu'jaspotait tout l'monde,
All' 'tait à Paris, qui
fesait la gouépe !
- Allons bon !... c'est dit
!... je n'la r'vouerrai pus ! -
Et j'ai rempougné l'
manch'ron d'la charrue ;
Labours et charroués ont
mangé mes s'maines,
J'ai jité mes Dimanch's dans
la bouésson
Tandis qu' les aut's fill's
passin dans la plaine...
All's 'tin tout en blanc, du
vouéle à la tréne,
Gn' avait des pougné's d'rubans
au violon !
Mais un bieau matin...
Ell'... v'là qu'à's'raméne...
Non ! tout's les gothons
n'amass'nt pas des rentes :
Ses cott's tout's guené's aux
filoch's qui pendent,
Ses façons d'causer, ses
façons d'sourire,
Ses façons d'aller sont là pour
el' dire !...
L'Monde y a fait deux goss's
qu'alle a su' les bras ;
A’ rapporte queuqu's restants
d'maladies
Qui vous guett'nt toujou's
dans ces méquiers-là,
A’ rapporte un coeur qu'est
tell'ment aigri
Qu'i' s'peux ben qu'l'Amour
ne r'vienn' pus cheu li,
Et des pauv'ers vic's pour
oublier ça !
C'est tout d'même eun' fill'
de pus dans l'pays,
Eun' fill' de pus qu'est
bounne à marier...
Hé ! les parcepteurs ! hé !
les capitaines,
Les bieaux épouseux !... qui
qu'c'est qui veut qu'ri
La fille, et la dot que
l'Monde y a baillée ?
Eh ben ! ça s'ra moué !...
pis qu'tertous dis'nt non...
Aprés tout, c'était ma 'tit'
bounne amie...
Dam' du coup ! gn'aura vouél'
blanc ni blanch' tréne !
Gn' aura pas d'rubans !...
gn' aura pas d'violons !
Mais j'nous marierons tout
d'méme et quand méme.
O les parcepteurs ! O les
capitaines
Qu'épous'nt des femm's qu'ont
des grous sacs de dot,
La mienne a coumm' dot un
grous sac de peine :
Faut qu'un gâs racheut' les
sal'tés aux aut'es,
O les parcepteurs ! O les
capitaines ! ! !
Maintenant le drôle est
chrètien.
— Tant mieux, ça va bien !
Et nous sortons de la
chapelle
Tous les deux ma belle.
Vite, elle met la main au
fond
D’un bleu pocheton.
Et, parmi la foule aguichée,
Jette des dragées.
Refrain
Jette des dragées, Madeleine
!
(C’est toi la marraine !)
Mais garde-m’en-z-une en ta
main ?
(C’est moi le parrain !)
Aux gas qui tendent leur
chapeau :
— Par ici, plus haut !
Elle sème, en son gai délire,
Dragées et sourires !
Les sourires qui me sont
chers
Et les bonbons clairs
Vont choir sur les gas qu’ils
arrosent
D’une averse rose...
Faut voir se bousculer les
gas !
— Mais poussez donc pas !
Autour de la manne fleurie
Que répand ma mie :
S’il ne tombe pas, à tout
coup,
Des dragées pour tous,
Les sourires, pour tout le
monde,
Tombent, à la ronde !
Cela ne me rend pas jaloux.
— Mais non, pas du tout !
Car cette dragée qu’lle garde
Dans sa main mignarde,
Tantôt, quand nous serons
rentrés,
Je la croquerai
Entre sa bouche où viendront
luire
De nouveaux sourires !
L’heure patriotique du tirage
au sort
A fait vibrer le beffroi
légal des mairies,
Les gas aux grands yeux bons
sont devenus conscrits
Et leur troupeau dévale par
les rues
Sous le geste dur des
houlettes tricolores.
En les voyant ainsi passer,
les filles belles
Qui s’avancent par la paix
fleurie des venelles,
Se demandent en leur naïveté,
pourquoi
L’on gaspille ainsi bêtement
si belle soie.
Holà ! nos galants aimés.
Holà ! disent-elles,
Baillez-nous l’étoffe jolie
de vos drapeaux,
Nous en ferons des robes
bleues, rouges ou blanches
Et nous les froisserons aux
danses des dimanches
Contre votre cœur qui s’en
montrera plus tendre.
Mais les galants passent et
s’en vont sans comprendre
Le bon désir des amantes qui
restent seules...
Et demain les drapeaux leur
seront des linceuls.
Quoué qu'a tombé su' la
prairie
Pour qu'on la revi' coumm' ça
tout' blanche ?
Tomb' pas d'neige en plein
coeur d'avri' :
Ça f'rait framer l'yeux aux
parvenches.
Eh ! ben, v'là c'que c'est :
à c'matin
On a fait la lessive à la
farme,
Et les draps prop's séch'nt
su' le foin
Et sous le hâl' qui souff'el
farme.
Les draps sèch'nt, les draps
oùsqu'on s'fourre ;
Quasi coumme el' soulé se
couche,
Ereintés par la tâch' du jour
Et oùsqu'on s'endort coumm'
des souches.
Les draps d'sommeil, les
draps d' repos
Qu'entend'nt ronfler sans fin
ni cesse,
Mais qu'entend'nt pas souvent
d'bécots
Et qui sent'nt pas souvent
d'caresses.
Les pauv'ers draps à qui
qu'l'amour
S'en vient pas souvent fair'
visite,
Et, si ça y arrive un bieau
jour,
Il ent'e, i' sort, et r'fil'
ben vite.
Les draps sèch'nt et
par-dessous eux,
Sans qu'on y voi' ren, les
foins poussent,
Les foins oùsque les amoureux
Ont coulé des minut's si
douces,
Les foins pleins d'petits
creusillons
Qui sont autant d'gîtons
d'amour
Que les coup'les en
contravention
Ont s'més coumm' ça su' leu'
parcours.
Les draps sèch'nt, et les
foins sent'nt bon,
I's sent'nt la chair de fille
et d'mâle
Et guerdill'nt encor des
frissons
Du gas qu'ensarr' la garc' qui
râle.
Les draps sèch'nt et, tout en
séchant,
Les foins qui sent'nt bon les
parfument,
Les v'là secs ! au soulé'
couchant
I's s'ront à leu' plac' de
coutume
Dans les grands lits aux
grands ridieaux
Et, à c'souer, la chandell'
soufflée,
L'mait' ed' farme encore tout
vieillot
Sentira son coeur
s'réveiller.
L'charr'quier ira r'trouver
la bonne
Et la bonn' le coursera
point,
L' porcher r'grett'ra
d'avouer parsonne
Pasqu' les draps sentiront
les foins.
Les p'tiots matineux sont 'jà
par les ch'mins
Et, dans leu' malett' de
grousse touél' blue
Qui danse et berlance en leu'
tapant l'cul,
I's portent des liv's à coûté
d'leu pain.
L'matin est joli coumm' trent'-six
sourires,
Le souleil est doux coumm'
les yeux des bêtes...
La vie ouvre aux p'tiots son
grand liv' sans lett'es
Oùsqu'on peut apprend' sans
la pein' de lire :
Ah ! les pauv's ch'tiots
liv's que ceuss' des malettes !
La mouésson est mûre et les
blés sont blonds ;
I's pench'nt vars la terr'
coumm' les tâcherons
Qui les ont fait v'ni' et les
abattront :
Ça sent la galette au fournil
des riches
Et, su' la rout', pass'nt des
tireux d'pieds d'biche.
Les chiens d' deux troupets
qui vont aux pâtis,
Les moutons itou et les mé's
barbis
Fray'nt et s'ent'erlich'nt au
long des brémailles
Malgré qu'les bargers se
soyin bouquis
Un souèr d'assemblé', pour
eune garçaille.
Dans les ha's d'aubier qu'en
sont ros's et blanches,
Les moignieaux s'accoupl'nt,
à tout bout de branches,
Sans s'douter qu'les houmm's
se mari'nt d'vant l'Maire,
Et i's s'égosill'nt à
quérrier aux drôles
L'Amour que l'on r'jitt' des
liv's de l'école
Quasi coumme eun' chous' qui
s'rait pas à faire.
A l'oré' du boués, i'
s'trouve eun' grand crouéx,
Mais les peupéiers sont pus
grands dans l'boués.
L'fosséyeux encave un mort
sous eun' pierre,
On baptise au bourg : les
cloches sont claires
Et les vign's pouss' vart's,
sur l'ancien cim'tière !
Ah ! Les pauv's ch'tiots
liv's que ceuss' des malettes !
Sont s'ment pas foutus d'vous
entrer en tête
Et, dans c'ti qu'est là, y a
d'quoué s'empli l'coeur !
A s'en empli l'coeur, on
d'vienrait des hoummes,
Ou méchants ou bons -
n'importe ben coumme ! -
Mais, vrais coumm' la terre
en friche ou en fleurs,
L'souleil qui fait viv'e ou
la foud' qui tue.
Et francs, aussi francs que
Les p'tiots ont marché
d'leu's p'tit's patt's, si ben
Qu'au-d'ssus des lopins de
seigle et d'luzarne,
Gris' coumme eun' prison,
haut' coumme eun' casarne
L'Ecole est d'vant eux qui
leu' bouch' le ch'min.
L'mét' d'école les fait
mett'e en rangs d'ougnons
Et vire à leu' têt' coumme un
général :
« En r'tenu', là-bas !… c'ti
qui pivott' mal !... »
Ça c'est pou' l'cougner au
méquier d'troufion.
On rent' dans la classe
oùsqu'y a pus bon d'Guieu :
On l'a remplacé par la
République !
De d'ssus soun estrad' le
mét' leu-z-explique
C'qu'on y a expliqué quand il
'tait coumme eux.
I' leu' conte en bieau les
tu'ri's d' l'Histouère,
Et les p'tiots n'entend'nt
que glouère et victouère :
I' dit que l'travail c'est la
libarté,
Que l'Peuple est souv'rain
pisqu'i' peut voter,
Qu'les loués qu'instrument'nt
nous bons députés
Sont respectab's et doiv'nt
êt respectées,
Qu'faut payer l'impôt... «
Môssieu, j'ai envie !...
- Non !... pasque ça vous
arriv' trop souvent ! »
I veut démontrer par là aux
enfants
Qu'y a des règu's pour tout,
mêm' pou' la vessie
Et qu'i' faut les suiv' déjà,
dret l'école.
I' pétrit à mêm' les p'tits
çarvell's molles,
I' rabat les fronts têtus
d'eun' calotte,
I' varse soun' encr' su' les
fraîch's menottes
Et, menteux, fouéreux, au
sortu' d'ses bancs
Les p'tiots sont pus bons
qu'â c'qu'i' les attend :
Ça f'ra des conscrits des
jours de r'vision
Traînant leu' drapieau par
tous les bordels,
Des soldats à fout'e aux
goul's des canons
Pour si peu qu'les grous ayin
d'la querelle,
Des bûcheux en grippe aux
dents des machines,
Des bons citoyens à jugeotte
d'ouée :
Pousseux d'bull'tins d'vote
et cracheux d'impôts,
Des cocus devant l'Eglise et
la Loué
Qui bav'ront aux lèv's des
pauv's gourgandines,
Des hounnètes gens, des gens
coumme i'faut
Qui querv'ront, sarrant
l'magot d'un bas d'laine,
Sans vouèr les étouel's qui
fleuriss'nt au ciel
Et l'Avri' en fleurs aux
quat' coins d'la plaine !...
Li ! l'vieux mét' d'école, au
fin bout d'ses jours
Aura les ch'veux blancs d'un
déclin d'âg' pur ;
I' s'ra ensarré d'l'estime
d'tout l'bourg
Et touch'ra les rent's du
gouvernement...
Le vieux maît' d'écol' ne
sera pourtant
Qu'un grand malfaiseux devant
la Nature !..
Ah ! bon Guieu qu'des
affich's su' les portes des granges !...
C'est don' qu'y a 'cor
queuqu' baladin an'hui dimanche
Qui dans' su' des cordieaux
au bieau mitan d'la place ?
Non, c'est point ça !...
C'tantoût on vote à la mairie
Et les grands mots qui
flût'nt su' l'dous du vent qui passe :
Dévouement !... Intérêts !...
République !... Patrie !...
C'est l'Peup' souv'rain qui
lit les affich's et les r'lit...
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
S'en vont aux champs, ni pus
ni moins qu'tous les aut's jours
En fientant d'loin en loin
l'long des affich's du bourg.)
Les électeurs s'en vont aux
urn's en s'rengorgeant,
« En route !... Allons voter
!... Cré bon Guieu ! Les bounn's gens !...
C'est nous qu'je t'nons à
c't'heur' les mâssins d'la charrue,
J'allons la faire aller à dia
ou ben à hue !
Pas d'abstentions !... C'est
vous idé's qui vous appellent...
Profitez de c'que j'ons
l'suffrage univarsel !...»
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
Pâtur'nt dans les chaum's
d'orge à bell's goulé's tranquilles
Sans s'ment songer qu'i's
sont privés d'leu's drouéts civils.)
Y a M'sieu Chouse et y a
M'sieu Machin coumm' candidat.
Les électeurs ont pas les
mêm's par's de leunettes :
- Moué, j'vot'rai pour
c'ti-là !... Ben, moué, j'y vot'rai pas !...
C'est eun' foutu crapul' !...
C'est un gas qu'est hounnête !...
C'est un partageux !... C'est
un cocu !... C'est pas vrai !...
On dit qu'i fait él'ver son
goss' cheu les curés !...
C'est un blanc !... C'est un
roug' !... - qu'i's dis'nt les électeurs :
Les aveug'els chamaill'nt à
propos des couleurs.
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
S'fout'nt un peu qu'leu'
gardeux ait nom Paul ou nom Pierre,
Qu'i' souét nouér coumme eun'
taupe ou rouquin coumm' carotte
I's breum'nt, i's bél'nt, i's
glouss'nt tout coumm' les gens qui votent
Mais i's sav'nt pas c'que
c'est qu'gueuler : « Viv' Môssieu l'Maire ! »)
C'est un tel qu'est élu !...
Les électeurs vont bouére
D'aucuns coumme à la noc',
d'aut's coumme à l'entarr'ment,
Et l'souèr el' Peup'
souv'rain s'en r'tourne en brancillant...
Y a du vent !... Y a du vent
qui fait tomber les pouères !
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
Prenn'nt saoûlé' d'harb's et
d'grains tous les jours de la s'maine
Et i's s'mett'nt pas à chouèr
pasqu'i's ont la pans' pleine.)
Les élections sont tarminé's,
coumm' qui dirait
Que v'là les couvraill's
fait's et qu'on attend mouésson...
Faut qu'les électeurs tir'nt
écus blancs et jaunets.
Pour les porter au parcepteur
de leu' canton ;
Les p'tits ruissieaux vont
s'pard' dans l'grand fleuv' du Budget
Oùsque les malins pèch'nt,
oùsque navigu'nt les grous.
Les électeurs font leu's
courvé's, cass'nt des cailloux
Su' la route oùsqu' leu's
r'présentants pass'nt en carrosses
Avec des ch'vaux qui s'font
un plaisi' - les sal's rosses ! -
De s'mer des crott's à m'sur'
que l'Peup' souv'rain balaie...
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
S'laiss'nt dépouiller d'leu's
oeufs, de leu' laine et d'leu' lait
Aussi ben qu's'i's -z- avin
pris part aux élections.)
Boum !... V'là la guerr' !...
V'là les tambours qui cougn'nt la charge...
Portant drapieau, les
électeurs avec leu's gâs
Vont terper les champs d'blé
oùsqu'i'is mouéssounn'ront pas.
- Feu ! - qu'on leu' dit - Et
i's font feu ! - En avant Arche !-
Et tant qu'i's peuv'nt aller,
i's march'nt, i's march'nt, i's marchent...
...Les grous canons
dégueul'ent c'qu'on leu' pouss' dans l'pansier,
Les ball's tomb'nt coumm' des
peurn's quand l'vent s'cou' les peurgniers
Les morts s'entass'nt et,
sous eux, l'sang coul' coumm' du vin
Quand troués, quat' pougn's
solid's, sarr'nt la vis au persoué
V'là du pâté !... V'là du
pâté de peup' souv'rain !
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
Pour le compte au farmier se
laiss'nt querver la pieau
Tout bounnment, mon guieu
!... sans tambour ni drapieau.)
...Et v'là !... Pourtant les
bét's se laiss'nt pas fér' des foués !
Des coups, l' tauzieau encorne
el' saigneux d'l'abattoué...
Mais les pauv's électeurs
sont pas des bét's coumm's d'aut'es
Quand l'temps est à l'orage
et l'vent à la révolte...
I's votent !...
J'vis cheu mes enfants
pasqu'on m'trouv' berlaude :
I's m'coup'nt du pain blanc,
rapport à mes dents ;
I's m'donn'nt de la soup' ben
grasse et ben chaude,
Et du vin, avec deux bouts
d'sucr' dedans.
I's font du ben-aise autour
de moun âge ;
Mais, ça c'est l'méd'cin
qu'en est caus', ben sûr !
I's m'enferm'nt dans l'clos
comme eun pie en cage,
Et j'peux pas aller pus loin
qu'les quat'murs.
La porte !
I's veul'nt pas me
l'ouvri'... la porte !
Quoué que j'leu-z-ai fait,
qu'i's veul'nt pas que j'sorte?
Mais ouvrez-la moué don'...,
la porte !...
...Hé ! les bieaux faucheux
qui part'nt en besogne !
Non ! j'sés pas berlaud'...
j'ai tous mes esprits !
J'sés mêm' 'cor solide, et
j'ai forte pogne ;
S'i'vous faut queuqu'un pour
gerber, v'nez m'qu'ri.
J'voudrais ben aller aux
champs comm' tout l'monde ;
J'ai hont' de rester comm' ça
sans oeuvrer,
A c'tte heur' qu'i' fait doux
et qu'la terre est blonde...
Si vous m'défermez, c'est
vous qu'hérit'rez !
...Hé ! mon bieau
Jean-Pierr', qu'est déjà qui fauche,
I's dis'nt que j'ses
vieill'... mais tu sais ben qu' non :
A preuv' c'est que j'sés 'cor
si tell'ment gauche
Que j' fais l'coqu'licot en
disant ton nom.
Va, j'nous marierons tout
d'même et quand même,
Malgré qu't'ay's pas d'quoué
pour la dot que j'ai !...
Viens-t-en m'défermer, si
c'est vrai qu'tu m'aimes,
Et courons ach'ter l'bouquet
d'oranger !
Mais... l'galant
qu'j'appell'... c'est défunt mon homme...
Mais... les bieaux
faucheux... pass'nt pas, de c'temps-là :
(Mais... ça s'rait don'vrai
que j'sés berlaud' comme
I's racont'nt tertous !)
I'fait du verglas.
Pourtant, y a queuqu'un qui
passe à la porte ?
C'est môssieu l'curé, les
chant's et l'bedieau
Qui vienn'nt défermer su'
terr' les vieill's mortes
Pour les renfermer dans
l'champ aux naviots...
La porte !
On me l'ouvrira ben..., la
porte :
L'jour de l'enterr'ment
faudra ben que j'sorte...
Vous l'ouvrirez, que j'dis
!... la porte !
Allons, petiot', faut s'en
aller !
Les violons ont pardu parole,
Et su' la plac' de
l'assemblée
V'là la nuit grand' qui
dégringole.
I' faut profiter d'la nuit
grande !
Dounn' moué ton bras et
partons vite
Pour êt' pus longtemps dans
la lande
Avant d'gangner chacun nout'
gîte.
Prenons les sent's oùsqu'y a
pas d'place
A pouvouèr teni' côte à côte
;
De c'tt' affér'-là, pour que
l'on passe,
I' faurra s'sarrer l'un cont'
l'autre.
Viens par ici ; des bouffées
d'brise
Pass'nt dans les broussaill's
déjà hautes,
Et ça sent bon dans la land'
grise...
Ah ! coumme t'es belle à
c'souèr, petiote !
Ah ! coumm' t'es belle ! Et
qu'tes yeux brillent !
Ta main ! Coumme alle est
p'tiote et blanche !
On dirait eun' main d'petit'
fille
Que j'sens qui s'agrippe à ma
manche !
Tes ch'veux, c'est eun' soué
souple et fine,
Eun' vrai' caress' quand
qu'on les touche,
Et ta bouche est fraîch'
coumm' deux guignes,
Que j'présume ét' si douc's,
si douces !
Mais j'cause-t-y point pour
ne ren dire,
Pasqu'après tout c'tte
bouchett' rouse
Et ces deux yeux jolis qu'
m'attirent,
C'est fait pour d'aut's qu'un
pas gran' chouse ?
J'sais ben qu'tu tomb'ras en
d'aut's pattes,
- Ça, c'est fatal, - un jour
ou l'aut'e,
Ma pauv' mignonn', ma bell'
tit' chatte
Mais ton pèr' veut : c'est
pas d'ta faute...
Aussi, à c'tt'heure oùsqu'on
s'promène
Ren qu' tous les deux, j'me
d'mande à cause
Que j'm'ai' mis à causer d'ma
peine
Quand ton amour réclame aut'
chose !
Viens par ici ! Gn'a eun'
cachette,
Un p'tit nid que les grands
g'nêts dorent.
Faut pus songer qu'gna des
loués bêtes
Et des parents pus bêt's
encore !
Su' la rout' d'Orléans à
Bloués
C'est un rouleux qu'est pris
d'froued,
Et v'là qu'i' s'laiss'
prend', par la nuit,
A c'tte heure, en avant
d'Beaugency !
L'aubargiste a mal à ses
nerfs,
Qu'il en fout tout à l'envers
!
Ah ! queu cochon d'vent !
Su' la rout' i' vous coupe en
deux !
Au bourg, i' farraill'
l'enseign' du « Ch'val Blanc » !
Ah ! queu cochon d'vent !
Pauv'er rouleux ! Pauv'er
logeux !
« Môssieu, s'ou plaît !... ça
vient du nord
A pas fout'e un chien dehors.
Logez-moué sous la r'mise aux
ch'vaux ?
- Non ! L'aut' jour, j'ai
r'çu deux ch'minots :
(Les gâs coumm' vous, ça n'a
pas d'soin)
I's ont mis l' feu dans mon
foin ! »
Là-dessus, l'bon logeux
s'fourre au lit.
Mais queu nuit ! Coumment
dormi ?
C'tte garc' d'enseign' qui
gueul' tout l'temps !
Quant au rouleux, s'couch' en
plein vent...
Les grains d'sable d'la Mort
sont lourds,
Et v'là qu'i' dort coumme un
sourd.
Ah ! queu cochon d'vent !
Su' la route i' vous coupe en
deux !...
Au bourg, i' farraill'
l'enseign' du « Ch'val Blanc » !
Ah ! queu cochon d'vent !...
Chanceux d'rouleux... pauv'er
logeux !...
Belle, en songeant à tes yeux
frais,
Mon geste fendant l'aube
monotone,
Entre les cieux et les
guérets
Je fais mes semailles
d'automne !
Mon grain est sain, mon grain
est lourd,
Les sillons sont pleins de mystères...
J'ai mis mon coeur dans ton
amour
Comme un grain de blé dans la
terre.
Belle, avril me fera-t-il
voir ?
Du silence roux des glèbes
désertes
Jaillir comme des brins
d'espoir
Le fin bout des sigelles
vertes ?
L'été bondera-t-il ma cour
D'un tas d'or tendre et
salutaire ?
J'ai mis mon coeur dans ton
amour
Comme un grain de blé dans la
terre.
Belle, si, dans mon champ
d'avril,
Je ne voyais rien que les
quatre bornes ?
Hélas ! le blé sc mourra-t-il
Dans le berceau des sillons
mornes ?
Mon champ d'août muet et
sourd
Ne sera-t-il qu'un cimetière.
J'ai mis mon coeur dans ton
amour
Comme un grain de blé dans la
terre.
Belle, vas-tu faire fleurir
La douce moisson aux gerbes
de joie ?
Ou bien mon coeur doit-il
mourir
Etouffé dans ta main de soie
Comme le sillon de velours.
Je te sens pleine de
mystère...
J'ai mis mon coeur dans ton
amour
Comme un grain de blé dans la
terre.
On d'vait s'marier su' l'coup
d'nos vingt ans,
- (Tes jou's étin douc's
comm' le v'lours des péches) - ;
Mais quoué ! dans la vi' du
monde, y a tout l'temps,
Quand on veut eun' chos',
d'aut's chos' qu'en empéchent.
On s'est en allé chacun d'son
côté
Pour pas contrarier des idé's
d'famille...
Et, trente ans aprés, v'là
qu'j'allons fêter
Les blanch's épousaill's
d'mon gâs et d'ta fille...
En suivant leu noce, ô gué la
Marie
Ta fill' c'est 'cor toué !
Mon gâs c'est 'cor moué !
C'est don' ben un peu nous
aut's qui s'marient
En suivant leu' noce, ô gué
la Marie !...
Voui, ma bounn', ta fille
alle a hérité
Des deux p'quit' péch's
fréch's de ton doux visage,
Et pus j'm'aperçoués, à la
ben zieuter, .
Qu'c'est toué tout' craché'
quand qu't'avais soun âge...
Poure c'qu'est d'mon gâs,
j'y'ai passé mon coeur,
- Mon coeur de vingt ans qu'a
pus ren à fère
Dans eun' vieill' carcass'
qui li port' malheur -,
Et l'pauv' coeur a r'pris sa
rout' coutumière !...
I' s'est envolé comm' la
premiér' foués
Par les champs qui dorm'nt et
les blés qui bougent,
Par les vign's en fleurs et
le coin du boués,
Pour arriver d'vant l'mêm'
touét en tuil's rouges :
Il a r'cougné d'l'aile aux
mêm's volets verts
Ousque s'accrochin les
vrill's de la vigne ;
Mais, du coup, les deux
volets s' sont ouverts
Comm' des bras de bon accueil
qui font signe...
Qu'i's ont l'air heureux, à
c'tte'heur', nos pequits ! ...
- (Dam ! i' pouss' des fleurs
su' tous les cim'tières ! ) -
Et la joi' qu'i's cueill'nt
au jour d'aujord'hui
A poussé su l'tas d'nos
ancienn's miséres !
... Alle est tout en blanc,
li marche à côté,
Et le violoneux râcle avec
tendresse :
Tu l'voués, là d'vant nous,
qu'est ressuscité
Le bieau rév' défunt de tout'
not' jeunesse !
V'là trois ans qu'je m'sés
marié
Pasqu'i' fallait ben qu'je
m'marie :
Faut eun' femme à tout
épicier
Pour teni' son fonds
d'épic'rie ;
J'en ai pris eun' qu'avait
quéq'ssous
Mais vieille à pouvoir êt' ma
mère.
Songeant qu'bouchett' rose et
z-yeux doux
Val'nt moins qu' vieux bas
plein, en affaire.
Va chemineux, va, lidéra !
Suis ton coeur oùs qu'i
t'mèn'ra !
A c't'heure, après la r'cett'
du jour
Quand ej' me couch' comme
m'incombe
Auprès d'ma femm' qu'a pus
d'amour,
Mon lit me fait l'effet
d'eun' tombe ;
Et dir' que j'me bute à
chaqu' pas
Dans joli' brune et belle
blonde
Mais ren qu' de m'voir leu
causer bas
Ça pourrait fair' clabauder
l'monde.
Va chemineux, va, lidéra !
Suis ton coeur oùs qu'i
t'mèn'ra !
Quant à c'tte vieill' qui
m'fait horreur,
Pas possibl' de m'séparer
d'elle :
C'est comme eun' pierr' que
j'ai su l'coeur
Et qui yempêch' de bouger
l'aile ;
La fair' cornette, en vérité
F'rait ben mal aux yeux d'la
« pratique »
Et, si j'venions à nous
quitter,
Ça s'rait la mort de ma
boutique.
Va chemineux, va, lidéra !
Suis ton coeur oùs qu'i
t'mèn'ra !
V'là cor la natur' qui
m'taquine,
Dir' qu'on s'aim' tous deux,
la vouésine !
J'partirai dimanche, au tantoût,
Devinez où ?
Dir' qu'i' faut qu'j'aill'
charcher des fill's si loin d'cheu nous !
Aux grouss's lantarnes, ça
s'devine.
Dir' qu'on s'aim' tous deux,
la vouésine !
J'me f'rai mett' des bécots
au bout
D'mes quarant' sous.
Dir' que j'pourrais trouver
tout ça pour ren cheu nous !
Tant que j'saut'rai des
gourgandines
(Dire qu'on s'aim' tous deux,
la vouésine !)
La pauv'e en mal de désirs
fous,
S'gratt'ra partout... .
Dir' qu'y a des chous's qui
f'rins si grand benais cheu nous !
Un jour j'attrap'rai d'la
varmine,
(Dire qu'on s'aim' tous deux,
la vouésine !)
Ou des mals qu'on entend
toujou's
Causer qu'en d'ssous...
Dir' qu'i faura que
j'rapporte tout ça cheu nous !
Après toute c'te pantomine
(Dire qu'on s'aim' tous deux,
la vouésine !)
Quand qu'j'aurai l'âge, et
elle itou,
J's'rai soun époux !
Et j'aurai pas manqué aux
conv'nanc's de cheu nous !
Au temps encor tout frais
passé
Où l'on pouvait à chaque
danse
Se causer bas et s'embrasser
Sans que ça tire à
conséquence ;
Dans ce temps-là d'un air
sérieux
Nous causions comme chose
faite
De nous marier tous les
deux...
Hein !... Crois-tu que nous
étions bêtes ?
Non, mais vois-tu cela d'ici
?
La demoiselle de la ferme
Epouser un gâs de Paris
Qui ne peut pas payer son
terme ;
Jeune et belle, se marier
Avec une mauvaise tête,
Qui n'a même pas un métier...
Hein ! Crois-tu que nous
étions bêtes ?
Il ne chôme pas d'épouseux :
Le gros voisin ou le notaire
Ont des cahiers de billets
bleus
Ou des arpents de bonne terre
;
Tu prendras l'un d'eux et
feras
Une petite femme honnête ;
Et moi j'irai... je ne sais
pas ?...
Hein ! Crois-tu que nous
étions bêtes ?
Et, s'il nous arrive jamais
De nous rencontrer dans la
vie,
Toi que j'aimais, toi qui
m'aimais,
Toi qui voulait qu'on se
marie ;
Peut-être en me voyant passer
Las ! détourneras-tu la tête,
Pour ne pas avoir à causer
Du temps où nous étions si
bêtes !…
Ils avaient de très belles
vignes
Dont le vin loyal et rosé
Etait couleur de leur baiser
:
Leurs vingt ans furent doux
et dignes ;
Puis, champ par champ, pièce
par pièce,
Dans le sol de pierre à fusil
La vigne est morte de
vieillesse,
Et le bon temps est mort
aussi.
Refrain
Y a plus de vin dans le
cellier !
Y a plus d'amour sous
l'oreiller !...
Mais (jette une souche, la
vieille !)
Une flamme rose ensoleille
Leur âtre et leur coeur de
janvier.
L'esprit du bon Vin qu'ils
révèrent
S'en vient pour eux flamber
encor
Parmi le feu de sarment mort
Comme il a flambé dans leurs
verres.
Leur Passé, sur leurs lèvres
blêmes,
Brûle à ne pouvoir préciser
Si ce qui s'envole
d'eux-mêmes
Est un mot ou bien un baiser.
Devant la flamme
enchanteresse
Le vieux buveur qui ne boit
plus
Sent, parmi ses membres
perclus,
Couler les douceurs de
l'ivresse ;
Et la Vieille dont la pensée
S'échauffe au feu du souvenir
Sent battre en sa pleine
poitrine usée
L'Amour qui ne veut pas
mourir.
Ils avaient de très belles
vignes
Dont le vin loyal et rosé
Etait couleur de leur baiser
:
Leurs vingt ans furent doux
et dignes ;
Et dans l'attente de
l'épreuve
Qui doit faire passer un jour
Leur âme en quelque vigne
neuve
Au vin clair comme un peu
d'amour...
Not' meunier avait un' fille,
Lon, lon, la,
Qu'il avait fait trop
gentille,
Lan dé ri ra,
Pour qu'ell' put rester
longtemps
Au moulin de ses parents.
Un bourgeoisieau du village,
Lon, lon, la,
R'marqua son p'tit air
volage,
Lan dé ri ra,
Ses grands yeux bleus comm'
le ciel,
Et ses ch'veux couleur de
miel.
Il l'emm'na dans la grand'
ville,
Lon, lon, la,
Pour manger quelqu'billets
d'mille,
Lan dé ri ra,
Puis quand il eût mieux
trouvé,
Il la laissa su' l'pavé.
Mais ell' reprit son courage,
Lon, lon, la,
Et s'mit à chercher...
d'l'ouvrage,
Lan dé ri ra,
Sachant qu'on n'est jamais
pris
Quand on est belle à Paris.
Son honneur fit la culbute,
Lon, lon, la,
Roula dans la bou' d'la
butte,
Lan dé ri ra,
Ell' travaill' dans un moulin
Qui moud autr' chos' que du
grain.
Pendant c'temps là dans
l'village,
Lon, lon, la,
Tout cassé, tout chargé
d'âge,
Lan dé ri ra,
Son pèr' le pauvre meunier
Pleur' : « Ma fille a mal
tourné ».
Et comm' ce n'était qu'pour
elle,
Lon, lon, la,
Que le moulin tournait
d'l'aile,
Lan dé ri ra,
Le vieux fut quérir des gâs,
Et le fit jeter à bas.
Ah ! Pour eun' bell' noc',
c'était eun' bell' noce !...
Y avait - oui, d'abord ! -
eun' joli' mariée,
Y avait d' la famill' des
quat' coins d' la Bieauce,
Offrant des coch'lins à
plein's corbeillées !
Y avait d'la mangeaille à
s'en fout' ras là :
Des tourt's à la sauce et des
oies routies,
Avec un bringand d' petit vin
d' Saint-Y
Qui r'montait d'avant le
phylloxéra !
Y avait l' vieux Pitance, un
colleux d' bêtises,
Et l' cousin Totor qu'est au
« Bon Marché »...
Ah! ces Parisiens !... i's
sont enragés :
Des chansons à fér' pisser
dans sa ch'mise !...
Y avait des volé's d'
jeuness's raquillantes
Qui dansint en t'nant les gâs
par el' cou ;
Y avait d'l'amus'ment et d'la
bounne entente,
Des gens ben gaîtieaux,
d'aucuns mêm' ben saouls !
Ah! pour eun' bell'... Mais
c'est fini, la noce !...
Au r'vouér à tertous ! I'
fait presque jour...
Pitanc' s'est r'levé su' l'
fumier d' la cour,
Et les parents d' Bieauc'
mont'nt dans leu's carrosses,
Si ben qu'i's rest'nt pus qu'
tous les deux, à c'tte heure,
Ell', l'enfant gâtée élevée
en ville,
Et li l' grous farmier !...
Dans la cour tranquille,
Les coqs matineux saluent
leu' bounheur...
Et v'là la joli' marié' qui
s'appresse
En faisant ronron comme eun' tit'
chatt' blanche
Qui veut des lichad's et pis
des caresses.
Mais quoué don' ?... Soun
houmme est là... coumme eun' planche ;
Piqué vis-à-vis le peignon d'
sa grange,
Il a r'luqué l'ciel d'eun air
si étrange !
C'est-y qu'i sarch'rait à
lir' dans les nuages
La bounne aventur' de leu'
jeun' ménage ?...
« Hé ! Pierr', - qu'a soupir'
- c'est tout c' que tu contes ? »
Mais li, s'emportant coumme
eun' soupe au lait :
« Non mais, r'garde don' un
peu l' temps qu'i' fait,
Couillett' ! Tu vois pas la
hargne qui monte ?
Ca va mouiller dur, et ça
s'ra pas long !
Mon foin, nom de guieu !
qu'est pas en mulons !
La mangeaille aux bêt's qui
va êt' foutue !...
En rout' ! Mulonnons avant
qu' l'ieau sey' chue ! »
Et la v'là parti', la marié'
tout' blanche,
Piétant dans son vouéle et
ses falbalas,
Portant su' l'épaule eun'
fourche à deux branches,
L'âm' tout' né' de se
r'trouver là...
Quand qu'il était v'nu, pour
li fér' sa d'mande,
Dans la p'tit' boutique où
qu' mourait son coeur,
Alle avait dit « oui », tout d'
suite, sans attend'e,
Se jitan vars li coumm' vars
un sauveur.
Alle avait dit « oui »,
songeant, sans malice,
- Ell' dont l' corps brûlait
à l'air des bieaux jours
Qu' c'en était, des foués,
coumme un vrai supplice - :
« Quand on a eun houmme, on a
de l'amour ! »...
Et la v'là fourchant le
treufe incarnat,
Sous l' désir féroce et
l'aube mauvaise,
- A'nhui, dret l' moment
qu'a' d'vrait êt' ben aise,
Coumme au Paradis, dans l'
fin fond des draps -
Pasque, auparavant que d'êt'
dev'nu' femme,
All' est devenue eun' femm'
de pésan
Dont la vie est pris', coumm'
dans un courant,
Ent' le foin qui mouille et
les vach's qui breument...
Les tâch's, l'agrippant au
creux de sa couette,
Mang'ront les baisers su' l'
bord de ses lèv'es
Et séch'ront son corps, tout
chaud de jeun' sève,
Qui tomb'ra pus fréd qu'eun
arpent d' « guérouette ».
Les gésin's bomb'ront son
doux ventrezieau,
Les couch's râchiront sa
pieau fine et pâle ;
Et, vieille à trente ans,
traînant ses sabiots,
Abêti' d' travail, écoeurdée
du mâle,
All' aura pus d'yeux qu' pour
vouér, à son tour,
L' ciel nouér su' les prés
couleur d'espérance,
Esclav' de la Terr' jalous',
qui coummence
Par y voler sa premièr' nuit
d'amour...
Je suis un pauvre travailleur
Pas plus méchant que tous les
autres,
Et je suis peut-être meilleur
O patrons ! que beaucoup des
vôtres ;
Mais c'est mon métier qui
veut ça,
Et ce n'est pas ma faute, en
somme,
Si j'use chaque jour mes bras
A préparer la mort des
hommes...
Pour gagner mon pain
Je fonds des canons qui
tueront demain
Si la guerre arrive.
Que voulez-vous, faut ben
qu'on vive !
Je fais des outils de trépas
Et des instruments à
blessures
Comme un tisserand fait des
draps
Et le cordonnier des
chaussures,
En fredonnant une chanson
Où l'on aime toujours sa
blonde ;
Mieux vaut ça qu'être un
vagabond
Qui tend la main à tout le
monde.
Et puis je suis aussi de ceux
Qui partiront pour les
frontières
Lorsque rougira dans les
cieux
L'aurore des prochaines
guerres ;
Là-bas, aux canons ennemis
Qui seront les vôtres, mes
frères !
Il faudra que j'expose aussi
Ma poitrine d'homme et de
père.
Ne va pas me maudire, ô toi
Qui dormiras, un jour,
peut-être,
Ton dernier somme auprès de
moi
Dans la plaine où les bœufs
vont paître !
Vous dont les petits
grandiront
Ne me maudissez pas, ô mères
!
Moi je ne fais que des
canons,
Ça n'est pas moi qui les fais
faire !
Bieau gâs s'en va ; brunette
jolie
Trottaille tant qu'all' peut
après li.
I' se ne et li cont' les
choses
Qui font rosi sa bouchette
rose,
Et l'aime durant tout c' jour
d'au'hui ;
Mais il a le coeur qui
pirouette
Comme une aiguille de girouette...
Bieau gâs s'en va tout dret
devant li,
Abandonnant brunette jolie.
Bieau gâs s'en va ;
roussiotte jolie
Trottaille comm' la brune
après li.
I' se ne et, su' l'harbe
folle
Fait avec elle des cabrioles
Et l'aime durant tout c'jour
d'au'hui ;
Mais son coeur voltaille
davantage
Qu' les petits moigniaux su'
son passage...
Bieau gâs s'en va tout dret
devant li,
Abandonnant roussiotte jolie.
Bieau gâs s'en va ; blondine
jolie
Trottaille comm' la rousse
après li.
I' se ne ; l'agripp', la
bécotte,
L'amignounne et li trousse
les cottes,
Et l'aime durant tout c'jour
d'au'hui ;
Mais son coeur est comme
l'ieau mouvante
Qui change à chaque coup d'
bis' qui vente...
Bieau gâs s'en va tout dret
devant li,
Abandonnant blondine jolie.
Bieau gâs s'en va ; garçaille
pâlie
Trottaille comm' les aut's
après li.
All' l'arrête et li dit : «
Je me nomme
Mam'zell' la Mort qu'épouse
les hommes ;
C'est ton tour de coucher
dans mon lit.
On m'abandonn' pas, moié, car
j'enterre
Mes amants par d'ssous eune
gross' pierre. »
Bieau gâs s'en va, et part
avec li
Et pour toujou's garçaille
pâlie !
En leurs cotillons de futaine
Qui flottent et claquent au
vent,
Les filles s’en vont, en
rêvant,
Laver le linge à la
fontaine...
Et, sous les couchants au
front d’or,
Les gâs, en chantant leur
romance,
Jettent le grain de la
semence
Au sein de la glèbe qui dort.
De quoi rêvent les filles ?
— Des gâs !
Et que chantent les gâs ?
— Les filles!
Timides, sous leurs coiffes
blanches,
Et prises de vagues espoirs,
Les filles aux lourds
chignons noirs
S’en vont danser, les beaux
dimanches ;
Et les gâs, entendant gémir
La viole aux voix
caressantes,
Au plus profond de leur chair
sentent
L’énervant frisson du désir.
Que souhaitent les filles ?
— Les gâs !
Et que veulent les gâs ?
— Les filles !
Les soirs, parmi les landes
pleines
De l’encens fauve des genêts,
Les filles jettent leurs
bonnets
Par dessus les moulins des
plaines.
Et les gâs, en l’ombre des
bois
Où tremblotte la lune rose,
S’en vont cueillir la fleur
éclose
Qui ne se cueille qu’une
fois.
Qui fait fauter les filles ?
— Les gâs !
Et qui pousse les gâs ?
— Les filles !
Par les prés où dorment les
songes
Les filles vont à pas
dolents,
Portant l’Ennui dans leurs
seins blancs
Et sur leurs lèvres des
Mensonges ;
Et les gâs vont suivant leur
cœur
Qui, dans sa course vagabonde
Leur fait faire, avec brune
ou blonde,
Les étapes de la douleur.
Qui délaisse les filles ?
— Les gâs !
Et qui trompe les gâs ?
— Les filles !
Les filles vont ; traînant
leurs peines,
Le front morne et les yeux
rougis,
Au bas des calvaires où gît
L’amant divin des Madeleines
;
Et les gâs, qui ne veulent
plus
De l’amour retenter
l’épreuve,
S’en vont se jeter dans le
fleuve,
Ou s’étrangler sur les
talus...
Qui fait pleurer les filles ?
— Les gâs !
Et trépasser les gâs ?
— Les filles !...
Dans les temps qu'j'allais à
l'école,
- Oùsqu'on m'vouèyait jamés
bieaucoup, -
Je n'voulais pâs en fout'e un
coup ;
J'm'en sauvais fér' des
caberioles,
Dénicher les nids des
bissons,
Sublailler, en becquant des
mûres
Qui m'barbouillin tout'la
figure,
Au yeu d'aller apprend' mes
l'çons ;
C'qui fait qu'un jour
qu'j'étais en classe,
(Tombait d' l'ieau,
j'pouvions pâs m'prom'ner !)
L'mét'e i'm'dit, en s'levant
d' sa place :
« Toué !... t'en vienras à
mal tourner ! »
Il avait ben raison nout'
mét'e,
C't'houmm'-là, i'd'vait
m'counnét' par coeur !
J'ai trop voulu fére à ma
tête
Et ça m'a point porté
bounheur ;
J'ai trop aimé voulouér ét'
lib'e
Coumm' du temps qu' j'étais
écoyier ;
J'ai pâs pu t'ni' en
équilib'e
Dans eun'plac', dans un
atéyier,
Dans un burieau... ben qu'on
n'y foute
Pâs grand chous' de tout' la
journée...
J'ai enfilé la mauvais'
route!
Moué ! j'sés un gâs qu'a mal
tourné !
A c'tt' heur', tous mes
copains d'école,
Les ceuss' qu'appernin l'A B
C
Et qu'écoutin les bounn's
paroles,
l's sont casés, et ben casés
!
Gn'en a qui sont clercs de
notaire,
D'aut's qui sont commis
épiciers,
D'aut's qu'a les protections
du maire
Pour avouèr un post'
d'empléyé...
Ça s'léss' viv' coumm'
moutons en plaine,
Ça sait compter, pas
raisounner !
J'pense queuqu'foués... et ça
m'fait d'la peine
Moué ! j'sés un gâs qu'a mal
tourné !
Et pus tard, quand qu'i's
s'ront en âge,
Leu' barbe v'nu, leu' temps
fini,
l's vouéront à s'mett'e en
ménage ;
l's s'appont'ront un bon p'tit
nid
Oùsque vienra nicher l'
ben-êt'e
Avec eun' femm'... devant la
Loué !
Ça douét êt' bon d'la femme
hounnête :
Gn'a qu'les putains qui
veul'nt ben d'moué.
Et ça s'comprend, moué, j'ai
pas d'rentes,
Parsounn' n'a eun' dot à
m'dounner,
J'ai pas un méquier dont
qu'on s'vante...
Moué ! j'sés un gâs qu'a mal
tourné !
l's s'ront ben vus par tout
l'village,
Pasqu'i's gangn'ront pas mal
d'argent
A fér des p'tits
tripatrouillages
Au préjudic' des pauv'ers
gens
Ou ben à licher les darrières
Des grouss'es légum's, des
hauts placés.
Et quand, qu'à la fin d'leu
carrière,
l's vouérront qu'i's ont ben
assez
Volé, liché pour pus ren
n'fére,
Tous les lichés, tous les
ruinés
Diront qu'i's ont fait leu's
affères...
Moué ! j's'rai un gâs qu'a
mal tourné !
C'est égal ! Si jamés je
r'tourne
Un joure r'prend' l'air du
pat'lin
Ousqu'à mon sujet les langu's
tournent
Qu'ça en est comm' des rou's
d'moulin,
Eh ben ! I'faura que j'leu
dise
Aux gâs r'tirés ou établis
Qu'a pataugé dans la bêtise,
La bassesse et la crapulerie
Coumm' des vrais cochons qui
pataugent,
Faurâ qu' j'leu' dis' qu'
j'ai pas mis l'nez
Dans la pâté' sal' de
leu-z-auge...
Et qu'c'est pour ça qu'j'ai
mal tourné !...
Par chez nous, dans la
vieille lande
Ousque ça sent bon la
lavande,
Il est un gâs qui va, qui
vient,
En rôdant partout comme un
chien
Et, tout en allant, il
dégoise
Des sottises aux gens qu'il
croise.
Refrain
Honnêtes gens, pardonnez-lui
Car il ne sait pas ce qu'il
dit :
C'est un gâs qu'a perdu
l'esprit !
- Ohé là-bas ! bourgeois qui
passe,
Arrive ici que je t'embrasse
;
T'es mon frère que je te dis
Car, quoique t'as de bieaux
habits
Et moi, des hardes en guenille,
J'ont tous deux la même
famille
- Ohé là-bas ! le gros
vicaire
Qui menez un défunt en terre,
Les morts n'ont plus besoin
de vous,
Car ils ont bieau laisser
leurs sous
Pour acheter votre ieau
bénite,
C'est point ça qui les
ressuscite...
- Ohé là-bas ! Monsieu le
Maire,
Disez-moué donc pourquoi donc
faire
Qu'on arrête les chemineux
Quand vous, qui n'êtes qu'un
voleur
Et peut-être ben pis encore,
Le gouvernement vous décore.
- Ohé là-bas ! garde
champêtre,
Vous feriez ben mieux d'aller
paîtr
Qu'embêter ceux qui font
l'amour
Au bas des talus, en plein
jour ;
Regardez si les grandes
vaches
Et les petits moineaux se
cachent.
- Ohé là-bas ! bieau
militaire
Qui traînez un sabre au
derrière
Brisez-le, jetez-le à l'ieau
Ou ben donnez-le moi plutôt
Pour faire un coutre de
charrue...
Je mourrons ben sans qu'on
nous tue.
Et si le pauvre est imbécile
C'est d'avoir trop lu
l'Evangile ;
Le fait est que si
Jésus-Christ
Revenait, aujour
d'aujord'hui,
Répéter cheu nous, dans la
lande
Ousque ça sent bon la lavande.
Dernier refrain
Ce que dans le temps il a
dit,
Pas mal de gens dirin de lui
:
« C'est un gâs qu'a perdu
l'esprit ! ... »
A c'tt' heur', les gens s'enfeignantent
:
Pas un veut en foute un coup.
Tertous veul'nt avoèr des
rentes ;
Et, coumme i's trouv'nt
qu'après tout
C'est trop dur d'piocher la
terre,
l's désartent leu' pays
Et, pour viv'e à ne rien
n'faire,
Les gâs s'en vont à Paris.
I's crey'nt qui vont fair'
tout fendre,
l's s'figur'nt qu'un coup
là-bas
Gn'a qu'à s'baisser pour en
prendre ;
Mais i's s'lass'nt vit' du
combat
Qu'faut livrer dans la
grand'ville...
Et, quand qu'i's r'vienn'nt
au pays,
C'est pour être un peu
tranquilles,
Les gâs qui sont à Paris !
Aussitoût qu'i's sont en âge
Plantant là les Jeannetons
Qui f'rin d'bounn's femm's
ed'ménage,
l's vont couri' les gothons
Qui fum'nt et qui batifolent.
Mais, quand qu'i's r'vienn'nt
au pays,
C'est pour soigner leu's...
p'tit's maladi's d'jeun's houmm's
Les gâs qui sont à Paris !
I's r'mis'nt au fin fond
d'l'ormoére
Leu's blous's et leu's grous
sabiots
Et d'vant l'monde, i's font
leu' poére,
Engoncés dans leu's
palquiots...
N'empéch' qu'i's sont dans la
gêne
Et, quand qu'i's r'vienn'nt au
pays,
l's perssur'nt les pauv's bas
d'laine,
Les gâs qui sont à Paris !
Et, en attendant qu'ça biche,
p'tit à p'tit i's d'viendront
vieux ;
Mais i's d'viendront pas pus
riches...
Et, quand gn'aura pus
d'cheveux
Su' la plac'de leu' «
sarvelle »,
Bieaucoup r'viendront au pays
Mouri sans pain ni javelle,
Des gâs qui sont à Paris !
J'étais une petit' chanteuse
Sorti' tout fraîch'ment de
pension ;
Je n'étais pas encor noceuse
Et n'en avais pas
l'intention.
J'voulais quand mêm' rester
honnête,
Avec mon art gagner mon pain
;
Mais quand j'chantais mes
chansonnettes
Chaqu'soir l'public criait au
r'frain :
Refrain
« La jambe, la jambe,
La jambe avec sa chanson !
Nous somm's venus pour ses
nichons
Et pour qu'ell' nous fass'
voir ses jambes !
Ses jambes, ses jambes,
Si nous ne voyons pas ses
jambes
Dans un retroussis frétillard
Nous ferons du pétard ! »
Je n'leur chantais pas de ces
choses
Qui font pâmer d'ais' les
fauteuils ;
Je n'montrais pas de dessous
roses
En clignant gentiment de
l'oeil;
Car je n'pouvais pas devant
l'monde
M'résoudre à c'qu'on r'luqu'
mes mollets
Et j'rougissais lorsqu'à la
ronde
On me disait à chaqu'
couplet:
Refrain
« La jambe, la jambe,
La jambe avec sa chanson !
Nous somm's venus pour ses
nichons
Et pour qu'ell' nous fass'
voir ses jambes !
Ses jambes, ses jambes,
Si nous ne voyons pas ses
jambes
Dans un retroussis frétillard
Nous ferons du pétard ! »
Bien qu'la vertu soit mon
idole
C'est un'monnaie qui n'a plus
cours
Aussi, dés ce soir je
m'enrôle
Dans le bataillon de l'amour
;
Tout comm' ces dames de la
Butte
Je veux sauter comme un cabri
Seul'ment, messieurs, pour
qu'je chahute
Faudra que vous y mettiez
l'prix.
Dernier refrain
La jambe, la jambe,
La jambe avec ma chanson !
Ressentez-vous le p'tit
frisson
A regarder ainsi mes jambes !
Mes jambes, mes jambes !
Si vous voulez mieux voir mes
jambes
Je vous attends, gros
polissons,
Demain à la maison.
Il a poussé du pouél de su'
l'vent'e à la terre,
Les poumm's vont rondiner aux
poummiers des enclos ;
Il a poussé du pouél sous les
pans des d'vanquiéres
Et les tétons rondin'nt à
c'tt' heure à plein corset...
Toutes les fill's de seize
ans se sont sentu pisser
En r'gardant par la plaine
épier les blés nouvieaux.
L'souleil leu' coll' des
bécots roug's à mém' la pieau
Qui font bouilli' leu' sang
coumme eun' cuvé' d'septemb'e,
Les chatouill's du hâl'
cour'nt sous leu's ch'misett's de chanv'e
Et d'vant les mâl's qui
pass'nt en revenant des champs
A s'sent'nt le coeur taqu'ter
coumme un moulin à vent.
