Extrait de l'avant-propos d'André Desforges
"Gaston Couté : Des Chemins de Terre aux Pavés de Paris"
(Les Dossiers d'Aquitaine).

(...) Un siècle plus tard, dans cette France du troisième millénaire, les acquis sociaux (congés payés, retraite, sécurité médicale, paiement des jours chômés, bourses, subventions, allocations familiales, etc.), les conquêtes sociales (droits au logement, à l'objection de conscience, à l'avortement, à la contraception) pourraient rendre désuètes ou folkloriques les récriminations poétiques de Gaston Couté.
Hélas non ! Les exploités, les pauvres, les clochards et les gueux existent encore : seulement on les affuble de sobriquets plus modernes tels que " employés en contrat précaire ", " RMIstes ", "chômeurs de longue durée" ou encore "SDF". Les temps changent, le vocabulaire également... Mais les exploiteurs restent les exploiteurs et ces derniers sont toujours liés à la haute finance.
Les curés portent aujourd'hui le masque de l'intégrisme et les militaires exterminent à grands coups de napalm au nom de la patrie fric. L'arme nucléaire a simplement remplacé le fusil à poudre. Les enfants sont toujours les premières victimes des guerres. Aux quatre coins du monde, des femmes, des vieillards, des adolescents meurent atrocement déchiquetés par des armes " Made in France ".
Ainsi le témoignage de Gaston Couté nous fait-il plus que jamais prendre conscience que la civilisation ne se renouvelle qu'en surface : " L'injustice, l'hypocrisie, la veulerie, la couardise, le nationalisme, la connerie..., autant de maux qui nous sont familiers et d'attitudes qui nous habitent parfois. "

Gaston Couté ridiculise les " Môssieu Imbu " de la politique, de la religion, de l'armée et du capital sans ménager ses moqueries à l'égard de " Dame Bêtise ", cette sainte patronne des hommes tristement souveraine...
De la terre de Beauce aux pavés de Montmartre, le parcours de Gaston Couté est exemplaire d'une révolte juste et authentique. II n'appartient à aucun parti, à aucune école littéraire, et poursuit dignement son chemin. Il n'est porteur d'aucun message et ne se soude point de son " plan de carrière ".
L'esprit revanchard des années 1900/1910 (il fallait à tout prix récupérer l'Alsace et la Lorraine) le chasse des cabarets parisiens. D'autres "collègues" chansonniers comme Aristide Bruant, plus " commerciaux ", plus " Nini peau de Chien " deviennent des têtes d'affiche et en conséquence, le public du poète chansonnier s'amenuise.

En 1910, la torture est rétablie au bagne et Gaston Couté chante " Car pour refaire la nature... À Biribi lugubre enfer, ils ont rétabli la torture " . Pour cet affront à la police, il doit passer en jugement à la fin du mois de juin 1911. La convocation trouvera le poète sur son lit de mort à l'hôpital de Lariboisière à Paris, foudroyé par une hémoptysie galopante. L'absinthe et les nuits de bohème ont eu raison de sa santé. Il venait d'avoir 31 ans.

Plus de 100 ans après sa naissance, nous sommes quelques-uns, poètes, chanteurs, comédiens, éditeurs à extirper régulièrement Gaston Couté de ce silence où la culture officielle l'englue. Dans la France de l'an 2 000, on peut fort bien être professeur licencié es lettres sans jamais avoir entendu parler du " gâs qu'a mal tourné ". Paradoxe du savoir technocratique.
Depuis quelques années, de nombreux interprètes tels que Bemard Lavilliers, Edith Piaf, Gérard Pierron, Bernard Meulien, Pierre Brasseur, Monique Morelli, Vania Adrienssens et bien d'autres encore, véhiculent les paroles du chantre beauceron. En outre, les journaux, la radio et la télévision diffusent parfois sa pensée étrangement actuelle. N'écrivait-il pas, de manière prémonitoire :

Je veux voir mon âme, encor pure
En dépit de son long sommeil
Dans la douleur et dans l'ordure,
Revivre au soleil !

Chantons-le donc et obéissons ainsi à ses dernières volontés, qu'il exprime par ailleurs dans son "Testament d'un sale Pierrot ", Parodie d'un poème romantique de Musset :

Mes vieux copains, quand je mourrai,
Ne plantez pas d'saule au cim'tière :
Ça pourrait faire tomber l'tonnerre
Su' la tombe oùsque j'roupill'rai " (...)

Tout autour de mon pieu, gueulez !
Dansez la gigue avec vos belles !

La statue

En cette fin de siècle où l'on célèbre en grande pompe, ici et là, le bicentenaire de la Révolution française et des droits de l'homme, n'a-t-on pas oublié, une fois de plus, d'abolir les privilèges des mollahs intégristes, des généraux dictateurs et des banquiers monopolistes du marché mondial ?

Plus que jamais, l'œuvre de Couté se révèle d'actualité ; cependant, jugée sans doute trop dérangeante, elle n'a point reçu de consécration officielle. Certes, le poète se souciait de sa gloire "comme d'une guigne", mais est-ce une raison suffisante pour le murer dans le caveau de l'indifférence ?
Nous sommes quelques-uns, et serons de plus en plus, à penser que Gaston Couté est le poète porte-parole de la terre, de l'amour, de la liberté, de la paix. Ni grivois, ni naïf, simplement railleur et humain, il s'engage et dénonce dans une verve pétrie d'humanité. Il utilise souvent, sans artifice ni ridicule, la langue et la culture beauceronne.

La majorité de son œuvre écrite en "patois de chez nous" a-t-elle besoin d'être traduite en " bon français " ? Certes non !
Traduire serait trahir toute la saveur du terroir et l'esprit rebelle de ce poète en sabots.

Et pourtant, Gaston Couté mériterait d'être connu, non seulement à Orléans ou à Paris, mais aussi à Londres, Moscou, Pékin, New Delhi ou Los Angeles. Les miséreux du tiers-monde, les peineux du monde entier ne trouveraient-ils pas, dans les chansons de celui qui fut un de leurs plus dignes représentants, un écho à leur souffrance ?

André Desforges