Y a pas à dir'! V'là qu'il
est temps ! Il est grand temps !...
Les vieux farmiers qui vont
vend' leu' taure à la fouère
Ent'rapontront des
accordaill's en sortant d'bouére:
- « Disez-don', Mét'
Jean-Pierr', v'la vout' fill' qu'est en âge,
j'ai un gâs et j'ai tant
d'arpents d'terre au souleil.
V'là c'que j'compte y bailler
pour le mett'e en ménage.
- Tope là !... L'marché
quient !... R'tournons bouére eun' bouteille !... »
Pour fére eun' femme
hounnête, en faut pas davantage !
Voui mais, faut l'fér'!...
faut-i'-encor pouvouèr le fère?
Les garces des loué's, les souillons,
les vachères,
Cell's qu'ont qu'leu' pain et
quat' pâr's de sabiots par an,
Cell's qu'ont ren à compter
poure c'qu'est des parents,
Cell's-là, à' peuv'nt attend'
longtemps eun épouseux,
Longtemps, en par-delà
coueffé Sainte Cath'rine...
Attend'!... Mais coumment
don' qu'vous v'lez qu'a fass'nt, bon guieu !
Empêchez vouér un peu
d'fleuri'les aubépines
Et les moignieaux d'chanter
au joli coeur de Mai...
Cell's-là charch'ront l'Amour
par les mauvais senquiers !
Y a des lurons qui besougn'nt
aux métari's blanches,
On s'fait ben queuqu' galant
en dansant les Dimanches...
Et pis, pouf ! un bieau
souèr, oùsque l'on est coumm' saoûle
D'avouèr trop tournaillé au
son des violons,
On s'laiss' chouèr, enjôlé',
sous les suçons d'eun' goule
Et sous le rudaill'ment de
deux bras qui vous roulent,
Coumme eun' garbée à fér',
dans les foins qui sent'nt bons.
Queuq's moués après, quand y
a déjà d'la barbelée
Au fait' des charnissons et
des p'tits brins d'éteule,
Faut entend' clabauder,
d'vant la flamm' des jav'lées
Les grous boulhoumm's
gaîtieaux et les vieill's femm's bégueules :
« Hé ! Hé !... du coup,
Et les pauv's « michant's
chous's » qui décess'nt pâs d'enfler
Descend'nt au long des champs
ousqu'a trouvé linceul
Leu-z-innocenc'tombée, au nez
d'un clair de leune.
- Les galants sont partis pus
loin, la mouésson faite.
En sublaillant, chacun
laissant là sa chaceune,
Après avouèr, au caboulot
payé leu's dettes. –
« Quoué fer ? » Qu'a song'nt,
le front pendant su' leu' d'vanquiére
Et les deux yeux virés vars
le creux des orgniéres...
Leu' vent'e est là qui quient
tout l'mitan du frayé !
Au bourg, les vieill's
aubarg's vésounn'nt de ris d'rouyiers
Qui caus'nt d'ell's en
torchant des plats nouér's de gib'lotte ;
D'vant l'église à Mari' qu'a
conçu sans péché
Leu's noms sont écrasés sous
les langu's des bigottes
Qu'un malin p'tit vicair'
fait pécher sans conc'vouer ;
Les conscrits qui
gouépaill'nt un brin, avant d'se vouèr
Attaché's pour troués ans au grand
ch'nil des casarnes,
Dis'nt des blagu's à
l'hounneur d'la vieill' gaîté d'cheu nous :
- « Sapré garc's, pour avouér
un pansier aussi grous
A's'ont fait coumm'les vach's
qu'ont trop mangé d'luzarne ?...
Ou ben c'est-l' un caquezieau
qui l'sa piquées ?... » -
Au bourg, tout l'monde est
prêt à leu' jiter la pierre...
A's r'tourn'ront pas au bourg
les fill's au vent'e enflé,
Un matin a's prendront leu'
billet d'chemin d'fer
Et ça s'ra des putains
arrivé's à Paris...
Ben, pis qu'v'là coumm' ça
qu'est... Allez les gourgandines !...
Vous yeux ont d'l'attiranc'
coumm' yeau profond' des puits,
Vous lèvres sont prisé's pus
cher qu'un kilo d'guignes,
Les point's de vous tétons,
mieux qu'vout coeur, vout' esprit,
Vous frayront la rout' large
au travers des mépris.
C'est vout' corps en amour
qui vous a foutu d'dans,
C'est après li qu'i faut vous
ragripper à c'tt' heure ;
Y reste aux fill's pardus,
pour se r'gangner d'l'hounneur
Qu'de s'frotter - vent'e à
vent'e - avec les hounnêt's gens :
L'hounneur quient dans l'carré
d'papier d'un billet d'mille...
Allez les gourgandin's par
les quat' coins d'la ville !...
Allez fout' su'la paill' les
bieaux môssieu's dorés,
Mettez l'feu au torchon au
mitan des ménages,
Fesez tourner la boule aux
mangeux d'pain gangné
Aux p'tits fi's à papa en
attent' d'héritage.
Fesez semaill' de peine et
d'mort su' vout' passage
Allez, Allez jusqu'au fin
bout d'vout' mauvais sort,
Allez ! les gourgandin's
oeuvrez aux tâch's du mal :
Soyez ben méprisab's pour que
l'on vous adore !...
Et si vous quervez pas su'
eun' couétt' d'hôpital
Ou su' les banquett's roug's
des maisons à lanterne
Vous pourrez radeber, tête
haute, au village
En traînant tout l'butin qu'
v' aurez raflé d'bounn' guerre.
Vous s'rez des dam's à qui
qu'on dounne un çartain âge,
Vous tortill'rez du cul dans
des cotillons d'souée
V' aurez un p'tit chalet près
des ieaux ou des boués
Que v' appell'rez « Villa des
Ros's ou des Parvenches »
L'curé y gueultounn'ra avec
vous, les dimanches
En causant d'ici et d'ça,
d'morale et d'tarte aux peurnes,
Vous rendrez l'pain bénit
quand c'est qu'ça s'ra vout' tour ;
L'Quatorz' juillet, vous
mérit'rez ben d'la Patrie :
Ça s'ra vous qu'aurez l'mieux
pavouésé de tout l'bourg ;
Le bureau d'bienfaisanc'
vienra vous qu'ri des s'cours.
Aux écol's coummunal's vous
f'rez off'er de prix
Et vous s'rez presque autant
que l'mair' dans la Coummeune
...Ah ! Quand c'est qu'vous
mourrez, comben qu'on vous r'grett'ra
La musiqu', les pompiers
suivront vout' entarr'ment ;
D'chaqu' couté d'vout convoué
y aura des fill's en blanc
Qui porteront des ciarg's et
des brassé's d'lilas...
Vous s'rez eun' saint' qu'on
r'meun' gîter aux d'meur's divines...
Allez !... en attendant !...
Allez, les gourgandines !...
Qui veut des fraises du bois
joli ?
En voici, en voici
Mon panier tout rempli
Pierre DUPONT
J'ai s'coué les rein's-claud'
du peurgnier
Pour les ramasser su' la mousse
;
J'ai fait guerner les perles
douces
Des groseilliers dans mon
pagnier ;
Pis j'ai renvarsé queuqu's
bounn' liv'es
De suqu'er blanc su' les
fruits clairs
Qui cuis'nt dans ma cassine
en cuiv'e
Et v'là d'la lichad' pou
c't'hiver !
Refrain
Ah ! les bell's confitur's
varmeilles !
J'en ai aux peurn's et aux
grosseilles
C'est pou' les p'tiots
Quand c'est qu'i's vienront
vouér leu vieille
Grand'mèr' gatieau !
Quand c'est qu'i's ont ben
tapagé
Ou ben raconté des
histouéres,
Les p'tiots guign'nt le fin
haut d'l'ormouére
Plein d'pots d'confitur' ben
rangés,
Et i's dis'nt : «
grand'mère, on te le jure,
On a grand faim, on mang'rait ben. »
Mais i's lich'nt tout's les
confitures
Sans fer' de mal à leu' bout
d'pain !
Si je tourne l'nez de d'ssus
eux,
Les brigands, grimpés su'
eun' chaise,
S'bourr'nt de confitur's à
leu-z-aise
Et s'en embarbouill'nt
jusqu'aux yeux.
Alors et c'est eun' chous'
qui m'brise,
Mais c'est pou' qu'i's ne
r'commenc'nt pus !
Faut que j'corrig'leu'
gourmandise
Par eun'bounn' ciclé' su'
leu' cul !
Si j'les cicle, ces entêtés
Braill'nt coumm' des vieaux à
la bouch'rie,
Et, pour calmer leu's
pleurnich'ries
Qu'mes carress's peuv'nt pas
arrêter,
J'dis à tout's les mauvais's
figures,
J'dis à tous les p'tits airs
grognons :
« Allons, v'aurez des
confitures
Si vous pleurez pus, mes
mignons ! »
Doucement le matin s’éveille
Ouvrant ses yeux extasiés
Sur le mystère des celliers
Gardant la vendange vermeille
;
Dans l’aurore du… bonheur
luit,
D’un parfum neuf l’air se
pénètre
Et, par la campagne
aujourd’hui,
On… dirait qu’un dieu vient
de naître…
Refrain
Gloire au jeune vin nouveau !
Que chacun vienne à la ronde
Boire autour de son berceau
!...
Gloire au jeune vin nouveau
Doux consolateur du monde !
Fils du Soleil et de la Terre
Il vient, parmi l’automne
roux,
Répandre tout autour de nous
Son âme tendre et salutaire :
Il vient faire chanter des
vers
Dans les cerveaux les plus
moroses
Et dans les cœurs chargés
d’hivers
Il vient faire fleurir des
roses…
Roi tout puissant né sous le
chaume,
Sur toutes nos douleurs, il
vient
-Rédempteur simpliste et
païen-
Verser sa grâce comme un
baume ;
Et dans les celliers noirs où
sont
Accumulés ses tabernacles
Comme Jésus, blond enfançon,
Le vin nouveau fait des
miracles…
Allons vers lui ! nous autres
hommes
Pleurant et souffrant
ici-bas,
Dons la Peine alourdit les
pas
Dont de Souci trouble les
sommes,
Demandons à ce gai Sauveur
Pour Paradis un peu d’ivresse
Et pour ciel un peu de
bonheur
Sur notre terre de tristesse…
L'chef-yieu d'canton a troués
mille àm's, et guère avec.
On peut pas y péter sans
qu'tout l'monde en tersaute ;
La moquié du pays moucharde
aux chauss's de l'aut'e,
Et les vilains coups d'yeux
pond'nt les mauvés coups d'becs.
Pourtant, su' les vieux murs
nouérs coumm' l'esprit du bourg,
La bell' saison fait
berlancer des giroflées ;
Pourtant, dans l'bourg de
sournoués'rie et d'mauvais'té,
Y a -des gâs et des fill's
qui sont dans l'âg' d'amour !
V'là coumme i's s'aim'nt :
les galants r'vienn'nt, après l'ouvrage,
Par les ru's oùsqu'leus
bell's cous'nt su'l'devant d'la f'nét'e :
Un pauv' sourir' qu'a peur,
un grand bonjour bébête,
Deux grouss's pivouén's de
hont' qu'éclat'nt su' les visages,
Et c'est tout. I's font point
marcher l'divartissouér,
Rouet qu'on tourne à deux
pour filer du bounheur
Et qui reste entre eux coumme
un rouet su' l'ormouère
Pasque... Eh ! ben, et
l'Mond', quoué qu'i dirait, Seigneur !
Vous l'avez jamés vu,
l'mond', dépecer un coup'e
Qu'les écouteux ont pris en
méfait un bieau jour ?
Et su' la place, au sorti'
d'mess', par pequits groupes,
Vous l'avez jamais vu,
l'mond', baver su' l'amour ?
Alors, les fill's renfonc'nt
les envi's qui les roingent,
Souffrant tout bas l'Désir
qui piqu' dans leu' pieau blanche
Coumm' leu-z-aiguill' d'acier
dans la blancheur du linge,
Et les gâs fil'nt, sans
bruit, par el' train du dimanche ;
Car la Ville est pas loin
ousqu'y a la garnison,
L'Martroué, la Préfectur',
l'Evêché, l'Tribunal,
La Ville, enfin, la Ville
oùsqu'on trouv' des maisons...
- Vous savez, des maisons
darrièr' la cathédrale?
Donc, les gâs but'nt au nid
des tendress's à bon compte ;
Eun' grouss' chouette est
guchée au bas du lumério :
« Mes p'tits agneaux, on pai'
tout d'suite ; après on monte ! »
Les gru's accour'nt. «
Fait's-nous d'abord nos p'tits cadeaux ! »
Et les gâs pai'nt ben châr,
étant allés ben loin,
C'que les fill's de cheux eux
voudrin dounner pour ren !
Pis les gothons
s'déb'hill'nt, et, quand leu' ch'mise est chute,
D'vant leu' corps usagé par le
frott'ment des ruts,
D'vant leu's tétons, molass's
coumm' des blancs fromag's mous
Les gâs song'nt ; et i's
douèv'nt se dir' dans leu' song'rie :
« Y a des bieaux fruits qui
s' pard'nt -dans les enclos d'cheu nous,
Et faut que j'galvaudin après
des poumm's pourries ! »
Enfin, les pauv's fumell's
rentr'nt dans les bras des mâles
Coumme ent'er les limons
queuqu' pauv' jument forbue,
Et pis les v'là qu'as
pouss'nt, qu'as tir'nt et qu'as s'emballent
Pour charrouéyer les aut's
vars la joué qu'as n'trouv'nt pus !
Mais Ell's ! quand on y
pens', coumme a's rurin d'ben aise,
Les Mari'-Clair' du bourg,
les Touénons, les Thérèse,
Si qu'a's s'trouvin tertout's
ett'lé's, pour el'quart d'heure,
A la plac' des gothons d'la
Vill', leu's tristes soeurs,
Victim's coumme ell's du
Mond' qui t'naille et crucifie
Les vierg's et les putains au
nom d'la mêm' Morale !
Mais quoué ! « Leu-z-affér'
fait' », le souer, les gâs r'dévalent
Vars el' pays oùsqu' les
attend'nt leu's bounn's amies.
I's r'déval'ront souvent !
A's attendront longtemps !
D'aucuns r'viendront avec du
pouéson dans les veines,
D'aucun's dépériront, coumm'
les giroflé's viennent
A mouri' su' les murs de la
séch'ress' du temps.
Pis, par un coup, avant
d'leu' r'céder l'fonds d'boutique,
Les vieux disant : « Ma
fill', te fau'ait un bon gâs ! -
- Mon gâs, t'faurait eun'
femm' pour sarvi' la pratique ! »
I's s'uniront avec tout
l'légal tralala...
L'blé s'ra d'pis longtemps
mûr quand qu'i's noueront leu' gearbe.
Après bieaucoup
d'éguermillage i's f'ront l'amour,
Ayant r'mis au lend'main «
c'qu'i's pouvin fère el' jour »,
A caus' du mond' qui ment
jusque dans ses provarbes.
Et i's d'viendront eux mêm's
ce Monde au coeur infect
Qui fait des enfants pour
pouvouér les fer' souffri
Quand qu'arriv' la saison des
giroflé's fleuries
Dans l'michant bourg de
troués mille âm's, et guère avec.
Je viens de cueillir les
baisers derniers
D’un amour passé dont récolte
est faite ;
J’ai des souvenirs tout plein
mon grenier :
Gerbes de soucis et bouquets
de fêtes.
Mais mon cœur est tel qu’un
champ moissonné
Dont les blés ont bu jusqu’au
bout la sève,
Mon cœur est bien las !
Pourtant vous venez
Avec de l’amour à semer sans
trêve.
Refrain
Lorsqu’il a rendu plusieurs
fois moissons
— Qu’en pensez-vous, ma chère
?
Vaut-il mieux laisser son
champ en jachères
Ou l’ensemencer pour d’autres
moissons ?
Malgré l’engrais tiède et les
clairs labours
Aux champs frais fauchés les
épis sont blêmes !
Aux cœurs d’où l’on vient
d’arracher l’Amour,
L’Amour qui fleurit est un
peu de même.
Et qui sait ? Semeuse en
mauvais terrain
Épuisé qu’il est par maintes
récoltes,
Qui sait seulement si votre
bon grain
Ne tombera pas aux corbeaux
qui voltent ?
Mais les métayers comptent
toujours voir
L’or des blés jaillir de
leurs pauvres terres
Et les amoureux ont toujours
espoir
En l’Amour qui naît d’amours
qu’on enterre.
Nous comptons couper du grain
! Et, pourtant,
Si nous ne fauchions que des
brins de paille ?...
Réfléchissez donc, tandis
qu’il est temps,
Avant que d’avoir commencé
couvrailles !
J'ai gardé pour d'autres
nuitées
Les doux bécots au coin des
yeux
Et les mignardes suçotées
Au fin bout des seins
chatouilleux ;
Cette nuit, pour passer ma
rage
De ne pouvoir t'avoir
longtemps,
J'ai fait l'amour comme un
carnage,
En gueulant, griffant et
mordant.
Refrain
J'ai fait des bleus sur ta peau
blanche
A grands coups de baisers
déments :
Ton corps est un champ de
pervenches...
Va trouver tes autres amants
!..
Va les trouver, tes amants
chouettes ;
Le petit crétin bien peigné
Ou le vieux birbe à la
rosette,
Dont mon cœur a longtemps
saigné !...
Va dévoiler devant leurs
couches
Tes bras et ta poitrine ornés
Du bouquet de mes fleurs
farouches,
Et fais-leur sentir sous le
nez !...
Va les trouver l'un après
l'autre :
Petit jeune homme et vieux
monsieur...
Va les trouver pour qu'ils se
vautrent
Parmi tes bleus qui sont mes
bleus !
Et que ces bleus railleurs
leur disent,
Avec mon amour éclatant,
Leur muflerie et leur
sottise...
Et toi... dis-leur d'en faire
autant !
Je suis parti ce matin même,
Encor soûl de la nuit mais
pris
Comme d'écœurement suprême,
Crachant mes adieux à
Paris...
Et me voilà, ma bonne femme,
Oui, foutu comme quatre
sous...
Mon linge est sale aussi mon
âme...
Me voilà chez nous !
Refrain
Ma pauvre mère est en
lessive...
Maman, Maman,
Maman, ton mauvais gâs arrive
Au bon moment !...
Voici ce linge où goutta
maintes
Et maintes fois un vin amer,
Où des garces aux lèvres
peintes
Ont torché leurs bouches
d'enfer...
Et voici mon âme, plus grise
Des mêmes souillures - hélas
!
Que le plastron de ma chemise
Gris, rose et lilas...
Au fond du cuvier, où l'on
sème,
Parmi l'eau, la cendre du
four,
Que tout mon linge de bohème
Repose durant tout un jour...
Et qu'enfin mon âme, pareille
A ce déballage attristant,
Parmi ton âme - à bonne
vieille !-
Repose un instant...
Tout comme le linge confie
Sa honte à la douceur de
l'eau,
Quand je t'aurai conté ma vie
Malheureuse d'affreux salaud,
Ainsi qu'on rince à la
fontaine
Le linge au sortir du cuvier,
Mère, arrose mon âme en peine
D'un peu de pitié !
Et, lorsque tu viendras
étendre
Le linge d'iris parfumé,
Tout blanc parmi la blancheur
tendre
De la haie où fleurit le Mai,
Je veux voir mon âme, encor
pure
En dépit de son long sommeil
Dans la douleur et dans
l'ordure,
Revire au Soleil !...
A la rond' les v'là qui
vienn'nt de dix yieues ;
A's ont des couéff's
blanch's, i's ont des blous's bleues.
I's iniss' le ch'val à
l'auberg' du coin,
Et s'quitt'nt pour aller
ousqu'i's ont besoin.
I's compt'ront ensembl' les
sous empochés...
C'est tous les jeudis le jour
du marché.
Refrain
Moué, j'sés la gaup' du Bas
du Bourg ;
Et, ben hounnêt'ment, sans
jamais tricher,
Pour eun écu, j'dounn' de
l'amour...
C'est itou l'jeudi mon jour
de marché !
Quand qu'i's auront fait
monnai' d'tout's leu's graines,
De tout c'blé qu'est né
d'leu's sué's et d'leu's peines,
Ces gâs dont les gléb's dur's
mang'nt la gaieté
S'trouv'ront pris d'un grand
besoin d'joyeus'té,
Et, dam', i's song'ront
tertous à Françouése,
Eux qui n'ont d'l'amour
qu'aux bras d'eun pauv'er
Toujou's grousse ou ben en
train d'éccoucher...
C'est tous les jeudis le jour
du marché !
Dans la p'quitt' ruelle où
qu'i's sav'nt que j'gîte
I's s'en vienront m'fèr'
l'hounneur d'eun' visite :
Plan, plan, rataplan ! dans
mes cont'ervents !
Boum, badaboum ! dessus mon
lit blanc !
Et j's'rai l'four banal qui
dounn' tout's les s'maines
Eun' fourné' d'amour aux bons
marchands d'graines
Qu'ont cheux eux un four
qu'est toujou's bouché...
C'est tous les jeudis le jour
du marché.
Comme i's vend'nt leu' blé,
comme a vend'nt leu' beurre,
J'leu' vends des mamours qui
dur'nt un quart d'heure...
Tous les mangeux d'pain n'ont
pas l'mal-parler
Pour les marchands d'grain's
qui leu' vend'nt du blé ;
Pourquoi don', à c' cas,
qu'tous les marchands d'graines
M'jett'nt à qui mieux mieux
des piarr's à mains pleines
A moué qui leu' vends ça
qu'i's viennent charcher ?
C'est tous les jeudis le jour
du marché.
Moué, j'sés la Françouése à
tout le monde !
Pisque c'est comm' ça,
pourquoé m'en cacher?
J'lou mes yeux doux et ma
chair blonde.
C'est itou l'jeudi mon jour
de marché.
A la loué' de
Un fermier qui s' râtlait des
rentes
Dans l' champ d' misér' des
pauvres gens
Alla s'enquéri' d'eun'
servante.
Après avoir hoché longtemps,
Pour quatr' pair's de sabiots
par an
Avec la croûte et pis l' log'ment,
I' fit embauch' de la
Julie...
La Julie était si jolie !
L'empléya, sans un brin de
r'pos
Du fin matin à la nuit
grande,
A m'ner pâturer les bestiaux
Dans l'herbe peineus' de la
lande;
Mais un soir qu'il 'tait tout
joyeux
D'avoir liché queuqu's coups
d'vin vieux
l' s' sentit d'venir amoureux
Et sauta dans l' lit d' la
Julie...
La Julie était si jolie !
D'pis c'jour-là, d'venu fou
d'amour
I' t'y paya des amusettes,
Des affutiaux qu' l'orfév' du
bourg
Vous compt' toujou's les yeux
d' la tête;
Pis, vendit brémaill's et
genêts,
Vendit sa lande et son
troupet
A seul' fin d' se fair' des
jaunets
Pour mett' dans l' bas blanc
d' la Julie...
La Julie était si jolie !
Si ben qu'un coup qu'il eut
pus ren
Ayant donné jusqu'à sa ferme,
A l' mit dehors, aux vents du
ch'min,
Comme un gâs qui pai' pus son
terme ;
Mais c' jour-là, c'était
Pour quat' pair's de sabiots
par an
Avec la croûte et pis l'
log'ment,
I' s'embaucha cheu la
Julie...
La Julie était si jolie !
Pièce en un acte de Gaston
COUTE et Maurice LUCAS
C'est presque le soir.
Le cantonnier, le maire
Le cantonnier, menant le
maire vers l'abri :
Moué, 'lexis, quouéque tu
veux que je te dise ?... J'en sais guère pus long que toué... C'est queuque
passager !... Je l'ai trouvé l'âme à l'envers sous m'n abri et qui bouchonnait,
qui bouchonnait, qui bouchonnait l’devant d’sa blouse à défaut d’draps... Quand
qu'on se met à bouchonner, c'est signe que la môrt est pâs loin !... Quoué
faire ?... jamais ren faire sans le maire !... j'ai couru te qu'ri !... Et
pisque nous v'là rendus tu vas ben vouer par toué-même.
(Désignant l'abri) Quiens !
il est là n'-d'dans !
(Poussant la brouette et
passant sa tête sous l'abri) Hé l'homme ! hé l'homme ! eh ben, quoué don ?...
Hé !... l’répond miette ! l’bouge pus !...Dam' t't-à.l'heure i' bouchonnait :
quand qu'on se met à bouchonner... l’est môrt, ej’crés ben ?... Regarde-don' !
Le maire, prenant la place du
cantonnier
Mais c'est le traîneux qu'est
entré c’tantout à la mair'rie...Heu !... fait ben grise mine !... Enfin, si
c'était qu'eune faiblesse, des foués ? Secoue-le don' 'core un peu !...
(Après être sorti de l'abri)
Et pis, eune idée... passe-z-y vouèr les verres de mes leunettes par en d'ssous
le nez et d'vant
(Avec son mouchoir à carreaux
il essuie soigneusement les lunettes qu'il tend au cantonnier)
Le cantonnier, après
l'expérience
Les v'là, tes leunettes !...
et tu peux ben lire ton journal avec, si tu veux : c'est pas sa buée qui te
barbouillera la vue !... i' souffle pus !... c'est fini, quoué !
Le maire, après
avoir examiné les lunettes attentivement
C'est fini!... c'est fini
!... c'est fini... pour li, que tu veux dire... mais pour nous aut'es, ça va
commencer, les embêtements!... Tu sais ben que c'est eune sale histouére qui
nous arrive là, Mitaine ?
Le cantonnier
Sûr que voui!
Le maire
D'abôrd, de quoué qu'i' peut
ben ét'e môrt ?... pourvu que ça soit pas d'eune maladie qui se donne ?...
c'est que j'aurions le germe au sein de la commune à c'tt' heure.
Le cantonnier
Oin !... mais non !... 'l est
môrt, pasqu'il est môrt !... ou mieux que ça, quiens !... pas la peine d'aller
en chercher si long !... 'l est môrt... de besoin - tout simplement !
Le maire
T'as raison !... c'est
probab'e... et ça vaut mieux !... voui, c’gâs, il est entré c’tantout à la
mair'rie... I' voulait un secours...
Le cantonnier
Et comme je voués, t'a pas
jugé à propos...
Le maire
Dam', i' s sont tertous à demander
des secours, les traîneux qui passent !... mais nom de guieu ! i's se figurent
don' que j'en avons à foutre par la fenêtre !... La commune est pas si riche et
aile a ben assez d'indigents déjà... Ça me fait songer que j'allons 'core en
avouèr eune de pus au bureau de bienfaisance : la veuve à Grison, Grison qui
s'est tué en tombant d'un tremble, comme il émondait su' la route, pour le
compte de la municipalité...
Le cantonnier
C'tte pauv' femme !
Le maire
Enfin, elle !... qu'on la
soutienne : bon, elle est d'ici ! mais les traîneux qui passent, ça ne nous
regarde pas !... Après tout, moué, je connais qu'eune chouse : les secours de
la commune doivent aller à ceuss qui sont de
Le cantonnier
Y a pâs d'aubours !... Et
c'ti-là d'oùsqu'i' peut ben ressourcer ?... je vas le fouiller !... p'tét'e
qu'il a des papiers su li ?...
Le maire
Ben rare !... j'y ai demandé
à c’tantout... s'il en avait èvu, j'y aurais donné un mot pour aller jusqu'au
canton... mais ren !... Du moment qu'i' n'en avait point à produire dans son
intérêt, guette, mon grous, qu'i' va en avouèr pour nous rend'e service?...
Fouille-le tout de même : j'en aurons le cœur net !
Le cantonnier, après avoir
fouillé
Ma foué ! j'ai ren trouvé...
Le maire
Qui don' qui sait ?...
P't-ét'e qu'il a de la famille qu'aurait pu le reprend'e ?... mais à qui
s'adresser, de c'tt' affaire-là ?...
Le cantonnier
De c'tt' affaire-là... heu...
Le maire
De c'tt' affaire-là... va
trous rester su' les bras !... 'acré nom de guieu de nom de guieu ! ! !
Vouéyons, Mitaine, va fallouér aviser? (Il se promène un instant sans rien
aviser.)
Le cantonnier
Si j'allais qu'ri les
gendarmes ?...
Le maire
Les gendarmes !... brusquons
pas !... i' sera toujou's temps d'aller les qu'ri... Dans eune saprée machine
comme ça, qu'est pas coutume, faut pas y aller en étourdieaux...Avisons d'abord
!
Le cantonnier
C'est bon !... (Apercevant le
garde champêtre.) Quiens !...v'là not' garde !... il arrive ben... c'est comme
si qu'il aurait flairé qu'i va y avouér de la besogne pour li !
Le maire
D’la besogne pour Ii ?... y
en a au long de l'ieau... A c'tt' heure, je n'avons que faire de ses services,
icite... pasque...pasque, là !... Avisons d'abord, que j'te dis !... et tiens
ta langue !
Le cantonnier
'A pas peur, moué, j’la tiens
! (Désignant l'abri) Tant qu'à c'ti-là c'est pas li qui veut lever la sienne !
Le cantonnier, le
maire, le garde
Le maire, au garde
Quiens, c'est toué que v'là
par icite ?
Le garde
Comme vous vouéyez !
Le maire
C'est ben. Pisque te v'là,
que je te touche deux mots ! Je voulais déjà te causer à ce sujet-là, un matin,
et pis ça m'est sortu de l'idée... Dis don' paraîtrait qu'y a des coll'teux qui
viennent de Bucy...
Le garde
Ah ! j'en ai pas eu vent !
Le maire
C'est pâs ce qui prouve en ta
faveur... tu devrais déjà être renseigné : je te payons pour. L'autre jour,
t'as verbalisé contre Piédallu... qu'est de la commune : c'est pas que je t'en
fasse un reproche. Du moment qu'y a eune loi t'es forcé de la faire respecter
?... Seulement, je vourai tout de même pas que tu laisses les galvaudeux des
communes de tout autour veni' coll'ter su' la nôt'e !
Le cantonnier
I's sont bien forcés... Coll'ter
! Des brochets à coll'ter !... I's en ont pas su' leu' bras de rivière qu'on
est toujou's à voliner rapport aux moulins... Les brochets ! ça se plait dans
la quenouillée ! ça aime dormi son midi tranquille, les brochets !... Comment
qu'i's pourrin dormi tranquilles avec des coups de dragues et des lancées de
fauch'tons à tout bout d'champ... I's se parquent tertous su' not' bras, dans
les rouches, les querssons, les vescins, et i's passent pâs
Le maire
Tout ça, c'est pâs des
raisons ! En admettant qu'on soit coll'teux - ce qu'est défendu ! - quand y a
ren à coll'ter cheu soué... on coll'te pâs ; on va pâs coll'ter cheu les aut'es
!... V'là pourtant ce qui se passe, et faut point de ça... T'entends ben, garde
? Ouvre l'œil et le bon !
Le garde
V'avez ben fait de m'averti,
môssieu le maire ; mais vous pouvez être tranquille... je descends de ce pâs
jusqu'au long de l'ieau et gare !... Ah ! me v'là parti !... A demain !... Y
aura p't-ét'e du nouvieau ! (Il part. )
Le cantonnier, le maire
Le maire, regardant le
garde s'éloigner
Ah ! v'là un gâs qu'a sa
ligne de conduite toute tracée, li !... c'est pas comme nous !... Je sommes pas
au bout de not' tortillon, tu sais, Mitaine... Tu te fais-t-y seulement eune
idée de tous les désagréments qui nous attendent?
Le cantonnier
Que si que j’m'en fait ben
une idée ; mais va y en avouér tellement !... Ren que pour commencer... on peut
pas le laisser là... t'as-t-y un local sous la main pour l'installer en
attendant le permis d'inhumer du médecin ?
Le maire, après réflexion
Le préau de l'école ?...
c'est pas demain dimanche !... y a classe !... La salle de la mair'rie ? y a
réunion du Conseil, à c’souér... c'est vrai, je voués pâs d'endret, moué non
pus !
Le cantonnier
Ça fait ren ! mettons qu'il
est câsé pour à c'souér. Demain ?... c'est un cercueil, c'est eune fosse...
Le maire
Et c'est la commune,
'turell'ment, qui sera obligée de li payer tout ça !
Le cantonnier
Après-demain, faura
l'enterrer... y a guère possibilité de l'enterrer avant... Après-demain,
justement ça tombe que c'est dimanche, l'assemblée !...
Le maire
Voui, eun évènement comme ça
c'est pas fait bieaucoup pour faire rire la fête...
Le cantonnier
Y a aut' chose !... A queu
bout du cimetière que tu comptes le mett'e ?
Le maire
Ah ! dam... ça c'est à
considérer ; faut ménager les suscesstibilités... A côté de qui qu'on pourrait
ben le mett'e ?
Le cantonnier
C'est à vouèr ?
Le maire
Et de ben prés, même ! de ben
prés !... Y a des familles que ça pourrait formaliser de se vouèr allonger en
cont'e un de leurs memb'es un citouéyen comme c'ti-là !
Le cantonnier
Le fait est qu'y a pas de
quoué se trouver flatté non pus !... Enfin, à part la rangée de l'ancien
adjoint et celle de Mme de Brizon, la donatrice, ousqu'il est pas Dieu possible
qu'on puisse seulement songer à le mett'e, je voués déjà pus tant de places que
ça, dans le cimetière !...
Le maire
Dam', i' s'emplit un peu pus,
tous les ans, de tous les ceuss que j'avons perdus dans l'année, et i' date pas
d'hier ! mais, au train que ça va là, si tous les étrangers viennent nous le
boucher, où don' que c'est que je nous ferons enterrer après, nous et les
nôt'es ?
Le cantonnier
J’songe... el’coin à Magloire
le pendu ?
Le maire
Voui... si Magloire le pendu
était pâs le bieau-frère à Suchet-Magloire du Conseil... un bon, qu'a toujou's
ben voté... On dirait que je manque de taqute !
Le cantonnier
Y a tout le temps des
malintentionnés qui trouvent à redire su' tout !...
Le maire
J’sais ben... c'est justement
pour ça... v'là les élections qu'approchent... Tu t'en rappelles, des
dargniéres?... ben, mon gâs, i' s'en est pas fallu des tâs et des tâs pour que
M. Mothiron Gustave me monte su' 1' pouél... M. Mothiron Gustave, qu'est venu
établi' sa fabrique cheu nous, v'là core pâs neuf ans, me monter su' l’pouél à
moué, natif d'icite, maire depis j'sais pus comben, qui s'a toujou's mis en
quat'e pour la commune !... quoué que tu dis de ça, toué, Mitaine ?
Le cantonnier
Je dis que la faute en est
aux ouvriers qu'i' fait veni' de côtés et d'aut'es, mais que le monde d'icite
sait ben que M. Mothiron Gustave c'est tout ce qu'on voura : eun honnête homme,
eun homme capable, un sincère républicain, p't-ét'e ?... mais que pour ét'e de
la commune : il en est pâs et que, par conséquent, i' peut pâs en connaît'e les
besoins comme toué !
Le maire
Enfin, quoué qu'i' ferait,
li, M. Mothiron Gustave si qu'i' serait à ma place à c'tt 'heure?... 'serait
p't-ét'e 'core pus emprunté que moué ?
Le cantonnier
Ça se pourrait ben, va 'lexis
!
(On entend la chanson des
conscrits)
Dans un village de l'Alsace,
Parmi les soldats du
vainqueur,
Une blonde fillette passe
En murmurant d'un air
vengeur...
Le maire
Allons bon !... c'est comme
un fait exprès... eune route qu'est si peu passagère de coutume... y a pâs
moyen d'avouér eune minute pour aviser... V'là les conscrits, à présent !
Le cantonnier, avec un brin
d'admiration
Encore!... les cochons!...
depis la revision ça fait leu' trouésième jour de bordée sans décesser !...
Le cantonnier, le maire, les
conscrits
Les conscrits
Salut, môssieu le maire !
Le maire
Salut, salut, les gâs !...
vous v'là ben gaîtieaux, à c'souér ?
Premier conscrit
Pas d'quoué ét'e tristes !
Le cantonnier, au deuxième conscrit,
qui a le nez écorché
Quiens, t'as voulu casser mes
cailloux avec ton nez, toué, gâs !... on doute de ren quand on est saoûl !
Deuxième conscrit
Parguié oui... saoûl... c'est
un coup de poing, si tu veux le savouér...
Premier conscrit
On vient de s'en foutre eune
roulée avec ceuss de Bucy.
Deuxième conscrit
Nom de guieu !... la belle
roustée qu'i' sont reçue !... y a l’michant Jusseaume qu'en a les oreilles
toutes décollées !
Le cantonnier
Bougre !... vous y allez pâs de
main-morte, vous aut'es !... pour ça, v' êt's taillés... des vrais harcules,
quoué !
Les conscrits, ensemble,
sautant ,sur un pied et faisant le salut militaire
Bons pour le service !
Le maire, considérant les
conscrits
Des maît'es gâs comme ça, on
va te les verser d'emblée dans l'artillerie !...
Premier conscrit
J'veux ben !... là ou
ailleurs... j'm'en fous !
Le cantonnier
Dis pâs ça, mon couillon !...
c'est eune belle arme, l'artil'rie... moué..., j'y ai servi : je m'en fais
glouére et honneur... Si tu nous avais vus en Crimée !... et pis 70 est venu...
J'avons rendu ben des services, nous aut'es, dans l'artii'rie ; mais les
Prussiens avin des canons, des canons...
Le maire
Ah ! dam !... Après le
conseil de révision, j'ai vu l'officier de recrutement qui disait au
sous-préfet : "Mon cher, aujord'hui, y a que l'artil'rie, c'est de
l'artii'rie que dépend le sort des batailles !... " Hein !... " C'est
de l'artii'rie que dépend le sort des batailles ! " on s'est outillé depis
70... A la prochaine guerre, c'est vous qui nous les ferez rendre, les
provinces pardues, ,v'entendez ben, les artilleurs !
Deuxième conscrit, un peu ému
Mais voui, môssieu le maire,
qu'on entend ben... Guieu merci.., on n'est point sourd !...
Premier conscrit, rigolant
C'est pas comme Jusseaume ;
i' doit 'core avouèr le bourdon dans l'oreille des tapes qu'il a reçues.., y a
le grand Liche-Tout qu'a pas écopé, li, an'hui : i' fait le malin... Le premier
coup qu'on se battra avec ceuss de Bucy faura itou y abîmer un peu la gueule pour
y faire vouèr !... (Au deuxième conscrit. ) Dis don', j'allons pas prendre
racine icite... on s'en va.
Le deuxième conscrit
Eh ben, en route.., j'allons
bouére un lit'e cheu Goupil... V'là ta journée finie, toué, Mitaine?... v'êtes
pas de trop, créyez ben, môssieu le maire !...
Le maire
Merci, les gâs.., j'ai 'core
à faire un peu avec Mitaine.. ça sera pour la revoyée. (Voyant venir Marie.) Et
pis, du reste, v'là de la compagnie qui vous sera pus agrèab'e que la nôt'e
pour faire route jusqu'au bourg...
Le cantonnier, le maire, les
conscrits, Marie Roule-ta-Bosse
Le maire, à la Marie
Te v'là déjà qui trottes,
toué, la Marie ?
La Marie
Ah ! v'là bel an que j'sés
debout !...
Premier conscrit
On s'arrête pas pour si peu,
'c’pas, la Marie ?
La Marie
C'est pas le moment de
feignanter... y a eune goule de pus, cheu nous, à c'tt'heure... faut aller...
Le maire
I'se fait vivre, comme ça,
ton petit ?
La Marie
Si i' se fait vivre ?... mais
i' vient comme un chou ! je l'avons mis l'autre jour su' la bascule ! i' pèse
dix livres moins cent grammes.
Le cantonnier
La mauvaise harbe ça pousse
toujou's !
La Marie
Parguié !... c'est pour ça
que v'avez poussé, vous ! (Rires.)
Deuxième conscrit
Pan, Mitaine !... attrape
!... c'est que faut pas s'y frotter à la Marie !
Le cantonnier
Faut pas s'y frotter ?... a
pourtant ben fallu que queuqu'un s'y frotte !... qui qui y a fait l’petit qu'a'
vient d'amener ?... c'est pas le Saint-Esprit ?
La Marie
Ah ! pour ça, non !... je vas
pas assez souvent à confesse...
Le cantonnier
Qui que c'est, à c’câs-là?...
Dis-nous qui que c'est ?... Tu veux pas nous dire qui que c'est, la Marie ?
La Marie
Pourquoué fére ?
Le cantonnier
Pour savouér, quiens !
La Marie
Que ça vous regarde...
j'ai-t-y des comptes à vous rend'e à vous? (En causant, elle s'asseoit sur le
bord de la brouette.)
Le cantonnier
Ah ! toué, tu fais la
maline... mais, au fond, j'sais ben pourquoué que tu veux pâs le dire !...
c'est que tu t'en rappelles pus, là !... Vouéyons (Désignant le Premier
Conscrit) C'est-t-y li?... (Désignant le Deuxième Conscrit) C'est t-y li ?
Le premier conscrit,
désignant le cantonnier
C'est-t-y li ? Oh ! vieux
Chausson de Mitaine !.., l’en serait ben capab'e ?...
Le cantonnier
Ah ! non i... mes pauv's
grous.., je le regrette ; mais v'là bieau temps que le brancard de ma
berrouette est cassé... (A la Marie) C'est-y le Baïeux qu'a fait la mouésson
avec toué? c'est-y le gâs au sabotier que t'en ratais pas eune avec li, aux
danses el’dimanche... c'est-y Pitance, Pitance, de Bucy qu'était toujou's
fourré dans tes cottes, par un moment?...
La Marie, se récriant
Pitance.., de Bucy !.., ah
non !... pas c'ti-là !... et pis, tenez, v'là ce qu'en est au sujet de Pitance,
de Bucy... I' m'a rôdé dans les cottes, ça, c'est vrai : j'y pouvais ren !...
Mais un jour qu'i' voulait à toutes forces, j'y ai dit : " J’veux pas,
avec toué !... va à Bucy, va avec les filles de cheu vous ! " Et Pitance
est pas revenu ! Après tout, quouéque je risque, à présent ; je veux pâs me
faire passer pour eune qui sait pas ce que c'est ; mon petit est là pour
crailler le contraire... eh ben, voui !... je me sés jamais ren refusé, de
c’côté-là ; mais, dans mes préférences.., je sés jamais sortu de la commune...
ça, j’peux vous le jurer ! et su' la tête de mon petit, si vous voulez !
Le cantonnier, s'exclaffant
Ah bon guieu d’Marie !... bon
guieu d’Marie !
Le maire, qui s'impatiente
Dis-don', Mitaine... t'es à
ton affaire... du moment que tu racontes des cochonneries... y a pourtant aut'e
chose qui presse pus que ça... hein?
Le cantonnier
C'est vrai ! 'lexis
(Congédiant les conscrits et la Marie)
Le maire
Allons, à revouér, mes
enfants !... amusez vous ben... on est jeune qu'un coup !...
Deuxième conscrit, en s'en
allant et soulevant la brouette où s'est assise la Marie
Quiens, bouge pus, la
Marie... je parie que je te roule comme ça jusqu'au bourg... bon guieu ! que
t'es lourde !... t'es pourtant déchargée d'un bon poids... t'es trop lourde
!... J’déhotte tout. (Il culbute la brouette. )
La Marie, se relevant en
riant
Grand couillon, avec ton
écorchasse au nez ! (Le Premier Conscrit, qui l'a aidée à se relever, lui
empoigne un bras,- le Deuxième Conscrit se saisit de l'autre et ils partent
tous en chantant.)
Le cantonnier, le maire
Le cantonnier
Eh ben, t'as avisé... quoué
que je faisons ?...
Le maire
Hein ?... 'acré nom de guieu
de nom guieu de galvaudeux !... i' pouvait pâs seulement aller querver pus loin
?
Le cantonnier
Pour ça, il avait pâs des
masses de chemin à faire...
Le maire
C'est vrai... v'là le champ à
Bouzier, là, devant nous, tout en luzarne... j'ai 'core vu l'aut'e jour, su' le
cadastre, que c'était le champ à Bouzier qui faisait la limite de la commune,
du côté de Bucy.
Le cantonnier
Quiens, j'avais toujou's eu
idée que c'était le grand orme...un peu pus loin, au bout de la sente.
Le maire
Non, non !... j’te dis que
j'ai vu le cadastre; l'orme est su' Bucy... Comme tu voués, à -dix pas de
pus...
Le cantonnier
C'était ben du tracas de
moins !
Le maire
Ben sûr... Tout -de même,
c'est pâs à dix pas de pus qu'il est tombé... c'est icite !...
Le cantonnier
Ça, on pouvait pâs y en
empêcher ; mais...
Le maire
Vouéyons, Mitaine, faut en
fini'. Ecoute moué. On se connaît pas d'hier tous les deux. Tu te rappelles,
dans le temps, quand j'allin en classe, c'était à qui qui ferait des niches au
maître d'école... et pus tard, qu'on était conscrits, j'en avons-t-y fait des
bonnes blagues ? hein ! Ce coup que j'étions descendus dans la cave à défunt
mon père !... Dis, tu te rappelles, y en avait jamais un pour vendre l'aut'e !
eh ben, là, Mitaine, j'ai eune idée... dans l'intérêt de la commune - comme de
juste ! -
Le cantonnier
Moué itou ! 'Iexis, j'en ai
eune !
Le maire
Tant mieux... ça fait deux
!...
Le cantonnier
Savouér?... si c'était la
même ?
Le maire
V'là... je retirons le corps
de là-n-dans... je le chargeons dans ta berrouette...
Le cantonnier
J'écarte ma pieau de bique
par en-dessus...
Le maire
T'écarte ta pieau de bique
par en-dessus... voui !... tu y es !... t'avais ben même idée que moué... 'acré
Mitaine, va !... Tu fous queuques tours de roue à ta berrouette...
Le cantonnier
Et pouf !... je déhotte not'
traîneux su' Bucy... C'est moins gai que de déhotter eune fille su' la route,
comme les conscrits de tantoût, mais, bah !...
Le maire
Allons-y... et magnons-nous !
(Ils tirent le cadavre de l'abri, le chargent sur la brouette et le couvrent de
la peau de bique)
Le cantonnier, tout en
arrangeant la peau de bique sur le cadavre
Ah ! c'est dommage que ça
puisse pas se dire !... la commune saura jamais ce que t'as fait pour elle, à
c’souèr, 'Iexis?
Le maire
Ça fait ren, Mitaine !...
Va... et déhotte-le.... tout de même pâs avant que d'être de l'aut'e côté du
grand orme... pour être pus sûr !...
Le cantonnier part avec la
brouette ; le maire le regarde s'éloigner.
Ma chatte grise était
insupportable
Et vieille de treize ans au
moins :
Elle volait ma viande sur la
table
Et foirait partout dans les
coins !
Je vous avais aussi,
maîtresse brune
Et jeune autant qu'il est
permis :
Vous me faisiez des scènes
importunes
Et couchiez avec mes amis.
Refrain
J'ai tué notre amour
(Il fallait en finir !)
J'ai tué notre amour
Comme j'ai l'autre jour
Noyé ma chatte grise.
Dans l'étang vert où flottent
des charognes
J'ai, d'un geste plein de
dégoût,
Jeté ma chatte aux façons
sans vergogne,
Avec un bloc de grés au cou ;
Et vous, maîtresse aux
trahisons sans nombre,
Je vous ai jetée dans Paris,
Grand étang noir où plus
d'une âme sombre,
Avec le poids de mon mépris.
Lorsque j'ai vu mourir ses
feux d'agate
Dans l'onde couleur
vert-de-gris,
Je me suis dit : « Ma pauvre
vieille chatte !...
Elle attrapait bien les
souris ! »
Depuis le froid tantôt où
vous partîtes
Lorsque parfois je me
souviens,
Je pense au fond de moi : «
Pauvre petite !...
Après tout, elle m'aimait
bien! »
Lors, maintenant, sur l'étang
vert qui porte
Malgré les gros pavés de
grés,
L'amas flottant des pauvres
bêtes mortes
Je vois monter tous mes
regrets ;
Et, dans la rue infernale où
subsiste
Un lambeau de mon amour mort,
Lorsque je vois les filles
aux seins tristes,
Je vois passer tous mes
remords.
Elle avait les mains
blanches, blanches,
Comme deux frêles branches
D'un aubier de mai ;
Elle avait les mains
blanches, blanches
Et c'est pour ça que je
l'aimais.
Elle travaillait aux vignes ;
Mais les caresses malignes
Du grand soleil
Et l'affront des hâles
Avaient respecté sa chair
pâle
Où trônait mon baiser
vermeil.
Et ses mains restaient
blanches, blanches,
Comme deux frêles branches
D'un aubier de mai.
Et ses mains restaient
blanches, blanches
Et toujours ! toujours ! je
l'aimais
Mais un monsieur de la ville
Avec ses billets de mille
Bien épinglés
Vint trouver son père
Aux fins des vendanges
dernières
Et s'arrangea pour me
voler...
Me voler la main blanche,
blanche,
Comme une frêle branche
D'un aubier de mai,
Me voler la main blanche,
blanche
La main de celle que j'aimais
!
Au seul penser de la scène
Où l'Autre, en sa patte
pleine
D'or et d'argent,
Broierait les mains chères
Au nez du maire et du
vicaire,
J'ai laissé ma raison aux
champs,
Lui ! toucher aux mains
blanches, blanches,
Comme deux frêles branches
D'un aubier de mai,
Lui ! toucher aux mains
blanches, blanches,
Aux mains de celle que
j'aimais
La veille -du mariage,
Chez le charron du village
Je fus quérir
Un fer de cognée,
Et m'en servis à la nuitée,
Quand ma belle fut à dormir.
J'ai coupé ses mains
blanches, blanches,
Comme deux frêles branches
D'un aubier de mai,
J'ai coupé ses mains
blanches, blanches...
C'était pour ça que je
l'aimais !
Je r'pass’tous les ans
quasiment
Dans les mêm's parages,
Et tous les ans j'trouv' du
chang'ment
De d'ssus mon passage ;
A tous les coups c'est pas
l'mêm' chien
Qui gueule à mes chausses ;
Et pis voyons, si je
m'souviens,
Voyons dans c'coin d'Beauce.
Y avait dans l'temps un bieau
grand ch'min
- Cheminot, cheminot, chemine
! -
A c't'heur' n'est pas pus
grand qu'ma main...
Par où donc que j'chemin'rai
d'main?
En Beauc’vous les connaissez
pas ?
Pour que ren n'se parde,
Mang'rint on n'sait quoué ces
gas-là,
l's mang'rint d'la marde !
Le ch'min c'était, à leu'
jugé
D'la bonn' terr' pardue :
A chaqu’labour i's l'ont
mangé
D'un sillon d'charrue...
Z'ont groussi leu's arpents
goulus
D'un peu d'gléb' tout' neuve
;
Mais l'pauv' chemin en est
d'venu
Minc’comme eun' couleuve.
Et moué qu'avais qu'li sous
les cieux
Pour poser guibolle !...
L'chemin à tout l'mond', nom
de Guieu !
C'est mon bien qu'on m'vole
!...
Z'ont semé du blé su
l'terrain
Qu'i's r'tir'nt à ma route ;
Mais si j'leu's en d'mande un
bout d'pain,
l's m'envoy'nt fair' foute !
Et c'est p't-êt' ben pour ça
que j'voués,
A m'sur' que c'blé monte,
Les épis baisser l'nez d'vant
moué
Comm' s'i's avaient honte
!...
O mon bieau p'tit ch'min gris
et blanc
Su' l'dos d'qui que j'passe !
J'veux pus qu'on t'serr'
comm' ça les flancs,
Car moué, j'veux d'l'espace !
Ousqu'est mes allumett's?...
A sont
Dans l'fond d'ma
pann'tière...
Et j'f'rai ben r'culer vos
mouéssons,
Ah ! les mangeux d'terre !...
Y avait dans l'temps un bieau
grand ch'min,
- Cheminot, cheminot, chemine
! -
A c't'heur' n'est pas pus
grand qu'ma main...
J'pourrais bien l'élargir,
demain !
J'suis un garçon plein de
scrupules,
Tout l'mond’connaît ma
probité ;
Malheureus'ment, j'suis
affecté
De quelques mani's ridicules
:
Lorsque mes affaires
réclament
Que j'sois levé de bon matin,
Pour être à l'heur'le
lendemain,
J'couch' le soir chez
un'petit femme !
Refrain
J'laiss’des pavés
Dans les cafés,
J'plant' des drapeaux
Chez les bistros.
J'pos’des lapins
Aux pauvr's p'tit's femmes.
J'boulott' chez un bistro
très chouette ;
Mais, comm' j'lui donn'
jamais d'argent
J'suis avec lui très
exigeant,
Pour lui fair' croir' qu'j'ai
d'la galette.
Quand j'ai pompé à fortes
doses,
J'vais parler au garçon tout
bas
Et s'il m'fait d'l'oeil il
n'me r'voit pas,
Ou s'il me r'voit c'est la
mêm' chose.
D'puis l'temps que j'fais mes
escapades
De lapins j'ai tout un
clapier,
De drapeaux j'ai tout un
trophée
Et d'pavés toute un'
barricade
Il n'y a qu'un' chos’qui me
gêne,
C'est mes pavés qui m'barr'nt
le ch'min,
Pour aller d'Montmartre à
Pantin,
Faut que j'prenn' par
l'Av'nu' du Maine,
Chaqu’Dimanch' le bon
Bruxellois
Pour la Patrie et pour le roi
Arbor' des allur's militaires
Tous les citoyens
d'Moolenbeck,
Du boulanger à l'apoteck,
Se mettent sur le pied de
guerre...
Alors faut les voir passer
dans c'tt'état
Fredonnant grav'ment ce petit
refrain-là :
Refrain
Godfordom ! ça est d'la
fatiqu'
D'êtr' gard’civiqu'
Mais ça est quand mêm'
chic...
Godfordom ! c'est lourd un
fusil
C'est dang'reux aussi
Mais on a d'beaux habits
Godfordom !
Godfordom !
Celui-là qui commande en chef
C'est tout bonnement le gros
Jef
Le charcutier de sur la place
;
II a la têt' de Poléon
A part que ses ch'veux y sont
blonds
Il veut que ça pète ou qu'ça
casse...
Aussi faut entend’les
vaillants soldats
A chacun d'ses ordr's
entonner cet air-là :
Refrain
Godfordom ! ça est d'la
fatiqu'
D'étr' gard’civiqu'
Mais ça est quand mêm'
chic...
Godfordom ! halte pour un'
fois
Jefke... ou sans quoi
On s'fournit plus chez toi !
Godfordom !
Godfordom !
La.d'ssus, le bon Van den
Bistroo
Qui tient un débit de faro
Dit, épongeant sa fac’qui
suinte :
" Aï ! voyons, faut pas
s'engueuler ;
l'fait trop chaud. Mieux vaut
aller
Chez moi profiter sur un'
pinte ! "...
Alors, tout le mond’s'en va
boir' comm' ça
Dans l'estaminet en chantant
cet air-là
Refrain
Godfordom ! ça est d'la
fatiqu'
D'étr' gard’civiqu'
Mais ça est quand mêm'
chic...
Godfordom ! c'est Jef qu'est
l'plus saoul
C'est juste après tout
Car c'est l'chef, savez-vous
?
Godfordom !
Godfordom !
L'soir, les voyant rentrer
avec
Un' joyeus’cuit' dans
Moolenbeck
Ayant servi l'Roi, la Patrie,
Leurs femm', fiér's de tels
héros
Leur ouvrent les bras ronds
et gros
Et les étouff'nt de
calin'ries...
Alors en s'laissant glisser
dans les draps
Soldats et gradés soupir'nt
ce r'frain-là :
Refrain
Godfordom ! ça est d'la
fatiqu'
D'êtr' gard’civiqu'
Mais ça est quand mêm'
chic...
Godfordom ! d'puis c'matin
qu'je m'tu'
Tant pis ! j'n'en peux plus
Maint'nant je tire au...
Godfordom !
Godfordom !
Paroles
de G. COUTE et SEIDER
Musique
de Alcib MARIO
J’avais pourtant jeté mon blé
Au mitan d’un champ bien
sarclé,
Et j’étais sûr de ma semence.
J’avais placé mon cœur
pourtant
Parmi le cœur le plus
constant,
Et j’étais plein de confiance
!
Refrain
Mais la mauvaise herbe
(Voyez ma gerbe
Et mes amours...)
Mais la mauvaise herbe,
Ça pousse toujours !...
Sans qu’on ait jamais su
comment
L’ivraie — à côté du froment
—
Germa dans la terre endormie.
Et le mensonge vint un jour,
Éclore auprès de mon amour
Dans le petit cœur de ma mie
!
Refrain
Car la mauvaise herbe, etc.
De mes sillons, après
l’hiver,
En même temps que le blé
vert,
Ont surgi les nielles
traîtresses,
Et j’ai senti la trahison
Ainsi qu’une fleur de poison,
Sous les roses de nos
caresses.
Refrain
Ah ! la mauvaise herbe, etc.
Nielle et chiendent ont
triomphé
Et mon blé, par eux, étouffé,
A péri partout dans la plaine
Mon pauvre amour est mort
aussi !
Mon pauvre amour est mort
ainsi :
Écrasé sous un peu de haine !
Refrain
...Sous la mauvaise herbe,
etc.
On coupe aujourd’hui les épis
Les blés fauchés font un
tapis,
Derrière chaque faux qui
volte ;
Plus d’un amoureux moissonneur
Ramasse aujourd’hui du
bonheur,
Et voici ma triste récolte :
Dernier refrain
De la mauvaise herbe !
(Voyez ma gerbe
Et mes amours)
De la mauvaise herbe
Qui pousse toujours !
Je compte bientôt soixante
vendanges,
N’empêche que j’ai planté
l’an dernier,
Le jour où ma vigne emplira
ma grange
Ses pieds descendront
chatouiller mes pieds.
Mais, déjà mes yeux la
voient, fière et douce
Ainsi qu’une fille allant à
l’amour,
Forte comme un gas qui vient
des labours
Et mon cœur sourit car ma
vigne pousse.
Refrain
Ah ! lon la ! ma vigne pousse
! lon la !
C’est l’avenir qui pousse là
!
Ma vigne verra crever la
bêtise,
Les croix tomberont des dieux
inhumains
Dont le prêtre boit tout seul
à l’église,
Tout le monde aura le calice
en main !
Ma vigne verra les noces
sincères
De beaux amoureux s’aimant
librement,
Sans jamais mentir, même d’un
serment,
Et ne sachant plus le chemin
du maire.
Ma vigne verra chasser la
misère
Tous les assassins à ventre
de loups,
Noieront leurs couteaux dans
l’eau des rivières
Pour chanter son vin sur des
airs très doux.
Les errants maudits et les
sans asile
Seront des rêveurs qui
viendront le soir
Boire en la liqueur tendre du
pressoir
Le ciel qui se mire au creux
des sébiles.
Ma vigne verra fusiller la
guerre,
Ses raisins de paix en paix
mûriront ;
Leur sang rougira seul les
bouches claires
Qui refuseront celles des
clairons.
Ma vigne verra tomber les
frontières,
Et les ennemis des temps
disparus,
Allonger les bras après avoir
bu
Pour reboire un coup et
choquer leurs verres.
Ma vigne verra les temps
d’harmonie,
Les enfants viendront comme
ses raisins ;
Les sentiers seront moins
beaux que la vie,
Les hommes auront la bonté du
vin.
Ah ! ma vigne forte ! Ah ! ma
vigne douce !
On me dit : Pourquoi rêver
tout cela
Vieux qui doit mourir quand
tantôt viendra ?
Je mourrai tantôt, mais ma
vigne pousse !
Môssieu Imbu est mort, est
mort et entarré !
Môssieu Imbu ! ... un gâs qui
v'nait d'èt' décoré
Pour pas avouèr mis
d'cess’depis qu'il 'tait au monde
A bagosser: « Imbu ! ... Imbu
!... » et qu'était pus
Counnu qu'sous c'sobriquet à
dix yieu's à la ronde...
Môssieu Imbu est mort, est
mort et entarré !
I dira pus : « Imbu !..
Imbu ! » Môssieu Imbu !
Il avait tro's, quat' cépé's
d'vigne en haut d'la côte
Et queuqu's minieaux d'blé
dans la plain' de pus qu'les aut'es.
Pas des mass's, pas des tas !
pas ben larg', pas ben long !
Mais assez, pour pouvouèr
avouèr eune opignon...
I' passait su' la place en
lisant son journal.
Il 'tait républicain !...
rouge... anticlérical !
Et c'est pour ça qu'il 'tait,
depis troués élections,
L'Maire !... el'maire ed’cheu
nous ! ... Môssieu l'mair'! nom de Guieu !
« Les curés !... » qu'i'
disait - et, i' d'venait furieux ! -
« Des ouésieaux qu'la
République engréss’dans son sein,
Et des cochons qui sont
s'ment pas républicains !
Et pis qu'i's prenn'nt pas
d'gants pour chatouiller les fesses
Aux femm's et aux garçaill's
dans leu bouéte à confesse...
Moué !... j'veux pas qu'la
bourgeoués’foute el’pied à la messe ! »
C'est vrai !... Mame Imbu
foutait pas l'pied à la messe !
Tout d'même, il 'tait cocu...
cocu coumme à confesse :
I' gangnait trop souvent
l'notaire à la manille,
Le p'tiot notair' qu'avait
des si fin's moustach's breunes !
Mais, assorbé dans la gérance
ed’la coummeune,
Môssieu Imbu portait ses
cornes sans les vouér
Et i' r'dev'nait gâitieau à
dévider c't t'histouére,
C'tte bounne histouèr' de
franc-maçon en mal d'esprit,
C'tte vieille histouér' du
charpenquier tourneux d'chevilles :
Le cornard du pigeon et d'la
Vierge Marie...
« Ah la r'ligion ! ...
qué's couillonnad's et qué's môm'ries ! »
Et l'dégoût l'empougnait si
fort qu'à des moments
S'il avait pas été c’qu'il
'était : eune houmme' conv'nab'e :
I' vous aurait craché su' un
Saint-Saquerment !
Mais, quand qu'c'est qu'i vouéyait
passer un régiment,
Eun' vent-vol trifouillait
soun âm' de contribuab'e
En revolt' cont' les
couillounnad's et les môm'ries;
D'vant l'drapieau, c'tt' aut'
Saint-Saquerment : c'ti d’la Patrie !
I' faisait un salut à s'en
démancher l'bras
Et qu'était, ma grand foué !
joliment militaire
D'la part d'un gâs qu'avait
jamais été soldat...
Il avait ses idé's su' les
vu's d’l'Angleterre
Et il 'tait
poummouniqu’d'avouér gueulé la R'vanche,
L'hounneur de nout' armée et
la glouér de la France !
C'est avec ça qu'il bouchait
l’vid’de ses discours
Que l'maît' d'écol’passait en
r'vu' pou' les grands jours
De Fête-Dieu laïqu', de
Paradis scolaire :
Quatorz' juillet d'lampions
roug's et d'pompiers brinzingues,
Distribution d'prix aux
mardeux à qui qu'on s'ringue
Du républicanisse à les en
fer' querver :
Il 'tait memb' d'eune flopé'
d'sociétés d'brav's gens,
Et des foués président -
d'quoué qu'il 'tait honoré -
Société d'secours mutuels et
d'gymnastique,
Société d'tir et société
d'musique !
Société d'tempérance et, tout
en mêm'temps,
Société des francs-buveurs :
les « Amis d'la vigne » !
Il 'tait pardu dans les
rubans et les insignes :
Les mains qui s'quienn'nt,
les p'tit's lyr's, les grapp's ed’raisin
Et aut's verrotaill'ris
d'petzouill's civilisés
Qui bé'nt coumm'gueul’de four
d'vant cell's-là des sauvages:
Il avait fait planter su' la
plac’du village
Eune estatu !... pasque la
coummeun' d'à-couté
N'n'avait eun'! et
qu’j'étions ben autant qu'nous vouésins !...
...C'est l'poltrait d'un gâs
qu'mém'les vieux ont pas connu !
Qu'est p'tét' qu'eun' blagu'
!... Mais là !... j'avons nout' estatue
Et les deux chians au boucher
ont eun' pissoquiére ! ...
D'aucuns ont dit qu'il 'tait
pus urgent d'fére un ch'min,
Mais allez don' contenter
tout le monde et son père !
Le jour d'l'inauguration de
c'tte sapré' garce
D'estatu' ! yieau tombait,
tombait coumm' vach' qui pisse !
Môssieu Imbu gangna chaud et
fréd sous l'avarse
Et est décédé, coumm' les
lett's de deuil le disent :
- A cinquante ans !... muni des
saquerments d'l'Eglise ! -
J'l'avons r'conduit là-bas,
dans l'enclos à tout l'monde,
En r'broussant l'pouél à nous
chapieaux en sign' de deuil.
J'l'ont pleuré avec des
discours su' son çarcueil,
J'l'ont r'gretté avec des tas
d'courounn's su' sa tombe
Et j'l'ont laissé, porteux
d'ses tit's et d'ses médailles,
Couché en terre, à couté des
dargniér's semailles.
Môssieu Imbu est mort... est
mort et entarré ! ...
Ah ! qué' souleil et qué' bon
vent su' les luzarnes,
Et coumm' le vin mouss’frais
aux pichets des aubarges
Et qu'la fille est don' gent'
qu'écart' des draps su' l'harbe ! ...
Moué, ça m'dounne envi'
d'viv' de r'veni' d'l'entarr'ment !
...C'est ça, bon Guieu ! ...
tant qu'a dur'ra... vivons la vie !
Vivons-la ! en restant des
houmm's tout bounnément
Et sans l'embistrouiller
d'étiquett's d'épic'rie
Ou d'sentiments d'bazar en
chiffon et far-blanc ! ...
Leu' politique empéch' pas
les fleurs d'ét' jolies !
Et, pisqu’Môssieu Imbu est
mort et entarré,
I' bouéra pus !... Dis don',
la belle, au coin du pré...
Buvons, nous aut's ! ...
el'vin est bon ! ... A nout' santé !
Et chiffounnons les draps
qu'tu t'en viens d'écarter !
On vient d'arrêter le moulin
Qui chanta, chanta, tout le
jour,
Son refrain tout blanc, tout
câlin
En faisant son œuvre
d'amour...
Et je suis là, ce soir, mon
Dieu !
Gisant quelque part, au
milieu
Du moulin où plus rien ne
bruit...
Avec mon cœur pareil à lui
!...
L'odeur du buis, le son du
glas,
Un temps de neige, un soir
d'ivresse
M'attristent moins que la
tristesse
Des moulins qui ne tournent
pas !...
Les meules ont l'air
d'écraser
Du silence sous leur
torpeur...
Et le blutoir ankylosé
Crible de la nuit sur mon
cœur,
Mon cœur déjà si plein de
nuit
Et que le silence poursuit
Toujours, toujours, depuis le
jour
Où finit mon dernier amour...
L'eau coule, pleurant de
langueur,
Sous la vanne aux bords
vermoulus,
Comme l'inutile douleur
D'un cœur aimant qui n'aime
plus...
Et ce cœur-là, mon cœur à
moi,
Sentant sa peine avec effroi
En la douleur morne de l'eau,
Vient à crever d'un gros
sanglot...
Holà ! clair meunier de
l'Espoir
Qui remets en marche, le
jour,
Le moulin qui s'arrête au
soir
Comme un pauvre cœur sans
amour !...
Holà ! déjà l'aube éclaircit
Le moulin... et mon cœur
aussi !
Holà ! holà ! meunier qui
dors,
Ressuscite les moulins morts
!...
L'odeur du buis, le son du
glas,
Un temps de neige, un soir
d'ivresse
M'attristent moins que la
tristesse
Des moulins qui ne tournent
pas !...
Les cloches essèment au vent
La joi' de leur carillonnée,
Qui vient me surprendre,
rêvant,
Dans le coin de ma cheminée ;
Noël ! Noël ! c'est
aujourd'hui
Que Jésus vint sur sa
litière,
Noël ! mon ventre a
tressailli
Sous les plis de ma
devantière.
O toi qui vas, dans mon
sabot,
Me descendre, avec un petiot,
De la misère et de la peine,
Noël ! Noël ! si ça se peut
Attends encore ! Attends un
peu ! …
Attends jusqu'à l'année
prochaine !
Noël ! Noël !cette anné'-ci
Le froid tua les blés en
germe,
Tous nos ceps ont été roussis
;
Le « jeteux d’sorts », sur
notre ferme,
A lancé son regard mauvais
Qui fait que sont « péri's »
mes bêtes,
Que mes pigeons se sont
sauvés
Et que mon homme perd la
tête.
Tous mes gros sous, à ce
train-là,
Ont filé de mon bas de laine,
Quand reviendront ? Je ne
sais pas !
Mais, à la récolte prochaine,
J'espère voir les blés
meilleurs
Et meilleure aussi la
vendange,
Pour mon bonheur et le
bonheur
De l'enfant dont j'ourle les
langes.
Gueux, qu'avions-nous jusqu'à
ce jour?
- De l'or, pas un sou ! Du sol,
pas un pouce !
Notre âge nous livre l'amour,
Blond trésor et vigne aux
vendanges douces
Mais voici qu'on veut nous
voler
Trois ans de bonheur éclos
hier à peine.
Et voici qu'on veut affubler
Nos tendres vingt ans
d'oripeaux de haine
Refrain
Les gros, les grands !... Si
c'est à vous
Ecus sonnants et bonne terre
Les gros, les grands !... Si
c'est à vous
vous les gardez pour vous !
Mais nos vingt ans, ils sont
à nous
Et c'est notre seul bien sur
terre.
Mais nos vingt ans, ils sont
à nous
Nous les gardons pour nous !
Pourquoi des clairons, des
tambours ?...
Le violon jase au fond des
charmilles.
Les galons et les
brandebourgs
Ça fait mieux autour du jupon
des filles !
Notre coeur dans un coeur
aimé,
Reposera mieux qu'au sein de
l'histoire
Car nous nous flattons
d'estimer
Une nuit d'amour plus qu'un
jour de gloire.
Notre bonheur n'est pas
jaloux
Du bonheur de ceux qui disent
: Je t'aime
Dans un autre patois que
nous.
Nous ne voulons pas troubler
leur poème.
Et fiers d'épeler à présent
Dans un livre plein de
-douces paroles.
Pour apprendre à verser du
sang
Nous ne voulons pas aller à
l'école.
Le mensonge, en l'amour prend
corps,
Mais il prête une âme aux
drapeaux qui bougent
Alors, nous préférons encor
Le mensonge rose au mensonge
rouge.
Et sur ce, bourgeois
impotents
Dont le champ fleurit, dont
le coffre brille,
Ne demandez plus nos vingt
ans :
Ils sont promis pour le
prochain quadrille.
Bon paysan -dont la sueur
féconde
Les sillons clairs où se
forment le vin
Et le pain blanc qui doit
nourrir le monde,
En travaillant, je dois
crever de faim ;
Le doux soleil, de son or
salutaire,
Gonfle la grappe et les épis
tremblants ;
Par devant tous les trésors
de la terre,
Je dois crever de faim en
travaillant !
Refrain
Je ne crois plus, dans mon
âpre misère,
A tous les dieux en qui
j'avais placé ma foi,
Révolution ! déesse au coeur
sincère,
Justicière au bras fort, je
ne crois plus qu'en toi ! (bis)
Dans mes guérets, au temps de
la couvraille,
Les gros corbeaux au sinistre
vol brun
Ne pillent pas tous les
grains des semailles :
Leur bec vorace en laisse
quelques-uns !
Malgré l'assaut d'insectes
parasites,
Mes ceps sont beaux quand la
vendange vient
Les exploiteurs tombent
dessus bien vite
Et cette fois, il ne me reste
rien !
Au dieu du ciel, aux maîtres
de la terre,
J'ai réclamé le pain de
chaque jour :
J'ai vu bientôt se perdre ma
prière
Dans le désert des cieux
vides et sourds ;
Les dirigeants de notre
République
Ont étalé des lois sur mon
chemin,
D'aucuns m'ont fait des
discours magnifiques,
Personne, hélas ! ne m'a
donné de pain !
Levant le front et redressant
le torse,
Las d'implorer et de
n'obtenir rien,
Je ne veux plus compter que
sur ma force
Pour me défendre et reprendre
mon bien.
Entendez-vous là-bas le chant
des Jacques
Qui retentit derrière le
coteau,
Couvrant le son des carillons
de Pâques :
C'est mon Credo, c'est mon
rouge Credo
C'est eun' volé' d'môssieux
d'Paris
Et d'péquit's dam's en
grand's touélettes
Qui me r'gard'nt curer
l'écurie
Et les "téts"
ousque gît'nt les bêtes :
Hein ?... de quoué qu'c'est,
les villotiers,
Vous faisez pouah ! en
r'grichant l'nez
Au-d'ssus d'la litière
embernée?...
Vous trouvez qu'i' pu', mon
feumier?
Ah ! bon guieu, oui, l'sacré
cochon !
J'en prends pus avec mes
narines
Qu'avec les deux dents d'mon
fourchon
Par oùsque l'jus i'dégouline,
- I' pu' franch'ment, les
villotiers !
Mais vous comprendrez ben
eun' chouse,
C'est qu'i' peut pas senti'
la rouse ! ...
C'est du feumier... i'sent
l'feumier !
Pourtant, j'en laiss’pas
pard'e un brin,
J'râtle l'pus p'tit fêtu qu'enrrouse
La pus michant' goutt' de
purin,
Et j'râcle à net la moind'er
bouse !
- Ah ! dam itou, les
villotiers,
Malgré qu'on seye en pein'
d'avouer
Un "bien " pas pus
grand qu'un mouchouer,
On n'en a jamais d'trop
d'feumier !
C'est sous sa chaleur que l'blé
lève
En hivar, dans les tarr's
gelives ;
I'dounn' de la force à la
sève
En avri', quand la pousse est
vive !
Et quand ej'fauch' - les
villotiers !
Au mois d'Août les épis
pleins
Qui tout' l'anné'
m'dounn'ront du pain,
Je n'trouv' pas qu'i' pu',
mon feumier !
C'est d'l'ordur' que tout
vient à nait'e :
Bieauté des chous's, bounheur
du monde,
Ainsi qu's'étal’su' l'fient
d'mes bêtes
La glorieus'té d'la mouésson
blonde...
Et vous, tenez, grous
villotiers
Qu'êt's pus rich's que tout
la coummeune,
Pour fair' veni'
pareill’forteune
En a-t-y fallu du feumier !!!
Dam' oui, l'feumier des
capitales
Est ben pus gras que c'ti des
champs :
Ramas de honte et de
scandales...
Y a d'la boue et, des foués,
du sang !...
- Ah ! disez donc, les
villotiers,
Avec tous vos micmacs infâmes
Ousque tremp'nt jusqu'aux
culs d'vos femmes...
I'sent p'tét' bon, vous,
vaut' feumier?...
Aussi, quand ej'songe à tout
ça
En décrottant l'dedans des
"téts"
J'trouv' que la baugé' des
verrats
A 'cor comme un goût
d'properté !
Et, croyez-moué, les
villotiers,
C'est pas la pein' de fèr'
des magnes
D'vant les tas d'feumier d'la
campagne :
I' pu' moins que l'vout'...
nout' feumier !
Les oies qui traînent dans le
bourg
Ainsi que des commères
grasses
Colportant les potins du
jour,
En troupeaux inquiets
s'amassent.
Un gros jars qui marche
devant
Allonge le cou dans la brume
Et frissonne au souffle du
vent
De Noël qui gonfle ses
plumes...
Noël ! Noël !
Est-ce au ciel
Neige folle
Qui dégringole,
Ou fin duvet d'oie
Qui vole.
Leur petit œil rond hébété
A beau s'ouvrir sans trop
comprendre
Sur la très blanche immensité
D'où le bon Noël va
descendre,
A la tournure du ciel froid,
Aux allures des gens qui
causent,
Les oies sentent, pleines
d'effroi,
Qu'il doit se passer quelque
chose.
Les flocons pâles de Noël
- Papillons de l'Hiver qui
trône -
Comme des présages cruels
S'agitent devant leur bec
jaune,
Et, sous leur plume, un frisson
court
Qui, jusque dans leur chair
se coule.
L'heure n'est guère aux
calembours,
Mais les oies ont la chair de
poule.
Crrr !... De grands cris
montent parmi
L'aube de Noël qui rougeoie
Comme une Saint-Barthélemy
Ensanglantée du sang des oies
;
Et, maintenant qu'aux
poulaillers
Les hommes ont fini leurs
crimes,
Les femmes sur leurs
devanciers
Dépouillent les corps des
victimes.
J’suis d’un’ famill’qu’on
estime honorable ;
Mon cousin est un garçon très
capable,
Et mon oncle un fort honnête
épicier ;
Mais, ceci est incontestable,
Ils manqu’nt de chic pour
s’habiller :
Refrain
Le pantalon de mon cousin
Jules
Est beaucoup trop long, c’est
bien ridicule.
Le pantalon de mon oncle Éloi
Est beaucoup trop court, il a
l’air d’une oie.
Lorsqu’il débit’ du sucre ou
d’la chandelle,
L’un est toujours à monter
ses bretelles ;
Et quand l’aut’ part pour
aller déposer
Quelque chos’chez sa clientèle,
Il est toujours à les
baisser.
L’premier n’trouv’ pas
d’balayeur qui l’dégotte
Pour ramasser la poussière ou
les crottes,
Et le second, lorsqu’il
s’indigne après
La tenu’ des dam’s en
culotte,
Fait voir le poil de ses
mollets.
Un jour que Jul’s s’était
flanqué la cuite
(C’est rare ! et puis chez
lui ça n’a pas d’suite !)
Dans son grimpant il vint à
s’oublier ;
Un jour seul’ment après… sa
fuite
Il vit ses souliers tout
mouillés.
L’été dernier, sur une très
chic plage,
Mon oncle put entendr’ sur
son passage
L’mond’qui disait : « Où sont
donc les gardiens
Pour interdire à ce sauvage
D’passer en ville en cal’çon
d’bain.
Et si jamais un ami leur
réclame
La raison d’leur accoutrement
infâme
Ils répond’nt : « Si not’
culott’ fait pitié,
C’est simplement pour que
not’ femme
Ne soit pas tenté’ d’la
porter.
Dans mon pays, dès ma
naissance
Les premiers mots que
j'entendis
Au travers de mon «innocence
»
Semblaient venir du paradis
C'était ma mère, toute
heureuse,
Qui me fredonnait à mi-voix
Une simple et vieille
berceuse,
En patois...
Le joli patois de chez nous
Est très doux !
Et mon oreille aime à
l'entendre.
Mais mon cœur le trouve plus
doux,
Et plus tendre !
Dans mon pays, au temps des
sèves,
A l'âge où d'instant en
instant,
L'amour entrevu dans nos
rêves
Se précise dans le Printemps.
Cueillant les fleurs que
l'avril sème
Un jour, pour la première
fois,
Une fille m'a dit : « Je
t'aime »
En patois...
De mon pays blond et
tranquille
Quand je suis parti « déviré
»
Par le vent soufflant vers la
Ville,
Mes vieux et ma mie ont
pleuré.
Pourtant, jusqu'au train en
partance
M'ont accompagné tous les
trois
Et m'ont souhaité bonne
chance
En patois...
Loin du pays, dans la
tourmente
Hurlante et folle, de Paris,
Où ma pauvre âme se lamente
Un bonheur tantôt m'a surpris
!
Des paroles fraîches et gaies
Ont apaisé mes noirs émois :
J'ai croisé des gens qui
causaient
Mon patois...
Paysans dont la simple
histoire
Chante en nos cœurs et nos
cerveaux
L'exquise douceur de la Loire
Et la bonté -des vins
nouveaux, (bis)
Allons-nous, esclaves
placides,
Dans un sillon où le sang
luit
Rester à piétiner au bruit
Des Marseillaises fratricides
?...
Refrain
En route! Allons les gâs !
Jetons nos vieux sabots
Marchons,
Marchons,
En des sillons plus larges et
plus beaux !
A la clarté des soirs sans
voiles,
Regardons en face les cieux ;
Cimetière fleuri d'étoiles
Où nous enterrerons les
dieux. (bis)
Car il faudra qu'on les
enterre
Ces dieux féroces et maudits
Qui, sous espoir de Paradis,
Firent de l'enfer sur
Ne déversons plus l'anathème
En gestes grotesques et fous.
Sur tous ceux qui disent : «
Je t'aime »
Dans un autre patois que nous
; (bis)
Et méprisons la gloire
immonde
Des héros couverts de
lauriers :
Ces assassins, ces
flibustiers
Qui terrorisèrent le monde !
Plus -de morales hypocrites
Dont les barrières, chaque
jour,
Dans le sentier des
marguerites,
Arrêtent les pas de l'amour
!... (bis)
Et que la fille-mère quitte
Ce maintien de honte et de
deuil
Pour étaler avec orgueil
Son ventre où l'avenir
palpite !...
Semons nos blés, soignons nos
souches !
Que l'or nourricier du soleil
Emplisse pour toutes nos
bouches
L'épi blond, le raisin
vermeil !... (bis)
Et, seule guerre nécessaire
Faisons la guerre au Capital,
Puisque son Or : soleil du
mal,
Ne fait germer que la misère.
Il a dans les treize ans ;
chez eux,
On est malheureux !
Il a mis un brin de bruyère
A sa boutonnière
Et tristement s'en est allé
Au pays du blé,
A la louée où quelque maître
Le prendra peut-être ?...
Petit porcher
Ho !...
T'es embauché !...
Le maître charretier
t'attend, pauvre petiot !
Ho !...
Les coqs ne chantent pas
encor,
Rien ne bouge, il dort
Avec « la Noiraude » et « la
Rousse »
Dans l'étable douce,
L'étable close où le fumier
Tient chaud en janvier,
Et tandis que l'aube se lève
Il fait un beau rêve...
Petit porcher
Ho !...
Faut dénicher !
Le maître charretier a besoin
d'un seau d'eau,
Ho !...
Sur la table où mangent les
gens
Au des champs
On apporte une miche noire
Et de l'eau pour boire.
Il mord dans son triste
chanteau
Comme en du gâteau ;
Et ses yeux, tandis qu'il
dévore
Réclament encore !...
Petit porcher
Ho !...
Assez mangé !...
Le maître charretier a fermé
son coutieau
Ho !...
Hier c'était la fête chez
nous
Les gâs étaient saouls :
Ils ne sont rentrés qu'à
l'aurore
Demi saouls encore;
Le charretier au vin méchant
Jure, lui cherchant
A tout propos un tas de
noises,
Bêtes et sournoises.
Petit porcher
Ho !...
Faut pas broncher
Le maître charretier a mis
ses gros sabots
Ho !...
Ainsi toujours peinant,
souffrant,
Il deviendra grand;
Et son tour enfin, viendra
d'être
Le charretier-maître
Faisant peiner, faisant
souffrir
Un autre martyr
Selon la routine suivie
Puisque c'est la vie !...
Petit porcher
Ho! ...
Sera changé
En maître charretier pour le
porcher nouveau !
Ho !...
Puisqu’on ne trouve plus sa
vie
Au bout des sillons de chez
nous,
Un jour, j’ai dû quitter ma
mie
Pour la ville où pleuvent les
sous ;
Et, ce jour-là, dans ma
mémoire :
Lit clos des contes du passé,
J’ai vu se réveiller
l’histoire,
L’histoire du Petit Poucet.
Refrain
En partant chez l’ogresse,
L’ogresse qu’est la vie,
J’ai semé des caresses
Pour retrouver ma mie !
Poucet semait parmi les
sentes
Son pain bis et ses cailloux
blancs.
Sur le corps blanc de ma
charmante
Quel semis de baisers
brûlants !
Sur son front et ses yeux en
fièvres,
Sur son ventre et ses seins
en fleurs,
Le geste rose de mes lèvres
A semé l’Amour de mon cœur.
Plus tard, pour retrouver ma
mie :
« Où sont mes baisers
d’autrefois ? »
Les baisers sont de blanches
mies
Sous le bec des oiseaux des
bois.
Plus un seul ! sur sa chair
impure,
Un seul ! de mes baisers
brûlants !
Tous sont partis sous la
morsure
Du baiser des autres galants
!
Ma mie qui ne se souvient
guère
Se rappelle pourtant qu’un
jour,
Je l’ai frappée dans ma
colère
D’une gifle de mon poing
lourd.
Elle me reproche ce geste
Toujours avec la même ardeur.
Le mal est un caillou qui
reste
Dans les pauvres sentiers du
cœur !
Hier, la chatt' gris’dans un
p'quit coin
D’nout' guernier, su' eun'
botte de foin,
Alle avait am'né troués
p'quits chats ;
Coumm' j’pouvais pas nourri'
tout ça,
J'les ai pris d'eun' pougné'
tertous
En leu-z-y attachant eun'
grouss’ piarre au cou.
Pis j’m'ai mis en rout' pour
l'étang ;
Eun' foués là, j’les ai
foutus d'dans ;
Ça a fait : ppllouff !...
L'ieau a grouillé,
Et pis pus ren !...Ils 'tin
néyés...
Et j’sé r'parti, chantant
coumm' ça :
"C'est la pauv' chatt'
gris’qu'a pardu ses chats. "
En m'en allant, j'ai
rencontré
Eun' fill’qu'était en train
d’pleurer,
Tout' peineuse et toute en
haillons,
Et qui portait deux
baluchons.
L'un en main ! c'était
queuqu's habits ;
L'autr', c'était son vent'e
oùsqu'était son p'quit !
Et j'y ai dit : « Fill',
c'est pas tout ça ;
Quand t'auras ton drôl’su'
les bras,
Coumment don' qu’tu f'ras
pour l'él'ver,
Toué qu'as seul'ment pas
d'quoué bouffer ?
Et, quand mêm' que tu
l'élév'rais,
En t'saignant des
quat'vein's... et pis après ?
Enfant d’peineuse, i' s'rait
peineux ;
Et quoiqu'i fasse i' s'rait
des ceux
Qui sont contribuab's et
soldats...
Et, - par la tête ou par les
bras
ou par... n'importe ben par
où ! -
I' s'rait eun outil des ceux
qu'a des sous.
Et p't-êt qu'un jour, lassé
d'subi'
La vie et ses tristes
fourbis,
I' s'en irait se j'ter à
l'ieau
Ou s’foutrait eun' balle dans
la pieau,
Ou dans un bois i'
s'accroch'trait
Ou dans un « cintiéme » i'
s'asphysquerait.
Pisqu'tu peux l'empêcher
d’souffri,
Ton pequiot qu'est tout prêt
à v'ni,
Fill', pourqoué don' qu'tu
n'le f'rais pas ?
Tu voués : l'étang est à deux
pas.
Eh ! bien, sitout qu’ton
p'quiot vienra,
Pauv' fill', envoueill'-le
r'trouver mes p'tits chats !... »
Je suis un gâs du tour de
France
Qui chemine depuis huit jours
Pour ner au bourg d'enfance
Où nichent ses amours.
J'ai le cœur gai comme un
pinson
En suivant le bord de la
Loire,
Mais soudain, malgré ma
chanson,
Voilà que j'ai des idées
noires.
Refrain
A main gauche, vers les
semeurs,
J'ai vu s'envoler des pies :
(A main gauche, c'est du
malheur !)
Et je songeais à ma mie !
Que se passe-t-il de si grave
A la maison vieille où
fleurit
La giroflée dessus la cave
Et jusque dans le puits ?...
Je vois des gens noirs sur le
seuil,
Quatre chandelles allumées,
Et, sur le bois blanc d'un
cercueil,
Les fleurs en croix des
giroflées !
Qu'arrive-t-il de si terrible
?...
Je vois ma belle allant au
puits,
Tous les soirs, quand le
voisin crible
L'orge pour l'écurie...
Et cette gueuse, chaque fois,
Lui jette un brin de giroflée
:
Il n'en restera plus pour
moi,
Pour fleurir mon jour
d'arrivée.
Ah ! que ces choses sont
affreuses !
Mais, dis-moi que ça n'est
pas vrai
Et que les pies sont des
menteuses
O semeur des guérets ?...
- Ne zyeute pas de tous
côtés,
Passe, passe, le gâs qui
passe !
Laisse venir les destinées
Et regarde la vie en face...
Refrain
A main gauche, vers les
semeurs,
J'ai vu s'envoler des pies.
(A main gauche, c'est du
malheur !)
Et je songeais à ma mie !
Mes vieux, autant que j’m'en
rappelle,
Avint eun' bell’maison en
tuile :
l's m'él'vint coumme eun'
demouéselle
Et j'allais au couvent d'la
ville,
Pis, crac !... V'là les
mauvais's années !
La bell’ maison qu'est mise
en vente,
Toute ma famill’ qu'est
ruinée,
Et moué que j'm'embauch'
coumm' servante...
Pourquoué ? pourquoué ?
Je l’sais't-y, moué...
L’souleil se couch' sans dir'
pourquoué !
Adieu mon bieau corsag' de
mouére !
Faut qu’je pouille un
cotillon d’serge,
Et, v'là qu'un jour qu'i'
voulait bouére,
L’gâs au chât'lain rent'e à
l'auberge ;
Je l’voués r'veni' le
lend'main même
Et, de l’vouér, v'là mon
coeur qui saute !
I' r'vient toujou's et v'là
qu’je l'aime !
Pourquoué c'ti-là putôt
qu'eun aut'e ?...
Pourquoué ? pourquoué ?
Je l’sais-t-y, moué ?
Les ros's fleuriss'nt sans
dir' pourquoué !
V'là que j'i cède et qu'i
m'engrosse,
Pis, i' s'ensauv' devant mon
vent'e,
N' voulant pas traîner à ses
chausses
L'amour douloureux d'eun'
servante.
Ah ! l’scélérat, et quelle
histouére !
Mais dans l’vin rouge et pur
des vignes,
La dargniér' foués qu'il est
v'nu bouére
J'ai trempé des herbes
malignes...
Pourquoué ? pourquoué ?
Je l’sais-t-y... moué ?
L'tonnerr' tomb' ben sans
dir' pourquoué ?
Si j'avais fait coumm' la
vouésine,
Quand qu’son galant s'est
tiré d’l'aile,
Alle en a r'pris deux, la
mâtine !
Pourquoué qu’j'ai pas pu
fair' comme elle ?
J’s'rais pas là, sous les
yeux des juges,
Ces homm's juponnés coumm'
des femmes
Qu'ensev'liss'nt un crim'
sous l’déluge
D'un tas d'aut's crim's 'cor
pus infâmes.
Pourquoué ? pourquoué ?
Je l’sais-t-y, moué ?
Eux non pus, i's sav'nt pas
pourquoué ?
J'étais, quand c'tte affèr'
m'a fait fout'e au d'dans,
Calouche, songeux,
cloch'patte et brèch'dents,
Et j'sors de prison avec la
mêm' touche:
Brèche-dents, cloch'patt',
songeux et calouche.
Pourtant, y a Cath'rin', la
femme au juré,
D'pis que le jug'ment d'son
homm' m'a taré,
A' veut, avec moué, vouèr
comment qu'ça s'joue,
Refrain
Et la v'là qui rit et qui
m'donn' ses joues...
Tiens don', gadoue!
Et tra la la la la la!
Pour un viol au coin du
boués,
Pasque j'étais laid et
qu'j'avais pas d'filles,
On m'a condamné ; mais
c'était pas moué...
Et v'là qu'à présent j'ai
toutes les filles,
Pour un viol au coin du
boués!
Et pis y a la bell’chât'lain'
du chatieau
Qu'est lass’ des baisers
polis d'bourgeouésieaux,
Si lass’ que sa chair de
vic's en désire
L'étreinte baveuse et foll’
du satyre.
Et la v'là qui m'suit par les
ch'mins du boués
Dans l'espouèr que j'vas
r'nouv'ler mes explouèts
Et qu'j'vas la rouler sur les
feuill's éparses;
Mais j'm'en dérang' pas...
j'y fais c'tte bonn' farce!
Ben fait, sal’garce!...
Et tra la la la la la!
Eune avait l'air blanch'
coumme un mouès de Mai...
Après tout, cell'-là j'aurais
pu l'aimer;
A' v'nait m'vouèr au bouès,
dans l'après-dînée
Qu'j'abattais les chên's à
grands coups d'cognée.
J'me trouvais trop nouèr pour
causer d'amour,
Fallait que j'essplique, et
j'y dis un jour :
"Moué, j'étais pour ren
dans c'tte histouèr' pâs prop'e!"
Et, depis c'jour-là, j'ai pas
r'vu sa robe...
Ah! la salope!...
Et tra la la la la la!
Fill's ! v'avez tué l'amour
d'un pauv' gâs
D'pis l'jour ousque v'êt's
tombé's dans ses bras;
Car, tout en prenant vos
baisers d'débauche,
J'ai vu-z-au travers de vout'
téton gauche,
Qu'vout' coeur n'était ren
qu'eun' butte d'fumier
Su' qui qu'vous plantez des
fleurs en papier
Pour nous fère accrèr' qu'aux
amours nouvelles
Y pouss’des bluets et des
roses belles...
Bon guieu d'fumelles !..
Et tra la la la la la!
Lorsque Gros-Jean se maria,
Londerira,
Avec
En dot son père lui donna
Un pré tout blanc de
pâquerettes.
Or, la Toinette le trompa,
Londerira,
Un beau soir sous les talles
d'aunes
Et, par le pré, soudain leva
Un carré de boutons d'or
jaunes.
Quand Gros Jean s'aperçut de
ça,
Londerira,
Tua le galant et l'amante
Et, par tout le pré, ce
jour-là
Fleurirent des roses
sanglantes.
Maintenant oublis et frimas,
Londerira,
Ont fané les fleurs
illusoires
Et, dans le pré, sur le
verglas,
Rampent de grandes ronces
noires.
Voilà : ce matin je voulais
Honorer d’un brin de romance
L’éveil des nids pleins
d’oiselets
Et le doux printemps qui
commence
J’ai débouché mon encrier,
Pris une plume et du papier
Refrain
J’ai voulu faire une chanson
Mais tireli tirelirette
Dans mon champ rempli de
moisson
Mais tireli tirelirette
Les p’tits oiseaux chantaient
trop fort (bis)
Au bout des vers de ma
chanson
Tombèrent d’un vol unanime
Fauvette, bouvreuil et pinson
Dont le bec pilla chaque rime
Et leur refrain assourdissant
Étouffa le mien en passant.
Ainsi ce soir auprès de vous
Froissant nerveusement des
roses
Je cherche les mots les plus
doux
Pour vous dire certaines
choses
J’en trouve trop... qui sont
très bien
J’ouvre la bouche et ne dis
rien.
Refrain final
Je voudrais vous causer
d’amour
Mais tireli tirelirette
Dans mon coeur qu’enfête le
jour
Mais tireli tirelirette
Les p’tits oiseaux chantent
si fort (bis).
Ben oui, notre amour était
mort
Sous les faux des moissons
dernières,
(la javelle fut son suaire…)
Ben oui, notre amour était
mort,
Mais voici que je t’aime
encor !
Pan pan ! pan pan ! à grands
coups sourds
Comme lorsqu’on cloue une
bière,
J’ai battu les gerbes sur
l’aire ;
Pan pan ! pan pan ! à grands
coups sourds
Sur le cercueil de notre
amour
Et pan pan ! les fléaux
rageurs
Ont écrasé, dessous leur
danse,
Le bluet gris des souvenances
(Et pan pan ! les fléaux
rageurs !)
Avec le ponceau qu’est mon
cœur !
Dedans la tombe des sillons
Quand ce fut le temps des
emblaves,
Comme un fossoyeur lent et
grave,
Dedans la tombe des sillons
J’ai mis l’amour et la
moisson
Des sillons noirs un bluet sort
Tandis qu’une autre moisson
bouge ;
Avec un beau ponceau tout
rouge,
Des sillons noirs un bluet
sort,
Et voici que je t’aime encor
!
La Mari’ s’en va-t’à l’office
Y prier pour son bon ami
Qu’v’là déjà un mois qu’est
parti
Au régiment prend’ du
service.
Comme elle mettait l’pied
dans l’église
L’facteur y donne un mot
d’écrit,
Un mot d’écrit qu’son bon ami
Y’envoi’ d’ousqu’i’ fait son
service.
Ell’ rentre et prend de
l’ieau bénite,
Et pis s’ag’nouille, et pis
s’assit
En songeant à son bon ami
Qui souffre loin d’elle, au
service.
Pendant ben longtemps
ell’résiste
Mais, à la fin, elle ouvre et
lit
Le billet doux d’son bon ami
Qu’est en train de fair’ son
service.
Là-d’ssus, les vieux saints
d’pierr’ frémissent
Et le petit Jésus rougit
D’voir la lett’ de son bon
ami
Qui l’aime en faisant son
service.
Pour la punir d’la faut’
commise
Dieu décid ’qu’elle aura un
p’tit
Dans les neuf mois qu’son bon
ami
S’ra encore à fair’ son
service.
Mais, il envoya vers la
p’tite
Inutil’ment son Saint-Esprit,
Car le gâs avait fait l’petit
Avant que d’partir au
service.
N'me parlez pas de tous ces
gens
Qui crient à tout l’monde,
après boire :
« J's'rai décoré au jour de
l'an ! »
Ou : « J'porte un nom qu'est
dans l'histoire ! »
Moi, j’prends souvent mon
p'tit plumet,
C'est permis, même en République
!
Mais alors, je n' détonn'
jamais...
Quand j’suis saoûl, j’suis
saoûl... mais logique !
L'autre jour, un typ' très
calé
Me contait, en payant un
verre,
Qu'on doutait, du temps
d'Galilée
De la rotation d’la terre.
"Croir' que la terr' ne
tourne pas,
Mais, nom de nom ! que j'lui
réplique,
On s’saoûlait donc pas dans
c’temps-là ! "
Quand j’suis saoûl, j’suis
saoûl... mais logique !
En rentrant chez moi, un beau
soir
Qu’mes jamb's me r'fusaient
tout service,
J'restai allongé su'
l'trottoir
"Eh ben !... m' fit un
agent d’police
Qu'attendez-vous-là su'
l’pavé ? "
Et j'eus cett' réponse
magnifique :
"J'attendais qu’vous
veniez m' rel'ver... "
Quand j’suis saoûl, j’suis
saoûl... mais logique !
Sur le boul'vard, sous un
vent fou
Et par un temps froid de
décembre,
Un' petit' dam' me dit "
Mon loup,
Viens-tu ? Y a du feu dans ma
chambre !
- Du feu dans ta chambr' !
... Bon ! ... Alors
Je s'rais enchanté qu’tu
m'expliques
Pourquoi qu’tu rest's à g'ler
dehors... "
Quand j’suis saoûl, j’suis
saoûl... mais logique !
En prenant l’train, gar'
Saint Lazar',
Un' fois qu’j'étais saoûl
comme un' grive,
Voilà qu’j'entends, à mon
départ,
Siffler une locomotive ;
Alors, par la portier' j’lui
cri' :
" Tu peux pas la
fermer... bourrique !
On n'est pas dans un' écuri'.
"
Quand j’suis saoûl, j’suis
saoûl... mais logique !
Enfin, hier, mon médecin,
Désolé d’me voir toujours
ivre,
M'dit : "Si vous
continuez d’ce train
Vous n'avez plus grand temps
à vivre ! "
Bon ! Si j’dois claquer
prochain'ment
J’m'en vais vous r'tirer ma
pratique :
Plus la pein' de m' soigner,
maint'nant
Quand j’suis saoûl, j’suis
saoûl... mais logique !
Malgré la souéxantain' qu'est
là,
Poure c’qu'est d’la pogn'
j'en crains point
J’fais l’cric sous eun'
vouéture ed’foin
Et j’porte un sac ed’blé
coumm' ça.
Non, c'est pas les lutteux
d’la fouére
Qui m' f'rin toucher l'épaule
à bas...
... Allons, buvons un coup,
les gâs !
C'est du p'quit vin, mais i'
s’laiss’bouére.
Ah ! mon sapré p'quit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau !
C'est don' qu’t'es déjà pus
fort que ton père ?
Ah ! mon sapré p'quit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau !
Et que j'sens qui va, qui va m'
fout' par terre !
Moué, j’ses tétu coumme un
mulet,
C'que j'ai-z-en tét' j’l'ai
pas aux pieds :
Y a Jean-Pierr' qui veut
s’marier
Avec ma fille à qui qu’ça
plait.
"Non, mon vieux, tant
pis si tu l'aimes !
Moué ça m'va pas... tu
l'auras pas !...
... Et pis, buvons un coup,
mon gâs !
Tu la veux ?... j’te la donn'
tout d’même !"
Ah ! mon sapré p'tit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau !
C'est don' qu’t'es déjà pus
fort que ton père ?
Ah ! mon sapré p'tit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau,
Et qui fout comm' ça mes
projets par terre !
Si queuqu'un m' fait des
mauvais'tés
J'garde un chien d’ma chienne
à c'ti-là !
Avec mon vouésin Nicolas
J'ai pardu quand qu'on a
plaidé ;
D'pis, i' vourait qu'on
s'rapatrie...
"Non, que j'dis, non !
j’te r'caus'rai pas ! ...
... Eh ! dis don', vouésin
Nicolas ?
Viens trinquer, c'est moué
que j’t'en prie ! "
Ah ! mon sapré p'tit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau !
C'est don' qu’t'es déjà pus
fort que ton père ?
Ah ! mon sapré p'tit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau,
Et qui fout comm' ça ma
rancun' par terre !
Quand on compte, un sou c'est
un sou !
J'compte ! et j'aim' pas
donner c'que j'ai !
C'est un traîneux qui veut
loger
Et qui dit qu'il a souéf
comm' tout !
« T'as souéf ? Va bouére à la
rivière,
Et dans un fossé tu
couch'ras...
... Non, reste icite et
boués, mon gâs !
Mais, boués don'!... que
j'rempliss’ton verre ! »
Ah ! mon sapré p'tit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau !
C'est don' qu’t'es déjà pus
fort que ton père ?
Ah ! mon sapré p'tit vin
nouvieau
Qu'est 'core au bercieau,
Et qui fout en moué l'intérêt
par terre !
Réflexion d'un traîneux
Ah ! bon ! v'là d’quoué
alleumer l’feu
Pou' fer' ma popott' de
traîneux :
C’joumal qui roul’dans la
venelle !
Mais, avant, lisons les
nouvelles :
Bon guieu ! Y a 'cor la
guerr' là-bas.
Ces pauv's Russ's lumérot'nt
leu's memb'es.
Quiens ! Paraît qu'on cause à
la Chambre
D'séparer l'Eglise et l'Etat
!
L'Eglis’! quoué qu’ça peut
êt' pour nous ?
Si gna un bon guieu qui fait
tout,
C'est don' li qui fait la
misère
Et les malheureux su' la
terre ?
Mais, si l’bon guieu n'existe
pas,
Pourquoué entret'ni tout'
leu' vie
Les curés à dir' des
ment'ries?
Séparons l'Eglise et l'Etat !
Mais l'Etat ? Quoué qu’c'est
don' itou ?
C'est les gendarmes su' not'
dous
Qui nous traqu'nt coumm' des
bêt's sans gîte,
C'est l’tas des mauvais jug's
qu'acquittent
Toujou's en haut, jamais en
bas,
Et c'est les loués qui sont
matines
Pour nous, pou's les gâs qui
cheminent.
Séparons l'Eglise et l'Etat !
Z'yeutez par ci, z'yeutez par
là :
V'là c’qu'est l'Eglis’! v'là
c’qu'est l'Etat !
Qu'i's divorc'nt ou ben
qu'i's s'raboutent,
J'me d'mande un peu c'que ça
peut m'fout'e :
J'en s'rai-t-y moins peineux
pour ça ?
C'est bon pou' les gens à
leu-z-aise
De s'occuper d’tout's ces
foutaises.
Séparons l'Eglise et l'Etat !
Ronde
Tout en dansant la ronde
Héla ! celui qu’est au mitan
!
Faut que tu nous répondes,
Mais lorgne ben auparavant,
Hé là ! dis-nous laquelle
Est la plus belle ?
Refrain
La plus belle ?...
Dam’ je n’sais pas.
La plus belle
Sera celle
Qui m’aimera
Tout en dansant la ronde
Oh ! ces yeux que vous a
Margot !
Et la nuque si blonde
De Suzon, quel nid à bécots !
Et les lèvres de Lise,
Quelles cerises !
Toutes après la ronde,
Margot comme Lise et Suzon,
Se sont, au bout du monde,
Ensauvées au bras d’un garçon
;
M’est restée la Mariotte
Laide et boscotte.
Dernier refrain
La plus belle ?...
Eh ben ! la v’là...
La plus belle
Sera celle
Qui m’aimera !
Madame, c'est moi qui viens.
Moi, cela ne vous dit rien !
Je viens vous chanter quand
même
Ce que mon cœur a rimé
Et si vous voulez m'aimer ?
Moi : c'en est un qui vous
aime !
Oh ! vos mains, dont les
pâleurs
Bougent, en gestes de fleurs
Qu'un peu de brise caresse !
Oh ! vos beaux yeux impérieux
!
Un seul regard de ces yeux
Dit assez votre noblesse !
Vos aïeules ont été,
Sous le grand chapeau d'été
Fleuries comme un jour de
Pâques,
Marquises de Trianon,
Et moi, fils de gens sans
nom,
J'ai des goûts à la
Jean-Jacques !
Votre parc est doux et noir :
Il y ferait bon ce soir
Pour achever ce poème
Que mon cœur seul a rimé.
Donc, si vous voulez m'aimer,
J'y serai, moi qui vous aime
!
- Je chantais cela tantôt,
Aux grilles de son château.
A la fin, compatissante,
Elle dit à son larbin :
« Joseph, portez donc du pain
Au pauvre mendiant qui chante
! »
Sous les étoiles de septembre
Notre cour a l'air d'une
chambre
Et le pressoir d'un lit ancien
;
Grisé par l'odeur des
vendanges
Je suis pris d'un désir
étrange
Né du souvenir des païens.
Couchons ce soir
Tous les deux, sur le
pressoir !
Dis, faisons cette folie ?...
Couchons ce soir
Tous les deux sur le
pressoir,
Margot, Margot, ma jolie !
Parmi les grappes qui
s'étalent
Comme une jonchée de pétales,
O ma bacchante !
roulons-nous-
J'aurai l'étreinte rude et
franche
Et les tressauts de ta chair
blanche
Ecraseront les raisins doux.
Sous les baisers et les
morsures,
Nos bouches et les grappes
mûres
Mêleront leur sang généreux ;
Et le vin nouveau de
l'Automne
Ruissellera jusqu'en la
tonne,
D'autant plus qu'on s'aimera
mieux !
Au petit jour, dans la cour
close,
Nous boirons la part de vin
rose
Œuvrée de nuit par notre
amour ;
Et, dans ce cas, tu peux m'en
croire,
Nous aurons pleine tonne à
boire
Lorsque viendra le petit jour
!
A l'assemblée du pays
Quand j'étais petit, petit,
Guère plus haut qu'une botte,
Mon père, un bon paysan,
Me disait, en me glissant
Un gros sou dans la menotte :
Refrain
Tiens, p'tit gàs
V'là deux sous pour ton
assemblée...
Tiens, p'tit gàs
V'là deux sous, mais n' les
dépens’pas.
Avec les autres morveux
Je courais, le cœur joyeux,
Jusque sur la place en fête
Ecoutant le carillon
De l'inutile billon
Qui tintait dans ma pochette.
Les prestes chevaux de bois
Obéissant à la voix
Des orgues de Barbarie,
Les chevaux de bois
tournaient
Habillés de beaux harnais
Où brillaient des pierreries.
Chez le marchand de gâteaux
Installé dessous l'ormeau
C'était la galette au beurre,
Et les sucres d'orge blonds,
Et la roue aux macarons
Qu'une plume d'oie effleure !
Devant tout ce Paradis
Je restais abasourdi,
N'osant rien dire et rien
faire,
Et je nais chez nous
Pleurant, avec les deux sous
Que m'avait donnés mon père.
Ainsi, belle aux yeux
charmants
Qui dites m'aimer vraiment,
Sans vouloir me laisser
prendre
Parmi votre corps rosé
Ce que j'appelle un baiser,
Prés de vous je crois
entendre :
Refrain
Tiens, p'tit gâs
V'là deux sous pour ton
assemblée !
Tiens, p'tit gàs
V'là deux sous, mais n' les
dépens’pas !
L'matin, au coup d’clairon
des oés
On saute à bas au grand
galop,
Et l'on s'en va-t-aux champs
piocher
Jusqu'à midi à nout' clocher.
A midi, on casse un morceau
Pis on r'pioch' tout le temps
du tantôt.
Le souér, on rentre à la
maison
Pour manger la soupe au
cochon,
Et, prés d'sa femme eun'
foués couché,
Avant d’dormi' faut 'cor...
bûcher.
Et v'là comm' ça qu'est cheu
nous :
On se r'pos’qu'un coup dans
l’trou.
On trim' comme eun' bête
el’lundi,
On fait la mêm' chous’le
mardi,
Et, pou se r'poser
l’méquerdi,
On fait comm' lundi et mardi
;
L'jeudi, à seul’fin d’se
changer,
On va vend’ son beurre au
marché.
Le venterdi et le sam'di
On r'prend la tach' du
méquerdi
Et, l’dimanch' quand on prend
du r'pous,
On n' le sent pas pasqu'on
est saoul.
Et v'là comm' ça qu'est cheu
nous :
On se r'pos’qu'un coup dans
l’trou.
Tout l'hiver on bat à grands
coups
Su' l'air' des granges le blé
d'août.
Un coup qu'arrive el mois de
mars
On peign' les champs avec sa
harse.
Grobants sous l’souleil en
été
On fane el’foin, on fauche
el’blé.
En automne on coupe el
raisin.
On fait l'vin doux, on sème
el’grain.
Et quand que r'vient les
moués d’janvier,
Reste pas qu'à s'chauffer les
pieds.
Et v'là comm' ça qu'est cheu
nous :
On se r'pos’qu'un coup dans
l’trou.
Quand on est tout petit
petiot
On va-t-à l'écot' de
l’hamieau.
Quand qu'on attrap' douze à
treize ans
Faut s'en aller piocher aux
champs.
A vingt ans on sert sa
Patrie,
En s'en r'venant d’là on
s'marie,
On fait des petits à soun
heure,
On est patriote, électeur,
Contribuabe ! ... et ça
continue
Jusque là ousqu'on n'en pouv'
pus...
Et v'là comm' ça qu'est cheu
nous :
On se r'pos’qu'un coup dans
l’trou.
T'as-t'y ben fêté, mon
Jacques,
La fêt' de la Libarté ?
T'as-t'y ben fêté, mon
Jacques,
T'as-t'y ben fêté?
J'on envoueyé fout' la bon
guieu d'ouvrage
Qui press’coumme el diab'e à
l'entré d’mouésson,
Et pis, j’son partis traîner
sous l'ombrage
Ousque les pompiers buvint au
poinson ;
On s’n'est mis dans l’col
tant qu’j'en pouvint mett'e,
Si qu’v'auriez vu ça quand
qu'on s'est l'vé d’là !...
I' disint : « Hu' mon Jacqu's
! » et j'allint à dia !
(Jusqu'à nous vieill's jamb's
qui voulint pus d’maîte !)
J'ons mis des lantarn's su'
l’devant des f'nêtes
Pour qu’l'Egalité trouv' son
compte itou
En fesant r'ssembler les
maisons hounnêtes
A d'auceun's maisons qui
l’sont point en tout !
Voueyons ! core un r'frain !
core eun' rinçounette !
Pour bouére et chanter, parsounn'ne
r'naclait :
On lichait tertous après
chaqu’couplet
Et la Marseillais’servait
d’Pomponnette !
I' régnait partout la mêm'
bounne entente :
Nout' maire dit : « Je...
je... je n' men rappell’pus ! »
Au bieau d'un discours plein
d'phras's éloquentes
Et j'ons fait : « Tant mieux
! » nous qu'avions trop bu !
C’brav' maire, ben qu'il
'tait itou coumme eun' boule,
Par un coup qu’nout' vin s'en
v'nait d’nous r'monter
(C'est-y, voui ou non, d'la
Fraternité ?)
A pris soun' écharp' pou'
torcher nout' goule !
Y a temps pour tout' chose,
et c'est fini d'rire !
T'es lib'e ed’cracher les
impôts qu’tu doués :
V'là m'sieu l'Parcepteur et
sa grouss’tir'-lire !
T'es l'égal de tous les
peineux coumm' toué
Qu'ont des gâs qu’nous faut
pour fair' : portez armes ! ...
V'là l’major avec eun' toués
sous son bras ! ...
Et si tu r'chign's trop, mon
Jacqu's tu goût'ras
D'la Fraternité d’tes frèr's
les gendarmes ! ...
Le 14 juillet
Un jour, en nant la terre
D’un coin de c’champ-ci où,
jadis,
Se trouvait l’ancien
cimetière
Qui reçut les vieux du pays,
En nant la terre nue,
Au creux d’un sillon noir et
d’or,
Soudain, une tête de mort
Buta dans mon soc de charrue.
Et, prenant dans ma main
calleuse,
Afin de mieux l’examiner,
Cette tête à grimace hideuse,
Sans lèvres, sans yeux et
sans nez,
J’ai rêvé de filles jolies
Aux lèvres donneuses d’amour,
Aux yeux clairs comme un rai
de jour,
Pour qui j’aurais fait des
folies.
Voyant ce crâne à l’ossature
Jaune et verte, et dont le
cerveau
Avait dû servir de pâture
Aux vers qui vivent des
tombeaux,
J’ai rêvé d’un bourgeois très
riche,
Gros de ventre et fort
d’appétit,
Dont j’aurais servi, comme
outil
A faire le boire et la miche
!
Et jetant à travers la plaine
Selon mon désir, n’importe
où,
Cette chose qui fut humaine,
Comme on jetterait un
caillou,
J’ai rêvé d’un grand
capitaine
Qui m’aurait emmené mourir…
Ou faire mourir, pour servir
Son œuvre de gloire et de
haine !
Mais, en r’trouvant soudain
la tête
Reposant en l’ombre d’un pré
Comme vont reposer mes bêtes
Lorsque mon champ s’ra
labouré,
J’ai rêvé du travailleur
blême
Pour qui l’existence est un
poids,
D’un pauvre bougre comme moi,
Mort… comme je mourrons
moi-même !
Variante des quatre derniers
vers
J’ai rêvé d’un pauvr’
prolétaire
Pour qui l’existence est un
poids,
D’un pauvre bougre comme moi,
Et pieusement j’l’ai r’mise
dans la terre.
Paraît qu’la Toinon qu'est
parti' coumm' bonne
Pour aller sarvi' cheu des
gens d'Paris
S'appelle à pésent : Mame la
Baronne ;
Moué, je suis resté bêtement
au pays.
Ça ne m'a jamais v'nu dans la
caboche
Ed’coller un "De"
par devant mon nom...
Et pourtant, du temps
qu’j'étais tout p'tit mioche,
J'allais à l'école avec la
Toinon !
A ses « tous les jours »
all’port' robe ed’soie,
All’sait s’parlotter à
chaqu’mot qu'all’dit ;
Moué, je suis resté bête
coumme eune oie,
J'porte la mêm' blous’l’dimanche
et l’sam'di.
Tout' la s'maine, all’mang'
d’la dinde à la broche ;
Moué, tout' moun anné',
j’bouff' que du cochon...
Et dir' que, du temps
qu’j'étais tout p'tit mioche,
J'allais à l'école avec la
Toinon !
All’reçoué cheu-z-ell’des
moncieux d'la ville,
Des gens coumme i’faut qui li
font la cour...
Et qui la fourniss'nt de
bieaux billets d’mille ;
Moué, j’suis un pauv' gâs
sans l’sou, sans amour !
Ell', du moins, all’vit sans
que l’monde i' r'proche ;
Moué, quand que j’bracounne,
on m' fout en prison...
Et dir' que, du temps
qu’j'étais tout p'tit mioche,
J'allais à l'école avec la
Toinon !
Ça m'gên' d’la vouèr riche et
d’me vouèr si pauve,
Ça m' saigne ed’songer
qu'alle aime un tas d’gàs
Qu'entr'nt avec leu's sous au
fond d’soun alcôve
Et qu'ont les bécots
qu'all’me baill'ra pas...
Aussi, j’dounn'rais ben tout
c’que j'ai en poche :
Ma pip', mon coutieau, mes
collets d’laiton,
Pour ét' 'core au temps
oùsque, tout p'tit mioche,
J'allais à l'école avec la
Toinon !
Su' la grand’place, y a des
baraqu's et des roulottes,
Des bohémiens qu'ont des
brac'lets d’cuiv' au pougnet,
Et les p'tiots, du fin fond
des seigl's ou des genêts
Accourent avec de grous sous
dans leux menottes.
L'assemblée est jolie à
plein; mais c’qu'est l'pus biau,
C'est c’tourniquet là-bas,
qu'a des vaissell's dessus,
Des assiett's qu'ont des coqs
roug's et verts peints dans l’cul,
Des tass's pareill's ! - Et
qui qui prend un numério ? -
- Ah ! les bell's tass's !
Les bell's assiett's ! En gangner une...
C'est ça qu'aurait bon genr'
su' l’dressoir à la mère...
Et, pour prendr' el numério
qui gangne... ou qui perd
D'vant l’tourniquet qui
gric', les p'tiots lâch'nt leux fortune.
D'aucuns pard'nt. Et d'autr's
gangn'nt eune assiette ou eun' tasse,
Ceux là, d'vant les
vaissell's qu’leux doigts vont tournaillant
Trouv'nt qu'a font moins
d'effet qu'a n'en f'sin cheu l'marchand
Et tertous r'niffl'nt la
galett' chaud’su' la grand'place.
La galett' chaud’! La galett'
qu'a du beurr' dedans
- Un sous l'quarquier ! La
bonn' galette aux croustill's d'or -...
Mais les p'tiots s'en
r'tourn'nt cheux eux avec la creus'dent,
Et c't'odeur de galett' qui
les suit... Coume un r'mords...
- M'man, j'ai pardu mes sous
à mettre au tourniquet. -
Qu'i geignouss'ront, la têt',
dans l'devantiau des vieilles
Et l’pèr' dira : - Hou !
queux michants couyons qu’ça fait,
Qui s'laiss'nt 'cor encancher
par des foutais's pareilles ! -
Pourtant les p'tiots en
s'ront p't'êtr' là quand i's'ront vieux.
Du rest' el’père a jamais
cessé d’fair' coume eux.
Il tourne au long d’sa vie
l’tourniquet aux vaissell's...
Y a qu'les vaissell's qui
chang'nt et all's n' sont pas pus belles.
Il tourn' le tourniquet su'
l'autel du curé
Y a des paradis bleus qui
nag'nt dans les assiett's,
Des bons Gieux qui vous
ouvr'nt leux bras pleins de bonté...
Et quoué, tout c’que l’bagoût
d’ces gâs-là sait y mett'.
Il tourn' le tourniquet su'
l’canon d’la patrie :
Y a des souleils de glouér'
dans des plats tricolores,
Des couronn's de lauriers
verts, des branch's de chên' d'or
Et des band'roll's ousqu'est
les dévis's héroïques ! -
Il tourn' le tourniquet
su'l'dous d'son député
Y a des tass's aux r'bords
dorés, coum' des bell's promesses :
V'aurez toujou' d’la soup'
grass’dans vos tass's dorées
Et mêm' du vin vieux pour
dorloter vot' vieillesse ! -
Quand qu'il aura jité ses
sous, ses gâs, sa vie
Su' l'tourniquet qui tourn'
pour le bien d'ceux qu'en vivent,
Il pens'ra que la loi, la
r'ligion, la patrie,
C'est des imag's de fouér'
dans des culs d'vaisséll’vide
Et la Raison cri'ra d'vant li
:
La galette ! chaude !
Il faut abattre la moisson
Et la serrer en gerbes
grosses;
Tous les gens solides se sont
Loués chez les fermiers de
Beauce.
Au départ des gâs s’en allant
Prendre leur place aux tâches
blondes
Les garçailles, à leurs
galants,
Ont dit à la ronde
Refrain
Faucheur, mon beau faucheur,
Si vous trouvez un trèfle à
quatre feuilles
Gardez-le pour que je le
cueille.
Faucheur, mon beau faucheur,
Ça porte bonheur !
Mais au travers des chaumes
roux
Le trèfle à bonheur est bien
rare
Depuis qu’il pend à tous les
cous
Des belles dames qui s’en
parent ;
Et tous les gâs, des champs
aux prés,
N’ont pu trouver, sous leurs
faucilles,
Qu’un brin du trèfle désiré
Par toutes les filles.
Un seul brin ! Et tous les
galants
L’ont voulu pour sa bonne
amie ;
Le fer des faux soudain sanglant
S’est dressé dans les mains
roidies.
Et dans la Beauce aux longs
champs plats
Quand la moisson s’écarte et
bouge
Le brin de trèfle est encore
là
Tout rouge, tout rouge !
Pas ça, vieux gâs ! V'là
qu’tu prends d’l'âge,
Faudrait vouèr à vouèr à t'
caser ;
Tant qu'à faire, aut' part
qu'au village,
Pasqu'au villag' faut trop
masser
Pour gangner sa bouguer' de
vie !
Dis donc, ça n' te fait point
envie ?...
Si j'étais que d'toué, j'me
mettrais
Curé !
Tu f'rais tes class's au
séminaire
Où qu’nout' chât'tain, qu'est
ben dévot,
T'entertiendrait à ne rien n'
faire ;
Et tu briff'rais d’la tête
d’vieau,
Du poulet roûti tout' la
s'maine,
En songeant qu’d'aucuns
mang'nt à peine...
Si j'étais que d’toué, j’me
mettrais
Curé !
Et pis, quand t'aurais la
tonsure,
Tu rabed'rais vouèr au
pat'lin
Où qu’l'existenc’nous est si
dure,
Où qu'all’t' s'rait agréable
à plein...
Tu fourr'rais du foin dans
tes bottes,
Avec les sous des vieill's
bigottes...
Si j'étais que d’toué, j’me
mettrais
Curé !
Tu prêch'rais l'abstinence en
chaire,
Et tu f'rais maigr' les
venterdis...
Tout's les fois qu’la
viand’s'rait trop chère ;
Tu confess'rais l’mond’du
pays
Et, dans l’tas des fill's
brun's ou blondes,
Gn'en a pas mal qui sont
girondes
Si j'étais que d’toué, j’me
mettrais
Curé !
Tu s'rais queuqu'un dans la
commune ;
Monsieu l'Maire s'rait ben
avec toué,
Et j'profit'rais d’cette
bonn' fortune
Pour am'ner un ch'min d'vant
cheu moué...
Dam, fais c’que tu veux,
j’forc’parsonne !
Mais v'là l'bon conseil que
j'te dounne :
Si j'étais que d'toué, j'me
mettrais
Curé !
Au mois d'août, en fauchant
le blé,
On crevait de soif dans la
plaine;
Le corps en feu, je suis allé
Boire à plat ventre à la
fontaine :
L'eau froide m'a glacé « les
sangs ».
Et je meurs par ce tendre
automne
Où l'on danse devant la tonne
Durant les beaux jours
finissants...
J'entends les violons...
Marie !
Va, petiote que j'aimais bien
;
Moi, je n'ai plus besoin de
rien !...
Va-t'en danser à la frairie,
J'entends les violons...
Marie !...
Veux-tu bien me sécher ces
pleurs?
Les pleurs enlaidissent les
belles !
Mets ton joli bonnet à fleurs
Et ton devantier en dentelle
:
Rejoins les jeunesses du
bourg
Au bourg où l'amour les
enivre ;
Car, si je meurs, il te faut
vivre...
Et l'on ne vit pas sans amour
!
Entre dans la ronde gaiement
;
Choisis un beau gâs dans la
ronde,
Et donne-lui ton cœur aimant
Qui resterait seul en ce
monde...
Oui, j'étais jaloux cet été
Quand un autre t'avait suivie
;
Mais on ne comprend bien la
vie
Que sur le point de la
quitter...
Après ça, tu te marieras...
Et, quand la moisson sera
haute,
Avec ton homme au rude bras,
Moissonnant un jour côte à
côte
Vous viendrez peut-être à
parler,
Emus de pitié grave et sobre,
De Jean qui mourut en Octobre
D'un mal pris en fauchant les
blés...
Me voici que j’entre au
bourg,
Tiens, mais cette grande rue
Ne m’est-elle pas connue ?
Mais si da ! c’était un jour,
Mon cœur était jeune et
tendre :
Une fille vint le prendre !
Et ce gros homme ventru
Ne l’ai-je pas déjà vu ?
Ah ! c’est l’épicier du coin
!
Qui m’a refusé sa fille
En disant : « Je ne veux
point
D’un tel gueux dans ma
famille ! »
Puisque l’on a marié
Proprement la demoiselle
Au comptoir qui donc
m’appelle ?
- C’est la femme à l’épicier
Qu’une chaude quarantaine
Pousse aux pires prétentaines
!
Quand on a pas ce qu’on veut,
Il faut prendre ce qu’on peut
!
La conjointe à l’épicier
M’offre, à défaut de la
fille,
Pour rentrer dans la famille
Un chemin déjà frayé,
Et me voici donc, en somme,
Plus que proche du brave
homme
A qui je laisse goûter
Cette étrange parenté
La vendange s'annonçait belle
Et l'espoir, pour nous,
En sourires de fleurs
nouvelles
S'ouvrait au bout des jeunes pousses,
Mais, cette nuit, la lune
rousse
A fait de ses coups !
Mon bel ami, les vignes sont
gelées !
Tes deux arpents si verts sur
le coteau,
Faut pas y songer !
Si l'on ne boit pas de vin
cette année,
On boira de l'eau !
Si ta belle vendange est
morte
La nuit du grand froid,
Nos vingt ans toujours bien
se portent !
Les bourgeons roulent sous
les souches
Mais il reste encor sur ma
bouche
Des baisers pour toi !
Oui, nous n'irons pas en
vendange
Dans les arpents blonds
Lorsque viendra la
mi-septembre,
Mais dans le champ de nos
caresses,
L'an tout au long, sans fin
ni cesse,
Nous vendangerons !
Le vin doux dont l'âme
pétille
Ne jaillira pas
Du pressoir aux rondes
sébilles,
Mais de ton cœur tendre et
farouche,
Comme du creux d'un pressoir
rouge
L'Amour jaillira !
Ohé ! Là-bas,
Vous qui dansez en rondes
claires,
Écoutez ça : c’était un
pauvre gâs !
Au temps des contes de
grand’mères,
C’était un rustaud si laid,
Si laid, si pauvre, et si
bête
Que, pour danser dans les
fêtes,
Nulle fille n’en voulait !
Ohé ! Là-bas,
Vous qui tournez par couples
roses,
Écoutez ça : c’était un
pauvre gâs !
Ses vingt ans murmuraient des
choses
Et son cœur n’était point
sourd.
Il en eut telle souffrance
Qu’il mourut, un soir de
danses,
Au son des crincrins d’amour.
Ohé ! Là-bas,
Vous qui savez les baisers
tendres,
Écoutez ça : c’était un
pauvre gâs !
Le vieux sonneur alla
descendre
Son méchant corps au tombeau.
Mais du froid cercueil de
planches
Son cœur, au temps des
pervenches,
Monta vers l’amour nouveau.
Ohé ! Là-bas,
Vous qui passez, les gais
dimanches,
Écoutez ça : c’était un
pauvre gâs !
Son âme prit corps de
pervenche...
Et, comme une fille allait
Vers les danses coutumières,
Cueillit la fleur printanière
Pour la mettre à son
corset...
Ohé ! Là-bas,
Vous qui tournez en rondes
claires,
Écoutez ça : c’était un
pauvre gâs !...
A une dame aux yeux noirs
Vous m'avez dit dans un
sourire,
Que les yeux bleus (souvent
songeurs),
Semblaient refléter et
décrire
Les intimes penchants des
cœurs.
Vous m'avez dit - lèvres
sincères -
Que vous aimiez ce bleu
profond,
Où vos yeux trouvaient plus
sévères
Ces regards où tout se
confond.
Ces regards fixes qui
résument
La haine ou la joie ou
l'amour,
Ces regards bleus qui vous
consument
Et font tout un siècle d'un
jour.
Vous les adorez, chère Dame,
Aussi je les chante pour
vous,
Mystique, divine est leur
flamme ;
Vous les trouvez si doux..,
si doux!
Vous m'avez dit dans un
sourire
Que ces yeux dictaient les
espoirs.
Pourtant... (laissez-moi vous
le dire)
Pourquoi vos beaux yeux
sont-ils noirs ?
A ma dame
Ton âme avait alors la
blancheur des grands lys
Que berce la chanson des
vents rasant la terre ;
L'Amour était encor pour toi
tout un mystère,
Et la sainte candeur te
drapait dans les plis
De sa robe... Ce fut par les
bois reverdis,
A l'heure où dans le ciel
perce la lune austère.
Je te vis, je t'aimai, je ne
pus te le taire
Et tout naïvement alors je te
le dis.
Tu fixas sur mes yeux tes yeux
de jeune vierge,
Brillants de la clarté douce
et pure d'un cierge,
Ton front rougit.... tu
n'osas pas me repousser.
Et l'aveu tremblotant, dans
un soupir de fièvre,
S'exhala de ton cœur pour
errer sur ta lèvre,
Où je le recueillis dans un
premier baiser.
Pierre Printemps
Moulin de Clan, août 1897.
Jehanne la pastourelle au
cotillon de laine,
Un soir qu'elle gardait ses
moutons dans la plaine,
Mystique, au bas du vieux
clocher de Domrémy,
Ouît de saintes voix qui
voltigeaient parmi
Les blés en deuil, et les
bluets aux yeux en larmes
Et les coquelicots saignants
: « Ma fille, aux armes ! »
Criaient les voix : « Il faut
obéir au bon Dieu,
Ma fille, mets l'épée à la
main, dis adieu
Aux tiens, et va porter ces
mots de délivrance :
— L'Anglais sera bouté hors
de
Alors Jehanne quitta son
cotillon de laine
Et laissa ses moutons au
milieu de la plaine,
Pour chevaucher au loin, bien
loin d'eux, en habit
De fer, allant combattre et
chasser l'ennemi.
Elle arriva devant Orléans
plein d'alarmes,
Hérissé de bastions, flanqué
de tours « aux armes !...
Sus !... en avant !... »
fit-elle, ardente, l'œil en feu,
Piquant son destrier et
levant au ciel bleu
Son étendard baisé par les
vents d'espérance :
— « L'Anglais sera bouté hors
de
Jehanne ne remit plus son
cotillon de laine,
Et mourut sans revoir ses
moutons, dans la plaine
Où les blés bruient au loin,
tel le flot endormi
De
Son beau corps fut brûlé,
mais, comme sous des charmes
Puissants, un cri partit dans
le royaume : « Aux armes !...
Aux armes !... » Fils des
preux d'antan qui faisaient vœu
De vaincre ou de périr ! Bon
peuple ! Jehanne veut
Vous bénir tous !... Finis
sont vos jours de souffrance !
— L'Anglais sera bouté hors
de
Envoi :
Bonne Lorraine, hélas ! quand
crieront-ils : « Aux armes !..
Tes neveux du pays de l'Est, là-bas,
un peu,
Dans
Faire luire pour eux l'astre
de la délivrance.
— Et bouter l'Allemand hors
de
Gaston Koutay
(Conte fantaisiste)
Les agents sont de braves
gens
(Yon-Lug)
Hier soir à la sortie des
ateliers, deux ouvriers se promenaient paisiblement sur le trottoir, causant
entre eux et fumant leurs cigarettes.
Soudain l'un d'eux s'écria en
s'adressant à son camarade « Mon vieux, avec Erness on a fait une bombe, une
bombe à tout casser ! »
Un bon bourgeois recueillit
avec effroi cette bribe de conversation et s'en alla la porter, aussi terrifié
que s'il eût porté une marmite à renversement, à un sergot qui dormait à côté
d'un bec de gaz. « Ils ont fait une bombe, ceux-là », fit-il, très pâle, au
représentant de l'autorité qui ouvrit les yeux.
« Comment ça... Ils ont fait
une bombe !... Les attentats a... narchistes vont reprendre... Gare à nous !...
» s'éclata le sergot devenant violent. Et après avoir rassemblé une douzaine de
ses camarades pris de peur comme lui, il arrêta avec toutes les précautions
possibles les deux paisibles ouvriers qui se promenaient sur le trottoir
causant entre eux et fumant leurs cigarettes. Et les deux infortunés ont couché
au violon ; on les a relâchés au jour, il est vrai... Mais vous avouerez qu'il
est un peu dur de passer une nuit sur la paille parce qu'on en a passé une
autre à s'amuser... et faire la bombe.
Gaston Coûté.
Dame (1) ! vois-tu les grands
blés d'or
Sous les couchants de
Messidor
Saillir longs et droits de la
glèbe.
Ils ne sont pas encor si
longs =
Que les flots de tes cheveux
blonds
Où je cache mon front
d'éphèbe.
Dame ! écoute la voix du vent
Dont l'aile caresse en rêvant
Une par une chaque tige.
Elle est moins vibrante
d'émoi
Que ta chanson qui fait en
moi
Courir des frissons de
vertige.
Dame ! regarde voltiger
Les abeilles en l'air léger
Et se reposer sur les roses.
Leur miel plein d'arôme est
moins doux
Que le baiser pris à genoux
Sur tes lèvres fraîches
écloses.
Dame ! en ton geste noble et
lent
Cueille un coquelicot
sanglant
Pour l'épingler sur ta
poitrine.
Il est moins rouge que mon
coeur
Quand ton rictus aigre et
moqueur
Le met en doute ou le
chagrine...
(1) Chère (variante)
Août 1897.
Le soir étend sur les grands
bois
Son manteau d'ombre et de
mystère ;
Les vieux menhirs, dans la
bruyère
Qui s'endort, veillent, et
des voix
Semblent sortir de chaque
pierre.
L'heure est muette comme aux
temps
Où, dans les forêts
souveraines,
Les vierges blondes et
sereines
Et les druides aux cheveux
blancs
Allaient cueillir le gui des
chênes.
Réveillez-vous, ô fiers
Gaulois,
Jetez au loin votre suaire
Gris de la funèbre poussière
De la tombe et, comme
autrefois,
Poussez votre long cri de
guerre
Qui fit trembler les plus
vaillants,
Allons, debout ! brisez vos
chaînes
Invisibles qui vous
retiennent
Loin des bois depuis deux
mille ans.
Allez cueillir le gui des
chênes.
Barde, fais vibrer sous tes
doigts
Les fils d'or de la lyre
altière,
Et gonfle de ta voix de
tonnerre
Pour chanter plus haut les
exploits
Des héros à fauve crinière
Qui, devant les flots
triomphants
Et serrés des légions
romaines
Donnèrent le sang de leurs
veines
Pour sauver leurs dieux tout
puissants
Et le gui sacré des grands
chênes.
Envoi
Gaulois, pour vos
petits-enfants,
Cueillez aux rameaux
verdoyants
Du chêne des bois
frissonnants
Le gui aux feuilles
souveraines
Et dont les vertus
surhumaines
Font des hommes forts et
vaillants.
Cueillez pour nous le gui des
chênes.
Copie d'une production
polycopiée portant le cachet du lycée d'Orléans en date du jeudi 17 décembre
1896 - Seconde moderne.
à Da Costa
Partout, sans cesse, on nous
reproche
D'aimer trop l'amour et le
vin.
Si notre cœur n'est pas de
roche
Pour les filles au corps
divin,
Si nous remplissons notre
verre
Pour le vider souventes fois,
Français ! nous n'y pouvons
rien faire
Car c'est de la faute aux
Gaulois.
Les vieux Gaulois, nos joyeux
frères,
Pour se reposer des combats
Faisaient en leurs sombres
repaires
Les plus gais festins d'ici
bas
Dont les bruits aux ailes
légères
Aient jamais rempli les
grands bois...
Nous sommes les fils de nos
pères !
Nous sommes les fils des
Gaulois !
En leurs coupes la Vierge
blonde
Versait l'hydromel à pleins
bords,
Et chacun buvait à la ronde
Le nectar que buvaient les
morts,
Au Walhala grave, en des
crânes
Pour récompenser leurs
exploits...
Et nous !... par respect pour
leurs mânes
Nous faisons comme les Gaulois
!
Le barde chantait sur sa lyre
Les passes d'armes et d'amour
Que les convives en délire
Racontaient chacun à leur
tour :
Et l'ombre magique et sonore
Redisait l'écho de leurs
voix...
Qui trouve mal qu'on fasse
encore
Ce que faisaient les vieux Gaulois
?
Maintenant, si l'on nous
reproche
D'aimer trop l'amour et le
vin,
De n'avoir pas un cœur de
roche
Pour les filles aux corps
divin,
Et d'emplir aussi notre verre
Pour le vider souventes fois
Qu'ils aillent se faire
lanlaire
Ceux qui nous trouvent
trop... Gaulois !
Moulin de Clan, août 1897.
Dans vos yeux
J'ai lu l'aveu de votre âme
En caractères de flamme
Et je m'en suis allé joyeux
Bornant alors mon espace
Au coin d'horizon qui passe
Dans vos yeux.
Dans vos yeux
J'ai vu s'amasser l'ivresse
Et d'une longue caresse
J'ai clos vos grands cils
soyeux.
Mais cette ivresse fut brève
Et s'envola comme un rêve
De vos yeux.
Dans vos yeux
Profonds comme des abîmes
J'ai souvent cherché des
rimes
Aux lacs bleus et spacieux
Et comme en leurs eaux
sereines
J'ai souvent noyé mes peines
Dans vos yeux.
Dans vos yeux
J'ai vu rouler bien des
larmes
Qui m'ont mis dans les
alarmes
Et m'ont rendu malheureux.
J'ai vu la trace des songes
Et tous vos petits mensonges
Dans vos yeux.
Dans vos yeux
Je ne vois rien à cette heure
Hors que l'Amour est un
leurre
Et qu'il n'est plus sous les
cieux
D'amante qui soit fidèle
A sa promesse... éternelle
Dans vos yeux.
Pierre Printemps (1897).
Vous ne l'avez pas connu, vous,
Monsieur Patafiol ? C'est regrettable, car il vous aurait paru, certes, très
intéressant, surtout quand il développait ses théories (aussi changeantes que
les figures d'un kaléidoscope) sur la question sociale.
C'était du reste un bien
brave homme, et je puis vous certifier que, dans le cours de sa longue
existence, il n'a jamais fait un centime de tort à son prochain (qu'il s'est
toutefois bien gardé d'obliger). C'était le vrai type du petit rentier égoïste.
De plus — il ressemblait en cela à bon nombre de nos politiciens fin de siècle
— il avait le privilège de changer d'opinions aussi facilement que de chemises,
qu'est-ce que je dis là ?, aussi facilement, c'est une manière de parler, car
Madame Patafiol, pour restreindre les frais de blanchissage, ne lui donnait une
chemise propre qu'une fois par mois, le dimanche où il la conduisait à la
grand'messe, et à de telles conditions vous ne vous étonnerez pas que souvent
le brave homme tournait sa veste avant d'avoir changé de linge sale.
A l'époque où il fut victime
d'une petite aventure que je m'efforcerai de vous conter, il était abonné à un
certain « Courrier... », organe de l'évêché, journal quotidien politique,
littéraire (oh! combien...), agricole, industriel et financier, et
naturellement le brave homme « tombait » toujours du même avis que «son»
journal. Il glorifiait bien haut l'évêque et sa suite, accusait les
républicains d'avoir fraudé aux dernières élections, et au besoin les traitait
du haut en bas.
Mais on ne peut pas toujours
invectiver les gens du matin au soir, c'est un métier qui devient fatigant. M.
Patafiol choisit comme autre genre de distraction la pêche à
Or un beau jour il vint à sa
place habituelle, s'assit sur l'herbe comme de coutume, assujettit ses lunettes
sur son nez, amorça avec un ver de terre, jeta sa ligne au beau milieu de la
rivière, tira son journal de sa poche, jeta un coup d'œil sur une bande de
canards dont les plongeons troublaient la tranquillité de l'onde, et se plongea
lui-même dans la politique.
Son journal avait le monopole
d'être très intéressant, des fois... pas toujours (il serait plus exact de dire
: pas souvent). Justement, ce jour-là il était encore plus vide de faits et
plus mal rédigé que de coutume, si bien que, la chaleur aidant, notre homme ne
tarda pas à s'endormir, laissant échapper des ronflements d'ogre ou d'orgue
(comme il vous plaira). Il lâcha sa ligne qui s'en alla à la dérive, le fil
s'accrocha dans les nénuphars, le ver revint à la surface.
Aussitôt, un canard, par
l'odeur alléché, se précipita goulûment (la sale bête) sur l'infortuné lombric
qu'il avala d'une seule bouchée, puis, satisfait de son aubaine, il voulut ner
vers ses compagnons, mais il ne put, et pour cause, il avait avalé l'hameçon.
Le réveil fut triste. M.
Patafiol, en se frottant les yeux, aperçut le meunier (son plus grand ennemi
politique), qui accourait vers lui, criant, la face pourpre de colère « Espèce
de feignant ! Faut pus t'gêner. Si tu veux que j't'aide à prend' mes canards à
la ligne ! »
M. Patafiol, forcé de
s'incliner, fit des excuses, paya le malheureux volatile dont on ne put
extraire l'hameçon ancré dans les intestins, et tout en s'en allant la tête
basse par les sentiers fleuris, sa sainte bouche prononça une bordée d'injures
à faire rougir le plus mal embouché des francs-maçons, contre un N... de D...
de journal qui l'avait endormi.
Quelque temps après, il
remplaça la feuille de l'Evêché par le « Radical », chauffa la candidature aux
élections municipales du meunier aux canards (maintenant son ami sur le terrain
politique) et ne conduisit plus Madame Patafiol à la messe... jusqu'à ce qu'un
nouveau revirement s'opérât en lui.
Et il est mort, trois ans
après, le cher homme, après avoir changé cinq fois encore d'opinions
politiques. Pour un mois ou deux je crois que le Bon Dieu aurait dû le laisser
vivre jusqu'à la demi-douzaine.
Le vieux meunier dort, au
fond d'un cercueil
De chêne et de plomb, sous
six pieds de terre,
Et, dans le val plein d'ombre
et de mystère,
Le moulin repose en signe de
deuil.
La nuit a drapé ses murs de
longs voiles
Crêpes aux plis noirs et
silencieux,
Et sur le velours funèbre des
cieux
Roulent des pleurs d'or
tombés des étoiles.
La voix du vent dit, dans les
roseaux roux,
Un hymne au bon Dieu pour la
paix de l'âme
Du défunt, et l'onde égrène
sa gamme,
Lente comme un glas, sur de
gros cailloux.
Les saules ont mis leurs
branches en berne
Au bord du ruisseau, dans
l'obscurité,
Et le sentier même est comme
attristé
Par l'air douloureux et lourd
qui le cerne.
Et le vieux moulin, le pauvre
moulin
Dont le maître est mort un
matin d'automne,
Gît parmi les champs, sous la
lune atone,
Seul et délaissé comme un
orphelin.
Gaston Koutay
Meung-sur-Loire, mars 1897
Revue littéraire et Sténographique
du Centre, n° 8, du 8 avr l 1897
Monsieur le Curé,
Je ne suis pas précisément de
vos fidèles les plus pratiquants et vous ne me voyez pas souvent assister à la
messe, me confesser, communier à la sainte table, mais malgré la divergence de
nos idées sur l'opération du Saint-Esprit, vous me permettrez néanmoins de
publier un plaidoyer en votre faveur.
Figurez-vous que de mauvaises
langues veulent vous faire passer pour cabaretier et prétendent que dans votre
« Cercle Saint-Joseph » vous vendez des bouteilles de bière et de limonade.
Si le fait était vrai, comme
vous ne payez point patente, vous feriez ainsi aux débitants du pays une
concurrence dont ils auraient droit de se plaindre.
Je ne peux pas souffrir
qu'une pareille accusation pèse sur vous, car je sais que vous vous
désintéressez des biens matériels d'ici-bas ; vous n'aimez ni l'argent, ni les
profits, ni les petits cadeaux (à moins qu'ils n'aient pour but d'entretenir
l'amitié) et à vous tout seul, vous surpassez Job et saint Martin.
Je m'inscrirai toujours en
faux contre ceux dont l'audace prétend que vos petites soirées du « Cercle
Saint-Joseph » vous rapporte bon an, mal an, une somme assez rondelette. J'irai
même jusqu'à dire que vous payez des droits à la Société des auteurs et
compositeurs dramatiques pour les pièces que l'on joue sur votre scène.
Une chose cependant
m'intrigue et je vous la dirai aussi franchement que si j'étais dans l'ombre
sainte du confessionnal : Pourquoi changez-vous parfois les titres et
modifiez-vous le texte des pièces en question ? Il est probable que vous ne
manquez pas d'en avertir les auteurs en leur expédiant par mandat-poste, le
montant de leurs droits. Quant à la sortie de vos spectacles, si les jeunes
gens et les jeunes filles entretiennent des conversations en regagnant
nuitamment leurs demeures, c'est certainement sur le Saint-Rosaire et autres
sujets pieux que portent leurs dialogues.
D'ailleurs, Monsieur le Curé,
ne leur prêchez-vous pas l'exemple de toutes les vertus ? Vous qui êtes de ceux
qui marchent bien heureux, chastes et immaculés dans la voie du Seigneur :
Beati et immaculati qui ambulant in via Domini.
Quand on mène, comme vous, M.
le Curé, une vie d'abnégation et d'ascétisme, on n'entasse rien dans son
coffre-fort : heureusement que vous n'avez pas de filles à doter ni de fils à
caser.
Après cette apologie de votre
personne et de votre caractère, je puis bien risquer une remarque sans
méchanceté : Je trouve que votre costume de curé avec large chapeau et ample
manteau, donne trop beau jeu aux mauvais plaisants qui vous accusent déjà de
tenir un cabaret et qui vous comparent au fameux chansonnier Aristide Bruant,
ancien seigneur du « Mirliton ».
Il est vrai que, si vous
aviez sa cravate rouge et ses larges bottes, vous lui ressembleriez un peu tout
de même, Monsieur le Curé.
J'espère que vous me
pardonnerez volontiers cette plaisanterie, à moi qui, sur tous les autres
points, me suis fait votre avocat, sans même vous demander d'honoraires.
Agréez, Monsieur le Curé, etc.
Revue littéraire et
Sténographique du Centre, n° 8, du 8 avr l 1897
(Comédie en un acte de Gaston
COUTE)
Le pé Rapiat
La vieille tante
Le maître
Narcisse
La scène représente une vaste
cuisine de campagne. C’est Dimanche. —
Au moment où le rideau se
lève, on voit Julie ouvrir une porte et disparaître.
Le pé Rapiat
Dis donc la mé, où donc que
c’est qu’est partie Julie ?
Je crois ben
qu’alle a été faire un brin de toilette parce que le gâs au maître Narcisse
doit venir la chercher ce soir pour aller au bal.
Le pé Rapiat
Ah ! Ah !... Tiens mais,
comme je vois, ça fait mine de marcher les amours. Le gâs en pince pour
not’fille, y a pas de doute, et dam ! not’fille…
…
M’étonnerait pas qu’alle en pince itou pour le gâs !
Le pé Rapiat
Bah ! laisse donc faire,
c’est ce qui nous faut.
Ben sûr que
c’est ce qu’i’nous faut.
Le pé Rapiat
Ça n’a pas l’air d’être un
mauvais garçon ; on le dit seulement un peu dur comme ça avec les domestiques
mais bah ! quand même que ça serait vrai, quoi que ça peut faire : pour qu’une
femme soit heureuse en ménage, faut que son homme la batte de temps en temps,
pas vrai, la mé ! Et pis tout ça c’est ren, c’est négligeable ; cé qu’est à
regarder de pus près c’est que son père est le pus riche fermier de cheu nous.
Le pus riche
!... ah oui, l’pus riche !... Persounne saurait dire comben qu’il l’est. Il a
un champ à côté de celui à Pierre, il en a un autre à côté de c’ti-là à
Jacques, il en a un à côté de celui à tout le monde, il en a partout !
Le pé Rapiat
Et pis, tu parles de la terre
! Je veux ben que c’est que’qu’chose déjà, mais a’n’hui que ça a ben pardu de
sa valeur faut considérer que c’est le moindre de tout ce qu’i’possède, le
bonhom’. Il a des maisons d’éparpillées dans tout le bourg ; il a dans son
coffre… ah dam ! ça je le savons pas, mais je sommes certains que y en a pus
que dans le nôtre… et des actions su’les chemins de fer…
Et des
héritages à faire…
Le pé Rapiat
Mais voui, tiens encore, je
songeais pas à ça… Ah bon Dieu !... si jamais on peut la caser là, not’Julie, a
pourra se vanter d’être chouettement casée.
Oui mais, ça
sera pour en arriver là que ça sera peut-être pas commode… On dit le maître
Narcisse un peu regardant, un peu près de ses intérêts et dam ! pourrait ben se
faire qu’i’ne se laisse pas faire tout seul !
Le pé Rapiat
Je sais ben, je sais ben !
mais il est fin, va, le bonhomme. Il est comme nous, i’s’attend… i’… i’compte
sur autre chose que sur ce que je donnons à not’fille. I voit ben que si on
s’est donné le mal d’avoir recueilli eune vieille cruche de tante, qu’on
l’héberge, qu’on la soigne comme un p’tit enfant, qu’on la traite quasiment
comme si c’était not’mère, ça doit pas être pour des prunes…
… Mais pour
ses écus parce qu’alle en a, elle aussi, la vieille !... Ah ! le jour oùs
qu’a’claquera… (se rapprochant de la vieille ; portant à sa bouche ses deux
mains en forme de porte-voix et criant à tue-tête tout en s’efforçant d’adoucir
ses paroles). Dites donc, hé ! ma tante, v’avez l’air d’avoir froid, si vous
v’lez que je vous fasse un peu de feu.
La vieille
Non va ; t’es ben
gentille de songer à moi, mais c’est pas la peine : quand la fin arrive, y a
pas de feu qui fasse, on a toujou’ froid.
Le pé Rapiat
Mais en attendant, je sommes
toujours point sûrs qu’a’ nous a mis su’ le testament.
Non mais,
voyons si a’ ne nous mettait pas qui donc que c’est que tu voudrais qu’a’
mette.
Le pé Rapiat
C’est vrai, je ne vois
personne, je pouvons dormir tranquille. Alle a pus pas un parent… excepté nous
autres. (On frappe à la porte.)
Entrez !
(Paraît le maître Narcisse.)
Le pé Narcisse
Bonjour la compagnie !
Salut,
maître Narcisse que’ bon vent vous amène, prenez donc eune chaise.
Le pé Rapiat
Hé la mé ! va donc nous tirer
eune chopinée de vin ; v’allez voir ça maître Narcisse, c’est du nouvieau. Je
m’en vas vous y faire goûter. (Les deux hommes sont alors assis à table, l’un
en face de l’autre.)
Le pé Narcisse
Je veux ben après tout parce
que ça fait jamais de mal, mais je suis pas venu exprès pour goûter ton vin
nouvieau. Voyons, parlons sérieusement ; tu t’es pas aperçu de que’qu’chose toi
?
Le pé Rapiat
Moi !... non !... pourquoi ?...
de ren !
Le pé Narcisse
En ben, moi , je me suis
aperçu que t’as eune fille qui plaît bougrement à mon gâs, la preuve c’est
qu’on les voit souvent, même un peu trop souvent ensemble, ce qui fait jaser le
monde. Et comme mon gâs arrive du service, qu’il a besoin d’eune femme pour
s’établir je te viens demander ta fille… pour li… et de sa part. Ça sera un
moyen de renouer nos liens de parenté, parce que j’avons été parents dans un
temps. La vieille tante qu’est là, eh ben ! alle était cousine par sa mère avec
défunt
Moi, je veille là-dessus.
Voyons ; dis-moi si t’es dans
le dessein de donner ta fille à mon gâs, et dans ce cas-là comben que tu dois y
donner.
Le pé Rapiat
Heu !... Heu !... ça demande
réflexion. (A la mé qui rentre et pose la chopine pleine sur la table.) Dis
donc la mé ! tu te doutais-t-y pas de ça, toi ? V’là le maître Narcisse qui
vient me demander Julie en mariage pour son garçon… Quoi que t’en penses ?...
Hélas, mon Dieu !... si c’est
les jeunes qui le veulent, moi je demande pas mieux.
Le pé Rapiat
Moi, j’y mets pas
d’empêchements non plus (servant à boire et buvant). Tenez maître Narcisse,
j’allons boire un coup d’abord, je voirons plus clair dans nos affaires, après…
A vot’santé !
Le pé Narcisse
A
Le pé Rapiat
Dam ! écoutez maître
Narcisse, j’ai que c’t’enfant-là, j’peux faire un sacrifice ; j’y donnerai… et
la grande vigne qui fait suite à vot’champ de betteraves, de l’autre côté du
bourg.
Le pé Narcisse
T’y donnes que ça. Bon Dieu !
C’est guère. Pense donc, moi je donne à mon gâs… et… arpents de terre, y en a
eune différence, c’est énorme !... Je suis comme qui dirait en perte dans ce marché-là.
Le pé Rapiat
Dam ! maître Narcisse,
écoutez encore que je vous dise. De ce moment v’là tout, mais tout ce que je
peux donner, seulement… dans que’que temps d’ici je pourra donner à ma fille
presque autant que vous donnez à vot’gâs.
Le pé Narcisse
Et comment que tu feras ?
Le pé Rapiat
Eh ben !... et la vieille
tante, pourquoi donc qu’a’compte ? Alle en a assez, alle en a des écus.
(Renouvelant le même manège que la mé.) Hé la tante ! Vous v’lez boire un coup
avec nous ?...
La vieille
T’es ben gentil, mais je te
remercie, j’ai pas soif.
Le pé Rapiat (reprenant sa
voix naturelle)
Bon ! Bon !... Tant mieux,
vieille bougresse, je l’aurons de reste. Tu nous uses assez comme ça. C’est des
visites du médecin, c’est des remèdes du pharmacien, c’est… ça n’en finit pas
!... Ah la vieille ! Allez maître Narcisse, le jour de sa mort, ça sera le
premier jour de sa vie ous qu’a’ nous aura été utile…
… Ca s’ra un bieau jour itou
pour nous.
Le pé Narcisse
Voui mais, voyons, c’est pas
tout, quoi qu’on décide ?
Le pé Rapiat
Eh ben mais, ça ne tient qu’à
vous. Marions-les tout de suite, le pus tôt sera le mieux parce que si l’on
attend trop longtemps avant que de faire la noce et que la vieille vienne à
claquer pendant ce temps là, faudra commencer par l’enterrement, et puis après,
faudra porter le deuil pendant six mois, parce que c’est eune question de
convenances, encore ça ; si on ne le faisait pas on trouverait à redire sur
not’compte et faut point de ça… Faisons donc pas traîner les choses en
longueur… et sitôt que la vieille sera passée, eh ben ! je rajouterai à
la dot de ma fille ce qui y manque pour qu’a’ soit assez grosse (pas ma fille,
la dot quoique après tout la fille pourrait ben l’être aussi à ce moment-là).
Le pé Narcisse
Eh ben, à ces conditions-là
je veux ben, allons pé… On va prévenir les enfants et pis on va passer chez le
notaire.
La vieille
Eh !... eh !... où donc
qu’v’allez ?... chez le notaire… Ecoutez donc avant que je vous parle de mon
testament à tous les deux !... Hé Rapiat !...
Le pé Rapiat (à part)
Ah ben bon Dieu !... ah ben
!... a’ m’a entendu !... ah ben !... alle est donc pus sourde ! (A la vieille.)
Eh ben, ma tante, v’êtes donc pus sourde.
La vieille
Mais, mon neveu, je l’ai
jamais été.
Le pé Rapiat (à part)
Ah ben !... en ce cas, c’est
du joli.
La vieille
Non, j’ai jamais été sourde ;
j’ai encore bon pied, bon œil… et bonne oreille par dessus le marché, ce qui
fait que je n’ai pas laissé échapper toutes les mauvaises choses que t’as dit
de moi : et je suis pas encore si près de claquer que t’avais l’air de le
croire tout à l’heure, va, sois tranquille. « Ah la vieille bête !... » comme
tu disais, alle est pas encore si bête que tu croyais, tiens !
Ah ! mon Rapiat tu viendras
te moquer des anciens jusque sous leu’nez, toi ! Ah ! tu guetteras l’heure de
ma mort pour avoir mes écus, toi ! eh ben ! je vas t’ôter c’te peine là, moi.
Mes écus !... tu peux te fouiller mon vieux si t’as des poches. Mes écus…
tiens, je n’ai pus ren qu’un parent de ben loin que je viens de me connaître
tout à l’heure et qu’en a pas besoin de mes écus, eh ben !... c’est li qui va
les avoir… V’entendez ben Narcisse, v’êtes mon héritier, v’allez m’emmener cheu
vous ; je veux pus rester ici… Allons-nous en tout de suite… Vous reviendrez
après pour signer le contrat si le cœur vous en dit.
Le pé Narcisse
Le contrat !... quoi faire à
présent, c’est pus la peine… Tiens Rapiat, tu vois, le mariage n’est pus
possible… Tu comptais su’la succession de ta tante pour amortir la différence
que y aurait eu entre la dot de ta fille et celle de mon gâs… et c’est moi qui
l’ai, la bougre de succession ! quoique j’y comptais pas, c’est vrai qu’on dit
toujours que le bien vous vient en dormant…
C’est pus possible à présent
!
Le pé Rapiat
Hein !... Ah ben !... c’est comme
ça que t’arrange ça, toi, espèce de canaille, sale cochon ! Tu viens me voler
eune succession… et pis tu veux pus de ma fille, fripouille.
Le pé Narcisse
(suivant la vieille qui s’en
va, des paquets sous le bras)
Ha ! Ha ! Ha ! voyons Rapiat
je pouvons tout de même pas tout te prendre, t’aurais été trop malheureux
après. J’avons à choisir ; j’ai pris ce qui me plaisait le mieux : l’argent de
ta tante, et je te laisse ta fille… sans argent !... Au revoir !...
Le pé Rapiat (à la mè qui se
lamente)
Ah ben ! Nom de Dieu !...
N’en v’là d’un tour… la vieille saleté !... Qui qu’aurait jamais cru ça d’elle
?...
Pierre Printemps
Moulin de Clan, août 1897
N. d. E. : Ce texte jusqu’ici
inédit nous a été communiqué par un de nos lecteurs que nous remercions.
Un soir d'hiver, quand de
partout,
Les corbeaux s'enfuient en
déroute,
Dans un fossé de la
grand'route,
Près d'une borne, n'importe
où
Pleurant avec le vent qui
blesse
Leurs petits corps chétifs et
nus,
Pour souffrir des maux trop
connus,
Les gueux naissent.
Pour narguer le destin cruel,
Le Dieu d'en haut qui les
protège
En haut de leur berceau de
neige
Accroche une étoile au ciel
Qui met en eux sa chaleur
vive,
Et, comme les oiseaux des
champs,
Mangeant le pain des bonnes
gens
Les gueux vivent.
Puis vient l'âge où, sous les
haillons,
Leur cœur bat et leur sang
fermente,
Où, dans leur pauvre âme
souffrante,
L'amour tinte ses carillons
Et dit son éternel poème ;
Alors blonde fille et gars
brun,
Pour endolir leur chagrin
Les gueux s'aiment !
Mais bientôt, et comme
toujours,
— Que l'on soit riche ou
misérable —
L'amour devient intolérable
Et même un poison à leurs
jours,
Et sous tous leurs pas creuse
un gouffre
Alors, quand ils se sont
quittés,
Pour les petits qui sont
restés
Les gueux souffrent !
Et, quand le temps les a fait
vieux,
Courbant le dos, baissant la
tête
Sous le vent qui souffle en
tempête,
Ils vont dormir un soir
pluvieux,
Par les fossés où gît le
Rêve,
Dans les gazons aux ors
fanés,
Et — comme autrefois ils sont
nés —
Les gueux crèvent !...
Meung-sur-Loire, le 19 août
1898
Revue Littéraire et
Sténographique du Loiret, n° 17, du 20 août 1898
Hélas ! Combien de fois
l'avons-nous rencontré sur notre chemin, ce pauvre hère que le peu charitable jugement
des hommes taxe souvent de lâcheté et de paresse !
La plupart du temps, ouvrier
sans ouvrage et parfois sans famille, il va, de ville en ville, à la recherche
d'un emploi, d'une place, mais une sorte de discrédit est jeté sur lui : on ne
le connaît pas, et par cela même on est tout disposé à lui supposer des vices
qu'il n'a pas (pris), du reste, pauvre gueux ! Il a ordinairement une mine si
peu encourageante avec ses vêtements fripés, ses souliers troués, sa barbe
hirsute, son visage blême où la misère a déposé une expression de tristesse
méfiante et dure. Partout on refuse ses services. Alors après maintes
tentatives infructueuses, il s'en va, découragé et la mort dans l'âme, il
marche devant lui au *hasard, sur la grande route poudreuse ou blanche de
neige, moderne juif errant, condamné par la loi immuable et cruelle de la
Fatalité.
Au printemps, quand la
violette fleurit dans les haies et sur les talus des fossés, quand les
premières feuilles paraissent, plaquant de vert tendre les carcasses brunes des
arbres de la route, quand l'oiseau chante, quand tout est gai dans la nature,
lui seul est triste, et comment peut-il en être autrement ? Comment l'homme (je
parle de l'homme de cœur) peut-il être joyeux quand il en est réduit pour vivre
à tendre la main ?
Mais aux approches des
mauvais jours, sa mélancolie se transforme en une tristesse plus sombre et plus
noire encore. Oh, l'hiver ! oh, la saison morne et grise I C'est elle qui
recevra les derniers soupirs de ce miséreux. Ses jours brumeux et ses nuits
glaciales l'auront tué. Oh, l'hiver ! quand vient le soir, pendant que nous
veillons dans une salle bien chaude, il est là, lui, sur la grand'route, blotti
dans un fossé, au long d'un mur, au pied d'une borne, n'importe où. La bise
aigre lui fouette le visage et pénètre au travers de ses haillons. La neige
tombe et
amoncelle autour de lui sa
ouate qui glace et paralyse, le couvre, l'enveloppe de ses draps blancs comme
le linceul, froids comme la mort.
Là-haut les étoiles
scintillent. Quand le matin terne et blafard aura pris leur place, un voyageur
matinal le trouvera étendu, sans mouvement, sans vie, les membres tordus et
bleus par le froid. Oh ! la triste existence. Oh ! le triste trépas.
Et dire qu'ils sont comme
cela des mille et des mille en France qui meurent de cette mort, vivent de
cette vie, se nourrissent de l'air des champs et de pain mendié, sans avoir
d'autre domicile, sans même avoir d'autre patrie que la grand'route.
Septembre 1896
Etude qui donnera naissance
au poème : « Sur la grand’route »
Le chemineux s'est dit : « Je
veux
Cette jouvencelle aux cheveux
D'aurore blême ».
Mais la jouvencelle a du bien
Tandis qu'est gueux, gueux
comme un chien
Le gâs qui l'aime !
Et la belle, aux riches
galants
Seuls ! ouvrira les rideaux
blancs
De son alcôve ;
Elle course le miséreux...
Alors, par les chemins
poudreux,
Le gâs s'ensauve !
Errant le jour, de ci de là
Il geint, et la nuit lorsque
la
Lune pâlotte
L'éveille au fond de son
fossé,
Laissant saigner son cœur
blessé
Le gâs sanglotte.
Dans l'ombre des vieux
cabarets
Où le vin, des pichets de
grés
A grands flots coule,
Il va se reposer un brin
Et, pour oublier son chagrin,
Le gâs se saoule !
Enfin, il vient de faire don
De sa raison aux femmes dont
L'amour s'achète.
Il va par les quais, triste
et seul...
Le grand fleuve ouvre son
linceul...
Le gâs s'y jette...
Meung-sur-Loire, 5 août 1898
Progrès du Loiret, n° 8, du
11 août 1898
(Conte fantaisiste)
A ceux qui se disent trop
vieux pour apprendre la sténographie
Elle allait avoir dix-huit
ans, la demoiselle au maître Belaud, le fermier de la Bousie.
Elle venait de sortir de
pension emportant de là son inévitable brevet et, sans posséder ce qu'on peut
appeler des connaissances sérieuses, c'était une petite personne d'un esprit
assez agréablement cultivé.
Le pé Belaud, qui avait perdu
sa femme et n'avait plus que cette fille-là, la traitait en véritable enfant
gâtée. Il lui avait acheté un piano dont elle tapotait gentiment-peut-être un
peu plus souvent que les gens de la maison en avaient besoin ; il lui laissait
prendre des leçons de dessin et passait par toutes ses fantaisies... Ah !
j'allais oublier quelque chose et quelque chose de très important : la
demoiselle faisait aussi de la sténographie.
Elle allait avoir dix-huit
ans (je l'ai déjà dit, mais mieux vaut deux fois qu'une) et ses grands yeux noirs,
qui flam¬baient comme des braises lorsqu'ils rencontraient ceux d'un gars,
semblaient en dire plus long qu'on ne le pensait.
Mais cependant, on ne lui
supposait pas encore d'amoureux... on se trompait !
Un jour, le facteur apporta
une lettre à l'adresse de la jeune fille « Mlle Berthe Belaud ». Celle-ci
s'empressa de la lui prendre des mains et se sauva pour aller la lire dans sa
chambre. Comme elle était occupée à cette intéressante... besogne, son père
entra : « Tiens, quoi que tu fais donc là, Berthe ?
Tu vois bien, papa, c'est une
ancienne camarade de pension qui vient de m'écrire.
Ah !... » fit le vieux et,
curieux comme une dévote, incrédule comme saint Thomas, il s'approcha dans
l'espoir de pouvoir lire un peu, sans en avoir l'air... ; mais, va au diable !
la lettre était écrite d'un bout à l'autre en sténographie.
Alors, il s'éloigna mécontent
et grognant entre ses dents : « Tout ça n'est pas clair, des « hiérogriffes »,
comme ça, on n'y comprend goutte... ça fait rien, j'en aurai le cœur net. »
Et dès ce jour, le bonhomme,
à la tête aussi dure qu'une souche de vigne, se mit à étudier la sténographie
en cachette. Avec un entêtement rageur, un journal sous les yeux, un bout de
crayon à la main, il se mit, lui qui n'écrivait qu'avec beaucoup de difficulté,
à tracer des signes, à combiner des sons pour faire des mots et, au bout d’une
semaine, il était capable de lire en ânonnant ; mais il pouvait lire.
Sur ce, une nouvelle lettre
arriva... toujours au nom de sa fille ! Ce fut lui qui la reçut, il brisa
l'enveloppe, tira le billet et le déplia : toujours de la sténographie ; Enfin,
il lut :
« Ma mignonne,
Si tu savais comme je
m'ennuie à la caserne et comme je souffre loin de toi. Enfin, heureusement que
l'heure va bientôt sonner où je pourrai te presser de nouveau sur mon cœur et
te dire de vive voix : « Ma petite Berthe, je t'aime... ».
Je pense qu'il serait
indiscret pour nous autres de vouloir connaître la suite et, du reste, qu'y
apprendrions-nous de bien intéressant ? Cette lettre n'échappait pas à la
sublime banalité des missives amoureuses.
Alors le pé Belaud, malin
comme un vieux renard, alla porter ce précieux billet à sa fille :
«Hé Berthe!... Berthe!... Ta
camarade qui t'a écrit... seulement c'est encore en géo... en stén... o... en
sténographie. Lis-m'en un petit bout, je serais curieux de voir comment qu'on
peut comprendre quelque chose à ça ? ». La jeune fille, très embarrassée, en
prit pourtant son parti et, inventant au fur et à mesure qu'elle parlait, elle
lui lut une lettre supposée écrite par la supposée camarade.
Quand elle eut fini, tant
bien que mal, rougissant et se troublant à chaque étape du mensonge qu'elle
faisait, le vieux lui dit, un rire narquois sur la lèvre :
« Eh ben, tu sais pas,
Berthe, j'ignore si ces petits signes-là ont deux sens ; mais, moi, v'ià ce qui
me disent. > Et il relut la lettre... du soldat.
Après quoi, il s'en alla,
joyeux, laissant la jeune fille toute confuse et lui pardonnant du fond du cœur
en se disant : « Bah ! il faut ben que jeunesse se passe !... et pis, après
tout, ça a encore eu un bon côté ; à présent, je sais la géo... lo... stén...
o... la sténographie !... Mais ça me prouve aussi qui faudra que je marie la
Berthe au plus tôt. »
Pierre Printemps
Revue Littéraire et
Sténographique du Centre, n° 18, du 5 septembre 1897
Il était une fois un gars si
laid, si laid
Et si bête ! qu'aucune fille
ne voulait
Lui faire seulement l'aumône
d'un sourire ;
Or, d'avoir trop longtemps
souffert l'affreux martyre
De ne pas être aimé lorsque
chante l'amour,
Le pauvre gars s'en vint à
mourir un beau jour...
On l'emmena dormir au fond du
cimetière,
Mais, son âme, un Avril,
s'échappa de la terre
Et devint une fleur sur sa
tombe, une fleur
Qu'une fille cueillit et mit
près de son cœur.
Moulin de Clan, octobre 1898
Progrès du Loiret, n° 70, du
12 octobre 1898
(dédiée aux gâs de Saint-Ay)
Paysans dont la simple
histoire
Chante en nos cœurs et nos
cerveaux
L'exquise douceur de la Loire
Et la bonté des vins nouveaux
(bis)
Allons-nous esclaves
placides,
Dans les sillons où le sang
luit
Rester à piétiner au bruit
De chants guerriers et
fratricides ?
Refrain
En route ! Allons les gâs !
Pour un nouvel été Marchons !
Marchons !
Semons le grain de la
fraternité !
Sarclons les herbes parasites
Et que le chiendent soit
brûlé !
Pour que ces racines maudites
N'étouffent plus le jeune blé
! (bis)
Arrachons à coups de science
L'erreur qui s'en vient
infester
Les germes de la Vérité
Dans le champ de nos
consciences !
Ne déversons plus l'anathème,
En gestes grotesques et fous,
Sur tous ceux qui disent : «
Je t'aime »
Dans un autre patois que nous
! (bis)
Assez de sang, assez de
larmes !
— De la joie et de la beauté
! —
Jetons hors de l'humanité
La gloire homicide des armes
!
Soignons nos blés, soignons
nos souches !
Que l'or nourricier du soleil
Emplisse pour toutes les bouches
L'épi clair, le raisin
vermeil ! (bis)
Mais que tous les bras
collaborent
vec le tendre soleil blond !
— Dans la ruche, pas de
frelon
Qui la pille et la déshonore
! —
Saluons les vieux qui
s'éteignent,
Et choyons leur dernier
moment !
Ils ont lutté durant leur
règne
A nous de lutter maintenant !
(bis)
Si la récolte s'est accrue
De ce que le père a pioché,
Il reste encore à défricher !
Poussons plus avant la
charrue !
Un gosse qui n'a pas sept ans
Chiale au sortir du vieux
faubourg
Où ça sent la peine et
l'amour.
Et je m'arrête, là longtemps
:
Moi, dont le cœur saigne ce
soir
Tout rouge, en un silence
atroce.
Je m'arrête sur le trottoir
A regarder chialer ce
gosse...
Refrain
Pleure, pleure mon petit gâs
Dis, pourquoi pleures-tu ?
Pour rien !
Mais pleure : ça me fait du
bien !
Pleure pour moi, qui ne peux
pas !
(Conte fantaisiste)
A mon ami Abel Renault.
Si nos gros fermiers
beaucerons exploitent de larges domaines et possèdent pour la plupart, un bien
large ventre qui ballotte sous leur blouse comme une barrique d'alcool qu'on
dissimulerait pour passer à l'octroi, il en est très peu qui soient... larges,
comme on dit. Il en est même si peu que, moi qui les connais tous, je n'en
connais pas un seul auquel cette épithète puisse être applicable.
Ils sont tous aussi serrés...
au moral, que certaines petites demoiselles le sont dans leur corset et si près
de leurs intérêts, que de jeunes mariés ne le sont pas davantage, l'un de
l'autre, la première nuit de leurs noces.
Et cependant, tous, excepté
un et en comparaison de celui-là, ils peuvent passer pour des prodigues.
Oh ! mais celui-là, par
exemple !... sa rapacité lui a joué... par l'intermédiaire de ses domestiques,
un tour que vous n'hésiterez pas à qualifier de vilain tour, quand vous le
connaîtrez.
Oyez plutôt.
Un beau jour, un beau jour
qui fut le commencement de mauvais jours pour lui, il trouva quatre de ses
poules étendues sur le flanc, à côté de son tas de fumier. « Zut !... » fait-il
en donnant à cette exclamation une amplification que se refuse d'écrire ma
chaste plume de jeune homme bien élevé.
« Quoi que ça veut donc dire
ça ! v'la mes poules qui se mettent à crever à présent... oh !» Et ramassant
les quatre cadavres, il s'en fut vers la cuisine de la ferme en se disant à
part lui : « Je fais déjà comme ça une perte sensiblement sensible, c'est pas
la peine de perdre davantage, du temps que je peux m'en dispenser. J'ai quatre
poules crevées, quinze domestiques en bonne santé et qui cassent bien la croûte
; les domestiques mangeront les poules et du moins comme ça, si je sais pas
comment que les sacrées volailles ont passées, je saurais par où qu'y
passeront... » Les poules furent plumées, vidées, fricassées et servies aux
domestiques qui les mangèrent sans dégoût...
Le lendemain, il trouva de
même, quatre poules de « quervées ».
Le surlendemain encore !
Le sur-surlendemain toujours
!
Et bien entendu, elles
subirent toutes le même sort que les premières.
Alors pour enrayer
l'épidémie, il fit venir le vétérinaire : celui-ci qui avait fait des études
classiques avant d'entrer à Alfort, en perdit son latin et ne sut que lui
réclamer trois francs pour prix de sa visite.
« Si c'est pas une maladie,
c'est qu'y m'a jeté un sort ! » bougonna le vieux en payant.
Cà dura, comme ça un mois,
puis, un soir qu'il se coucha, propriétaire seulement de quatre poules,
fatalement ap¬pelées à ne pas voir le lever de l'aurore. C'était écrit !... Il
ne put clore yeux, de la nuit, gémissant qu'il était sur ses pertes. Pertes,
plus grandes, pour que c'en était, de faire manger de la charogne à ses
domestiques, au risque de faire naître aussi une épidémie parmi eux.
Enfin, au petit jour il sauta
du lit et s'en alla faire un tour dans la vaste cour de sa ferme.
Là, il vit ! trois poules sur
le dos, au pied du tas de fumier et, non loin de là, le maître charretier en
train d'étouffer la quatrième sous son gilet... Il préparait le repas du
lendemain !...
Pierre Printemps
Revue Littéraire et
Sténographique du Centre, n° 22, du 5 novembre 1897
Le vent siffle au travers des
trous de la mansarde
Où l'ouvrière coud sous la
lampe et regarde
Ses deux petits, couchés dans
le même berceau.
Et parfois, écartant un pan
du grand rideau
A ramages pâlis, elle porte à
sa lèvre,
Une blanche menotte et dit «
Dieu, quelle fièvre !...
Heureusement pour eux que mon
brave mari
Doit rapporter ce soir la
paye du samedi
Et que, dans le quartier,
j'irai de mon plus vite
Leur acheter du pain, des
remèdes ensuite...
Soudain, des pas pesants
font, dans l'escalier noir,
Tout trembler et sauter.
Curieuse elle va voir
S'éclairant de la lampe à
pétrole qui fume.
« Toi déjà !... Te voilà plus
tôt que de coutume
Mon pauvre homme ! viens
voir, les petits sont souffrants. »
S'écrie-t-elle, mais lui,
reste les bras ballants,
L'air égaré, les yeux rouges
comme une braise
Et, aussitôt rentré, tombe
sur une chaise.
« Mais voyons ! Mais qu'as-tu
? — Ah ! ne m'en parle pas !
J'ai... J'ai... sale patron !
faut-il que tu sois bas...
Dire que ce sans cœur m'a
jeté à la porte
Prétextant poliment que, vu
la saison morte
Il ne peut occuper tant
d'ouvriers chez lui ;
Il m'a donné mon compte,
alors je suis sorti,
Et me voilà, hélas ! sans
travail à cette heure
Devant mes deux enfants et ma
femme qui pleure,
Dans mon bouge où tout sent la
misère et la faim...
Allons vite ! il faut que
cela ait une fin,
Et puisqu'il faut mourir,
mourons donc tout de suite
Nous ne connaîtrons point la
misère maudite
Et les repas sans pain. » Ce
disant il saisit
Un réchaud à charbon et
farouche se mit
A calfeutrer les joints de
l'unique fenêtre…
La femme regardait son époux
et son maître
Travailler à leur perte et,
le cœur plein d'effroi,
Songeait aux chérubins qui,
sans savoir pourquoi
S'éveilleraient au ciel parmi
les anges roses
Et chercheraient en vain les
visages moroses
De la mère sans âme et du
père assassin.
« Non, arrête dit-elle en
bondissant soudain,
Arrête, malheureux !... Grand
Dieu qu'allions-nous faire ?
Tuer nos enfants, nous tuer !
J'aime mieux la misère
Moi, et puisqu'il le faut, eh
bien je te défends
De mourir... tu te dois à ces
chers innocents
Et je veux bien encor que ta
vie t'appartienne
Mais la leur, insensé ! Mais
la leur et la mienne !
Pourquoi la comptes-tu ?
Apaise-toi un peu
Ouvre-nous la fenêtre, éteins
vite ton feu
Vis et laisse-les vivre ou
sinon je te crache
Au visage ces mots : « Meurs,
va, tu n'es qu'un lâche. »
Les enfants assoupis sur le
même oreiller
Toussotaient alors comme pour
approuver
Ce qu'avait si bien dit leur
courageuse mère
Protectrice et sauveur ; ... pendant
ce temps le père
Bégayait à mi-voix, la honte
sur le front
«Pardonne! j'étais fou...
femme tu as raison!»
Comme s'effeuille une rose
L'amante dolente aux traits
Ravagés par la chlorose
Est morte au soir des regrets
Et sur le bord de sa fosse
Le vieux prêtre au dos cassé
A glapi de sa voix fausse
Requiescat in pace !...
Et maintenant pauvre chère
Elle git loin du soleil
Sous le grand champ en
jachère
Où tout est paix et sommeil
Défunts tous les jours
d'ivresse
Et les nuits de l'an passé
Défunts comme ma maîtresse
Requiescat in pace !...
Plus n'ai la force de vivre
Et par les tristes hivers
Sertis de larmes de givre
J'erre en sanglotant mes vers
Dans le vent qui les emporte
Mon pauvre cœur trépassé
Dort sur celui de la morte
Requiescat in pace !...
Moulin de Clan, 20 janvier
1898.
Revue Littéraire et
Sténographique du Centre, n° 40, du 5 août 1898
(Légende du Moyen Age)
Le beau chevalier était à la
guerre...
Le beau chevalier avait dit
adieu
A sa dame aimée, Anne de
Beaucaire
Aux yeux plus profonds que le
grand ciel bleu.
Le beau chevalier, à genoux
près d'elle,
Avait soupiré, lui baisant la
main :
« Je suis tout à vous !
soyez-moi fidèle ;
A bientôt !... je vais me
mettre en chemin. »
Anne répondit avec un sourire
:
« Toujours, sur le Christ !
je vous aimerai,
Emportez mon cœur ! allez,
mon beau sire,
Il vous appartient tant que
je vivrai. »
Alors, le vaillant, tendant à
sa dame
Une rose blanche en gage
d'amour,
S'en était allé près de
l'oriflamme
De son Suzerain, duc de
Rocamour.
Le beau chevalier était à la
guerre
Anne, la perfide aux yeux de velours,
Foulant son naïf serment de
naguère,
Reniait celui qui l'aimait
toujours ;
Et, sa blanche main dans les
boucles folles
D'un page mignard, elle
murmurait
Doucement, tout bas, de
tendres paroles
A l'éphèbe blond qui
s'abandonnait.
Mais, soudain, voulant
respirer la rose
Du fier paladin oublié
depuis,
Elle eut peur et vit perler
quelque chose
De brillant avec des tons de
rubis.
Cela s'étendait en tache
rougeâtre
Sur la fleur soyeuse aux
pétales blancs
Comme ceux des lis et comme
l'albâtre...
La rose échappa de ses doigts
tremblants ;
La rose roula tristement par
terre
Une voix alors sortit de son
cœur;
Cette voix était la voix du
mystère,
La voix du reproche et de la
douleur.
« Il est mort, méchante, il
est mort en brave !
Et songeant à toi, le beau
chevalier ;
Son âme est au ciel, chez le
bon Dieu grave
Et doux, où jamais tu n'iras
veiller ;
Où tu n'iras pas, même une
seconde,
Car ta lèvre doit
éternellement
Souffrir et brûler, par dans
l'autre monde,
Au feu des baisers d'un démon
méchant... »
Et la voix se tut sous le
coup du charme,
La fleur se flétrit, Anne, se
baissant
N'aperçut plus rien, plus
rien qu'une larme
Avec une goutte épaisse de
sang.
Pierre Printemps.
Revue Littéraire et
Sténographique du Centre, n° 12, du 5juin 1897
(Nouvelle)
Ils s'aimaient !... le gars,
nerveux et brun, aux épaules robustes, à la poigne solide, était farinier chez
son père, le meunier du village ; la fille, mièvre et blonde, aux lourds
cheveux tordus en chignon au-dessus de la nuque, était orpheline et vivait chez
sa tante, une vieille lavandière qui l'employait à blanchir le linge au
ruisseau.
Ils s'aimaient !... ils se
l'étaient juré, un soir, en revenant de la danse, et, depuis ce temps-là, ils
n'avaient jamais cessé de se le dire et de se le répéter ; mais comme ils ne
pouvaient se voir qu'après journée faite, l'amoureux possédait un poétique
moyen de correspondance pour parler au cœur de sa bien-aimée, à chaque instant,
en une langue muette mais éloquente.
Souvent, dès l'aube, on le
voyait se pencher sur le bord de la rivière et y jeter de petits bouquets de
violettes ou d'églantiers, selon la saison ; ces fleurettes s'en allaient au
fil de l'eau chantante, sans jamais s'accrocher aux roseaux de la rive et,
quand elles arrivaient devant le lavoir communal, la belle fille essuyait, à un
coin de son tablier, ses mains blanches où le savon moussait en bulles légères,
cassait une branche au saule voisin et les amenait à elle. Puis, les prenant
délicatement entre ses doigts fins, elle aspirait avec délices les parfums de
jeunesse et d'amour qui s'envolaient de leurs corolles où les gouttelettes
d'eau dansaient et roulaient, brillantes comme des perles fines.
Ils s'aimaient !... mais
l'hiver approchant, les fleurs devinrent plus rares, les bouquets moins
fréquents et leur amour, fragile comme les violettes, éphémère comme les roses,
devait comme elles, avoir une fin.
La belle s'amouracha d'un beau
clerc de notaire, toujours tiré à quatre épingles, beau parleur qui s'empara de
son cœur sans qu'elle eut la force de s'en défendre.
Fini le bonheur ! Le cœur du
pauvre gâs saigna bien fort, sous ces hardes blanches de farine et on le
surprit souvent, lui, le solide gaillard d'autrefois, à pleurer sur son
malheur.
« C'est le mai d'amour, on
n'en guérit pas ! » chuchotaient autour de lui les commères ; pour cette fois,
elles devaient avoir raison.
Une grise après-midi de
novembre qu'il errait, morose et rêveur, il vint à passer devant la serre du
château où se trouvaient des plantes rares et fragiles ; la porte était ouverte
: il entra précipitamment comme un voleur, comme un fou, cueillir une branche
d'oranger encore fleurie et s'en courut vers le vieux moulin au tic-tac
langoureux. Là, comme les vaguelettes clapotaient doucement sous la roue brune,
il se laissa tomber d'un air résigné dans l'onde claire où jouait un dernier
rayon de soleil... Pouf !... Puis plus rien ; son corps reparut à la surface un
peu plus loin et s'en alla au fil de l'eau chantante, sans s'accrocher aux
roseaux de la rive, vers la belle fille, comme les fleurs de jadis...
Et lorsqu'il passa, les yeux
fermés et les membres roidis devant celle qui l'avait si traîtreusement renié,
il serrait encore, en une étreinte convulsive, la branche d'oranger — bouquet
d'union nouvelle avec une nouvelle amante : la Mort !
Gaston Koutay.
Nous sommes les crève-de-faim
Les va-nu-pieds du grand
chemin
Ceux qu'on nomme les
sans-patrie
Et qui vont traînant leur
boulet
D'infortunes toute la vie,
Ceux dont on médit sans pitié
Et que sans connaître on
redoute
Sur la grand'route.
Nous sommes nés on ne sait où
Dans le fossé, un peu
partout,
Nous n'avons ni père, ni
mère,
Notre seul frère est le
chagrin
Notre maîtresse est la misère
Qui, jalouse jusqu'à la fin
Nous suit, nous guette et
nous écoute
Sur la grand'route.
Nous ne connaissons point les
pleurs
Nos âmes sont vides, nos
cœurs
sont secs comme les feuilles
mortes.
Nous allons mendier notre
pain
C'est dur d'aller (nous
refroidir) aux portes.
Mais hélas ! lorsque l'on a
faim
Il faut manger, coûte que
coûte,
Sur la grand'route.
L'hiver, d'aucuns de nous
iront
Dormir dans le fossé profond
Sous la pluie de neige qui
tombe.
Ce fossé-là leur servira
D'auberge, de lit et de tombe
Car au jour on les trouvera
Tout bleus de froid et morts
sans doute
Sur la grand'route.
A M. Bertrand,
pour le remercier de
l'accueil tout... évangélique qu'il m'a fait dans ses bureaux du Patriote.
Quand les nouveau-nés, en
leurs langes
Dorment sur les bras des
marraines
Tels, de doux et blonds
petits anges
Tombés des étoiles sereines
Digue digue dig, digue digue
don !
Chante aux enfançons le grand
carillon
Digue digue dig, digue digue
don !
Pour qu'on vous baptise
Casquez, casquez donc !...
Quand sous les cieux des
épousailles
Où le soleil d'amour
scintille,
S'envolent des cœurs, les
grisailles
Et s'en va le gars vers la
fille.
Digue digue dig, digue digue
don !
Chante aux amoureux le grand
carillon
Digue digue dig, digue digue
don !
Pour qu'on vous marie
Casquez, casquez donc !...
Quand s'éteignent comme des
cierges,
Les grands-pères et les
grand'mères
Et que gisent, emmi les
serges
Des linceuls, leurs corps
éphémères.
Digue digue dig, digue digue
don !
Chante aux trépassés le grand
carillon
Digue digue dig, digue digue
don !
Pour qu'on vous enterre
Casquez, casquez donc !...
Orléans, 25 août 1898.
Le Progrès du Loiret, n° 23,
du 26 août 1898
(Légende Magdunoise)
à Frottier
En ce temps-là vivait, au
manoir de Meung, un vieux baron, si vieux que ses cheveux étaient blancs comme
la neige ou le duvet des grands cygnes et si triste que, depuis la mort de son
épouse, nul n'avait aperçu le moindre sourire sur sa lèvre tremblante.
Il avait auprès de lui sa
fille Audeberthe, surnommée « la Pâle » à cause de la carnation de son teint.
Elle allait avoir seize ans et, malgré l'affection qu'elle avait pour son père,
elle s'ennuyait à mourir dans la solitude maussade qu'il lui faisait partager ;
parfois aussi, de vagues et nuageuses bouffées d'amour passaient dans son âme
avec les brises d'avril et lui donnaient comme la soif ardente des tendresses
inconnues.
Un soir que, du haut d'une
tour, elle regardait, sans trop bien comprendre encore, ses bons vilains des
deux sexes qui s'en allaient, par couples enlacés, au bord de la Loire, sous la
splendeur du soleil couchant, elle s'écria, transportée : « Notre-Dame ! que
ces gens-là ont l'air heureux ; tout gueux qu'ils sont, ils me font envier leur
sort ! »
Ses paroles furent entendues
par un saint charitable et bon enfant qui se hâta d'accourir des profondeurs
azurées du Paradis pour lui dire : « Ma fille, ton souhait sera exaucé ; prends
ces trois quenouilles ; use des deux premières et fasse le bon Dieu que tu ne
te serves jamais de l'autre ! »
Audeberthe remercia le saint
et s'en fut, ravie...
Le lendemain, comme elle
était remontée au haut de la tour, elle aperçut un jeune chevalier qui la
regardait d'en bas. «Bonjour, belle dame!» lui dit-il ; elle répondit : «
Salut, noble sire ! »
« Belle dame... » continua le
chevalier « vous avez devant vous une pauvre créature en grand péril et que
vous pouvez sauver... Mes gens ont été défaits, les ennemis me poursuivent...
Je tombe de fatigue, cachez-moi un instant pour que je puisse me reposer afin
de mieux combattre ensuite... » Cette fois, Audeberthe ne répondit rien, mais
ses grands yeux noirs se fixèrent si étrangement sur ceux du beau chevalier que
celui-ci comprit tout de suite qu'il n'avait plus rien à craindre. Alors,
naïve, la pauvrette saisit la première quenouille et se mit à filer le chanvre
avec une vitesse qui tenait du vertige ; au bout de quelques instants, un fil
d'or souple et soyeux sortit de ses doigts ; elle le noua en forme d'échelle,
accrocha d'un des bouts au sommet de la tour et jeta l'autre par terre. Le beau
chevalier monta et... Audeberthe connut l'amour.
Quelques mois après, il
revint, le courtois seigneur! il revint pour demander au vieux baron la main de
sa fille. Celui-ci l'ayant accordée, on s'occupa des préparatifs des
épousailles et Audeberthe prit la seconde quenouille dont elle fila la soie
chatoyante qui devait servir à tisser sa robe de fiancée.
Mais avant que le mariage fût
célébré, le beau chevalier devait partir encore une fois à
Et Audeberthe, qui avait aimé
et souffert pendant l'existence des trois quenouilles, vécut en bienheureuse
durant le reste de ses jours, car son cœur avait trop saigné pour pouvoir aimer
ou souffrir encore.
Pierre Printemps et Bodey.
Revue Littéraire et
Sténographique du Centre, n° 14, du 5juillet 1897
L'an dernier, je les vis
encor
Le petit frère aimable et
rose
Dans sa tunique à boutons
d'or
Avec sa sœur que la chlorose
Emportait — oh ! bien
doucement
Vers la tombe muette et
blanche.
Je les vis en me promenant
Sur le boulevard, le dimanche
Ils s'en allaient à petits
pas
Tous les deux, dans l'allée
ombreuse,
La fillette appuyant son bras
Maigriot et sa main fiévreuse
Sur le bras droit du
garçonnet
Qui, tirant deux sous de sa
poche,
Allait lui chercher un
bouquet
A la marchande la plus proche.
Et le père aux cheveux tout
gris
Fumait tristement son cigare
Sous les grands marronniers
fleuris
Ecoutant le concert bizarre
Des petits pierrots
batailleurs
Quand la petite était trop
lasse
Vite, il prenait un des
meilleurs
Bancs pour elle, sur la grand'place
Suivis de leur père, un
monsieur
A barbiche, un vieux
militaire,
Qui portait la légion
d'honneur
En ruban à la boutonnière.
Et pas trop tard, avant la
nuit,
Tous regagnaient leur
domicile
Sans étalage, ni sans bruit,
Au travers du bruit de la ville.
Maintenant on peut les revoir
Ils sont deux. Dans la tombe
blanche
La sœur dort. Un long crêpe
noir
Un crêpe est cousu sur la
manche
De la tunique à boutons d'or
Du petit frère aimable et
rose
Et le père est plus triste
encor
Dans sa redingote morose.
Le 12 janvier 1897.
(Récit de Gaston Couté)
Dans la rue jonchée de
pauvres fleurs condamnées, par une coutume bête, à périr sous les pieds de la
foule, entre deux rangées de draps qui — ainsi que les ivrognes — seraient
mieux à leur place au lit que sur la voie publique, sous le dais de velours
grenat, filigrane d'or, le curé s'avançait, gras, lent, majestueux, imposant,
orné, chamarré — tel un bœuf gras un jour de Mi-carême.
Les chantres suivaient,
coassant, croassant (comment dois-je dire ? leur chant tient à la fois de celui
de la grenouille et du corbeau) — enfin par respect pour des supérieurs (en
âge) — je préfère écrire : entonnant les cantiques d'usage.
Ensuite venaient les enfants
de chœur en surplis blancs, en petites calottes rouges, rouges à faire pâlir un
drapeau de la Sociale, puis la marmaille des écoles, dont le nez morveux et
l'air agacé de la plupart de ses représentants témoignaient du goût qu'ils
avaient pour cette petite promenade où l'on ne pouvait ni remuer, ni causer.
Enfin, a l'arrière-garde se
tenait le high-life féminin de notre petite ville dont les belles dames étaient
en grand nombre à l'église pour prier, pour élever leur âme vers Dieu, pour
l'implorer, pour... etc. (voir la suite de la définition de la prière dans le
catéchisme, chap. , page ), mais n'oublions pas le principal, elles étaient
venues aussi et surtout pour exhiber leurs toilettes neuves. Enfin, bref...
après avoir cheminé un certain temps par les rues habitées du monde « comme il
faut », la procession s'engagea dans un vilain quartier peuplé d'individus qui
se ruinent en frais de lampions au 14 juillet et qui se feraient couper la tête
plutôt que de tendre des draps le jour de la Fête-Dieu.
Enfin, heureusement qu'il
existe des gens de cœur pour racheter leurs vilenies car à peine arrivé à la
moitié de la prière qu'on venait de commencer, que tout le monde tourna la tête
(oh ! la distraction...) du côté d'une petite maison basse à la porte de
laquelle on apercevait deux draps, une chemise probablement placée là par
inadvertance, ainsi que deux paires de chaussettes. Cela constituait un décor
assez grotesque, mais bah ! quand l'intention y est !...
Quelque quinze jours après,
Monsieur le Curé passait par hasard dans le mauvais quartier dont je viens de
parler, il aperçut la locataire de la maison aux draps occupée à balayer le
devant de sa porte.
Comme cette pauvre vieille avait
l'air minable, avec sa robe en loques et ses savates éculées, il s'approcha
d'elle et la questionna, bien résolu d'apporter un soulagement à sa misère.
C'était charitable sans
doute, mais le brave homme aurait mieux fait de passer son chemin, car aux premières
paroles, la vieille se rebiffa :
— « Vous dites, Môssieu le
Curé ; vous v'lez nous mettre au bureau de Bienfaisance, nous aut' qu'avons
point d'enfants... et ça, du temps qu'y a des malheureux voisins qui crèvent la
faim avec leurs ribambelles de gosses... Ça s'rait du prop', ça, par exemple !
— Vos voisins ? grommela le
saint homme de prêtre, je sais... Mais ne peuvent-ils pas vous imiter ? Ne
peuvent-ils pas tendre des draps comme vous ?
— Mais, sauf vot' respect,
j'en avons point tendu non plus, nous, d'draps !
— Comment ?... Mais, enfin,
pourtant...
— Ah ! j'y suis. Faites
excuse, Môssieu le Curé, mon homme devait aller le lendemain à la noce du
cousin Léonard, et comme i'n'avait plus ni bas, ni ch'mises de prop' a fallu
que j'y en blanchisse ! Par la même occasion, j'ai lavé les deux draps d'not'
lit. Et dame, j'sommes si mal logés ; point d'grenier, point d'eour, j'ai été
forcée d'faire sécher ma lessive dans la rue ! »
Moulin de Clan, 15 juillet
1896.
A mon ami Abel Renault
Le soir, quand paraît la
première étoile,
Les cœurs de tous ceux qui
sont morts d'amour
Viennent vers la terre et
fendent le voile
Qui les cache aux yeux des
vivants, le jour.
Alors, dans la nuit brune et
fantastique,
Leur sang meurtri pleut et
retombe en pleurs
Sur l'herbe, troublant la
mélancolique
Chanson de sanglots du vent
dans les fleurs.
Et les cœurs en peine, et les
pauvres cœurs
Dansent dans les airs la
valse mystique !...
Ils accourent tous !... le
cœur du poète
Et de son amante aux yeux
langoureux,
Le cœur de l'éphèbe à la
blonde tête,
Le cœur torturé des vieux
amoureux,
Le cœur de la vierge aimante
et pudique,
Le cœur de la femme aux
baisers trompeurs,
Ils accourent tous !... pris
d'un nostalgique
Besoin de revoir le val des
douleurs.
Et les cœurs en peine, et les
pauvres cœurs
Dansent dans les airs la
valse mystique !...
Ils tournent noyés dans des
flots d'extase,
Parmi des parfums lourds et
capiteux
Tandis que la lune au front
de topaze
Etincelle au fond du ciel
nébuleux ;
Et leur tourbillon noir et
magnétique
Poursuit son chemin, semant
des lueurs
D'or en fusion dans la
magnifique
Splendeur de l'espace aux
vagues pâleurs.
Et les cœurs en peine, et les
pauvres cœurs
Dansent dans les airs la
valse mystique !...
Mais, sitôt que perce un
clair rayon d'aube
Et qu'un chant d'oiseau bruit
dans le vallon,
Leur essaim léger au loin se
dérobe
Et plus rien !... alors,
plaintifs, ils s'en vont,
Pour rentrer, passer sous le
grand portique
D'azur diaphane enlacé de
fleurs
D'opale où le Dieu calme et
pacifique
Dénombre, un par un, le
troupeau des cœurs.
Et le lendemain, tous les
pauvres cœurs
Reviennent danser la valse
mystique.
Pierre Printemps.
Au bon temps de naguère
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Au bon temps de naguère
C'était comme aujourd'hui,
(bis)
Le duc est à la guerre
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Le duc est à la guerre
Sa dame pense à lui. (bis)
Quand, par une vesprée,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Quand, par une vesprée,
Aux portes du manoir, (bis)
Frappe mine atterrée,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Frappe mine atterrée,
Un page en pourpoint noir,
(bis)
Dame ! ma gente dame !
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Dame ! ma gente dame !
Ton seigneur est défunt (bis)
Vois-tu voler son âme
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Vois-tu voler son âme
Sous l'horizon sans fin (bis)
Lui dit-il, tout en larmes,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Lui dit-il, tout en larmes,
Mais comme il est joli (bis)
La duchesse, que charment,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
La duchesse, que charment,
Les yeux de ciel pâli (bis)
Va prendre en sa main
blanche,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Va prendre en sa main
blanche,
Celle du damoisel. (bis)
Vers sa lèvre se penche,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Vers sa lèvre se penche
Et, douce comme miel : (bis)
« Le duc est mort en guerre,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Le duc est mort en guerre,
J'ai trouvé mieux que lui. »
(bis)
Au bon temps de naguère,
Mironton, ton, ton,
mirontaine,
Au bon temps de naguère
C'était comme aujourd'hui.
Orléans
Le Progrès du Loiret, n° 58,
du 30 septembre 1898
(Chanson)
Dans ce temps-là, je n'avais
rien,
Rien du tout dans mon
escarcelle,
Et ma lyre était tout mon
bien ;
Dans ce temps-là je n'avais
rien
Que de grands trous à mon
pourpoint
Et le cœur de ma damoiselle.
Dans ce temps-là je n'avais
rien,
Rien du tout dans mon
escarcelle.
J'allais chanter dans les
manoirs
La geste du vieux
Charlemagne,
Et, gueux d'argent, riche
d'espoirs,
J'allais chanter dans les
manoirs
Devant les dames aux yeux
noirs
Dont les barons faisaient
compagne.
J'allais chanter dans les
manoirs
La geste du vieux
Charlemagne.
On m'aimait... j'étais adoré
Car j'avais ce qu'il faut
pour plaire :
Le regard vif, l'air déluré ;
On m'aimait... j'étais adoré
Et m'étais toujours figuré
Qu'on vivait d'amour et d'eau
claire
On m'aimait... j'étais adoré
Car j'avais ce qu'il faut
pour plaire.
Je payais souvent un baiser
D'un rondel ou d'une ballade
Lorsqu'on voulait bien me
laisser,
Je payais souvent un baiser
Comme ça, sans jamais toucher
A ma bourse toujours malade,
Je payais souvent un baiser
D'un rondel ou d'une ballade.
Quand ma toute belle voulait
Un collier d'or aux lueurs
folles
Pour entourer son cou fluet,
Quand ma toute belle voulait !...
Je lui faisais un chapelet
D'éblouissantes lucioles,
Quand ma toute belle voulait
Un collier d'or aux lueurs
folles.
L'avenir était devant moi
Comme un jardin couvert de
roses
Et, plus riant que pour un
roi,
L'avenir était devant moi...
Mais, maintenant, au vieux
beffroi
Vont sonner mes heures
moroses.
L'avenir était devant moi
Comme un jardin couvert de
roses.
Riche et vieux !... las !
m'ont dit adieu
Jeune pastoure et gente dame
Que mes cheveux blancs
tentaient peu.
Riche et vieux !... las !
m'ont dit adieu
Car je n'attends qu'un mot de
Dieu
Pour voir, vers lui, voler
mon âme.
Riche et vieux !... las !
m'ont dit adieu
Jeune pastoure et gente dame
!...
Pierre Printemps
En juin 1910, le journal antimilitariste
En 1910, au moment où COUTE rejoignait ses
rangs,
Une telle violence annonçait le ton de
Gustave Hervé allait « virer » avec la
déclaration de guerre. La crosse en l'air devint la fleur au fusil, et le
1" janvier 1916
Parmi les principaux collaborateurs de
C'était donc un journal très actif et réputé
dans les milieux révolutionnaires que rejoignit COUTE : l'hervéisme, en marge
de
La chanson politique d'actualité avait à
l'époque une très grande importance dans la mesure où elle popularisait de
manière directe et accessible les opinions d'un journal.
On a trop tendance à juger ces chansons
d'actualité en les opposant aux productions antérieures de COUTE. Il ne faut
pas perdre de vue que ces chansons étaient non seulement lues, mais aussi
apprises et chantées, à l'atelier comme dans la rue ; s'il existe une
incontestable différence de forme entre ces chansons et les autres poèmes de
COUTE, n'oublions pas que le fond reste le même, empruntant à la même thématique
et que l'engagement du poète ne fait que se prolonger tout en
s'actualisant. Ces chansons constituent,
comme l'a écrit Henry Poulaille, des «chansons de combat», s'insérant dans une
époque qui n'est pas toujours «belle», une époque de conflits sociaux, de
grèves et de répression. Ce combat, COUTE l'a mené durant plus d'un an, sans
rien perdre de sa verve ni de ses indignations. Faut-il voir en lui un naïf Don
Quichotte manipulé par l'équipe de
COUTE a dépassé sa condition de «chansonnier
engagé» pour devenir un chansonnier militant. Il importe peu de s'interroger
sur la valeur littéraire de ses chansons; il semble plus pertinent de constater
qu'il y a eu chez lui une fidélité à soi-même et une logique indéniable dans
Ne renions pas ces « chansons de la semaine
», pas plus que celles parues dans Le Libertaire ou
Qu'importe, pour l'œuvre de COUTE, que
Gustave Hervé devînt ardent belliciste en 1914 ; ce dont on peut témoigner, au
vu de son œuvre et de sa vie, c'est que COUTE aurait quitté Hervé dès que
celui-ci se serait montré par trop patriotard et revanchard. Il n'aurait pas
«pataugé dans la bêtise, la bassesse et la crapulerie » des pousse-au-crime de
la guerre.
Il mourut le 28 juin 1911, huit jours avant
d'être poursuivi pour « Hélas
! quelle douleur », une chanson de
Keméant, juillet-août 1977 ARTEP - Le Vent du
Ch'min
(1) Source : Histoire
générale de la presse française, tome
III, Paris, P.U. F., p. 296. On mesure par ces chiffres le phénomène de la
presse périodique de gauche et d'extrême gauche.
Avertissement
Nous n'avons pu expliciter toutes les références
à l'actualité effectuées par COUTE. Nous
n'avons apporté quelques précisions que lorsque l'événement traité était
important. Pour un complément d'informations, l'on pourra se référer avec
profit à son manuel d'histoire favori.
du
15 octobre au 12 novembre 1899
Le gâs était un tâcheron
N'ayant que ses bras pour
fortune,
La fille, celle du patron,
Un gros fermier de la commune
Mais ils ne s'en aimaient que
plus...
— L'amour se fiche des écus !
Lorsqu'ils s'en revenaient du
bal
Par les minuits clairs
d'assemblées,
Au risque d'un procès-verbal
Ils faisaient de larges
roulées
Parmi le blé profond et
droit...
— L'amour se fiche de la loi
!
Un jour, tous deux furent
prier
Elle, son père ! et lui son
maître,
De les laisser se marier ;
Mais le vieux les envoya
paître ;
Lors, ils prirent la clé des
champs...
— L'amour se fiche des
parents !
S'en furent dans quelque cité,
Loin des labours et des
jachères,
Passèrent ensemble un été
Puis tout soudain, ils se
fâchèrent
Et se quittèrent bêtement :
— L'amour se fiche... des
amants !
(Du 15 au 21 octobre 1899)
Cette
chanson figure dans le premier volume de nos éditions sous le titre : « L'Amour
qui s'fout de tout », avec quelques légères variantes. (N. d. E.)
Bourgeois! nous sommes des
taureaux
Captifs en vos arènes rouges,
Aux yeux d'une foule de
gouges
De michés et de maquereaux
Bourgeois ! nous sommes des
taureaux !
Bourgeois! nous sommes des
taureaux
Que l'on torture et que l'on
tue,
Et votre bêtise institue
Une gloire pour nos bourreaux
Bourgeois ! nous sommes des
taureaux !
Bourgeois! nous sommes des
taureaux
Qui démolirons nos barrières
Et ce jour-là dans vos
derrières
Nos cornes feront des accrocs
Bourgeois ! nous sommes des
taureaux !
(Du 22 au 28 octobre 1899)
Sous l'aube qui blanchit
leurs fronts
Les tâcherons
Aux bras hâlés
Songent, tout en fauchant les
blés
De leurs patrons...
Les coquelicots bougent
Parmi la récolte
Comme des drapeaux rouges
Au vent de révolte !
Au souvenir des gueux
défunts,
Songent enfin
Qu'on a tous droit
Au pain qu'on fait du blé qui
croît
Quand on a faim!
Les coquelicots bougent
Parmi la récolte
Comme des drapeaux rouges
Au vent de révolte !
Réclament leur part du blé
d'or
Que leurs efforts
A fait pousser
Et qu'ils ont souvent
engraissé
Avec leur mort...
Les coquelicots bougent
Parmi la récolte
Comme des drapeaux rouges
Au vent de révolte !
Et s'ils refusent, leurs
patrons !
Les tâcherons
Aux bras hâlés
Plutôt que de faucher les
blés
Les brûleront !
Les coquelicots bougent
Parmi la récolte
Comme des drapeaux rouges
Au vent de révolte !
(Du 5 au 12 novembre 1899)
Dans
Le Libertaire ont été également publiés : « Le Christ en bois » (voir tome I),
« La tête de mort » (voir tome III). (N. d. E.)
Chansons
de « La Barricade »
Juillet-août
1910
Puisque, cet an-ci, les
coteaux
Ont reçu dans leurs verts
manteaux
Les dons coutumiers des comètes,
Bonnes gens, réjouissez-vous
En songeant au prochain vin
doux :
Les vignes promettent...
Triste Armand, pour te
reposer
Du travail que tu viens
d'oser
Et pour en fuir les
conséquences,
Va te terrer dans un sillon
De tes vignes du Loupillon
Pendant les vacances :
Là-bas — car, tout de même,
il faut
Après ces matins d'échafaud
Une atmosphère qui vous
change —
Tu voudras peut-être goûter
L'adorable sérénité
Des soirs de vendange?
Mais le vin, coulant en ces
soirs,
Au pied des honnêtes
pressoirs,
Aura la couleur de ton crime
;
Et tes yeux se refermeront,
Bourreau qui joue au vigneron
Sur quel rouge abîme ?
Quant à ce vin, jus de raisin
Cueilli par tes mains
d'assassin,
Pas de danger que nul y
touche?
Si l'on osait en boire un
coup
Il pourrait vous laisser un
goût
De sang, dans la bouche !
Voilà ton Loupillon foutu :
Car, si tous chantaient sa
vertu
Après les vendanges
dernières,
Cette fois-ci — par ton
nombril ! —
Tu n'en vendras pas un baril,
Non! Moussu Fallières !
Mais, pour qu'il ne soit pas perdu,
Bois-le donc, à la faveur du
Premier gala qui vous
rassemble,
Avec Alphonse et Nicolas
Car vous êtes bien faits,
hélas !
Pour trinquer ensemble...
Le Subéziot.
(Samedi 9 juillet 1910)
Rappelons
qu'à cette époque, Aristide Briand n'était pas encore l'apôtre de la paix et
qu'il était combattu violemment par les révolutionnaires. Lépine était alors
préfet de police. — M. Lépine a été louange par M. Briand comme jamais il ne
l'avait été, même par M. Clemenceau. Le président du Conseil ne se rappelle
plus le temps où il traitait sans aucun ménagement « l'honnête homme » et « le
bon citoyen ». On sait que M. Briand n'a pas craint de qualifier ainsi le chef
suprême des brigands policiers.
L'Humanité.
Avant de s'être « adapté »
Lorsqu'il nichait du côté
Ingrat de la barricade,
Il ne fut pas toujours chic
Vis-à-vis de toi, Grand Flic
!
Poléon de Vachalcade!
Il n'eut pas rien que des
mots
Gentils pour les animaux
Attachés à ton service ;
Il parlait d'eux volontiers
En ces termes châtiés :
Les brutes de la Police!
Et même en un de ces jours
Où comme de vrais amours,
Cipaux et sergots besognent,
Il livra de tels assauts
Qu'il mit sa canne en
morceaux
Sur la hure de tes cognes !
Mais à présent qu'il est là !
Esclave docile et plat,
Devant ta botte il se penche,
Guettant les moindres regards
Et te bombardant d'égards...
Ah ! tu la tiens ta
revanche !
Le pauvre ! il a tant besoin
Pour ne pas perdre son coin,
Des poignes de ta flicaille
Qu'il n'est plus fichu d'oser
Un mot pour te refuser...
— Que veux-tu, vaille que
vaille ?
Quoi ? De Liabeuf, il te faut
La tête ?... Bien !
l'échafaud
Sera prêt. Donne ton heure
!...
Et Rochette ?... Ah oui,
pardon
Ça te défrise un peu : Donc
Que cette affaire-là meure
!...
Alors, puisqu'il en est ainsi
Tout entier à ta merci,
Ne te gêne pas, bourrique !
Abuse tout à ton gré :
C'est toi, chef des flics, le
Vrai
Chef de notre République !
Briand peut aller
s'asseoir...
Sinon, nous pourrons le voir
— Pauvre Excellence qui
tremble
Tout en jouant les costauds —
Te passer sa langue au dos
Ou... plus bas, si bon te
semble ?...
Le Subéziot.
(16 juillet 1910)
M.
Yves Durand osera-t-il nier devant moi que c'est lui qui a pris l'initiative de
(aire ajouter à ma plainte le post-scriptum des Manchons Hella ? Osera-i-il
nier qu'il savait que je n'en avais pas, et que c'est lui qui a eu l'idée de
m'en taire remettre « pour corser » la situation ?
Non,
vraiment, j'en ai assez. On est venu me chercher. On m'a jeté dans la bagarre
en me disant que je sauvais l'épargne française. Aujourd'hui, je ne suis plus
qu'un misérable sur le dos duquel on voudrait tout mettre.
(Déclaration
de Pichereau à un rédacteur de L'Intransigeant.)
Le sympathique directeur
De?... des... «Fantaisies
Policières»
Un jour manda son régisseur
Et lui dit sans plus de
manières :
— Voilà, mon cher Yves
Durand,
— Notre prochaine pièce est
prête :
Il ne manque qu'un figurant
Pour monter 1' « Affaire
Rochette »
J'ose espérer un gros succès
Car je compte que ça va faire
Un scandale comme au
Français.
« Les affaires sont les
affaires ! »
Donc, grouillez-vous pour me trouver,
Où vous voudrez, quelque bon
diable
Pouvant jouer au pied levé
Un bout de rôle...
indispensable ?
— Bon ! fit l'autre et, sans
chercher trop,
Il laissa sa dextre s'abattre
Sur l'épaule de Pichereau
Qu'il emmena droit au
théâtre.
— Hé, hé ! pas mal !... très
bien... Ça va !
Gardez votre petit costume
De vieux mineur de la Nerva,
Portez-le comme de coutume !
Mais, pour les gestes,
halte-là !
Fourrez vos deux mains qui
vous gênent
Dedans ces trois MANCHONS
Hella
Et maintenant, entrez en
scène !...
Marchez ! vous travaillez
pour l'Art !
Pour la Beauté! Pour la
Lumière !
Et je vous prédis, mon
gaillard.
Un tabac monstre à la
première...
Vient la première !... Tout
d'abord
Ça va bien, on trouve ça
drôle,
Et puis soudain, le traître
sort
Cavalièrement de son rôle.
Alors, le public sans pitié
Réclame, siffle. Un titi
pousse
Ce cri du haut du poulailler
:
« On dirait que ça sent
la Rousse ! »
Voyant les choses se gâter,
Le régisseur de la Police
Disparaît, plein d'agilité,
Au fond d'une obscure
coulisse
Et Pichereau seul reste là.
De trouille les fesses
enduites,
Agitant ses manchons Hella
Sous la grêle des pommes
cuites...
Le Subéziot
(Samedi 23 juillet 1910)
Tout le fumier des scandales,
Tel celui dont nous voyons
Les ordures qui s'étalent,
N'engraisse pas les sillons ;
Et cette « baugée » intense
Que viennent d'accumuler
Les porcs de la Préfectance
Ne fait pas pousser le blé !
La moisson sera mauvaise...
L'épi rare et languissant
A mûri mal à son aise
Dessous un soleil absent.
Et — conséquence fatale
De ce lamentable été —
Le pain, dans la capitale,
Va, sans doute, être
augmenté?
Oui, le pain dont l'âme
entière
Est toute pleine d'amour,
Le pain blanc de la prière,
Notre pain de chaque jour !
Le pain vaudra cher la livre
Cet hiver, annonce-t-on :
On aura du mal à vivre
Avec ce sacré « brichton ».
Dans bien des pauvres ménages
La femme ira (faut manger ! )
Mettre les meubles en gage
Pour payer le boulanger.
Les mêmes, dans la cuisine,
A la place du buffet,
Danseront la capucine
A l'heure où l'on doit
bouffer.
Mais un jour, le philanthrope
De
L'heur de piquer sa syncope
Devant un tel embarras :
Il enverra vers le père,
Gréviste ou manifestant,
Tous les flics de son repaire
Pour l'assister à
l'instant...
Sur le pauvre, en large
averse,
Des pains tomberont alors
Plus lourds que ceux du
commerce
Et qui tiennent mieux au
corps !
Le Subéziot.
(Samedi 30 juillet 1910)
Les éléphants ont souvent des
furies
De nègres saouls. On les voit
mettre à sac
Plantations et factories
Foulant le corps sanglant de
leur cornac.
Et puis après tout un carnage
infâme
Ils vont, avec leur trompe, à
petits jets
Arroser les fleurs de la dame
Qui vient d'Europe et lit du
Paul Bourget.
Les éléphants ont cette
humeur bizarre...
Celui qu'on loge à l'Elysée,
chez nous,
A, l'autre jour, sans crier
gare,
Trouvé moyen de faire un de
ces coups,
Après avoir traîné ses
grosses pattes
Parmi le sang de Liabeuf, il
s'en vient,
Plein d'attentions délicates,
De gracier un ignoble
vaurien.
Il ne peut pas voir ces
choses affreuses ;
Des soldats faire office de
bourreaux.
Que Graby se la coule
heureuse
Et que sa peau demeure sans
accroc !
Mais que n'a-t-il, notre doux
pachyderme,
Même scrupule au moins
qu'envers Graby
Envers ceux que torturent
ferme
Les vils chaouchs, bourreaux
de Biribi ?
S'émeut-il donc, lorsque dans
une grève,
Quand ont sonné les sinistres
appels,
Retentit la décharge brève
Et froidement enlevée des
Lebels?
Et cependant les gens que
l'on fusille
Sans jugement, par un arrêt
subit,
Malgré qu'ils n'aient dans
leur famille
Aucun mouchard, valent-ils
pas Graby ?
Non. Tout ce temps, il
s'ébroue dans sa mare,
Flairant l'odeur de meurtre
qui lui vient
Du sein pourpre de la bagarre
Où les soldats couchent les
citoyens.
Les éléphants ont cette
humeur bizarre !...
Le Subéziot.
(6 août 1910)
Chansons
de "
22
juin 1910-27 juin 1911
GASTON
COUTE ENTRE A «
Chaque
semaine nous publierons de lui une chanson satirique d'actualité.
L'auteur
des « Conscrits », des « Gourgandines », du « Christ en bois » et de tant
d'autres poèmes d'une langue si savoureuse et si forte, vulgarisera à sa façon
les idées de révolte et d'émancipation qu'il a toujours défendues.
Tous
ceux qui apprécient le talent de Coûté se réjouiront... Se réjouiront aussi
tous ceux qui regrettent le temps où la chanson satirique, écrite au jour le
jour, constituait un des plus sérieux moyens de propagande révolutionnaire, le
temps où les Jules Jouy, les Clovis Hugues, les Louis Marsolleau, les uns morts
aujourd'hui, les autres passés de l'autre côté de la barricade, maniaient si
bien le fouet de la satire.
Air
: Le Père Dupanloup
Chanson
pour le « concours de chansons de marche » organisé par le Ministre de la
Guerre.
Les gâs ! plus de refrains
cochons !
Va falloir y mettre un
bouchon :
Puisque en march' le Colon
nous prie
de ne plus chanter
d'salop'ries...
Dig, dig, dig, din don : —
Si qu'on f'rait plaisir au
Colon ?
Tout le long d’la route,
chantons
Pour dérouiller nos ripatons,
Une chanson qui soit-z-à
cheval-e
Dessus l'chapitr' de la
morale...
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
Chantons comme i'-f'rait bon
chez nous,
Comme i'-f'rait bon planter
des choux,
ou dormir auprès de sa
blonde,
Au lieu d'apprendre à tuer
l'monde...
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
Chantons qu'i n'faut pas
détester
Les gens du pat'lin d'à côté,
Parc' qu'i' s'dis'nt « je
t'aime ! » dans un autre
Genre de patois que le
nôtre...
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
Chantons, nous qui
n'possédons rien,
Qu'on a soupe d'être des
chiens
Prêts à bondir hors de la
niche
Pour défendre le bien des
riches...
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
Chantons à ceux qui d'mand'nt
not' peau
Pour la plus grand' gloir' du
drapeau,
Que nous nous foutons comm'
d'un' guigne
De la gloire et de ses
insignes...
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
Chantons pour dire aux
ouvriers
Qui font la grèv' sur les chantiers
:
« Dans les grèv's nous
agirons d'même
Que nos copains du «
dix-septième » !
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
Chantons pour eux, chantons
pour nous,
(Populo, c'est l'frèr' de
Pitou (1) !)
Et comm' chanson d'marche
finale
Allons-y d'1'Internationale !
Dig,...
Ça va fair' plaisir au Colon
!
(Du 22 au 28 juin 1910)
(1) Pitou : nom populaire
donné aux soldats ; il existe aussi comme autres sobriquets : chapuzot et
dumanet. (N. d. E.)
ou
: Les affaires sont les affaires !
Air
: La combinaise
Après l'premier tour
d'scrutin,
Comm' par hasard i's
s'rencontrèrent :
Chevaux dit : « ça va, vieux
frère ?
— Heu, ça branl' dans l'manch'
— fit Jacqu'lin —
— Bah ! r'prit Ch'vaux,
amène,
Entre radicaux, il faut qu'on
se soutienne :
Ta main dans la mienne !
Et voyons tous deux si l'on
ne pourrait pas
Arranger tout ça !
Y-a-p't-être un moyen !...
Causons peu, mais causons
bien :
Refrain
Si tu veux faire avec moi la
Combiné,
Nibé, lubé,
Pin, pin ! la combinaise, ah
!
Tout's mes voix
Sont à toi,
Pour 30.000 ball's j'peux
fair' la combiné
Nibé, lubé,
Pin, pin ! la combinaise, ah
!
Vlà mon prix
Et c'est un prix d'ami !
« C'est trop cher pour c'que
ça vaut !
Tes partisans ne sont tout
d'même
Que d'vulgair's poir's du
Onzième ?
— De quoi, de quoi, hennit
Chevaux,
Pas bonnes mes poires !
Mais tu n'entends rien à ce
genre d'histoire
Tiens ! tu peux m'en croire :
En te faisant l'prix que je te
fais ici
C'est tout juste si
J'n'y mang' pas d'argent !...
— Bon, dit Jacqu'lin
s'engageant :
« Je veux bien faire avec toi
la combiné
Nibé, lubé,
Pin, pin ! la combinaise, ah
!
Entendu
C'est vendu
Mais r'pass' pour toucher
l'prix d’la combiné
Nibé, lubé,
Pin, pin ! la combinaise, ah
!
Dans un mois :
J'n'ai qu' 40 sous sur moi !
»
Après quoi s'mir'nt à
chercher
Un bon coin, pas trop loin
pour boire
Un' bouteill' comme à la
foire
Afin d'arroser leur marché ;
Puis au bout d'deux s'maines,
Azurés's d'espoirs et de doux
rêv's pleines,
Le grand jour s'amène !
Mais alors : adieu veaux,
vach', cochons, couvé's
Le scrutin ach'vé
C'est comm' qui dirait
La chut' de leur pot au lait
!
Vlà comm' tout craque au
mitan d’la combiné
Nibé, loupé,
Foutu' la combinaise, ah !
Ces farceurs
D'électeurs
N'ont laissé dans l'urne et
pour la combiné
Nibé, loupé,
Foutu' la combiné, ah !
Qu'un lapin
A l'adress' de Jacqu'lin !
Sur ce — « j'march' plus' »
dit Jacq'lin
— Ah ! canaille ! fait
Ch'vaux qui s'emballe,
Si tu n'raqu's mes trent'
mill' balles
Y a des jug's autr' part qu'à
Berlin !... »
Ah ! la bonne histoire :
Des candidats qui r'fus'nt de
s'payer... nos poires
C'est à n'y pas croire ?
Et d'entendr' deux lascars
comm' ça gueuler :
« — Zut ! je suis roulé.
»
Ben, on a beau dir'
Ça fait tout d'même plaisir
!...
Car d'ordinaire au fond d’la
combiné
Nibé, lubé,
Pin, pin ! d’la combinaise,
ah !
Les roulés
Les volés
Ceux qui font les frais de
tout's les combinés,
Nibé, lubé,
Pin, pin des combinais's, ah
!
Pas d'erreur :
Ce sont les électeurs !...
(Du 29 juin au 5 juillet)
Air
: La Chanson du linceul – « Les tisserands »
Sous le soleil qui nous
accable,
Sous les injur's et sous les
coups,
Nous tombons sur le bord des
trous
Qu'on nous fait faire dans le
sable.
Creusons des silos, mes
garçons :
C'est notr' tombeau que nous
creusons !
Creusons des silos, mes
garçons :
C'est notr' tombeau (bis)
Que nous creusons !
Des germes de sourde révolte
S'entassent en nos cœurs trop
gros
Et les chaouchs, lâches
bourreaux,
En feront un jour la récolte.
Creusons des silos, mes
garçons
C'est leur tombeau que nous
creusons !
C'est leur tombeau (bis)
Que nous creusons !
De sang et de honte flétrie,
— Pour les horreurs que l'on
subit
En ton nom, en ton Biribi —
Tu peux crever, vieille
Patrie !
Creusons des silos, mes
garçons
C'est son tombeau que nous
creusons
C'est son tombeau (bis)
Que nous creusons !
(Du 6 au 12 juillet 1910)
«
Tu vois, là-bas, au bout de la cour, ces trois trous à moitié bouchés avec du
sable ? C'étaient des silos. J'en ai vu descendre, là-dedans, des malheureux !
[...] On y avait mis un type auquel on a attaché les mains derrière le dos. Il
est resté près de quinze jours. »
Georges
Darien (Biribi).
Air
: Le Midi bouge
Voilà que Liabeuf dit
Sous le coup'ret maudit,
— Effort suprême
Pour clamer son honneur
« Non ! Non ! Quand même,
Je n'suis pas un sout'neur !
»
Refrain
— Hou, hou !
La Veuve bouge Tout est rouge
!...
Hou, hou !
Que l'sang retomb' sur vous.
MAUGRAS, n'es-tu point là?
C'est pour toi tout cela
— Ohé, Beau-Gosse !
Pour que tu puiss's mentir,
Menteur atroce
Davantage à l'av'nir !...
LEPINE, en cet instant,
Tu dois être content,
Pèr' des bourriques,
Vois les airs triomphants
Et sympathiques
De tes petits enfants !...
BRIAND, lav' toi les mains
Dedans ce sang humain ; (bis)
La belle affaire!
Qu'on mette un homme à mort
Ton ministère
Aujourd'hui vit encor' !
FALLIERES, pôvre Armand,
Dors bien tranquillement
(bis)
— Les personn's grasses
Ont l'sommeil bienveillant. —
Rêv' de la grâce
D'un prochain Soleilland !
A moins, mon doux agneau,
Que l'ombre de Carnot (bis)
Sur toi ne passe,
Transformant sans égard
Ton rêv' bonasse
En un affreux cauch'mar !...
(Du 29 juin au 5 juillet
1910)
Air
: La Marseillaise
La rude épaule populaire
Jeta l'Ancien Régime à bas
En un jour de juste colère :
Le peuple n'en profita pas !
(bis)
Et, sous notre ère tricolore,
Le règne odieux des bourgeois
A remplacé celui des rois :
Notre servage dure encore !
Refrain
Courage travailleurs ! en un
noir bataillon
Marchons, marchons....
Elle viendra notre
Révolution!
Ces gens-là viennent,
camarades,
Sous notre nez, exécuter
Leurs hypocrites mascarades
En l'honneur de la Liberté
(bis)
Mais, tandis que les lampions
brillent,
Hervé s'endort à la Santé :
Pour étouffer la Vérité
Ils ont refait d'autres
Bastilles !
Ils n'ont que ces mots dans
la bouche :
Le Progrès et l'Humanité !
Mais si de sa tombe farouche
Aernoult (1) pouvait
ressusciter... (bis)
Car pour refaire la nature
De nos Garçons au front trop
fier
A Biribi, lugubre enfer,
Ils ont rétabli la torture
Ils parlent aussi de Justice,
En évoquant
quatre-vingt-neuf,
Mais ils ont laissé leur
police
Couper la tête à Liabeuf
(bis)
Et Briand, valet de nos
maîtres,
a pour nous des airs
insultants :
Il sait bien qu'on n'est plus
au temps
où l'on guillotinait les
traîtres !
Mais ça changera,
camarades...
O vaillant peuple du
Faubourg,
Qui fit jadis des barricades,
Tu te lèveras un beau jour !
(bis)
Et ce jour nos cœurs seront
aises
En vous retrouvant avec nous,
Petits soldats, petits
pioupious :
Dignes fils des gardes
françaises.
(Du 13 au 19 juillet 1910)
(1)
Aernoult, assassiné le 2 juillet 1909, à Djenan-ed-dar {Algérie) par les
chaouchs militaires.
Aernoult
était un ouvrier couvreur.
En
1905, vers la fin de l'année, éclatait la grève des terrassiers du métro. Il y
eut au Château, près de Romainville, des incidents de grève : chasse au renard,
chambardement d'un chantier.
Aernoult
s'était joint à ses camarades de
Par
défaut, on le condamnait pour faits de grève à deux mois de prison. Quelques
jours avant la catastrophe de Courrières, Aernoult revenait à Romainville. La
mort n'avait pas encore voulu de lui. Mais la prison le réclamait. Arrêté,
jugé, il fut cette fois condamné à dix mois de prison. A peine âgé de dix-neuf ans,
il était enfermé à
Affaibli,
désemparé, Aernoult céda ; à sa libération il partit pour l'Afrique, engagé
dans les chasseurs d'Afrique.
C'était
alors un beau gars, robuste, solide« un peu là », un gars tout blond comme une
jeune tille, pas méchant pour un brin, point nerveux, tranquille et de bonne
humeur.
Bientôt
exténué par des corvées au-dessus de ses forces, roué de coups par le
lieutenant Sabotier, les sergents Casanova et Beignier, victime de mille
sévices, dans sa cellule, pantelant, saignant, bâillonné puis mis à la
crapaudine dans les affres de l'agonie : il mourait à vingt-trois ans, le corps
meurtri de coups. Reconnaitra-t-on qu'il a été frappé à la tête ? demanda un
capitaine inquiet, — Non, dit le major, l'on croira qu'il s'est assommé contre
les murs de sa cellule !
Air
: Quand on a travaillé
Voici les vacanc's ! — Ça pu'
dans la Chambre
Grâce à tout l'ling' sal'
qu'on y déballa,
Et ce cri joyeux réveill'
plus d'un membre
Qui dormait, le nez dans
cette odeur-là.
Voici les vacanc's ! Tous
bouclent bagage
Et se précipit'nt, pour
passer l'été
Vers les frais sommets ou la
verte plage
Histoir' de s'refaire un peu
la santé…
Refrain
Quand on a... rien foutu
Pendant six s'main's au plus
:
(On n'peut pas s'tuer
pourtant
Pour quinz' mill' francs par
an !)
Quand on a... rien foutu
Pendant six s'main's au plus,
On a vraiment besoin
De se r'poser trois mois au
moins !
D'aucuns vont aller sur
quéqu' plag' mondaine
Chercher dans le jeu l'oubli d'ieurs
travaux
Auront-ils la guigne,
auront-ils la veine
L'soir au casino devant les
p'tits ch'vaux ?
Quelle vi' d'enfer ! La
roulette apporte
Dans le simple cours de son
p'tit trajet
Des émotions autrement plus
fortes
Que cell's qu'ils éprouv'nt
au vot' du budget !
D'autres, en quelque provinc'
retirée
Gout'ront les douceurs de la
vi' d'château,
S'essoufflant au bal, toute
la soirée
Mangeant d’la poussier' le
jour en auto :
Il faudra qu'ils soign'nt
leur langage où sonne
Souvent plus d'un mot un peu
sans façon :
On ne parle pas à Mam' la
Baronne
Comme à ses confrèr's du
Palais Bourbon.
Quelques-uns, de plus
rustique nature
Nemrods bedonnants et joyeux
garçons
Iront dans leurs terr's faire
l'ouverture
Traçant les guérets, battant
les buissons ;
Mais de fusiller les lapins
qui s'vautr'nt
Dans le serpolet et le thym
en fleurs,
C'est plus fatiguant que d'en
poser d'autres...
De ceux-là qu'ils pos'nt à
leurs électeurs !
Ils seront vit' las de cette
existence,
Nos chers députés, nos graves
élus,
Rincés par le jeu, vannés par
la danse,
Fourbus par la chass' ne se
tenant plus ;
Et quand les premiers
brouillards de novembre
Sur l'onde et les bois
viendront se poser
Nous les verrons tous
regagner la Chambre
Pour pouvoir enfin vraiment
se r'poser...
Refrain final
Quand on s'est esquinté
Comm' ça tout un été
On n'peut pas s'tuer pourtant
Pour quinz' mill' francs par
an !
Quand on s'est esquinté
Comm' ça tout un été
On a vraiment besoin
De n'plus rien foutr' huit
mois au moins !
(Du 20 au 26 juillet 1910)
En
1910, les députés s'étaient généreusement octroyé une rémunération de 15.000
francs annuels. L'expression Q. M. (quinze mille) devint rapidement, pour les
chansonniers notamment, synonyme de député. (N. d. E.)
Air
: Le petit panier
M.
Lépine est bien tranquille du côté de M. Briand. Il le tient, comme Colly l'a dit
en pleine Chambre. Le dossier présidentiel est volumineux ! Et il parait que M.
Lépine le garde dans son cabinet même.
L'Humanité.
Dans un' ribouldingue
Un roi, paraît-il,
Sur lui, vit un lingue
Pendre au bout d'un fil :
L'roi fit la grimace
Mais plus ne souffla, Pensant
: « si l'fil casse
Je suis chocolat !... »
Refrain
A... ristide a la frousse
Que l'chef de la Rousse (bis)
Lui lass' tomber su' l'nez
Son petit dossier ! (bis)
De not's policières
C'dossier est si plein
Qu'la pans' de Fallières
Près d’la sienn' n'est rien,
Et quand on l'dépose
Quéqu' part, un moment :
Ça sent la mêm' chose
Qu'au derrièr' d'Armand !...
Comme un livre rare
Que nul ne connaît
Lépine le gare
Dans son cabinet :
Et, farceur sinistre,
Parfois, il en lit
Un' page au ministre
Qui s'trouble et pâlit !
Briand demand' grâce,
Mais l'autre lui dit,
Remettant en place
Le dossier maudit :
« Y-en a six cents pages
Comm' ça dans l'mêm' goût...
Si tu n'es pas sage
J'les fais voir partout !...
»
Aussi, que des « cognes »
Sur un citoyen
Dégain'nt sans vergogne :
Briand ne dit rien !
Qu' la Police outrage
Sans cess' le public ?...
Aristide est sage :
Il laiss' fair' les flics
!...
(Du 27 juillet au 2 août
1910)
Air
: La Complainte de Géomay (A. Bruant)
Comme il était fils de
mouchard,
Dans
Sa carrière :
Voyou féroce et sans pitié
Il aurait honoré l'métier
De son père ! (bis)
Il aurait pu de temps en
temps
Zigouiller des manifestants
Et descendre
Jusqu'à des p'tits goss's
ainsi
Que l'on a vu fair' ces
jours-ci
Au pont d'Flandre ! (bis)
Mentant et bavant tout son
saoul
Il aurait pu fair' couper 1'
cou
D'un pauvr' diable
Aussi bien qu'ce Maugras
qu'on a
Vu complic' d'un assassinat
Effroyable, (bis)
Il aurait pu, soirs et
matins,
Rassasier tous ses instincts
D'brut' mauvaise :
Dans la mouscaille et
l'raisiné
Le bougre aurait pu s'en
donner
A son aise ! (bis)
Môssieu Lépine aurait pensé
Par-devant le nombre insensé
D'ses victimes :
« Voilà le serviteur rêvé
!... »
Et puis il aurait approuvé
Tous ses crimes ! (bis)
Mais c'est-y-bêt' ! Vlà que
l'mouch'ron,
Sans attendr' les ordr's du
Patron,
Dans sa hâte
De voir couler le sang humain
Un jour a voulu mettr' la
main
A la pâte... (bis)
Qu'il soit puni cet imprudent
!
Mais tout doux, tout doux,
cependant :
Qu'on s'rappelle
Que pour un apprenti
mouchard,
Il a simplement péché par
Excès d'zèle !... (bis)
(Du 3 au 9 août 1910)
NOTICE
SUR GRABY
Avec
la complicité d'un nommé Michel, assassina, à coups de pieds et à coups de
poings dans un wagon de chemin de fer de première classe, une dame d'un «
certain âge » d'aspect cossu, nommée Madame Gouin. Is la dévalisèrent et
jetèrent le cadavre sur la voie.
DERNIERE
HEURE
Nous
sommes en mesure d'affirmer que le soldat Graby, après avoir été gracié de la
peine de mort par le mastodonte élyséen (1), verra un 14 juillet prochain sa
peine entièrement effacée. Graby reviendra donc prochainement parmi nous.
Dans
cette attente, la Préfecture de Police lui réserve une des premières places
dans une brigade de
Espérons
qu'il saura se montrer à la hauteur de sa mission.
(1)Il
s'agit de Fallières. (N. d. E.)
Air
: Joséphine, elle est malade
«
La jaunisse militane est déjà représentée au cimetière du Père Lachaise par les
sapeurs du génie ! »
L'Humanité.
«
Sur la demande du Maire, vingt-deux ouvriers boulangers militaires ont été
réquisitionnés et envoyés à Aubagne pour remplacer les grévistes ».
Les
Journaux.
Les soldats ont la jaunisse !
Pour soigner ces pauvres gâs,
Major ! rengain' tes services
Et ton ipéca (bis)
Tu ne peux rien à leur cas !
Si l'ouvrier s'met en grève,
Trouvant son salair' trop bas
Pour faire un' besogn' qui
l'crève :
Ces vaillants soldats (bis)
La font pour un bon d'taba' !
Pris d'un courage effroyable,
Quand i' s'agit d'fondr'
dessus
Le boulot du pauvre diable
Ils ne savent plus (bis)
C'que c'est que d'tirer au
cul !
Ils sont bons à toutes
choses,
A tout ils mettent la main :
Si ça continu', j'suppose
Qu'on les verra d'main (bis)
Vider l'pot Faubourg
Saint-Germain ?
Ce jour, poudrant leur gueul’
jaune
D’la farin' des boulangers,
Font l'pain dans les Bouch's
du Rhône
Afin d'empêcher (bis)
Tous les mitrons de manger !
A Paris de quell’ manière
Ils prodiguent leurs talents
:
Déménageurs de cim'tière
I's vont trimbalant (bis)
Des Macchabé's purulents
Si, dans sa tombe encor neuve
Le cadavr' d'un fusillé
De Draveil ou de Vill'neuve
(1)
Allait s'réveiller (bis)
Au nez de son meurtrier?
L'vant son linceul écarlate
Que l'sang a teint dans ses
flots,
I' cri'rait « A bas les
pattes,
Espèc' de salop (bis)
Et fous-moi l'camp au galop !
»
Ça leur coup'rait la jaunisse
A tous ces malheureux gas,
Major ! mieux que tes
services
Et ton ipéca (bis)
Qui ne peuv'nt rien à leur
cas !
(Du 4 au 10 août 1910) (2)
(1)
Draveil et Villeneuve : tristes illustrations du rôle de Clemenceau comme
briseur de grèves. Des grévistes furent tués par la troupe à Draveil, en mai
1908, et à Villeneuve-Saint-Georges en juillet 1908. (N. d. E.)
(2)
Ce numéro de
Air
: C'est un oiseau qui vient de France
Il paraît qu'un homme-volant
Vient de passer d'une aile
altière
Dedans un bon petit biplan,
Par-dessus le poteau
frontière !
L'accueillant en libérateur,
Les gens des provinces
perdues
Ont tendu leurs mains
éperdues
Vers le vaillant aviateur.
Refrain
Comme dans l'antique romance
Chef-d'œuvre des
Cafés-Concerts,
Ils ont soupiré vers les airs
: (bis)
« C'est un oiseau qui vient
de France »
Après avoir séché les pleurs
De la Lorraine et de l'Alsace
Et déployé les trois couleurs
Il est reparti dans l'espace
;
L'air martial et décidé,
De gloire et de conquête
avide,
Il a dans son élan rapide
Franchi le Rhin comme Condé !
Refrain
Mais un bon Teuton de Mayence
S'écria, dès qu'il l'aperçut
:
«Sentinelles!... tirez tessus
!.. (bis
C'est un oiseau qui fient te
France ! »
Alors il monta jusqu'aux
cieux
Regardant tournoyer les
balles,
Dessous son vol audacieux,
Comme en d'impuissantes
rafales ;
Puis narguant le gros
Zeppelin
Qu'on dépêcha pour le
combattre
Devant Berlin il vint
s'ébattre...
Victoire !... il rentre dans
Berlin !
Refrain
Les cœurs palpitent
d'espérance ;
Déroulède est tout embrasé,
Et les bistros vont
pavoiser...
C'est un oiseau qui vient de
France !
L'ardent émule de Latham
S'en vient maintenant de
descendre
Devant les marches de Potsdam
Sommant le Kaiser de se
rendre...
C'est fait ! Le Kaiser se
rendant
Avec tout un butin énorme
Dont quinze-cents beaux
uniformes !
C'est la revanche de Sedan !
Refrain
(Dernière heure)
Mais hélas ! ce fait qu'on
avance
Semble de moins en moins
certain ;
C'est quelque « Canard
» du « Matin » (bis)
C'est un oiseau qui vient de
France !
(Du 17 au 23 août 1910)
Air
: Ah ! mes enfants !
L'autr' jour chez mon bistro,
réinstallant pour dîner,
J'commande, en dépliant ma
serviett' sous mon nez,
Ma d'mi-portion :
« Monsieur, m'répond alors le
patron, d'un air dign'
Nous avons supprimé dans
notre grand meeting
Les d'mi-portions !
— L'vin n'est plus abordabi',
la viande est hors de prix !
Nous n'pouvons plus donner,
puisque tout renchérit
De d'mi-portions ;
C'est l'temps qu'est caus' de
ça, les temps sont bien changés :
Ah ! sous l'Empir' Monsieur,
on pouvait en manger
Des d'mi-portions ! »
« — Ça va bien ! fais-je
alors, pas tant de boniments
Et servez-moi, puisque y-a
pas mèche autrement
Toute un' portion ! »
Là-dessus, il s'éclipse et
r'vient d'un geste fier
M'apporter cett' portion à
qui j'trouve un grand air
De d'mi-portion!
Un minuscul' morceau d'bœuf
filandreux et sec
Et (je les ai comptés) seize
fayots avec :
Vlà ma portion !
Or, les fayots nombraient des
fois jusqu'à dix-neuf
Dans mon assiette
autour du même morceau d'bœuf
En d'mi-portion!
Je me dis « Tiens, le
bougre a sûr'ment plaisanté...
C'est encore un bateau qu'il
a voulu m'monter :
Les d'mi-portions ! »
Mais voici le quart d'heur'
de Rab'lais, j'tir' six ronds
Que j'étal' sur la tabl' pour
payer au patron
Ma d'mi-portion !
Mais — « Non, Monsieur, dix
sous ! rectifi'-t-il, je crois
Avoir prév'nu Monsieur que
nul n'avait plus droit
Aux d'mi-portions...
Eh ben! r'prends-je, en
saignant d'quat' autr's ronds ma fortune
Vous en avez d'l'astuc', vous
! et sûr'ment plus d'un'
Demi-portion !
Lorsque vous déclarez, sur un
air convaincu
Qu'en votre honnêt' gargot'
les clients n'trouv'ront plus
De d'mi-portions,
Vous avez un' bizarr' façon
d'vous exprimer ?
C'est pas les d'mi portions
qu'vous avez supprimée
C'est les portions ! »
(Du 24 au 30 août 1910)
Air
: Le Curé de Pomponne
—
On vient d'arrêter l'inspecteur Robert qui avait volé 10.000 francs à une
folle.
Les
Journaux.
A l'infirmeri' du Dépôt
Une pauvre démente
Répétait le même propos
De façon insistante ;
Elle s'écriait comm' ça :
« Croyez-en ma parole,
J'viens d'voir tout à l'heur'
— larira ! —
Une vache-qui-vole !... »
— « Très bien »
déclarèr'nt les docteurs
Et tout le mond' pensa d'même
:
« Les exploits des aviateurs
Lui travaill’nt le système ;
La conquête de l'air y a
Fait perdre la boussole...
Laissons-la tranquill' —
larira —
Avec sa vach'-qui-vole !
— Mais, écoutez-donc, nom
d'un chien !
Insista la louftingue
« Cett' vach'-là volait si
bien...
Qu'ell' m'a fait mon
morlingue !
Où donc est l'roussin qui
m'fouilla
Parce que j'étais folle ?
Qu'on aill' me le chercher, —
larira —
J'veux voir ma vach'-qui-vole
»
On am'na l'inspecteur Robert
Le héros de ce drame,
R'connu avoir fauché l'auber
De la malheureus' femme ;
Dix-mill' ball's, ça n'était
pas
Pour une simple obole
Qu'avait opéré, — larira ! —
Cette vache-qui-vole !
« C'est, avoua-t-il en
pleurant
Afin d'avoir des r'ssources
Pour pouvoir comme Yves
Durand
Tripoter à la Bourse
Qu'j'ai mis d'un geste
indélicat
La main sur ce Pactole
Et que j'ai joué, — larira !
—
Au jeu de vach'-qui-vole.
Mon coup — si l'on veut
raisonner —
Etait aussi honnête
Et tout aussi bien combiné
Que l'Affaire « Rochette » :
Pourquoi donc cett' toqué'-là
Que le diabl' patafiole
Est-elle venu' — larira ! —
Parler de vach'-qui-vole ? »
Après les scandales d'hier
Qui demain vont reprendre,
Lépin' savour' ce fait divers
Simple histoire d'attendre !
Car le jour où se réveili'ra
L'enquête qui somnole
T'entendras r'parler — larira
! —
Sans dout' de vach's qui
volent !
(Du 31 août au 6 septembre
1910)
Air
: Le bal à l'Hôtel de Ville (Mac-Nab)
L'incapable
successeur de Léon XlII vient de décréter que dorénavant les enfants feront
leur première communion non pas à l'âge de onze et douze ans, mais à sept ou
huit ans !
Pourquoi
pas tout de suite au biberon ?
Ce
serait encore plus prudent pour sauvegarder la pureté de la foi et préserver
les jeunes âmes de la contagion du doute et des embûches du libre arbitre.
Le
Rappel.
I' s'en pass' de tout's les
couleurs
A la place du Tertre :
L'aut' soir un marchand
d'sacrés-cœurs
Et d'souv'nirs de Montmartre,
En rentrant chez lui
Autour de minuit
Trouve — spectacle infâme ! —
Un méchant curé
Qu'avait l'doigt fourré
dans le... nez de sa femme !
(bis)
Voyant s'étaler sous son toit
Des mœurs aussi mauvaises,
Vlà l'pauvr' qui gueul' comme
un putois
En bousculant les chaises :
— « Sacré nom de d’là !
Qu'est-ce que tu fous là,
Pourceau de sacristie ? »
L'autr' sans s'déranger,
D'un ton dégagé,
Répond : «j'présent’ l'hostie
! » (bis)
Prenant pour un vil calembour
Cett' réplique du prêtre,
L'marchand braill' « tu vas
faire un tour
Par-dessus la fenêtre,
Espèc' de Borgia
Au monde il n'y a
Pas d'salaud d'ton calibre !
»
Mais l'autr' fait un sign'
Très noble et très dign'
De sa main resté' libre (bis)
« Là, là, vous allez
éclater !
Calmez-vous mon brave homme !
Oyez plutôt la volonté
De notr' Saint-Pèr' de Rome :
Pour quTâme des enfants
Au Mai triomphant
Demeure inaccessible,
Faut qu'nous leur donnions
La Saint' communion
L'plus tôt qu'il est possible
! (bis)
Or, enceint' de quatr' mois
au plus
Votre épouse fidèle
S'préoccup' déjà du salut
Du p'tit qu'ell' porte en
elle ;
Et, chrétienn' zélé',
Ell' m'a fait app'ler
Pour qu'en sa r'trait'
profonde
Je fass' communier
Votr' jeune héritier
Avant qu'i n'vienne au monde
! (bis)
C'est scabreux d'colloquer
l'bon Dieu
En pareille occurrence :
Mais la grâc' pass' par
ousqu'ell' peut
Mon brave, y-a pas d'offense
! »
— « Non, non ! ...fait
l'papa
Qu'en reste baba,
Mais je trouve, mazette !
Que votr' sacrement
N'est... évidemment...
Pas dans une... musette ! »
(bis)
Là-dessus, le curé s'en va...
Alors notr' Boubouroche,
Avec des airs de St Thomas
Dit à sa femme : « approche !
»
Et l'oreill’ collé'
Su' l'ventre gonflé,
I' s'écri' : « Mélanie,
J'entends — quel succès —
L'salé' qui chant' «c'est
L'plus beau jour de ma vie »
(bis)
(Du 7 au 13 septembre 1910)
Air
: Le Roi Dagobert
«
C'est à se demander si cet homme (Fallières) a une conscience ? »
L'Humanité.
Ce grotesque salaud
Nous avait semblé rigolo
Quand de par l'esprit
De ce brav' Jarry,
Nous le connum's roi
D'un lointain endroit,
Mais fini d'rir' maint'nant
MERDRE !... C'est lui notr'
Président !
L' « boufre » n'a pas changé
Il met toujours avant
d'juger,
Sous son cul pesant
Justice et bon sens.
« Ces chos's Père UBU
On n's'assoit pas d'ssus,
Veuillez l'ver votr' séant!
MERDRE — répond le Président.
« Voyons, hier encor
Vous étiez contr' la pein' de
mort ?
— Oui, mais à présent
J'en suis partisan :
Si quelques chrétiens
Perd'nt leur tête, eh bien !
Moi, j'garde en attendant
MERDRE — ma plac' de
Président ! »
Allons, corne de bœuf !
Dites-moi quel est ce Liabeuf
?
— Un pauvr' travailleur,
Un' victim' des « mœurs »
— Ça suffit ainsi :
Qu'on l'passe à la sci'
A dédoubler les gens!
Et MERDRE ! rugit l'Président
!
Puis après un répit :
« — Qui ça peut-il êtr' que
Graby ?
— un vil assassin,
L'fils d'un argousin....
— C'est asssez... ho là
Que l'on ouvre la
Porte aux grâc's et viv'ment
!
MERDRE — pardonne le
Président !
« Eh bien !... et Duléry ?
— Il était soldat, comm'
Graby —
Mais on ne peut pas Comparer
leur cas,
Et c'est excessif
Pour un coup d'canif
D'encourir tel jug'ment...,
MERDRE, MERDRE ! — dit
l'Président
« — Son père est policier
Que fabriqu'nt donc ses
devanciers?
— C'sont des gens d'honneur,
De brav's travailleurs...
— Bon ! leur fils va voir
Le danger d'avoir
De semblables parents,
MERDRE ! au poteau ! » fait
l'Président !
« Père UBU, mon p'tit chou,
Allons voyons quand cess'rez
vous
Ces bourdes cruell's
Et présidentielle?
Vraiment on croirait
Qu' vous les fait's exprès :
Le peuple est mécontent
J’l’EMMERDRE... gouaill' le
Président !
(Du 14 au 20 septembre 1910)
LIABEUF
L'affaire
Liabeuf qui lit un bruit énorme dans toute la France fut — en somme — un ignoble
chantage policier.
Arrêté
vers la fin juillet 1909 par deux agents en bourgeois qui prétendaient l'avoir
vu recevoir de l'argent d'une femme sur la voie publique, le tribunal
correctionnel — sur leur témoignage — lui infligea 3 mois de prison et 5 ans
d'interdiction de séjour. Les agents avaient menti.
Liabeuf
jura de se venger.
Après
avoir purgé sa peine il revint à Paris et cette infraction lui valut encore 1
mois de prison.
Libéré,
il retrouve du travail, d'autant plus que ses patrons avaient de lui une très
bonne opinion. Il était passé maître dans sa profession de cordonnier. De
nombreux témoignages concordaient : à savoir que Liabeuf était un bon ouvrier
sobre, habile et courageux, qualités singulièrement incompatibles avec
l'accusation jadis portée contre lui : d'être un souteneur et un apache.
Dans
la crainte d'être encore arrêté, harcelé qu'il était par la police des mœurs,
il se confectionna minutieusement à l'aide de cuir et de semences : deux
formidables brassards ! Inévitablement il y eut rencontre avec les agents —
bagarre terrible et Liabeuf succomba sous le nombre ; malgré son âpre défense
il reçut un coup de sabre dans la poitrine après avoir à coups de revolver et
de tranchet, abattu l'agent Deray.
Condamnation
cette fois à la peine de mort. Un manifeste de recours en grâce adressé à
Fallières malgré l'opinion publique et l'insistance de ceux qui l'avaient signé
: Séverine, Rochefort, Anatole France, Jaurès, Léon Bailby, Camille Pelletan,
l'Abbé Lemire, Jacques Dhur, Henri Maret, Edouard Drumont, Steinlen, etc.
Liabeuf
proclama au moment de son exécution :
«
J'affirme que je ne suis pas un souteneur !
—
Quand même, je ne suis pas un souteneur ! »
L'assassin,
c'est Lépine. Madame Liabeuf est morte.
Le
prolétariat de Saint-Etienne a lait à cette mère, de solennelles et grandioses
funérailles.
Ne
pouvant être présents, c'est de tout coeur nous nous sommes associés à cette
manifestation nécessaire.
Mais
alors que le crime policier vient de faire s'ouvrir une tombe nouvelle, nous
nous faisons un devoir de dénoncer encore le responsable.
Tous
les grands noms de tous les partis s'étaient associés pour réclamer la grûce de
Liabeuf, victime d'une affreuse erreur judiciaire. La France ouvrière s'était
par de vastes meetings, associée à cette requête.
Pour
couvrir les gredins de son abjecte police des mœurs, le préfet de police opposa
son veto à ce recours en grâce. Avec une sauvage ténacité, il exigea la tête de
la victime de ses argousins. Le roi fainéant de l'Elysée la lui jeta lâchement.
Et
la vieille mère est morte, tuée de douleur, sans avoir eu la consolation d'être
vengée.
(Du 12 au 18
avril 1911)
DULERY
Pauvre
petit pioupiou exécuté à Biribi « dans les formes légales » pour avoir blessé
légèrement d'un coup de canif un ignoble chaouch qui le « passait à tabac ».
Air
: A la façon de Barbari mon ami
Depuis le temps que Nicolas,
Ce tapeur plein d'astuce,
Fait chez nous, après chaqu'
gala,
Un nouvel emprunt Russe :
A notre tour, allons-nous
donc
La faridondaine, la
faridondon
Emprunter quelque chos' chez
lui
Biribi
En son pays de Barbarie
Mes amis?
« Emprunter » ? après tout,
faut pas
Qu'ce mot vous estomaque !
Ce qu'on doit emprunter
là-bas
C'est... le knout des
cosaques !
Pour mater les apach's —
dit-on —
La faridondaine, ...
On veut nous apporter ici,
Biribi
Cette façon de Barbarie
Mes amis !
On n'supprim'rait à
c'régim'-là,
Ni l'vic', ni la misère
(Ni la polic' qui rend hélas
!
Les apach's nécessaires —)
Mais quand l'Peuple
bronche... ai-donc !
La faridondaine, ...
On pourrait le traiter aussi
Biribi
A la façon de Barbarie
Mes amis !
Voyez-vous comm' ça s'rait
chic
Pour Lépine et ses « vaches »
D'pouvoir nous m'ner comm'
des Moujiks
A grands coups de cravaches?
Pour Briand quell' jubilation
La faridondaine, ...
D'nous voir assaisonnés ainsi
Biribi
A la façon de Barbarie
Mes amis?
I' n'manqu' que c'dernier
avatar
Pour que notr' République
A l'Empir' du P'tit Pèr'
Fouettard
Soit dev'nue identique :
S'il arriv' nous nous
souviendrons
La faridondaine, ...
Que l'on jett' des bomb's en
Russie
Biribi
Contr' les façons de Barbarie
Mes amis!
Mais espérons que l'fouet
n'plaqu'ra
Ses caresses brutales
Qu'sur l'rable des vieux
magistrats,
Dans les maisons spéciales :
Chacun s'amuse à sa façon,
La faridondaine, ...
Mais qu'on n'nous impos' pas
aussi
Biribi
Le petit jeu de Barbarie
Mes amis !
(Du 21 au 27 septembre 1910)
Air
: Andouill's - Marche (Dranem)
(En
avant le bataillon des Andouilles)
Les
patrons charcutiers ont fait appel aux ouvriers allemands, mais ceux-ci se sont
refusés à remplir le rôle de jaunes.
Les
Journaux.
L'autr' jour dans Paris v’là
qu'les charcutiers,
Plaquant en cinq sec leur
cochon d'métier
Où l'salaire est mince et
rud' le boulot !
S'sont mis à chanter cet air
rigolo :
Refrain
« Halte là ! ne faisons plus
les andouilles
Et qu'les patrons pendant
c'temps-là se débrouillent :
S'ils n'veul'nt pas y mettr'
le prix
Pour fair' fair' leur
cochonn'ri'...
Trou la la la la la la
Les andouill's rest'nt là ! »
Alors les patrons qui
voulai'nt manger
— Sous l'affair' Dreyfus —
tous les étrangers,
Oubliant soudain leurs
ressentiments,
Ont fait l'embauchag'
d'ouvriers aU'mands :
Refrain
« Qu' voulez-vous ? pourvu
qu'on fass' nos andouilles
Dans l'commerce i' faut qu'on
se débrouille :
Y-a des fois qu'la
cochonn'ri'
Fait oublier la Patri'...
Trou la la...
Les andouill's sont là ! »
Mais les ouvriers venus
d'Outre-Rhin,
S'rendant compt' des chos's
en sautant du train,
S'sont mis à leur tour en
d'voir de chanter,
En un bel accès d'solidarité
:
Refrain
« Dans ce cas nous ne f'rons
pas les andouilles
Et qu'les patrons à leur ais'
se débrouillent :
Nous n'ferons par
d'cochonn'ri's
A nos frèr's de c'pays-ci...
Trou la la...
Qu'les andouill's rest'nt là
»
Maintenant, que vont faire
les patrons ?
— Si vous tenez bon, les
patrons cèd'ront !
Et cett' grèv' malgré l'dir'
des plaisantins
Ne finira pas en... eau de
boudin !
Refrain
Charcutiers ! ne fait's pas
les andouilles
Et qu'les patrons pendant
c'temps se débrouillent
Ceux qui travaill'nt en
c'moment
Y-a d'quoi leur crier
vraiment
Trou la la...
Les andouill's, les v'là !
(Du 28 septembre au 4 octobre
1910)
Air
: La terre (J. Jouy)
Petits conscrits de vingt
ans,
Ohé la classe !... en partant
A l'Armée,
Si l'un d'entre vous ne sait
Pas encor ce que c'est
Que l'Armée,
Hâtez-vous donc d'entonner
Avant d'être bâillonnés
Par l'Armée,
Cette petite chanson
Pour tuyauter ce garçon
Sur l'Armée
C'est l'exil du nid chéri
Où tes amours ont fleuri
Que l'Armée !
Adieu les petits mots doux
On va t'en foutre, mon chou
Dans l'Armée :
En entendant résonner
Les jurons des galonnés
De l'Armée
Hélas ! bien souvent ton
front
Frémira sous les affronts
De l'Armée...
Morne et docile troupeau
Amassé sous un drapeau :
C'est l'Armée !
Petit bleu, malheur à toi !
Si tu ne marches pas droit
A l'Armée
Car les bagnes algériens
Ne sont pas faits pour les chiens
Dans l'Armée,
Et les horreurs qu'on subit
Au fin fond de Biribi :
C'est l'Armée
La gardienne qui défend
Le Capital triomphant
C'est l'Armée !
Si ton père et tes frangins
Font grève le mois prochain,
Dans l'Armée
Vers l'usine on t'enverra
Sac au dos et l'arme au bras
Toute armée,
Pour tirer sur tes parents
(!) :
Voilà pourquoi l'on te prend
A l'Armée !
Ce salaud qui cravacha
Un jour un de ses soldats :
C'est l'Armée !
Duléry mis au poteau
D'autres l'y suivant bientôt
:
C'est l'Armée !
Nos rapines de coquins
Parmi les douars marocains !
C'est l'Armée,
Et le souvenir vermeil
De Narbonne et de Draveil
C'est l'Armée
Mais à présent, avant tout,
C'est toi ! mon gâs et c'est
nous
Cette Armée !
On verra bien, Nom de Dieu !
Si l'on fait ce que l'on veut
De l'Armée?
Le chemin ouvert déjà
Par le dix-septième est là,
Dans l'Armée !
Conscrit, tu t'en souviendras
Tout le temps que tu seras
A l'Armée!
(Du 5 au 11 octobre 1910)
Dans toute la société (bis)
Parmi les métiers exploités
(bis)
S'il existe un boulot
Qui n'est pas rigolo
Hélas ! c'est bien le nôtre :
Les cheminots (bis)
Hélas ! c'est bien le nôtre :
Les malheureux cheminots !
Au long des lign's entre les
rails (bis)
S'il est dur notr' sacré
travail (bis)
En revanch' nous gagnons
Des masses de pognon
Pour tous les actionnaires
O cheminots (bis)
Pour tous les actionnaires
O ! malheureux cheminots !
Si ces messieurs par nos
efforts
Emplissent leur grand
coffre-fort
Nos gosses en ce jour
Peuv'nt battre du tambour
Sur leur 'tit ventre vide
O cheminots (bis)
Sur leur 'tit ventre vide
O ! malheureux cheminots !
On n'veut plus crever su'
l'turbin (bis)
Pour nos bambins, nos bambins
(bis)
Crever de faim pendant
Qu'un' poigné' de feignants
Entassent des fortunes
O cheminots (bis)
Entassent des fortunes
O ! malheureux cheminots !
Que demand’nt tous les
cheminots ?
Chaq’ semaine un jour de
repos
Et pour les moins payés
Qui soi’nt dans le métier
Ils veul’nt la thune ronde
Les cheminots (bis)
Ils veul’nt la thune ronde
Les malheureux cheminots
Allons-y, marchons tous en
chœur (bis)
Et si quéqu’joyeux saboteur
(bis)
Pour fair’ marcher un brin
La Grève, arrêt’ les trains
Ils auront le sourire
Les cheminots
Ils auront le sourire
Les malheureux cheminots
Refrain
En avant ! viv’ la Grève !
Des cheminots ! (bis)
En avant ! viv’ la Grève !
Des malheureux cheminots !
(11 octobre 1910)
Air
: Ah ! Mesdames voilà du bon fromage
Cheminots, quel joli sabotage
!
Voilà du sabotag' parfait
Et Mossieu Lépin' demand'
qu'est-c' qui l'a fait ?
Refrain
— Celui qui l'a fait...
Il est de son village !
Cheminots, quel joli sabotage
Voilà du sabotag' parfait
Et Mossieu Lépin' demand'
qu'est-c' qui l'a fait ?
On l'appell' Chos' dans son
entourage
Mais un' personn' qui le
connaît
M'a dit qu'c'était Machin
qu'il se nommait !
Refrain
Celui qui l'a fait
Le joli sabotage
On l'appell' Chos', dans son
entourage,
Mais un' personn' qui le
connaît
M'a dit qu'c'était Machin
qu'il se nommait !
Ses cheveux sont noirs comm'
le cirage
Dans la nuit, mais il se
pourrait
Que l'bougre soit blond
lorsque le jour paraît !
Refrain
Celui qui l'a fait
Le joli sabotage
Ses cheveux sont noirs comm'
le cirage,
Dans la nuit, mais il se
pourrait
Que l'bougre soit blond
lorsque le jour paraît !
Il a l'nez au milieu du
visage
Et, signalement plus complet,
Il paraît qu'il a du poil...
sur les mollets
Refrain
Celui qui l'a fait
Le joli sabotage
Il a l'nez au milieu du
visage
Et, signalement plus complet,
Il paraît qu'il a du poil...
sur les mollets.
Il demeure on n'sait à quel
étage,
A Courbevoie ou Bagnolet :
Pour plus d'renseign'ments
d'mandez à son pip'let !
Refrain
Celui qui l'a fait
Le joli sabotage
Il demeure on n'sait à quel
étage,
A Courbevoie ou Bagnolet :
Pour plus d'renseign'ments
d'mandez à son pip'let !
S'il vous plaît d'en savoir
davantage
Maintenant, Môssieu le Préfet
Adressez-vous donc à celui
qui l'a fait !
Refrain
Celui qui l'a fait
Il est de son village
S'il vous plaît d'en savoir
davantage
Maintenant, Môssieu le Préfet
Adressez-vous donc à celui
qui l'a fait !
(Du 12 au 18 octobre 1910)
Air
: Meunier, Meunier, tu es cocu ! (Bruant)
Nous apprenons avec chagrin
(bis)
Qu'Brisson n'a pas pu prendr'
le train
Ça va, ça va, la Grève marche
!
C'qui fait que, de c'tt'
affair'-là
L'train n'marchait pas !
Au banquet, Briand n'peut
cacher (bis)
Qu'il a chié plus qu'il n'a
mangé
(Ça va, ça va, la Grève
marche !)
L'appétit du Renégat
Ne marche pas !
On vient d'app'ler sous les
drapeaux (bis)
Tous les malheureux cheminots
Ça va, ça va, la Grève marche
!
Car i' s'peut qu'ces
bougres-là
Ne marchent pas !
L'métro, l'bâtiment en ce
jour (bis)
Vont se mettre en grève à
leur tour
Ça va, ça va, la Grève marche
!
Y-a qu'les affair's des
bourgeois
Qui n'marchent pas !
Le « vieux bouc » a mis le
grappin (bis)
Sur quelques-uns de nos
copains
Ça va, ça va, la Grève marche
!
Mais pour l'arrêter...
cell'-là
I’ n'pourra pas !
(14 octobre 1910)
Air
: Vive la république - vive la liberté
D'puis que l'Gouvernement
pourri
D'Aristid' le Cynique
A déchaîné dessus Paris
Ses troupeaux de bourriques
On entend plus qu'un cri :
Vive la République (? ?)
C'est l'cri d'actualité
Vive la Liberté ! (? ?)
« Ah ! vous trouvez, bons
cheminots,
Votr' salair' trop modique !
Moi j'vous appell' sous les
drapeaux
— Dit cet homme pratique —
Comme ça pour la peau...
Vive la République, (??)
Vous s'rez forcés d'gratter
Vive la Liberté (? ?)
Vous, à qui j'ai jadis parlé
D'descendre avec des piques
Si j'vous entends seul'ment
gueuler
Contre ma politique
Je vous fais tous boucler
Vive la République (? ?)
Hein ! j'en ai-z-un'... Santé
?
Vive la Liberté (? ?)
Mais pondez tant qu'il vous
plaira
Des papiers ironiques,
Car j'us' pour qu'ils ne
m'atteign'nt pas,
D'un moyen magnifique :
Sur l'marbre, tous en tas
Vive la République (? ?)
Je les fais barboter
Vive la Liberté ! (? ?) »
Allons-nous toujours rester
là
En « boulots »
pacifiques,
Subissant le mors et le bât
De c'régime horrifique ?
De bon cœur on n'criera
Vive la République !
Qu'quand il aura sauté...
Vive la Liberté !
(15 octobre 1910)
Air
: Viens Poupoule
Vlà comm' c'est au jour
d'aujourd'hui :
On n'peut plus fair' pipi
Sans qu'la Rouss' vienne
analyser
Ce que l'on a pissé.
Si quelque bon bougre, en
passant,
Lâche un pet innocent,
Immédiat'ment un tas
d'mouchards
Vienn'nt lui sentir quéqu'
part,
Mais grâce à
C'régim'-là
Quel merveilleux résultat !
Refrain
Aristide, Aristide, vient
D'découvrir un complot
Tout à fait rigolo
Ho!
Aristide, Aristide, bien !
Mais y-a qu'un p'tit malheur
!
NIB de conspirateurs
Le Jaune, dans son cabinet
Fait en c'moment l'effet
De c'goss' qui marche dans la
nuit
Sans rien voir devant lui :
I' n'pass' personn' sur le
chemin
Mais le sacré gamin
N'fait qu'rêver tout en
marchant
D'histoires de brigands ;
Et pris d'peur,
Quell' clameur !
Le v'là qu'il gueule : « Au
voleur »
C'est aussi le moyen
classiqu'
D'sauver la Républiqu'
l ne bourrera jamais trop
Le crâne à Mascuraud !
Mais si c'est encore permis
D'rire un brin à Paris,
Laissez-nous devant ce p'tit
jeu
Nous gondoler un peu !
Ah ! ah ! ah !
Nom de d'là !
Elle est vraiment bonn' cell'
là
Au refrain
(17 octobre 1910)
Air
: Petite brunette aux yeux doux
Quand l'régiment part en
campagne
Si la chaussett' russe
accompagne
Les pieds nickelés des
pioupious
Nous, on a la chaussette à
clous !
Bon bougre, par ces temps de
grèves
Chaque matin, quand tu te
lèves,
Ne va pas oublier surtout
De chausser la chaussette à
clous !
La march' victorieus' d'une
armée
S'opèr' par ta grâce embaumée
Chaussette russ' ! Mais on
s'en fout :
Nous, on a la chaussette à
clous !
Oui, pour arranger le
derrière
Aux judas d’la classe
ouvrière
Qui vendent leurs copains
pour trent' sous,
Nous nous avons la chaussette
à clous !
EU' ne sort pas, comm' bien
l'on pense,
D'chez l'fournisseur des
Elégances
Mais elle est pratique comm'
tout,
Cette brave chaussette à
clous!
Et, pour les servic's qu'on
lui d'mande,
C'est la plus large et la plus
grande
Qui prime, soit dit entre
nous,
En fait de chaussette à
clous!
Hal'tants, effarés, mine
sombre,
Tous les renards grattant
dans l'ombre
Rentrent subito dans leurs
trous
Quand ils voi'nt la
chaussette à clous !
Dans le trait'ment de la
jaunisse,
Les plus incurables
guérissent
Quand on les frictionne à
grands coups...
A grands coups de chaussette
à clous !
Dedans les cas où la machine
A bosseler, sa p'tite
frangine,
Fait du boulot un peu trop
mou,
Faut lui joindr' la
chaussette à clous !
Allons, bon bougre enfile et
lace
Tes plus formidables godasses
:
Tu port's ta victoire à leur
bout...
En avant la chaussette à
clous !
(18 octobre 1910)
Air
: Minuit Chrétien, c'est l'heure solennelle
Minuit, bourgeois, c'est la
fin de la grève,
Et l’homm'-poisson de
S'en est
venu chasser les mauvais rêves
Qui d'puis quéqu' temps
chahutai'nt vot' cerveau.
Les militants gis'nt au fond
de ses geôles,
Sous le collier rentrent les
travailleurs,
Allons, bourgeois, remercier
le drôle
Briand ! Briand !
Voilà votre Sauveur !
Ancien apôtr' de la grèv'
générale :
C'est grâce à lui que vous
pourrez encor
Pour quelque temps caresser
d'vos mains sales
L'or entassé dedans vos
coffres-forts
Allez, bourgeois, saluer
votre maître
Et cavalez bien vite à
l'Intérieur
Porter l'encens et la myrrhe
à ce traître
Briand ! Briand !
C'est lui votre Sauveur !
Allons, bourgeois bégueules
et sévères,
Fait's pas d'chichis : il est
pour vous grand temps
De pardonner l'histoir' de
Saint-Nazaire :
Ouvrez-lui donc la porte à
deux battants !
Recevez-le au sein de vos
familles
Et, pour lui faire encore
plus d'honneur
Mariez-le avec toutes vos
filles.
Briand! Briand!
C'est lui votre Sauveur !
Pourtant, bourgeois, si c'est
fini la grève !
Chantez votre triomph'
modestement
Car, de cett' lutte où
l'exploité se lève
Vous ne voyez que le
commencement.
Comme on reçoit' toujours ce
que l'on sème
Il se pourrait, ma foi ! que
tout à l'heur'
Il n'arriv' pas à se sauver
lui-même,
Briand ! Briand !
Il est frais le Sauveur!
(Du 19 au 25 octobre 1910)
Air
: Elle est épatant' cett' petit' femm'-là!
à
Hennion -Guichard et Cie
C'est un policier qu'a
vraiment du nez
Rien n'peut s'dérober à sa
clairvoyance ;
Chaqu' fois qu'on l'envoi'
perquisitionner
Il recueill' des chos's d'un'
portée immense !
L'autre jour ayant gravi
l'escalier
D'un bougre qui perche au
d'ssus du « cintième »
Savez-vous c'qu'il a trouvé
dès l'palier ?
Ben, il a trouvé qu' c'était
haut, tout d'même !
Refrain
Il est épatant ce
policier-là,
On n'a pas idé' de tout
l'flair qu'il a,
Il prétend connaîtr' les
saboteurs
Du fil à couper l'beurr' ;
Laissons-lui la gloir' de les
arrêter ;
Mais un p'tit exploit dont il
n'peut s'vanter.
C'est d'avoir inventé ce
fil-là !
Dir' qu'ils sont tous comm'
ça !
De son œil de lynx, avant
d'pénétrer
En l'antr' du dang'reux
révolutionnaire,
Il a rapid'ment inspecté
l'carré
Sans rien constater
d'extraordinaire ;
Mais devant l'W.-C. qu'orn'
les cabinets
Ayant pris le temps d'faire
un' courte pause
Il a découvert... que c'était
d'I'anglais :
Pour l'mettr' sur un' pist'
faut vraiment peu d'chose !
Après une entré' fait' d'un
pas prudent,
Il a visité les meubles en
douce :
Il a dit —« C'est drôl’, mon
nom n'est pas d'dans ! »
En feuill'tant un vieux
dictionnair' d'Larousse ;
Mais r'marquant en têt' de
quelques journaux,
Les manchett's de nos éditions
spéciales,
Il a présumé d'un p'tit air
finaud :
« Ce gaillard doit lir'...
Au porte-manteau, dans chaqu'
vêtement,
Plongeant une main à qui rien
n'échappe
Il s'est exclamé : « J'tiens
l'argent all'mand »
C'était tout bonn'ment un'
vieill' pièc' du Pape ;
Mais continuant sa
perquisition,
S'il n'a pas trouvé de bomb'
meurtrière :
Au laboratoire, avec
précaution
Il a fait porter une bonb...
onnière !
Puis ayant fouillé,
r'fouillé, trifouillé
Il est descendu, la mine
ravie,
Oubliant seul'ment ses
propres papiers ;
On n'peut pas songer à tout
dans la vie :
Mais il n'était pas encore au
second
Que l'jugeant tout d'suite en
un rud' langage
Le bon bougre s'est écrié «
quel c... »
Il a dû « saisir » le
reste au passage
(Du 26 octobre au 1"
novembre 1910)
Air
: Elle avait un' jambe en bois
On
a traduit en correctionnelle à Paris, un homme, sous l'inculpation de port d'arme
prohibée — on l'avait trouvé porteur d'un tire-bouchon.
Les
Journaux.
D'puis quéqu's jours la
Police
Se dépensait en vain.
Mais grâce à sa malice,
Ell’ triomphe à la fin ;
Ell’' vient de mettr' la
patte
Sur un individu
Dont la noirceur éclate
D'façon inattendu'
Car au moment
D'son « emball'ment » :
Il avait un tir'-bouchon
Dans la poch' de son veston ;
On s'demande où s'arrêt'ra
L'audace des scélérats ?
Ah!
Il avait un tir'-bouchon...
Afin d'tirer les bouchons
Lorsqu'il voulait déboucher
Des bouteill's trop bien
bouché's...
L'co-chon !
Il avait un tir'-bouchon !
« Ah ! lui dit l'commissaire
D'un p'tit air connaisseur,
Du crim' de la Glacière
Seriez-vous l'auteur?
Car enfin, sapristoche !
Je ne crois pas m'tromper,
Vous avez dans votr' poche
Une arme prohibé' !
Et l'garnement
R'prit cyniqu'ment :
—Ça ?... mais c'est un
tir'-bouchon
Que j'porte dans mon veston!
(On s'demande où s'arrêt'ra
L'audace des scélérats ?)
Ah!
—Ça ?... mais... c'est un
tir'-bouchon
C'est pour tirer les bouchons
Lorsque j'ai-z-à déboucher
Des bouteill's trop bien
bouché's »
L'co-chon
Il avait un tir'-bouchon
— « N'êt's-vous point — lui
dit l'juge —
C saboteur endurci
Qu'a fait tant de grabuge
Durant tous ces temps-ci ?
Car si de sabotage
Vous n'vous mêliez null'ment,
A quel sinistre usage
Vous servait c't'instrument ?
Et le bandit
Lui répondit :
—Ben quoi ?... C'est un
tir'-bouchon
Que j'porte dans mon veston
(On s'demande où s'arrêtera
L'audace des scélérats?)
Ah!
—Ben quoi ?... C'est un
tir'-bouchon...
C'est pour tirer les bouchons
Lorsque j'ai-z-à déboucher
Des bouteill's trop bien
bouché's »
L'co-chon
Il avait un tir'-bouchon !
« Vous avez — dit Lépine —
Conspiré ! Sans cela
Ce chos'... cette machine...
Ké qu' ça viendrait foutr' là
?
Non, ça n'est pas la peine
De m'creuser l'ciboulot
Car je tiens (quelle veine !)
Un' pièc' du complot »
L'conspirateur
Fit « Et ta sœur ! »
Dans l'troubl' de leur âme
Les juges épatés
D'voir un êtr' si infâme
L'ont tout d'suite acquitté,
Se disant « Pas possible
D'condamner c'gredin-là
Son crime est trop
terrible...
Fallièr's le graciera ! »
Rapport à ça
Il s'en tira !
(Du 2 au 8 novembre 1910)
Air
: Héloïse et Abailard (Aï aï ma mère, aï ai papa) (Xanro))
«
Je suis un honnête homme ! »
(Discours
de Briand.)
Bons bougr's, il est de par
le monde
Des chos's que l'on n'se
figur' pas,
Mêm' l'espac' d'un' pauvre
seconde,
Eh oui ! ma mère ! eh oui !
papa !
Et vous allez tous rester
comme
Deux ronds d'flan en
apprenant ça :
Aristide est un « honnête
homme »
Aïaï ma mère, aïaï papa !
Que Puech apais' la cru' d’la
Seine,
Qu'Rostand soit modeste et
qu'Sarah
N'ait guèr' dépassé la
trentaine,
Mon dieu ! ma mèr', mon dieu
! papa !
Qu'un Loyson ne soit pas un'
bête,
A la rigueur on peut croir'
ça,
Mais qu'Aristide soit honnête
!...
Aïaï ma mère, aïaï papa !
Si Briand est un honnête
homme,
Les crapul's et les renégats
Comment faudra-t-il qu'on les
nomme ?
Dis-donc ma mèr', dis donc
papa ?
Dans ce cas sans aucun'
réplique,
Nous d'vons admettre que
Judas
Etait un gaillard
sympathique...
Aïaï ma mère, aïaï papa !
Après les sal'tés qu'il a
faites
Comment vous expliquez-vous
ça?
Aristide est encore honnête !
Allons, ma mèr', allons papa,
Criez « Miracl' » sur son
passage !
S'il reste honnête, c'est
comm' la
Saint' Vierge a gardé son
puc'lage
Aïaï ma mère, aïaï papa !
Aristide est un honnête homme
!
Qu'est-c' qui fait courir ce
bruit-là ?
Ça s'rait bon à savoir, en
somme :
Est-c' toi ma mère, est-c'
toi papa ?
Personn' n'ayant l'culot
suprême
D'aventurer un' chos' comm'
ça :
C'est Briand qui l'a dit
lui-même...
Aïaï ma mère, aïaï papa !
(Du 16 au 22 novembre 1910)
Devant
le monument de Jules Ferry
Air
: Les deux gendarmes (Nadaud)
Messieurs, au nom d’la
République,
Si, par-devant ce monument
D'allure vraiment artistique
Je prends la parole un
moment,
C'n'est pas pour autre chose,
en somme,
Qu'pour fair' l'élog' de
Jul's Ferry...
Jul's Ferry c'était un
bonhomme
Tout à fait dans l'genr’ de
Bibi !
Parfait'ment, messieurs, moi
j'estime
Qu'en politiqu' la Trahison
Est une chose légitime
Et que les traîtres ont
raison :
J'ai fait litièr' de mes
principes
Et j'ai né mon habit...
Jul's Ferry, tiens ! c'était
un type
Tout à fait dans l'genr' de
Bibi
Ah ! je sais que lorsqu'on
ajuste
Une épithète au bout d'mon
nom,
Ce n'est pas pour m'app'ler «
Le Juste »
Non, Messieurs, non, mille
fois non !
Quels fâcheux surnoms l'on
m'applique
Et combien en ai-je subi ?
Jul's Ferry fut un
sympathique
Tout à fait dans l'genr' de
Bibi
Mais, si vil que puisse
apparaître
Aristide le Dégoûtant
Le Vendu, le Jaune, le Traître,
Messieurs, le mépris n'a
qu'un temps !
Et vous fait's mon apothéose
En inaugurant ce... fourbi...
Jul's Ferry n'était pas autr'
chose
Qu'un gaillard dans l'genr'
de Bibi
Messieurs, vous allez dir'
peut-être
Avec un semblant d'vérité,
Qu'à ma boutonnièr' je viens
d'mettre
Les fleurs que j'venais lui
porter ?
Mais bah ! c'est la mêm'
chos' en somme
Parler de moi, c'est parler
d'iui !
Jul's Ferry était un grand
homme
Tout à fait dans l'genr' de
Bibi
(Du 23 au 29 novembre 1910)
Air
: Les Gueux (Béranger)
«
La classe bourgeoise nous traquant comme des fauves va nous obliger à nous
défendre comme des loups. »
(Delpech,
après le verdict de Rouen.)
Parce qu'on n'veut plus être
Des moutons humbles et doux
Qui s’laiss'nt tondre par
leur maître,
On nous trait' comme des
loups...
Les loups, les loups !
Allons, tous debout
Et défendons-nous
Comme des loups !
Pris d'une rage incongrue,
Briand, le Grand Louvetier
Vient d'ordonner la battue :
On nous traque sans pitié
!...
Notre sang rougit la terre :
Liabeuf, Aernoult, Duléry
Et bien d'autres prolétaires,
Dessous leurs coups ont péri
!
Des ch'minots qui se
soul'vèrent
Dans la grèv' de l'autre
mois,
Et nos copains de
Sont dans les griff's des
bourgeois !
L'horreur de tous ces
supplices
Ne leur suffit pas encor :
Voilà que les .chiens
d'justice
Condamnent Durand à mort 1
Leur meut' s'acharne à nos
trousses
Aboyant sur le chemin,
De rag' de honte et de
frousse...
Qui de nous tomb'ra demain
?...
Les loups, les loups !
Les loups, malgré tout,
Ne tomb'ront pas tous
Vivent les loups !
Si parmi la meute sombre
Qui vacarme derrièr' nous,
Un grand loup sortait de
l'ombre
Pour venger les autres loups
?...
Les loups, les loups !
Les loups sont à bout :
Craignez leur courroux,
Oui, gare aux loups.
(Du 30 novembre au 6 décembre
1910)
(Chanson
de route)
Air
: Tu n'manieras pas mes tétons
«
Voici que le pompon disparaît par ordre du Ministre de
Les
Journaux.
C'est ben l'cas d'dir' nom
d'un pompon!
Que l'Minisse i-songe au
troufion,
Puisque grâce à sa décision :
Je port'rai, tu port'ras
Nous port'rons un plumet haut
d'ça,
Au lieu d'un pauvr' petit
pompon
tontaine
Au lieu d'un pauvr' petit
pompon
ton-ton !
Ça n'empêch'ra pas
l'adjudant,
D'nous engueuler, d'nous
foutr' dedans
Mais c'est égal en attendant
Je port'rai, etc.
Ben sûr que ça n'nous mettra
pas
Deux liards de graiss' dans
notr' rata,
Mais pour se r'fair' des
mauvais r'pas :
Je port'rai, etc..
Si d'aucuns tournent d’l’œil
encor
Par la vacheri' du Major,
Pour se consoler de leur mort
:
Je port'rai, etc..
Ça n'nous sauv'ra pas
certain'ment
D'tous les sal's vic's du
Régiment,
Mais quand nous s'rons saouls
maintenant :
Je port'rai, etc..
Si les rich's s'engueul'nt,
Nom de Dieu
Faudra qu'on s'batt', nous,
entre gueux
Mais quel plaisir de s'battr'
pour eux :
Je port'rai, etc...
En guerr' la mitraill' balai'
tout,
Les pompons, les plumets
itou,
Et puis les gueul's qui sont
d'ssous !...
Je port'rai, etc..
Aussi malgré c'tt'innovation,
Rien n'est changé pour le
troufion,
C'est toujours la mêm'
position :
Je port'rai, etc..
(Du 7 au 13 décembre 1910)
Air
: La bonne aventure au gué
«
Tel commerçant ayant commandé un wagon de café, reçoit un wagon de charbon ! »
Les
Journaux,
En cett' grève qui ce jour,
Est loin d'êtr' finie,
L'sabotag' se teint' d'humour
Et de fantaisie ;
Bons bougres pour rigoler
Chantons de la Grèv' perlé' :
Les bonn's aventur's ô gué!
Les bonn's aventures !
Attendant un pardessus
D'carrure spacieuse,
Moussu Fallier's a reçu
Un maillot d'danseuse :
Un maillot mignon, rosé,
Pour l'éléphant d'I'Elysé' !
La bonne... etc..
D'Rostand, le sacré fiston,
Ayant fait commande
D'un' gross' caiss', d'un
mirliton
Sa surpris' fut grande :
C'est chez c'pauvr' Brisson
qu'on a
Trimballé ces objets-là!...
La bonne... etc..
Coûtant, victim' de c'gâchis,
R'cevant l'autr' semaine
Cent bouteill's d'eau de
Vichy,
Etait bien en peine :
Afin de les employer
S'en sert pour
s'débarbouiller !
La bonne... etc..
Lépine qu'affol' ce sa¬
botage ironique,
Si ça n'était fait déjà
Tourn'rait en bourrique...
Il a r'çu hier matin
Six bell's vach's... du
Cotentin !
La bonne... etc..
Depuis qu'd'un cam'lot du roy
Il a pris la beigne,
Aristid' goûte, ma foi !
Très peu les châtaignes,
Aussi pour lui quel affront !
D'rec'voir un sac de marrons
!
La bonne... etc..
Enfin, presque tous les jours
Chez nous l'on déballe
Des chos's qui n'étaient pas
pour
La « guerre sociale »
Entre autres certains
dossiers
Plein d'documents policiers
!...
La bonne aventure ô gué
La bonne aventure !
(Du 14 au 20 décembre 1910)
Air
: Noël des Gueux (Richepin)
Noël ! Noël ! Voici la nuit
Où naquit autrefois Celui
Qui devait délivrer les
hommes :
Noël ! Noël ! des hommes sont
A cette heure même en prison,
Noël ! à l'époque où nous
sommes !
Noël ! Noël ! Sous les cieux
blancs
Descendit voilà deux mille
ans
Le blond enfançon de Judée,
Sous le règne du Renégat (1)
Noël ! Noël ! des gens sont
là
Pour avoir émis une idée !
Noël ! Noël ! Les carillons
Dégringolent en tourbillons
Du haut des vieux clochers
qui vibrent ;
Noël ! Noël ! Cloches sonnez
:
Nos amis sont emprisonnés,
Et nous, sommes-nous bien
plus libres ?
Noël ! Noël ! Parmi la nuit,
Sonnez les cloches
d'aujourd'hui
Pour étouffer le bruit des crimes,
Et sonnez encore une fois
Pour qu'on n'entende pas les
voix
De tous ceux-là que l'on
opprime !
Noël ! Noël ! Les
travailleurs
Ne comptent plus sur ce
Sauveur
Qui descendit sous les cieux
blêmes ;
Noël ! le peuple exaspéré
Las de souffrir et d'espérer
:
Songe à se délivrer soi-même
!
(Du 21 au 27 décembre 1910)
(1) Il s'agit d'Aristide
Briand. (N. d. E.)
Musique
d'A. Mario
Pour
saluer la mise en accusation des assassins d'Aernoult, les Bons Bougres
aimeront à chanter le poème vengeur de Gaston Couté. Plus que jamais : « vive
Rousset... libre ! »
Aujourd'hui la Patrie a semé
trop de crimes
Parmi les sables de là-bas
Et le peuple est lassé de pleurer
les victimes
Qui sont ses frères et ses
gas.
Dans le pays de longs
murmures
Ont fait place aux muets
sanglots :
Assez d'odieuses tortures !
Il faut combler tous les
silos !
Refrain
Vive Rousset ! que ce cri
vibre,
Hideux chaouchs pour vous
flétrir !
Vive Rousset, et qu'il soit
libre
C'est Biribi qui doit mourir.
Le sang du pauvre Aernoult
étoilait sa cellule :
Mais l'ombre cernait les
barreaux.
Et déjà le silence, avec le
crépuscule,
Couvrait le forfait des
bourreaux,
Quand, de Rousset l'appel tragique
Vint retentir comme un tocsin
Dans l'enfer des bagnes
d'Afrique :
A l'assassin ! A l'assassin !
Rousset, après avoir rempli
son noble rôle,
Sur ses épaules de martyr,
Sentit les quatre murs de son
horrible geôle
Plus sourdement s'appesantir.
Mais, rengainez la griffe
immonde
Que sur sa chair vous
abaissiez,
Pour renifler le vent qui
gronde...
O vils et lâches carnassiers
!
Héros de Biribi, nous saluons
ta gloire !
Rousset, tes lauriers sont
plus beaux
Que les lauriers fleuris au
sein de la Victoire
Et moissonnés sur des
tombeaux.
Et vous ! crevez dans votre
honte
Comme en un linceul empesté,
En entendant ce cri qui monte
Du plein cœur de l'Humanité :
Au refrain
(Du 28 décembre 1910 au 3
janvier 1911)
ROUSSET
Son
acte est vraiment admirable.
Témoin
de l'assassinat d'Aernoult, il n'hésita pas à dénoncer le crime commis, à
nommer les coupables et à se déclarer prêt à en témoigner devant n'importe qui.
Alors
que la plupart du temps, les disciplinaires témoins des actes de sauvageries à
Biribi, se taisaient par peur des représailles terribles des chaouchs, Rousset
n'hésita pas. Il savait ce que cela devait lui coûter : le cachot, les menaces,
les tortures, le conseil de guerre, la condamnation.
Cet
homme, un héros celui-là, n'a pas tremblé un seul moment, il a crié ce qu'il
avait vu, ce qu'il savait.
Il
paye actuellement dans un de ces bagnes abominables qui sont la honte de
l'humanité son acte courageux et son geste héroïque. Et cet homme est un de
ceux que l'opinion publique, trompée par les journaux bourgeois, appelle des «
Apaches », c'est un hors-la-loi ! C'est un malhonnête homme ! Il est à Biribi.
(Du
23 février au 1er mars 1910)
Air
: La Chanson du fil (X. Privas)
Saboteur des plus habiles,
Sous tes cisailles agiles (1)
Quand les fils tombent avec
Un malin petit bruit sec,
Une sourde mélopée
De tes lèvres échappée
Tandis que tu te défil's
Chante ce destin des fils...
Pour qu'en haut lieu l'on en
tire
Matière à sage leçon,
Bon bougre, nous allons dire
Ta chanson !
Fils de couleur sombre,
Sur tous les réseaux
Manquent un grand nombre
De bons cheminots
Dans la nuit confuse
C'est vous qui paierez
Pour ceux qu'on refuse
De réintégrer;
Vengeance bénie :
Sautez et dinguez,
Fils des Compagnies,
Pour les révoqués !
En cette heure brève,
Pour Ceux-là qui sont
Depuis notre Grève
Au fond des prisons,
O fils que j'honore
De mes ciseaux noirs,
Il faut choir encore
Une fois ce soir!
Si demain nos frères
Ne sont parmi nous
Et justice entière
Accordée à tous,
Les longs fils sonores,
Les fils sous la main
Tomberont encore
Demain !
(Du 4 au 10 janvier 1911)
(1)
Rappelons que
Air
: L'anatomie du conscrit
Aussi vrai que j'm'appell'
Pitou
Je n'm'en r'sens pas pour les
lectures
Et j'lisais trois fois rien
du tout
Avant qu'arriv' c'tt'aventure
:
Gesticulant, grinçant les
dents
L'autr' jour v’là l'colon qui
s'emballe
Et qui pari' comm' çà
d'foutr' dedans
Les ceuss's qu'auraient
Ké qu' c'est qu'ce fourbi
délétère ?...
J'saisis 'cor pas tous les
chichis
De c'sacré métier militaire !
J'fourr' le doigt d’la
perplexité
Au plus creux de mes foss's
nasales,
Sans pouvoir me représenter
C'que pouvait êtr' « la
guerr' sociale » !
De cett' gymnastiqu' ne
gardant
Qu'un' migraine carabinée,
Le lendemain, j'vois
l'adjudant
Qui rapplique dans la
chambrée :
Là ! v’là-t-y pas c'bougr' de
cochon
Qui fait prendr' l'air à
notr' ling' sale
Et qui chahut' nos polochons
Afin d'trouver
« Au fait — que j'iui dis,
timid'ment —
Mon adjudant, voulez-vous
m'faire
La grâce d'un p'tit
renseign'ment :
Ké qu' c'est donc enfin
qu'cett' affaire?
— Foutez-d'moi ? L'drapeau
dans l'fumier !
S'pèc' d'andouille !...
Internationale !...
Comprenez pas ! Bêt' comm'
vos pieds —
Nom de dieu ! quoi !
Cett' lumineuse explication,
En mon entend'ment difficile,
N'apporta pas un' solution,
Mais l'dimanch' promenant en
ville,
Chez le marchand d'journaux
du coin
J'vois un p'tit canard qui
s'étale,
J’l’achète et je l'zieut',
sans témoin...
Tiens, tiens... C'est ça
« Foi d'Pitou ! y a d’la
vérité !
Et cett' machin'-là
m'intéresse — » :
Depuis j'trouv' moyen d'dégoter
Tous les numéros qui
paraissent ;
Je m'imbib' comm' ça, tout du
long
D'tout's les idé's qui s'en
exhalent...
Dir' que c'est la faut' du
colon
Si j'Hs maint'nant «
(Du 11 au 17 janvier 1911)
Air
: Le joueur de luth
Les « quinz' mill' » pleins
d'émotion (bis)
Caus'nt encor de l'Election
(bis)
Mais les bons bougr's en
c'tt'affaire
N'voient rien
d'extraordinaire :
Un fauteuil de président
N'est pardieu ! pas fait pour
rester vide,
Un fauteuil de président
C'est fait pour mettre un cul
d'dans !
Qu'on hisse le vieux Brisson
(bis)
Ou Popaul le beau garçon
(bis)
Dessus le siège suprême
Au fond l'résultat est l'même
:
Un fauteuil, etc..
Brisson triste et solennel
(bis)
N'a sans dout' pas
d'Deschanel (bis)
Le physiqu' plein d'élégance,
Mais ça n'a pas d'importance
Un fauteuil de président
N'est pas fait pour poser la
figure,
Un fauteuil de président
C'est fait pour mettre un cul
d'dans !
L'malheur c'est qu'ce cul
nous r'vient (bis)
A nous, braves citoyens (bis)
Qu'les p'tits calculs
intéressent
A trente mill' francs la
fesse !
Un fauteuil de président
A c'compt'-là n'restera jamais
vide,
Un fauteuil de président
Y aura toujours un cul d'dans
!
Le cul d'Paul ou l'cul
d'Henri (bis)
Y a pas d'différenc' de prix
(bis)
Et pour nous, ces bons
apôtres
N'en feront pas plus l'un
qu'l'autre :
Le fauteuil de président !
Qu'voulez-vous franch'ment
qu'ça nous foute?
Le fauteuil du président,
Qu'un cul ou l'autr' soit
d'dans ?
Brisson est élu ! C'est bon ?
(bis)
L'« vieil homme » au Foli's
Bourbon (bis)
Triomph' comme à la
R'naissance
Rapport à cett' circonstance
:
Un fauteuil de président
N'est pardieu ! pas fait pour
rester vide ;
Un fauteuil de président
C'est fait pour mettre un cul
d'dans !
(Du 18 au 24 janvier 1911)
Air
: Ça vous fait tout d'mêm' quelque chose
«
A Epernay, M. Nepoty, sous-préfet, a pris l'initiative de faire placarder dans
les communes viticoles le discours de M. Briand ! »
Tandis que les riches
fraudeurs
Qui n'connaiss'nt pas
d'anné's mauvaises
Se livrent tous avec ardeur
A leurs petites combinaises,
En Champagn' les pauvres
vign'rons
D'puis les vendang's se
serr'nt la panse,
Et pourtant r'connaissons
qu'ils ont
— Dans leur malheur — un'
sacré' chance !
Si les braves gens d'Epernay
N'ont plus rien dans leurs
cav's moroses
Ils ont 'core un bon
sous-préfet
Et ça... c'est tout d'mêm'
quelque chose !
Les cloch's s'étant mis's à
clamer
De désespoir, au sein de
l'ombre,
Et les paysans affamés
A circuler en troupes sombres
;
Devant ces manifestations
De la misère champenoise,
Un' grand' poussé' de
compassion
Remua son âme bourgeoise
« Il serait tout à fait
urgent
Avec les moyens dont
j'dispose
De fair' quéqu' chos' pour
ces brav's gens.
Y a pas, il faut fair'
quelque chose !
Se mettant en quatr' pour
tirer
De cette détresse infinie
Ses malheureux administrés,
Il eut un éclair de génie :
Moyen superbe et... radical
Pour apaiser les ventres
vides
I’ vient d'leur offrir le
régal...
Du dernier discours
d'Aristide
l'r'gar' pas à la quantité
Des grand's affich's que l'on
appose !
Quand y a vraiment nécessité
M'sieu Nepoty fait bien les
choses !
La manne du bon sous-préfet
Pleut sur les plus humbles
campagnes...
Ce Nepoty ! hein, quel succès
!
C'est le sauveur de la
Champagne ;
Pendant c'temps les malheureux
gas
A qui l'on présente en pâture
Les boniments du Renégat
Continu'nt à s'mettr' la
ceinture-
Refrain
Hélas ! pauvres vign'rons
sans vin
Rincez-vous l'œil avec cett'
prose.
Mais si vous n'voulez crever
d'faim
I' s'ra prudent d'trouver
autr' chose.
(Du 25 au 31 janvier 1911)
Air
: Esprit saint, descendez en nous /
«
En Champagne, à Vandières, des vignerons ont résolu, en raison des poursuites
exercées pour la perception des impôts, de ne laisser pénétrer aucun huissier
sur le territoire de la commune et de ne rentrer dans la légalité qu'après
avoir reçu les satisfactions qu'ils réclament. »
Havas.
Depuis l'temps qu'vous vous foutez
d'nous,
C'est bien notre tour après
tout,
De nous foutre un petit peu
— Oui messieurs —
De nous foutre un p'tit peu
de vous !
Le percepteur passe chez nous
:
— « Bonn's gens, faut abouler
vos sous !
— Ah ! Mossieu le percepteur
Et voir' sœur ?
A-t-elle autant d'barb' que
vous?
Le percepteur adress' chez
nous
Maintenant des p'tits billets
doux
De toutes les couleurs
Tous en... chœur —
Les gâs, les gâs,
torchez-vous !
Voilà l'huissier qui vient
chez nous :
— Vilain oiseau, que
voulez-vous ?
— Je venais à propos
D'vos impôts
Je venais pour saisir tout !
— Eh ! bien ! alors, rentrez
chez nous
Si ces chos's-là sont dans
vos goûts
Vous aurez le plaisir
D'y saisir
Un coup d'pied... vous savez
où ?
(Du 1er au 7 février 1911)
(Chanson
de route)
Air
: Auprès de ma blonde
La
2e Batterie du 22 eRégiment d'Artillerie, casernée au quartier Noailles, a refusé
de monter à cheval en disant que la nourriture était insuffisante et que l’«
ordinaire » faisait des économies exagérées au préjudice des hommes.
L'Intransigeant.
Quand j'étais chez mon père
(bis)
Avant d'venir ici, (bis)
Ma pauvre mère était fière
De mon bel appétit…
Refrain
C'est au vingt-deuxième
Qu'il fait bon, fait bon,
fait bon...
C'est au vingt-deuxième
Qu'on m'a fait servir !
Il n'y a pas en France (bis)
D'régiment mieux choisi (bis)
Pour les gâs qu'ont la chance
D'êt' dans l'même cas qu'Bibi
(au refrain)
Les vieux m'ont dit
d'apprendre (bis)
C'que c'est qu’l’économie :
(bis)
C'est aux dépens d'mon ventre
Qu'on me l'apprend ici !
Si comme nourriture (bis)
Tu n'aim's pas l'sing' pourri
(bis)
T'as qu'à t'mettr' la
ceinture,
Comme on dit à Paris !
Pour la façon charmante (bis)
Dont je me trouv' nourri
(bis)
Vlà mes boyaux qui chantent..
La gloir' de la Patri' !
Mais chos' pas ordinaire
(bis)
Dont je reste ébahi (bis)
Si je n'y mange guère
J'me fais bien chier ici !
(Du 8 au 14 février 1911)
Air
: Le p'tit quinquin
Dans
toute la région du Nord, les mamans pauvres ont l'habitude de confier leurs
bébés à une soigneuse. Puis elles s'en vont gagner leur vie à la fabrique, à
l'usine, dans les tissages.
La
soigneuse a beaucoup d'enfants à garder. Pour ne pas être dérangée elle leur
fait boire le « dormant » qui est une décoction de tête de pavot ! Le petit
bébé gorgé d'opium... s'endort
Marcel
Sembat (Les Hommes du Jour).
Voyant pour l'usin' partir sa
mère,
Le pauvr' ‘tit « quinquin »
abandonné,
Dans ses langes gris de la
Misère
S'débat en gueulant comme un
damné !
Alors la vieille « soigneuse
»,
En manière de berceuse
Grogn' tout en faisant
Téter sa drogue à
c't'innocent !
Refrain
Tiens, vlà du « dormant »
Ch'tit garnement
Qui gueul' tout l'temps...
Tu ne gueul'ras plus
Lorsque tu l'auras bu !
Voyant les richess's qui sont
sur terre,
L'« gosse au dormant » ayant
grandi,
Devant l'injustic' de sa
misère
Commence à r'sauter comme un
maudit :
Alors, arrive le Prêtre
Qui sert au malheureux être
Une décoction
De tous les pavots d’la
R'ligion...
A vingt ans, n'ayant rien su'
la terre,
Qu'est-c'qu'il irait faire au
régiment ?
Se battr' contr' des frèr's
de misère :
Ça ne lui sourit aucunement !
Mais on l'saoûl' comme un'
bourrique
De sottis's patriotiques !
Nom de dieu, qu'c'est beau
La gloire et l'honneur du
drapeau !
Plus tard, sombre esclav',
noir prolétaire,
Sentant en son cœur l'orag'
monter,
A bout d'injustice, à bout
d'misère,
Il est sur le point de
s'révolter ;
Pour le fair' tenir
tranquille
Son député, brave «
quinz'-mille »
A coups d'boniments
Vient lui foutre encor du «
dormant »
(Du 15 au 21 février 1911)
Air
: L'expulsion des princes
Aujourd'hui
le « Matin » offre une prime de 1.000 francs à celui qui découvrira
l'auto mystérieuse !
(18
février 1911)
L'« Matin » pour activer
l'élan
Vers l'azur et vers la
lumière
Des biplans et des monoplans
Fit l'circuit d'I'Est,
l'anné' dernière ;
Depuis il a trouvé plus fort
:
Et maintenant il encourage
Un tout autre genre de sport
Que l'on appell' le
mouchardage !
Vraiment nous n'avions pas
assez,
Pour empester notre
existence,
De tous les mouchards
engraissés
Au râtelier d’la Préfectance?
Grâce à cette annonc' dont
l'horreur
En première page s'étale,
Des tas de mouchards
amateurs,
Vont surgir dans la Capitale
!
— Mill' ball's — Allons, vite
au turbin,
Vous qui suivît's les
aventures
D'Sherlock Holmes, d'Arsèn'
Lupin,
Tirez profit de vos lectures
:
Manœuvrez si subtilement
Qu'à votre flair rien ne
résiste,
Allons ! bonn's gens, c'est
le moment,
Qui n'a pas sa petite piste ?
Allons, en route mes bonn's
gens,
Et que nos vœux vous
accompagnent ;
Parmi vous, les plus
diligents
Se sont déjà mis en campagne
:
C'matin j'ai trouvé mon
pip'let
Qui de sa dextre aventureuse,
Fouillait dans mes lettr's,
il cherchait
Des trac's de l'auto
mystérieuse !
S'fourrant partout, à tout
instant,
On connaissait une certaine
« Mouche du coche » dans le
temps,
Au temps du Père La Fontaine
Comme elle, vous fourrant
partout,
Bonn's gens, qu'exit' ce
billet d'mille,
Aujourd'hui, nous aurons en
vous
Les mouchards de l'automobile
!
(Du 22 au 28 février 1911)
Air
: Tu t'en vas et tu nous quittes !
Tu t'en vas et tu nous quittes,
Tu nous quitt's et tu t'en
vas ;
Tu peux t'trotter au plus
vite
Aristide... on n'te r'tient
pas.
Tout l'mond' te dit ici
Au revoir... et merci !
En souvenir de ton passage
Plac' Beauvau, charmant
séjour,
Emporte, dans tes bagages,
La girofle' de Lacour :
Tu peux y joindre tes
Seiz' voix d'majorité !
Emporte ce surnom sinistre
Qui vint se plaquer un jour
Sur ta gueule de ministre
Et qu'tu garderas toujours :
Briand le renégat !
Emport' ce surnom-là !
Emporte toute la haine
Des malheureux cheminots :
Ceux dont tu doublas la
chaîne
Ceux qui sont dans les
cachots ;
T'auras, en vérité,
Un' rud' charge à porter !
Ce règn' d'horreur et de
honte
Dont enfin voici le bout,
Ton règne, Aristide, compte
Un heureux jour malgré tout :
Et c'est — comm' par hasard —
Le jour de ton départ !
Tu t'en vas et tu nous
quittes,
Tu nous quitt's et tu t'en
vas ;
Disparais parmi la suite
Du cortèg' de Mardi Gras :
Sal' pantin, c'est l'moment
Allons, ouste !... Fous
l'camp !
(Du 1" au 7 mars 1911)
Air
: Les marins de Groix
Y faut qu'tout l'mond' mange
ici-bas : (bis)
C'est-y pas vrai, les Terr'
Neuvas ?
Ma traderi tra la la
Ma traderi tra la lère !
Nous autr's si l'on part su'
l'batieau : (bis)
C'est pour qu'i's mang'nt,
tous nos petiots
Ma traderi, etc..
Des fois l'un d'nous, tomb'
dans la « mé » : (bis)
Comm' dans un' grand' gueule
affamé'
Ma traderi, etc..
Tant pis pour lui le pauvr'
garçon : (bis)
Faut qu'i's mang'nt aussi les
poissons !
Ma traderi, etc..
Les ceuss's qui restent après
ça (bis)
S'mett'nt à pêcher ces
poissons-là..
Ma traderi, etc..
S'mett'nt à pêcher avec
ardeur : (bis)
C'est pour engraisser
l'armateur !
Ma traderi, etc..
I' faut qu'tout l'mond' mange
ici bas : (bis)
Ya qu' nos petiots qui ne
mang'nt pas...
Ma traderi, etc..
Puisque l'on n'gagn' pas su'
l'batieau (bis)
De quoi fair' manger nos
petiots !
Ma traderi, etc..
Alors qué qu'on va fout'
là-bas ?... (bis)
C'est-y pas vrai les Terr'
Neuvas
Ma traderi tra la la
Ma traderi tra la 1ère.
(Du 8 au 14 mars 1911)
Air
: Le rondibé du radada !
On
joue en ce moment « Le Tribun » au Vaudeville !
J'adore me fair' saboter
Au five o'clock, en prenant
l'thé :
Pourvu qu'mon flirt se trouve
là ?
Mon mari est au syndicat
Qui joue au baccarat.
Ah! ah!
Nom de dieu, marquise,
Cette toilette est d'un goût
!
Et de vous voir tout
simplement exquise
C'est un plaisir bien doux !
Les socialist's et les
grèvist's
Tous ces gens sont des
anarchist's
I's peuv'nt aller à la Santé
Mais laissez-moi vous
demander
Où pass'rez-vous l'été ?
Ah ! ah !
Moi ça m'est égal,
N'import' quell' plag' je
m'en fous !
Mais sur les bords de la...
Grèv' générale
On dit qu'il fait si doux !
L'Prolétariat, le Patronat,
La mazurka et caetera...
Viendrez-vous à mon prochain
bal ?
Cotillon et question social'
J'n'entrav' que pouic et
dall'
Ah ! ah !
Ça n'fait rien marquise
Bien qu'on n'y pige rien du
tout
Les pièc's social's de
Bourget, quoi qu'on dise,
C'est un plaisir bien doux !
(Du 22 au 28 mars 2011)
Air
: Le Midi bouge
Vlà les Patriotards
Qui r'font du pétard :
Ils recommencent
A gueuler d'menaçants
« Vive la France ! »
Au nez d'tous les passants...
Un' deux !
On les emmerde (bis)
Un' deux !
Nous nous foutons bien d'eux
!
M'sieu Bunau-Varilla
Réclame avec éclat
— Au nom d’la France —
Qu'on n'vend' plus su'
l'boul'vard
Qu'les bourd's intenses
De son sacré canard
Un' deux, etc..
L'dramaturge Téry
Veut régner sur Paris
Sans concurrence :
Il exig' qu'on n'jou' plus
— Au nom d’la France —
Que ses pièc's de cocu...
Un' deux, etc..
D'vant
N'peut
passer sans crier :
— Au nom d’la France ! —
Je fais essoriller
L'premier qui pense
Qu'c'est pas moi qui l'ai
chié...
Un' deux, etc..
Tous les fils à papa
Font d’la charpi' déjà
— Au nom d’la France ! —
I's veul'nt ces chers petits
A l'ambulance
Panser nos abattis
Un' deux, etc..
Malgré tout le boucan
Qu'ils font en invoquant
Le nom d’la France,
Légers biplans, flottez
Dans l'ciel immense
Au nom d'l'Humanité
Refrain
Un' deux!
On les emmerde (bis)
Un' deux !
Nous nous foutons bien d'eux
!
(Du 29 mars au 3 avril 1911)
Air
: La sérénade du pavé
L'union
syndicale des locataires avait invité ses adhérents à se joindre à la
manifestation des familles nombreuses afin de protester contre l'augmentation
des loyers.
Si nous chantons sous ta
fenêtre,
O sinistre Mossieu Vautour,
Notre chanson ne va pas être
Une douce chanson d'amour ;
Nous connaissons ton cœur de
pierre
Tous les cœurs des proprios
sont
Taillés dans la même matière
Que les murs gris de leur
maison !
Refrain
Sérénade des locataires
Dont on augmente le loyer
Vole pour les propriétaires
En train de roupiller...
Sérénade des locataires
Va-t-en saboter sans pitié
Le sommeil (bis) des
propriétaires!
Si nous chantons sous ta
fenêtre,
Toi qui dors près d'un coffre
fort
Où la misère d'un tas d'êtres
Se condense en quelques sacs
d'or ;
C'est pour te dire, ô vieux
rapace
Si ton coffre n'est plein
encor,
Nos cœurs où la fureur
s'amasse
Aujourd'hui sont pleins
jusqu'au bord
Si nous chantons sous ta
fenêtre
Avec ces accents enragés,
C'est pour te dire, ô notre
maître,
Que les temps vont bientôt
changer :
Il approche le grand Orage
Dont l'aile viendra balayer
Ton gros immeuble à six
étages
Niche à pauvres, mine à
loyers !
Si nous chantons sous ta
fenêtre
A pleines gueules : « ça ira
!
A la lanterne il faut les
mettre
Les Proprios on les pendra !
»
C'est pour te donner une idée
De l'affreux terme qu'un beau
jour
Aux mains d'une foule excédée
Tu devras payer à ton tour
!...
Si maintenant, sous ta
fenêtre
Notre chant vengeur retentit
Proprio qui nous as fait
mettre
A la porte avec nos petits,
C'est pour qu'en ta chambre
bien close
Il vienne à pénétrer,
changeant
En cauchemars tes songes
roses...
Qui sont pour toi rêves
d'Argent.
(Du 12 au 18 avril 1911)
Au
Vigneron champenois
Air
: Ce qu'une femme n'oublie pas.
Lorsque t'entendais parler au
village,
Brave homme à la têt' dur'
comm' ton sabot,
De l'Action directe et du
Sabotage,
Tu restais vitré comme un
escargot ;
Calme paysan des coteaux
tranquilles,
Au fond d'ta jugeot' tu pensais
comm' ça :
« C'est des inventions des
gâs de la ville
Et, moi, je n'peux pas
comprendr' ces chos's-là ! »
Si les exploiteurs qui
pressur'nt tes frères,
Pauvres ouvriers, pauvres
citadins,
Font l'geste d'abattr' leurs
griff's sur ta terre
Ta vieill' « comprenoir » se
réveill' soudain :
Paysan, t'es pas si bêt'
qu'on suppose
Ni qu'tu veux l'faire croir',
sacré nom de d’la !
Si ton intérêt se trouv' mis
en cause
T'as rud'ment vit' fait
d'comprendr' ces chos's-là !
Aujourd'hui, voilà c'qui
s'pass' dans la Marne
D'après les dernièr's
nouveil's des journaux :
Au sac des celliers la foule
s'acharne
Brisant les bouteill's,
crevant les tonneaux ;
Les ruisseaux débord'nt de
flots de champagne
Et les vign's avec leurs
grands échalas
Sont comm' des bûchers au
coeur des campagnes...
Foutre ! t'as grand'ment
compris ces chos's-là !
Esclav' des usin's, esclav'
de la terre,
Les voeux de nos cœurs sont
les mêmes vœux :
Tous deux nous souffrons de
la mêm' misère.
Nous avons le même ennemi
tous deux !
Paysan, mon vieux, allons,
que t'en semble ?
Pour la grande lutt' qui
bientôt viendra,
Donnons-nous la main et
marchons ensemble
A présent que t'as compris
ces chos's-là !
(Du 12 au 18 avril 1911)
Air
: Le Credo du Paysan
—
Nous ne voyons de salut qu'en la Révolution ! — disent les vignerons.
Les
Journaux.
Bon paysan dont la sueur
féconde
Les sillons clairs où se
forment le vin
Et le pain blanc qui doit nourrir
le monde,
En travaillant, je dois
crever de faim ;
Le doux soleil, de son or
salutaire,
Gonfle la grappe et les épis
tremblants ;
Par devant tous les trésors
de la terre,
Je dois crever de faim en
travaillant !
Refrain
Je ne crois plus, dans mon âpre
misère,
A tous les dieux en qui
j'avais placé ma foi,
Révolution! déesse au cœur
sincère,
Justicière au bras fort, je
ne crois plus qu'en toi ! (bis)
Dans mes guérets, au temps de
la couvraille,
Les gros corbeaux au sinistre
vol brun
Ne pillent pas tous les
grains des semailles :
Leur bec vorace en laisse
quelques-uns !
Malgré l'assaut d'insectes
parasites,
Mes ceps sont beaux quand la
vendange vient :
Les exploiteurs tombent
dessus bien vite
Et cette fois, il ne me reste
rien !
Au dieu du ciel, aux maîtres
de la terre,
J'ai réclamé le pain de
chaque jour :
J'ai vu bientôt se perdre ma
prière
Dans le désert des deux vides
et sourds ;
Les dirigeants de notre
République
Ont étalé des lois sur mon
chemin,
D'aucuns m'ont fait des
discours magnifiques,
Personne, hélas ! ne m'a
donné de pain !
Levant le front et redressant
le torse,
Las d'implorer et de
n'obtenir rien,
Je ne veux plus compter que
sur ma force
Pour me défendre et reprendre
mon bien.
Entendez-vous là-bas le chant
des Jacques
Qui retentit derrière le
coteau,
Couvrant le son des carillons
de Pâques :
C'est mon Credo, c'est mon
rouge Credo !
(Du 19 au 25 avril 1911)
Air
: Le vieux mendiant
Un
soldat du 35e d'Artillerie à Vannes, François Thépaut, fut blessé à la jambe
par une ruade de cheval. Soigné à l'hôpital, il demeure infirme et doit se
servir de béquilles pour marcher. Avant hier un ordre du Ministère ordonne de
renvoyer Thépaut dans sa famille et lui alloue la somme dérisoire de 200 francs
à titre d'indemnité. Thépaut refuse et pleurant à chaudes larmes, dit « qu'il
ne partirait pas ». On parvint à le déshabiller et à le revêtir d'effets usagés
; puis quatre hommes, commandés par un maréchal des logis, l'expulsèrent du
quartier et le remirent entre les mains de gendarmes qui l'attendaient à la
grille et le conduisirent à ta gare !
Paris
- Journal.
J'étais un gaillard bien bâti
Et l'Major ne trouvant pas
d'vices
Dans l'fonctionn'ment d'mes
abattis,
M'a dit : « t'es bon pour le
service !
Un bougre comm' toi, mon
fiston,
Ça doit servir dans
l'artill'rie ! »
— Merci m'sieu l'Major !...
Et chantons
Les louanges de la Patrie !
Là-bas on m'fourre un
canasson
Qu'avait l'cul comme un'
petit' folle ;
Un jour, i' m'colle un coup
d'chausson
Vlan, au travers des deux
guibolles :
A l'hôpital, portez-moi donc
Comme un paquet de chair
meurtrie...
Et chantons, les copains,
chantons
Les louanges de la Patrie !
Maint'nant, c'gâs, dont l'Major
avait
Palpé les abattis solides,
O régiment, qu'en as-tu fait
?
— « Je ne suis plus
qu'un invalide ! —
En m'en nant au canton
Que r'trouv'ra ma pays'
chérie «
— Un pauvr' béquillard ! — Et
chantons
Les louanges de la Patrie !
De quoi ? Tu t'mets à
rouspéter
Tu chial's et tu fais des
grimaces,
Tu t'obstin's espèc’ de
moch'té,
A n'pas vouloir vider la
place ?
Allons ! à la porte illico,
Qu'on l'empoign'... sans
cérémonie
Et chantons ! — Ah ! les
saligauds ! —
Les louanges de la Patrie !
Chez nous les gens viv'nt en
piochant,
Du mois d'janvier au mois
d'décembre :
Pour arracher son pain d'son
champ
On a pas trop de tous ses
membres !
J'peux plus poser mes
ripatons :
Comment fair' pour gagner ma
vie ?
— Tiens, voilà deux sous ! —
Et chantons
Les louanges de la Patrie !
C'est pour ça que vous me
trouvez,
Clochetant et portant besace,
Sur le chemin que vous suivez
Entendez-vous conscrits d’la
classe?
A présent que j'vous ai conté
L'histoir' de mes patt's
démolies,
J'pens' que vous allez tous
chanter
Les louanges de la Patrie !
(Du 26 avril au 2 mai 1911)
Air
: Le temps des cerises (J.-B. Clément)
C'est le Premier Mai.
Debout, camarades ! Pour les
travailleurs, pour les ouvriers,
C'est un jour de fête !
Et tous, aujourd'hui,
relevant la tête,
Désertent l'enfer de leurs
ateliers...
C'est le Premier Mai.
Marchons, camarades !
Sous le libre azur des cieux
printaniers !
C'est le Premier Mai. Debout,
camarades !
Esclaves courbés sur les durs
travaux
Des grandes usines,
Un peu de fierté monte en nos
poitrines
Avec le parfum des lilas
nouveaux...
C'est le Premier Mai.
Marchons camarades !
Un grand souffle ardent passe
en nos cerveaux !
C'est le Premier Mai. Debout,
camarades !
Au milieu du ciel, le soleil
vainqueur
Luit pour tout le monde :
Hélas ! notre part de sa
clarté blonde
Sert à fabriquer l'or de
l'Exploiteur...
C'est le Premier Mai.
Marchons camarades !
Nous avons aussi des droits
au bonheur !
C'est le Premier Mai. Debout,
camarades !
Par la ville allons, la main
dans la main
Et crions justice.
Il est temps qu'un peu
d'équité fleurisse
Entends-tu, bourgeois au cœur
inhumain?
C'est le Premier Mai.
Marchons camarades !
Et clamons nos droits sur
notre chemin !
C'est le Premier Mai. Debout,
camarades !
Déjà l'Avenir se laisse
entrevoir :
Ayons confiance !
Après l'âpre hiver, le
Printemps s'avance,
Chassant les corbeaux au
triste vol noir...
C'est le Premier Mai.
Marchons, camarades !
Les jeunes rameaux sont couleur
d'espoir !
(Du 26 avril au 2 mai 1911)
Air
du cantique
Hélas ! quelle douleur
Emplit mon cœur
Et de moi s'empare ;
Hélas ! quelle douleur
Emplit mon cœur
Devant tant d'malheurs !
J'ai perdu (mon cas n'est pas
rare !)
Mon mouchoir parmi la
bagarre...
Hélas ! plus de mouchoir
Pour pleurer c'soir
Les « victim's du d'voir »
O brav' Faralicq (1),
L'plus doux des flics
Et tellement bête !
O brav' Faralicq,
Toi le 'plus chic
Des cogn's et des flics !
On a voulu voir si ta tête
Etait d'bois, comme on le
répète…
Mais j'n'ai plus d'mouchoir
Pour pleurer c'soir
Les « victim's » du d'voir !
Guillaume' (1) t'as pris
tantôt
Un coup d'couteau
Entre les épaules
Guillaum' t'as pris tantôt
Un coup d'couteau :
Ça fait froid dans l'dos !
En songeant à ton sort pas
drôle
Y a de quoi pleurer comme un
saule
Mais j'n'ai plus d'mouchoir
etc…
Ah ! mon Dieu ! te voilà
Dans quel état :
Pauvre Portenseigne (1)
Ah ! mon Dieu, te voilà
Dans quel état ?
Presque chocolat !
T'es couvert de blessur's qui
saignent :
Attends un peu que je te
plaigne
Je n'ai plus d'mouchoir etc…
Sinistres policiers
Vous qui cogniez
Sur nous sans relâche
Sinistres policiers
Vous qui cogniez
Sur nous sans pitié,
Vous pouvez crever, tas de
vaches,
On n'pleur' pas les brut's et
les lâches !
Je n'ai plus d'mouchoir
Pour pleurer c'soir,
Les « victim's » du d'voir !
(Du 3 au 9 mai 1911)
(1)
Faralicq, Guillaume, Portenseigne : policiers présents lors du 1" mai
1911.
Faralicq,
officier de paix, reçut de la part d'un manifestant un coup de matraque qui lui
valut... une otite.
Guillaume,
officier de paix, fut blessé d'un coup de couteau.
Portenseigne,
agent cycliste, «dans la peau duquel un stylet fut oublié le 1er mai » (
Air
: Petronille tu sens la vanille (Dranem)
Bourgeois ! vous d'vez un'
fier' chandelle
A notre Dam' d’la Tour
pointu'
Car vous l'avez échappé belle
:
Trois gredins avaient résolu
D'fair' sauter Paris en cinq
sec
Et la moitié d'Asnièr's avec
!
Refrain
Non Lépine, ça sent la
Rousse,
Ça sent vraiment trop la
Rousse !
Dans cette affaire on r'connaît
l'art
Du plus balourd de tes
mouchards
Xavier, Xavier, Xavier...
Guichard (1) !
Pour discuter sans trop de
risques
Les apprêts de leur mauvais
coup
Dans l'intérieur de
l'Obélisque
La nuit ils avaient
rendez-vous !
S'croyaient là-d'dans bien à
l'abri
Mais le concierg' les a
surpris !
La polie' prév'nue au plus
vite
Trouva dans ce monument
Trent' cinq p'tits paquets
d'dynamite
Numérotés bien proprement :
Sur le paquet numéro six
On lisait « paquet pour Monis
»
Les criminels songeaient à
faire
Sauter aussi l'exécutif,
Mais pour fair' sauter l'pèr'
Fallières
Avaient-ils assez d'explosifs
?
C'est qu'il doit en falloir
un stock
Pour déplacer un pareil bloc
!
La ferme, avec tes balivernes
!
Non, Lépin’ tu ne nous f'ras
pas
Prendr' des vessi's pour des
lanternes
Quoique t'imagin's pour cela,
Le coup du complot on
l'connaît
L'autr' jour tu nous l'as
déjà fait
A la fin si tu continues
A faire assommer l'populo,
Par tout' ta racaill', dans
la rue,
Tu pourras voir un vrai
complot,
Un chic, un bath, un réussi
Mais ne parlons pas
d'celui-ci !
(Du 10 au 16 mai 1911)
(1)
Après les événements du 1er mai fut agité par la Préfecture l'épouvantail d'un
complot justifié par la découverte (après coup) de quelques pétards. Coûté y
voit là une manœuvre de Guichard, autre policier, qui deviendra plus tard
directeur de
Air
: La Marseillaise
Le
conseil des Ministres décide que « nous irons à Fez ! »
Les
Journaux.
Allez ! petits soldats de
France
Le jour des poir's est
arrivé.
Pour servir
Allez vous
en là-bas crever ! (bis)
Tandis qu'au coeur de la
fournaise
Vous tomb'rez, une balle au
front,
De nos combin's nous
causerons
En fredonnant
Refrain
Aux Armes, les enfants !
formez vos bataillons,
Marchez ! marchez ! nous
récolt'rons
Dans le sang, des sillons !
Allez ! guerriers pleins de
courage,
Petits fils de la liberté,
Allez réduire en esclavage
De pauvr's Arbis épouvantés !
(bis)
Dans leurs douars, que le
canon tonne
Plus fort que le tonnerr'
d'Allah :
Nous alignions pendant
c'temps-là,
Des chiffres en longues
colonnes !
Allez-y ! qu' les cadavr's
s'entassent
Par centaines et par
milliers,
Que la plaine où les balles
passent
N'soit plus qu'un immense
charnier! (bis)
D'vant l'récit de tout's ces
misères,
En ouvrant le journal de
d'main,
Nous song'rons, nous frottant
les mains :
« Ça n'biche pas trop mal,
les affaires ! »
Allez ! si les autres
voraces,
Si tous les requins
d'Outre-Rhin,
Font en c'moment un' sal'
grimace
Ça n'nous défris' pas
l'moindre brin (bis)
Un' nouvell' guerre ? on s'en
fout, puisque
C'est vous qui marcheriez
encor
Pour défendre nos
coffres-forts
Alors ! franch'ment, NOUS
qu'est-c'qu'on risque
Nous entrerons dedans la
place
Après que vous n'y serez plus
:
Nous y trouverons vos
carcasses
Près des carcasses des
vaincus ! (bis)
Et sur les tombes toutes
proches,
Se r'joignant à deux pieds
dans l'sol
Avec l'or du meurtre et du
vol
Nous emplirons froid'ment nos
poches !
(Du 17 au 23 mai 1911)
Air
: Cadet Roussel
I’ n'peut plus passer
aujourd'hui (bis)
Un' semain' sans fair' parler
d'iui, (bis)
Et d'façon tragique ou
badine,
Faut toujours qu'on caus' de
Lépine...
Ah ! ah ! ah ! oui vraiment
C'sacré Lépine est épatant !
S'il s'intéresse avec passion
(bis)
Aux choses de l'aviation
(bis)
C'n'est pas pour fonder une
école,
Pour préparer des «
vach's-qui-volent » !
Ah ! ah ! ah ! non vraiment,
Y en a déjà trop pour
l'instant
D'ailleurs pour son compt'
personnel (bis)
Sans s'élancer au fait du
ciel (bis)
Par un moyen plus... terre à
terre
I' s'tient constamment dans
l'Ether-e
Ah !, etc…
Mais il trouve, autour de ce
sport (bis)
Des occasions de faire encor
(bis)
Charger la foule pacifique
Par l'armée de la République
!
Ah !, etc…
C'est le sport le plus
épatant
Dimanch' dernier on vit ainsi
(bis)
Le champ d'aviation d'Issy
(bis)
Transformé soudain par son
œuvre,
En véritable champ d'manœuvre
Ah !, etc…
Pourquoi donc tous ces
cuirassiers (bis)
Dont les chevaux march'nt sur
les pieds ? (bis)
Tous ces cuirassiers, pauvres
cuistres,
C'est pour veiller sur les
ministres !
Ah !, etc…
Mais fallait veiller
autrement
Grâce à tout's ces
précautions-là, (bis)
L'monoplan qui dégringola
S'en vint dans sa chute
sinistre
Casser la gueule aux dits
Ministres !
Ah ! ah ! ah ! oui vraiment
C'sacré Lépine est épatant
Aussi, comme cette fois-ci
(bis)
C'n'est pas l'populo qu'est
occis (bis)
Nos maîtres jugeant d'autre
sorte,
Vont peut-êtr' le foutre à la
porte
Ah !, etc…
Nous autres on trouve qu'il
serait temps.
(Du 24 au 30 mai 1911)
Air
: Le clairon (P. Déroulède)
Le
capitaine Cayaba du 40e d'Infanterie, commande à son trompette d'artillerie de faire
les sommations. Le soldat se met à pleurer et ne peut souffler qu'une fois.
(Les
grèves agricoles du Gard.)
L'Humanité.
Les tâcherons sont en grève,
Un rouge soleil se lève
Sur les sillons de là-bas ;
Mais pour défendre la terre
Des riches propriétaires,
En avant petits soldats
(Tarata, tarata, tarata,
tatatata !)
Un long frisson de révolte
Passe parmi les récoltes :
Il faut marcher à l'instant
Sur cette foule hagarde,
Sinon, soldats, prenez garde
;
C'est Gafsa qui vous attend
Tarata, etc..
Qu'après vos charges
farouches
Le sang inonde les souches
Dans les vignes des patrons,
Pour faire sabrer tes frères
Dont tu vécus la misère,
En avant ! sonne clairon !
Tarata, etc..
L'ordre est donné, l'heure
est grave
Mais le clairon est un brave,
Est un brave petit gâs ;
A peine a-t-il fait un geste
Que tout son être proteste ;
Le clairon ne sonne pas !
Bravo ! mais que dans le
cuivre,
Pour l'appel qui nous délivre
De nos communs exploiteurs,
Demain ton souffle résonne,
Petit clairon sonne, sonne
A pleins poumons, à plein
cœur ! Tarata, etc..
(Du 30 mai au 6 juin 1911)
Air
: Le petit homme gris (Béranger)
AU
BANC D'INFAMIE...
...De
nouvelles poursuites sont, paraît-il, intentées à
C'est
avec joie que
(Du 7 au 13
juin 1911)
Idé' vraiment sublime,
Le Parquet, aujourd'hui
Me poursuit :
Oui j'ai commis un crime
Dont tout le mond' frémit
Mes amis !
Ah ! ah ! moi j'm'en... (bis)
Ah ! ah ! moi j'm'en ris.
Ah ! qu'il est gai (bis)
Le Parquet de Paris !
J'suis un êtr' hors nature ;
En apprenant que l'Hic
Faralicq
Avait pris sur la hure
J'n'ai pas pu verser
d'pleurs,
Quelle horreur ! Ah I, etc..
Vite, qu'on m'embastille,
Qu'on m'appliqu' sans tarder
Ni compter,
Le brod'quin et les
ch'villes,
Qu'on me clou' sur la croix
D'têt’-de-bois ! Ah !, etc..
Ça n'est pas là, je gage
Qu'je r'trouvrai « mon
mouchoir
De l'autr' soir » :
Quand un merle est en cage,
C'est là qu'il chant' le
mieux,
Nom de dieu !
Ah ! ah ! moi j'm'en (bis)
Ah ! ah ! moi j'm'en ris
Ah! qu'il est gai (bis)
Le Parquet de Paris
(Du 7 au 13 juin 1911)
Air
: Les laquais (X. Privas)
dédié
à MM. Foumy et Bled
Rampez — ainsi que des
vipères
Dans les chemins creux de
l'été —
Parmi la boue et les ornières
De
Allez répandre par le monde
Votre venin, de toute part :
Vous êtes des bêtes immondes,
Mouchards !
Tâcherons de l'ignominie,
Trimez dur, descendez bien
bas,
Pour pouvoir toucher en la
vie
Votre salaire de Judas :
Il est menu comme l'aumône
Qu'un bourgeois accorde aux
déchards ;
Vous êtes les plus laids des
jaunes,
Mouchards !
Allons, salauds, tous à
l'ouvrage !
Glissez-vous parmi les bons
gâs :
Souillez tout sur votre
passage,
Semez du doute à chaque pas ;
Mais le masque qui vous
déguise
S'en vient à tomber tôt ou
tard :
Nous bénissons votre sottise
:
Mouchards !
Ce jour-là, que les gens qui
passent,
Tous ! les grands comme les
petits,
Viennent vous jeter à la face
L'ultime geste du mépris ;
Et sur votre sale trombine
Si vous récoltez des
mollards,
Portez-les tout chauds à
Lépine
MOUCHARDS !
(Du 14 au 20 juin 1911)
Air
: Ça fait toujours plaisir!
Dimanche,
dans tous les quartiers de Paris, on vit des dames mûres, des dames élégantes
et des petites jeunes filles insister auprès de chacun pour lui vendre une
Fleur bleue montée en épingle — « Pour nos soldats du Maroc — disaient-elles —
et pour les agents victimes du devoir ! »
Les
Journaux.
Les deux mains dans mes
poches,
Me prom'nant dimanch' soir,
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Me prom'nant dimanch' soir,
Un' dam' de moi s'approche
Tout au coin du trottoir,
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Tout au coin du trottoir ;
En voyant sa figure,
Je fus forcé d'conv'nir
Que la dame était mûre...
Ça fait toujours plaisir
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! .
Ça fait toujours plaisir !
Heureus'ment mes alarmes
Ne durèr'nt qu'un moment,
Ah !...
Ne durèr'nt qu'un moment,
Ça n'était pas ses charmes
Qu'elle offrait présent'ment,
Ah !...
Qu'elle offrait présent'ment.
Non ! cette femme honnête
Vint simplement fleurir
Le r'vers de ma jaquette...
Ça fait toujours plaisir
Ah !, etc.
— Pour le Maroc — dit-elle
Après c't'acte élégant
Ah !...
Après c't'acte élégant,
Brandissant avec zèle
Une boîte en fer blanc
Ah !...
Une boîte en fer blanc ;
Alors, natur' benoîte,
Je pus voir s'engloutir
Mes deux ronds dans sa
boîte...
Ça fait toujours plaisir
Ah !, etc.
Maint'nant que va-t-on faire
De mes pauvres deux ronds ?
Ah !...
De mes pauvres deux ronds ?
La « casse » de la guerre,
C'est eux qui la paieront !
Ah !...
C'est eux qui la paieront
Par ricochet, je pense
Qu'ils vont ainsi servir
Aux Requins d'La Finance...
Ça fait toujours plaisir !
Ah !, etc.
A d'autr's usages encore
Servira mon billon :
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Servira mon billon
Les doux flics que j'adore
En auront un' portion !
Ah !...
En auront un' portion !
Ayant r'çu des châtaignes
Lorsque l'on peut se dir' :
« Ça, c'est pour Portenseigne
»
Ça fait toujours plaisir
Ah !, etc.
Depuis lors, en des termes
Pris au langag' des fleurs,
Ah !...
Pris au langag' des fleurs,
La fleur bleu' qu'un' main
ferme
Piqua près de mon cœur,
Ah !...
Piqua près de mon cœur,
M'dit d'façon péremptoire
Et m'répète à loisir :
« Mon vieux, tu n'est qu'un'
poire ! »
Ça fait toujours plaisir !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah,
Ça fait toujours plaisir !
(Du 21 au 27 juin 1911)
Je suis à poil et cependant
Je ne suis pas chez ma
voisine ;
Sur moi la toise en
descendant
A fait un bruit de
guillotine,
Et voici mossieu le Major,
Etre doux comme le tonnerre,
Qui me palpe et me palpe
encor,
D'un geste de vétérinaire.
Alors sans bouger le sourcil,
Je chante pendant ce temps-là
:
Si tu n'as pas vu mon cul, le
voici,
Si tu n'as pas vu mon cul, le
voilà !
Devant moi, le nombril caché
Sous le tricolore bandage,
Les maires, témoins du
marché,
S'intéressent au marchandage
:
Œil sournois, œil terne et
chassieux,
Regard de veau, regard de
fouine,
Tous les regards de tous ces
yeux
Courent sur moi comme
vermine.
Alors sans bouger...
— Le gaillard n'est pas trop
mal fait !
Il a même une bonne tête... »
Comme au Comice, le Préfet
Admire aussi la belle bête ;
Et j'entends ce sacré major
Louanger ensuite à son aise
Un tout autre endroit de mon
corps
Objet de gaîté bien
française...
Alors sans bouger...
De la chair jeune de vingt
ans
Qu'étalera fièvre ou
bataille,
Savez-vous que c'est épatant
Quand on la drogue ou qu'on
la taille !
Et le morticole abruti
Portant du velours sur la
manche
Numérote mes abatis
Pour les lendemains de
revanches...
Alors sans bouger...
C'est la croix au dos du
mouton
Il a dit « Bon pour le
service » ;
Un sergent vague écrit mon
nom
Sur la liste des
sacrifices...
Hé ! l'homme aux manches de
velours,
Même quand on est militaire,
Faut pas vendre la peau de
l'ours
Avant qu'on ne l'ait mis par
terre !
Dernier Refrain
Si tu viens pour la mienne
ici,
Je chante en m'en allant par
là :
Si tu n'as pas vu mon cul, le
voici !
Si tu n'as pas vu mon cul, le
voilà !
Le printemps va bientôt naître.
Les hirondelles
Pour que l'azur s'en vienne
égayer son berceau
Fendent le crêpe du
brouillard à grands coups d'ailes,
Prestes et nets ainsi que des
coups de ciseaux.
Des rustres stupides et des
corbeaux voraces
Qui s'engraissaient parmi les
horreurs de l'hiver
En voyant les oiseaux
d'espoir traverser l'air
Se liguent aussitôt pour leur
donner la chasse.
Les hirondelles agonisent en
des cages,
Leur aile saigne sous la
serre des corbeaux,
Mais parmi l'azur qui crève
enfin les nuages
Voici l'Avril ! Voici le
printemps jeune et beau.
O gouvernants bourgeois à la
poigne cruelle
Emprisonnez les gens, faites
en des martyrs,
Tuez si ça vous plaît toutes
les hirondelles,
Vous n'empêcherez pas le
printemps de venir.
Pour emblaver ces champs,
quelques gas ont suffi
Ils n'ont jeté que quelques
poignées de semence
Mais le miracle blond de
l'Eté s'accomplit
Cent faucheurs sont penchés
sur la moisson immense.
De chaque grain tombé dans la
nuit du sillon
Un bel épi s'est élancé vers
la lumière
Et nul ne peut, sous le vol
bleu des faucillons
Compter tous les épis de la
récolte entière.
O vous, plus isolés encor que
les semeurs
Qui sont passés dans la
plaine au temps des emblaves,
En la nuit des cerveaux et
l'intensité des cœurs
Jetez votre bon grain sur le
champ des Esclaves.
Fiers semeurs de l'Idée,
jetez votre bon grain.
Il dormira comme le blé dort
dans la terre.
Mais innombrable, aux beaux
jours de l'Eté prochain,
Votre moisson resplendira
dans la lumière !
Comme un monde qui meurt
écrasé sous son Or,
La Forêt automnale en son
faste agonise
Et ses feuilles, comme les
pièces d'un trésor,
S'amoncellent sous le râteau
fou de la bise.
Parmi la langueur des
sous-bois, on sent flotter
La même odeur de lente mort
et de luxure
Qui vous accable au cœur des
trop riches cités :
Tout l'Or de la Forêt
s'exhale en pourriture !
Mais nous savons que de
l'amas de ce fumier
Doit fleurir, en l'élan de la
sève prochaine,
La gaieté des coucous, la
grâce des aubiers,
La douceur de la mousse et la
beauté des chênes.
Notre Société ressemble à la
Forêt,
Nous sommes en Novembre, et
l'Automne est en elle.
O fumier d'aujourd'hui ! plus
ton lit est épais !
Plus l'Avril sera vert dans
la Forêt nouvelle !
Tristes, mornes, muets,
voûtés comme une échine
De malheureux tâcheron, les
vieux monts ont l'air
D'un peuple d'ouvriers sur un
chemin d'usine,
Et leur long défilé semble
entrer dans l'Hiver.
En un effeuillement lent de
pétales sombres
La neige tombe comme tombe la
Douleur
Et la Misère sur le dos des
travailleurs.
La neige tombe sur les monts.
La neige tombe.
Emprisonnant leur flanc,
écrasant leur sommet,
Sous un suaire dont la
froideur s'accumule
Encor ! Toujours ! plus fort
! la neige tombe. Mais
Au simple bruit d'un pas
heurtant le crépuscule,
Les vieux monts impassibles
travaillent soudain
Et leur révolte gronde en
avalanche blanche
Qui renverse et qui brise
tout sur son chemin...
Sur notre monde un jour,
quelle horrible avalanche !
Allumettes de contrebande...
Vous en faut-y d'mes p'quits
bouts d'boués ?
J'en ai cor vingt paquets su'
moué
Qui m'font grous vent' sous
ma houpp'lande
Mes allumett's à moué, sont
pas
Comm' les allumett's de l'Etat,
Vous savez, cell's qui
veul'nt pas prendre
Quand qu'i' s'agit d'allumer
l'four
Pour cuire à tertous du pain
tende...
Moué j'suis pas l'épicier du
bourg
Moué nom deguieu !
J'vends des allumett's qui
prenn'nt feu
Allumettes de contrebande
Au coin du ch'min Pandor m'a
dit
Comme ed coutume en vein'
d'esprit
« T'as l'air enceinte à vouer
ton vent'e ?
Y a eun hospic' pas loin
d'icite
Oùsque tu pourras fair' tes
couches... »
Et me v'la-z-au trou encore
un coup.
Quoué nom deguieu ?
J'vends des allumett's qui prenn'nt
feu !
Allumettes de contrebande...
A la fin j'finis par
comprend'e,
Ça n'est pas pus malaisé
qu'ça :
Des foués j'les gên' ceux
qu'est d'I'Etat
Messieurs du Pab', Messieurs
du Sac,
Messieurs du Cod', du
Goupillon...
Voici, pour allumer l'bout
d’bougie
Qui fait baisser les z-œils,
pleurs d'nuit
Su' l'sang d'leu's crouéx,
d'leu's galons
Su' tous les crim's de leu's
meyions
Su' l'injustice ed' leu'
justice
Su' la bêtis' de leu'
r'ligion
Voui, nom deguieu !
J'vends des allumett's qui
prenn'nt feu
Allumettes de contrebande...
Faurait pas trop pousser à
bout
Hé les sieurs qui tienn'nt la
gouverne
Ou putôt si... C'est ça qu'je
d'mande
Queuqu' bieau souer ousque
l'vent s'rait fort
Usine, églis', prison,
caserne...
Gar', nom deguieu !
J'vends des allumett's qui
prenn'nt feu !
N.
d. E. — Le manuscrit que nous avons retrouvé n'est pas de la main de Couté. Il
porte cette indication : « Donner à l'impression le manuscrit écrit par moi car
celui-ci est plein de mots mal orthographiés et puis il y a des lignes qui
manquent ».
Hier, j'étais bien près, ma
brune,
J'étais bien près de t'adorer
Quand tu m'as dit : « Je
t'écrirai ! »
Je suis parti, chantant
fortune.
Et ce matin, à mon lever,
Ta lettre vient de m'arriver
Ta lettre est d'un banal
insigne
Avec son griffonnage étroit
Et son pauvre style est d'un
froid
A patiner entre les lignes :
Après tout ce que j'en ai lu
Je sens que je ne t'aime plus
!
Ton esprit est nul, ton cœur
vide !
Et devant ta lettre je vois
Que tu ne portes rien en toi,
Rien hormis ta beauté stupide
;
Et moi qui voulais t'adorer
J'en reste colère et navré.
Lors, de sur ma table
j'enlève
Et je déchire à grands coups
secs,
Puis j'allume ma pipe avec
Ce billet de deuil de mon
rêve...
Et maintenant, de toi je ris
!...
Aussi, pourquoi m'avoir écrit
!
ou
Malgré toutes les eaux de
Lourdes
Et les simples des rebouteux,
La pauvrette était toujours
sourde
Et la nuit emmurait ses yeux
;
Maintenant, elle attrape
l'âge
Où l'on danse avec les
garçons,
Et l'on cause par le village
D'une soudaine guérison.
Refrain
Galiléen, tes miracles d'un
jour
L'Amour
Les fait toujours.
Les aveugles voient, l'ouïe
revient aux sourds
Devant l'Amour.
Un jour qu'elle allait, la
pauvrette !
Sans entendre l'oiseau
chantant,
Sans voir fleurir la
pâquerette
Un gâs passait dans le Printemps
;
Et comme elle pouvait encore,
Malgré tout, plaire aux
amoureux,
Lui mit un long baiser sonore
Sur les oreilles et les yeux.
Rien qu'un baiser ! Pas de
prières !
Non plus d'herbes de
Et le gâs à l'étreinte claire
Partit plus loin dans le
Printemps ;
Mais, là-dessus, la pauvre
fille
Disait : « Je suis guérie, je
vois
Dans mon cœur un soleil qui
brille
Et j'entends en mon cœur des
voix... »
musique
de : Marcel LEGAY
Un jour en nant la terre
D'un coin de champ sis où
jadis
Se trouvait l'ancien
cimetière
Qui reçut les vieux du pays,
En nant la terre nue,
Au creux d'un sillon noir et
d'or,
Soudain, une tête de mort
Buta dans mon soc de charrue.
Lors, prenant dans ma main
calleuse,
Afin de mieux l'examiner
La tête à grimace hideuse,
Sans lèvres, sans yeux et
sans nez,
J'ai rêvé de fille jolie,
Aux lèvres donneuses d'amour,
Aux yeux clairs comme un rais
de jour
Pour qui j'aurais fait des
folies.
Voyant son crâne à l'ossature
Toute blanche et dont le
cerveau
Avait dû servir de pâture
Aux vers qui vivent des
tombeaux,
J'ai rêvé de bourgeois très
riche
Gros de ventre et fort
d'appétit
Dont j'aurais servi comme
outil
A faire le Boire et la Miche.
Et lançant à travers la
plaine,
Selon mon désir, n'importe où
!
Cette chose qui fut humaine
Comme on jetterait un
caillou,
J'ai rêvé de grand capitaine
Qui m'aurait envoyé mourir
Ou faire mourir pour servir
Son œuvre de Gloire et de
Haine.
Mais après, en voyant la tête
Reposer en l'herbe du pré
Où s'en vont reposer mes
bêtes
Lorsque mon champ est
labouré,
J'ai rêvé de travailleur
blême,
De pauvre bougre comme moi,
Mort comme je mourrai
moi-même !
N.
d. E. — Variante de « La tête de mort », poème reproduit dans le tome III, page
48.
On ne voit plus sa rouge
cotte.
Oùsqu'est la garce, encore un
coup ?
Dedans un chaumier qui
gigotte
Avec un galant à son cou !
C'est comme ça, depuis
l'aurore :
Elle a pris et veut prendre
encore
Tous les beaux tâcherons
d'août.
Ah saprée garce, saprée garce
!...
La moisson qu'est encore
éparse !
Sûr qu'il a passé moins de
gerbes
Depuis l'aurore, entre ses
bras
Et contre ses tétons
superbes,
Qu'il a passé, passé de gâs !
Elle fait sa moisson de mâles
:
Sur son corps s'entassent les
râles
Mais le blé ne s'entasse pas
!
Ah saprée garce, saprée garce
!...
La moisson qu'est encore
éparse !
Après son étreinte endiablée,
Les moissonneurs s'en vont,
fourbus
Et saouls comme au soir
d'assemblée
Du trop de baisers qu'ils ont
bus ;
Et les gaillards à forte
pogne
S'en nent à la besogne,
Mais c'est pour se coucher
dessus !
Ah saprée garce, saprée garce
!...
La moisson qu'est encore
éparse !
Maintenant la coiffe en
détresse,
Elle revient parmi les gens
Chercher un bailleur de
caresses
Mais, le ciel se brouille,
aux couchants,
Et malfaisante ! Et furibonde
!
Comme son amour sur le monde,
La grêle tombe sur les
champs...
Ah saprée garce, saprée garce
!
La moisson qu'est encore
éparse !...
Belle aux beaux yeux cette
nuit-là,
Après danser, on s'en alla
Par les prés où le muguet
pousse ;
On ne voyait, dans l'ombre
douce,
Que vers luisants, à chaque
pied
De houx, de fusain et
d'aubier.
(Pardon belle, de ma sottise
:
Un lourdaud qui madrigalise
Se double souvent d'un
fâcheux !)
Je comparai vos jolis yeux
A ces vers luisants qui
brillaient
Dans le feuillage noir des
haies !
Cette nuit-là, belle aux
beaux yeux,
Sous le buisson noir des
cheveux
Moi, je voulais que vos
prunelles
Soient deux lucioles jumelles
Et j'étais fier ainsi,
d'avoir
Causé galamment pour un soir
(Pardon, belle de ma sottise
:
Un lourdaud qui madrigalise
Se double souvent d'un
fâcheux !)
Je comparai vos jolis yeux
A ces vers luisants qui
brillaient
Dans le feuillage noir des
haies !
Aux premiers souffles du
matin
Les vers luisants étaient
éteints ;
Vous prîtes une luciole
— Ah ! la dégoûtante bestiole
!
— Ah vos beaux yeux, belle
aux yeux d'or
Après qu'aura soufflé la Mort
!
(Pardon, belle de ma sottise
:
Un lourdaud qui madrigalise
Se double souvent d'un
fâcheux !)
J'avais comparé vos beaux
yeux
A ces vers luisants qui
brillaient
Dans le feuillage noir des
haies.
musique
de : Marcel LEGAY
(incomplet)
A Coulmiers avant la guerre
Les pères de ces gâs-là
Fauchaient comme leurs
grands-pères,
Fauchaient, fauchaient à
pleins bras
Et ceux dont les gestes
augustes
Faisaient du pain pour
tertous
Arrivaient à vivre juste
Assez pour souffrir beaucoup
!
Refrain
Les blés sont mûrs à
Coulmiers
Les gâs des fermiers fauchent
dans les champs
Fauchent en songeant.
musique
de : Léo DANIDERFF
Il a passé des vols de faulx,
Dans les foins drus dans les
foins hauts
Les foins qui sèchent
Sous les brûlures des midis
Et sous les souffles attiédis
De la nuit fraîche.
Leur parfum, vers les cieux
d'espoir,
Monte comme d'un encensoir
Du cœur des glèbes,
Troublant les vierges aux
yeux clairs
Et mettant du feu dans la
chair
Des blonds éphèbes.
Leur tapis, sur les foins
dormants,
Vibre le soir au froissement
Du pas des couples
Et leur lit, sous les lunes
d'or,
Trésaille du frisson des
corps
Jeunes et souples.
Et leur linceul, où sont
gisants
Les cadavres des fleurs des champs
De toutes sortes
Qu'ont semé les faulx des
faucheurs,
Reçoit encor la pâle fleur
Des pudeurs mortes !...
Colin chante dans le bois
Après avoir fait cueillette
au bois
D'un bouquet de violettes
Qu'il a promis à Colette ;
Par tous les fourrés du bois
Colin qui songe à Colette
Chante à pleine voix :
Ah ! Ah ! Il est pour ma mie,
ô gué !
Le joli joli bouquet.
Rencontre en un coin de bois
Jeannette qui va seulette
Au bois.
— Donne-moi des violettes ?
— Mais comme il est pour
Colette
Mon joli bouquet des bois
N'en prends qu'une violette
Lui dit-il à demi-voix
Il est pour ma mie, ô gué !
Le joli joli bouquet !
En revenant sous le bois
Trouva cinq ou six Jeannettes
Au bois
— Donne-moi des violettes !
Colin oublia Colette
Et tout son bouquet des bois
S'en fut aux mains des
Jeannettes
Lors, dit en baissant la voix
Que dira ma mie, ô gué !
Du joli joli bouquet
Puis il s'en alla du bois
Laissant toutes les
Jeannettes
Au bois.
Arriva devant Colette
Sans bouquet de violettes
Puisqu'il resta dans le bois
Epars aux mains des
Jeannettes
Et dit à piteuse voix
J'ai perdu ma mie, ô gué !
Le joli, joli bouquet.
— ne bien vite au bois !
Fait comme ordonnait Colette
Au bois,
Pour refaire une cueillette
De fleurettes pour Colette
Mais ne trouva plus au bois
Un seul brin de violette
Lors, se dit : « Une autre
fois
Garde pour ta mie, ô gué
Ton joli, joli bouquet. »
musique
de : Alcib MARIO
A peine est-il né le terrible
enfant
Que vivement le supplice du
carcan,
Déjà depuis si longtemps
supprimé,
A son égard on veut le
restaurer.
Quoique très jeune, il est
bien populaire
Et bien connu de tous les
prolétaires,
Cinglant le fort, défendant
l'ouvrier,
Il est pour eux un robuste
bouclier.
Intervenant dans les louches
histoires,
Il cherche toujours et veut
tout savoir.
Puis, au grand jour, il clame
la vérité
Bien qu'en disent les
exploiteurs Cassoret.
Dans la police, son œil fait
le déclic ;
Aussi est-il haï de tous les
flics.
Un béguin il n'a pas de
l'idiot place
Qui suce autre chose que de
la glace !
Et toi, malheureux prophète
Lebas,
Garde-toi bien quand tu
voyageras
D'annoncer la mort du pauvre
petit
Qui te prouve aujourd'hui sa
bonne vie.
Un con...seiller, le fameux
Michonneau,
L'aime beaucoup, voire plus
que sa peau,
Y tient bien plus qu'à ses
derniers cheveux,
Sans oublier ses deux énormes
yeux.
Malgré ce fumier, il pousse
et grandit,
Epate tout le monde tellement
il fortifie
Envers, contre tous ces
crocodiliens
Rien n'arrêtera le Réveil
Artésien.
LE SUBEZIOT
(1)
In Le Réveil Artésien, n° 27, 11 septembre 1910 et L'Action Syndicale, même
date.
N.
d. E. — Ce poème signé « Le Subeziot » est, selon toute vraisemblance, l'œuvre
de Gaston Couté, « Le Subeziot » étant son surnom habituel en langage
beauceron. Le Réveil Artésien et L'Action Syndicale, deux journaux
révolutionnaires du Pas-de-Calais, ont publié en juillet et août 1910 deux
autres textes parus dans
Voici l'roman d'un pauv'
jeune homme
D'un jeune homm' qui n'est
aut' que moi
Personn' ne sait comment j'me
nomme
Et pourtant je me nomme Eloi.
Je n'sors jamais, je bois à
peine,
Je suis sobre comme un
chameau,
Mais par suit' de quel
phénomène ? —
J'ai l'nez roug' comme un
coqu'licot.
Refrain
Ah mon cochon d'blair !...
qui m'a fait tant d'tort
Mais que j'support'rai tout'
mon existence,
Ah mon cochon d'blair !... tu
m'dégout's quand j'pense
Que toi, tu m'plaqu'ras un'
fois que j's'rai mort.
V'nu d'chez moi dans l'but
d'fair' des lettres,
En entrant dans l'mond'
parisien
J'allais me présenter pour
être
S'crétair' d'un académicien :
D'vant mon nez roug' comm' sa
rosette
Le digne immortel s'écria :
« Oh la la !... c'tte gueul'
!... c'tte binette !... »
Et poliment, me renvoya.
Dans les cabarets
artistiques,
Au public, j'allais
représenter,
Avec, sur mes lèvr's
ironiques,
Des chansons d'actualité ;
Mais m'voyez-vous ? les mains
aux poches
Et mon nez au-d'ssus du
piano,
Comm' j'étais frais pour
fair' le r'proche
Au princ' de Gall's d'être un
poivrot.
Dans un théâtre populaire,
Pour y jouer les amoureux,
On m'engagea. Quand j'disais
« Chère...
J'brûl !... » J'avais l'nez
roug' comm' du feu
Et des voyous en bras
d'chemise
Du haut du poulailler
m'gueulai'nt :
«Bravo pour l'amant d'la
marquise
Qu'a pas r'culé d'vant les
Anglais ! »
Bref, d'un sal' métier à un
aut'e
J'ai gaspillé mes bell's
anné's
Et tout ça rien que par la
faute
D'mon nez, d'mon nez, d'mon
fichu nez ;
Il m'a causé bien des
déboires
Mais, en ce moment-ci, j'm'en
sers
Et j'fais, moi qu'ai jamais
pu boire,
Les poivrots, au
Café-Concert.
(chanson
vécue)
Dedans la boîte du clocher,
Voici les carillons qui
sonnent ;
Et moi sur le point
d'accoucher,
En mon giron ça carillonne ;
NOËL ! NOËL ! C'est
aujourd'hui que Jésus naquit dans l'étable,
NOËL ! Il naîtra cette nuit,
un drôle encore plus misérable...
0 toi, qui vient dans mon
sabot
Me descendre avec un petiot,
De la misère et de la peine,
Noël ! Mon Roi ! Noël ! Mon
Dieu !
Fais un miracle, attends un
peu...
Attends jusqu'à l'année
prochaine.
musique de : Jeanne WILLEME
Des gâteux qu'on dit
immortels,
Des louftingues en redingote
L'adorent au pied des autels
De leur ligue de patriotes :
Des écrivassiers de mon cul
En touchants mélos d'ambigu
Ou romances pour maisons
closes
Nous chantent cette horrible chose
: La Guerre !
Refrain
Oui mais, si nous avions la
guerre,
Devant le feu, qui donc
filerait comme un pet ?
Voyons les cabots de la
guerre,
Foutez-nous la Paix !
Notre faux n'abat plus
moisson
Sous nos marteaux plus rien
ne vibre
Et nos cœurs gardent la
chanson
Que lance au vent tout homme
libre
Car nos mains dociles ont
pris
Les divers outils de carnage
Pour au même plus bas prix
Même sale et stupide ouvrage
Refrain
Un sou par jour !
Ohé ! Sur tout le chantier de
la guerre
C'est pour un sou que l'on
tuerait son frère
Un sou par jour !...
En grève, en grève !... en
grève et pour toujours.
Autres
titres : « Chanson pour les conscrits » et c Grève »
musique
de : Léo DANIDERFF
ou
Il a bien vingt ans mais pas
plus !
Il est encor frais émoulu
Du séminaire
Et s'en vient de prêchi,
prêcher
Contre la chair et ses péchés
Petit vicaire !
Refrain
Au mois de mai
Tous les rosiers ont des
roses !
Au mois de mai
Tout un chacun doit s'aimer !
Après la messe, il est allé
En égrenant son chapelet
Vers le bois proche :
Et maintenant le vieux bedeau
Sonne les vêpres sur le dos
Des grosses cloches
Tiens l'abbé n'est pas encor
là ?
Qu'arrive-t-il ?... Enfin
voilà
Que chacun prie,
En l'attendant, devant son
banc !
Mais toujours rien, au soir
tombant,
Que signifie ?
Je crois, dit enfin le
sonneur
Qu'il est arrivé du malheur,
Dans le bois proche
Y a deux voleurs à chaque
bout,
Y a des vipères, des grands
loups
Des hautes roches !
On a tout fouillé, tout levé
Et c'est tout ce qu'on a
trouvé
Du beau vicaire :
Auprès d'un moulin qui
tournait
Sa soutane avec le bonnet
D'une rosière...
musique
de : Marcel LEGAY (non retrouvée)
Ma mi' joli' qu'j'aim' ben à
c't'heure
Ma mi' joli' pourquoué qu'tu
pleures
Ta p'tit' têt' triste ent'er
mes bras ?
Tu m'demand's si j't'aim'
pour la vie
Pens' pas à ça ma mi' jolie
Nout' amour dur'ra c'qu'i'
dur'ra !
La vie est court' ma mi'
jolie,
Mais l'amour est moins long
qu'la vie,
Un jour s'en vient,
l'lend'main s'en va ;
J'avons laissé fleuri les
roses,
All's mourront, j'en
s'rons-t-y la cause ?
Nout' amour dur'ra c'qu'i'
dur'ra !
Qu'i' dur' jusqu'à trois
années pleines
Qu'i' dur' trois mois, qu'i'
dur' trois s'maines
Quoué qu'ça peut faire
pisqu'i' mourra
Mais avant qu'i' meur ma
mignonne
Gaspaillons pas l'temps
qu'nous dounne
Nout' amour dur'ra c'qu'i' dur'ra
!
Ma mi' joli', ta bouch'
m'aguiche
Ta gorg' m'affol', viens que
j'les biche
Su' les foins qui nous
tend'nt leu's draps
Et ne compt' pas l'temps par
année
Mais par caress' qu'on s's'ra
donnée
Nout' amour dur'ra c'qu'i'
dur'ra !
musique,
de : Alcib MARIO
J'ai vingt ans et j'peux en
viv' cent
Si je vis autant qu'mon
grand-pére,
Mon nez d'un vif étourdissant
Dénote une santé prospère ;
C'est vrai qu'j'ai bon
tempérament,
Mais, faut qu'un coup pour
qu'on s'défile :
Y'a tant d'cochers par la
grand' ville !...
En tout cas, v’là mon
testament.
Refrain
Mes vieux copains, quand je
mourrai,
Ne plantez pas d'saule au
cim'tiére :
Ça pourrait faire tomber
l'tonnerre
Su' la tombe oùsque
j'roupill'rai !
Quand vous m'verrez prés
d'tourner d’l’œil
Montez vitement à ma piaule,
Laissez vot' curé sur le
seuil
Et tâchez seul'ment d'êt'
drôles
Pour qu'on rigole encore un
brin :
Au lieu d'vous rapp'ler vos
prières
Entonnez un' chanson dernière
Que j'essaierai de r'prendre
au r'frain.
Tout autour de mon pieu,
gueulez !
Dansez la gigue avec vos
belles !
Fait's du chahut pour que
l'pip'let
De ma crevaison se rappelle :
Et, si jamais vous dégottez
Quelque peu d'galett', s'il
en reste
Dans les doublur's de mes
vieill's vestes,
Allez-les boire à ma santé !
Et toi, cher', garde tes deux
sous !
C'est entendu : tu m'aim's,
je t'aime !...
Mais des symbol's, moi, je
m'en fous !
Garde tes deux sous d'chrysanthéme,
T'as cor beaux nichons et
beaux yeux,
D'amour tu n'es pas encor
lasse,
Va, choisis, pour qu'il me
remplace
C'lui d'mes amis qui t'plaira
l'mieux !
Et toi qu'elle aura remarqué,
Que tu sois Jean, que tu sois
Jacques,
Ne fais pas de ce vieux
chiqué
Aussi vieux que les œufs de
Pâques :
— « Non !... c'est trop frais
!... Attends quèqu's jours.
Quand tu m'verras raid' su'
ma couche,
Dis-lui, tout en prenant sa
bouche,
« Ton amant est mort !...
Viv' l'Amour !... »
Il allait à l'école
Mais c'était un fléau,
De mêm' que la rougeole,
Pour les pauvres marmots
Comme une épidémie
On craignait ses
plaisant'ries.
Quand il apparaissait
Tout's les fill's se
débinaient.
Refrain
C'est le triste individu
Qui vient nous montrer son...
œil
Quand arrive le printemps
Y s'fait app'ler Soleilland
Il est la terreur des squares
Des cinémas et des gares
Il oblige les enfants
A rester chez leurs parents.
Il eut par injustice
Et puis par protection,
D'son cousin le minisse
A quinze ans, l'prix Montyon
Sur tout's les plac's
publiques
Il venait s'mer la panique
Comme un diable en enfer
Avec un' grand' queue... par
derrière
Avec un air infâme
On le voit dans l'Métro
Terroriser les dames
Et les plus comme il faut
Sous sa p'lisse en fourrures
Il se croit en plein' nature
;
Sans craindr' les courants
d'air
Il se montre nu comme un ver.
Il eut toutes les veines
Et devint député.
Avec un tel sans gêne
Ça n'pouvait pas rater
Mais ce fut bien aut' chose
Quand vint la saison des
roses,
L'ignoble polisson
Viola la constitution.
C'est un triste individu,
Heureus'ment qu'on en fait
plus
Quand arrivait le printemps
Ça dev'nait inquiétant.
On peut ner au square
Sans craint' de voir ce
jaguar...e
Attenter à la pudeur
Comm' s'il était sénateur.
N.
d. E. — Soleilland viola une petite fille d'une famille nantaise et la tua par
peur d'être dénoncé. Toute la presse de l'époque parla de l'affaire et les parents
d'évoquer aussitôt le triste personnage pour faire obéir les enfants, lequel
remplaça ainsi le Père Fouettard.
(incomplet)
Sous les étoiles de septembre
La cour close a l'air d'une
chambre
Et le pressoir d'un lit
ancien ;
Grisé par l'odeur des
vendanges,
Je suis pris d'un désir
étrange
Né du souvenir des païens.
Refrain
Couchons ce soir tous les
deux sur le pressoir
Dis, faisons cette folie
Couchons ce soir tous les
deux sur le pressoir
Margot, Margot, ma jolie !
musique
de : Léo DANIDERFF
J'ai pris « chaud et froid »
en faisant
Danser d'autres filles
Et, dans ma poitrine à
présent
Grince un violon malfaisant
Et piétinent d'affreux
quadrilles :
Ma mie est là qui tend vers
moi
— Ma mie est si bonne ! —
Un bol de tisane des bois
Et ses yeux bleus chargés
d'émoi
Dont chaque regard me
pardonne.
Refrain
„.Ah ! comme je tousse !...
(La tisane est douce,
La tisane aux violettes !)
...La mauvaise toux !...
(Ah ! Les chers yeux doux,
Les chers yeux de violettes
!)
Au bol blanc, moins blanc que
sa main,
Je bois deux gorgées
Et des violettes soudain,
Fleurissent comme en un
jardin
Dans ma poitrine ravagée ;
Tandis que ses grands yeux,
couleur
Des fleurs qui parfument
La tisane de leur douceur
Versent du printemps dans mon
cœur
Plein de remords et plein de
brume.
Je vais guérir, grâce au pardon
De ces violettes
Ecrasées sous mes rigodons
Aux jours de folle trahison
Où j'ai laissé ma mie
seulette !
Je vais renaître par l'Amour
De ces yeux fidèles
A qui j'ai fait ces mêmes
jours
Verser des pleurs cuisants et
lourds
Par mes légèretés cruelles.
Nous étions fiers d'avoir
vingt ans
Pour offrir aux glèbes
augustes
La foi de nos cœurs éclatants
Et l'ardeur de nos bras
robustes;
Mais voilà qu'on nous fait
quitter
Notre clair sillon de bonté
Pour nous mettre en ces
enclos ternes
Que l'on appelle des
"casernes":
En nos mains de semeurs de
blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d'amour sur la
plaine,
En nos mains de semeurs de
blé
On a mis des outils de
haine...
O fusils qu'on nous mit en
mains,
Fusils, qui tuerez-vous
demain?
Notre front qui ne s'est
baissé
Encor que par devant la terre
Bouge, en sentant, sur lui
peser
La discipline militaire;
Mais s'il bouge trop, notre
front!
Combien d'entre nous
tomberont
Par un matin de fusillade
Sous les balles des
camarades?
Nos yeux regardent sans
courroux
Les gâs dont les tendresses
neuves
S'essaiment en gais
rendez-vous
Là-bas, sur l'autre bord du
fleuve;
Mais un jour de soleil
sanglant
Ah! combien de pauvres
galants
Ayant un cœur pareil au nôtre
Coucherons-nous dans les
épeautres?...
Nous trinquons dans les vieux
faubourgs
Avec nos frères des usines:
Mais si la grève éclate un
jour
Il faudra qu'on les
assassine!
Hélas! combien les
travailleurs
Auront-ils à compter des
leurs
Sur les pavés rougis des
villes
Après nos charges
imbéciles?...
Mais, en nos âmes de vingt
ans,
Gronde une révolte unanime:
Nous ne voulons pas plus
longtemps
Être des tâcherons du crime!
Pourtant , s'il faut encore
avant
De jeter nos armes au vent
Lâcher leur décharge
terrible,
Nous avons fait choix de nos
cibles:
En nos mains de semeurs de
blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d'amour sur la
plaine,
En nos mains de semeurs de
blé
Puisqu'on vous tient, fusils
de haine!...
Tuez! s'il faut tuer demain,
Ceux qui vous ont mis en nos
mains!...
(Poème
légendaire)
Les cloches, dans le clair
matin,
Jettent leur appel argentin
Et, par les sentes de la
lande
Qui dort au bas du ciel
serein
Passent des filles de marins,
Allant à la messe par bandes.
La jouvencelle aux airs
fluets
Qui porte en ses yeux de
bluets
L’insondable infini des rêves
Va prier pour son fiancé
Qui, par un jour de l’an
passé,
S’est embarqué sur cette
grève.
Elle court, parmi les genêts,
Plus vive et plus preste que
n’est
Un oiseau d’avril dans les
branches,
Elle court et ses longs
cheveux
Où le soleil a mis le feu
Déferlent sous sa coiffe
blanche.
Elle arrive, courant toujours
En échangeant de gais «
bonjour ! »
Au bas des marches de
l’église
Où le vieux facteur du hameau
Vient lui remettre « un petit
mot »
Du « bon ami »… Douce
surprise !
L’heure de la messe
approchant,
Les cloches au-dessus des
champs
Font tomber leurs notes
massives,
Lors, elle rentre en
regrettant
De n’avoir plus un seul
instant
Pour pouvoir lire sa missive.
Dans le chœur, elle va
s’asseoir
Parmi les vapeurs d’encensoir
Qui bleuissent les vitraux
roses ;
Elle ouvre son livre et se
met
A chanter dévotement, mais
Son cœur fol rêve d’autre
chose.
Puis le Malin qui sait
toujours
Perdre les femmes par l’amour
Vient lui susurrer dans
l’oreille :
« Sais-tu ce que te dit ton
amant
Qui vogue parmi les tourments
De la mer au fauve pareille
?...
…Tu ne sais pas ? Tu peux
savoir !
Prends sa lettre, regarde
voir… »
Et laissant entrer dans son
âme
L’Esprit adroit, l’Esprit
subtil
La belle dit « Ainsi soit-il
! »
Puis se cachant comme une
infâme
Derrière un vieux pilier
tremblant
Elle parvient faisant
semblant
De lire son livre de messe,
A déchiffrer enfin le court
Et profane billet d’amour
Plein de serments et de
promesses.
Mais, relevant soudain les
yeux,
Sachant avoir offensé Dieu
Dans le sein de l’austère
église,
Elle voit, le cœur plein
d’effroi,
Le long des murs ternes et
froids
Tous les saints qui se
scandalisent.
L’archange Michel terrassant
Le serpent du Mal menaçant
Semble crier : « au sacrilège
! »
Le bon évêque Nicolas
Drapé dans sa chape lilas
Gronde dans sa barbe de
neige.
La Vierge, d’un air irrité,
Etend le bras pour lui jeter
En pleine face l’anathème
Et le petit enfant Jésus
Rougit comme s’il avait su
Lire sous sa lettre : « Je
t’aime ! »
Alors, la messe prenant fin,
Elle fuit toute seule, afin
De pleurer en paix sur sa
faute ;
Elle erre parmi les genêts,
Plus sombre et plus triste
que n’est
Un oiseau de nuit de la côte.
Car des vols de blancs
goélands
Semblent clamer en la frôlant
:
« Tu vas salir nos pures
ailes
Démone ! Démone ! Va-t-en
De là l’empire de Satan
Où le feu d’enfer étincelle.
Et la pauvre se dit : « C’est
vrai !
Las ! c’est là que je m’en
irai,
Damnée… oui, je serai damnée
!...
Seigneur !.. ayez pitié de
moi
Je ferai pénitence un mois !
Deux mois !.. six mois !..
toute l’année.
Mais Dieu dont le glorieux
fils
Est mort pour racheter jadis
Les péchés de la Magdeleine
Veut qu’un autre homme meurt
encor
Et donne l’âme de son corps
Pour en purifier la sienne.
Il déchaîne les éléments…
La mer furieuse et bramant
Dans le crépuscule qui tombe
Des profondeurs du firmament
Va devenir pour son amant
Le drap mortuaire et la
tombe.
Et peut-être ce pauvre amant
Qu’emportera le flot dormant
Ira s’échouer sur la grève
Où celle qu’il vient d’exaucer
L’attendait pour se fiancer
Pourra voir de ses yeux de
rêves
Un cadavre livide de froid
Etendu les deux bras en croix
Sous l’orbe du soleil sévère
Comme Celui-là qui fut pour
Effacer les fautes d’amour
Crucifié sur le Calvaire.
Moulin de Clan, octobre
1897