Ça faisait deux ans que l'idée germait, en prenant son temps, comme un vieux blé un peu sauvage... L'idée, c'était de coucher sur une bande sonore les mots que le gars de Meung, dans son parler du coin, égrenait au coin des champs, des rues et des rencontres. Ses amis, des teigneux opinâtres, avec délicatesse, arrosaient, désherbaient, aéraient, binaient, certains même ont prié pour que ça lève, pour que ça sorte, pour que ça pointe ! Et il leur en a fallu bien du courage et des descentes au "bureau" pour le décider à bien vouloir enregistrer ces textes qu'il dit comme sans en avoir l'air, la moustache ironique, les pattes arquées, les godillots encore tout crottés de la rosée du matin, comme si ça lui sortait naturellement, du brut de brut, pas trafiqué, pas "ogéèmisé"... un peu comme son gris meunier ! Et finalement,
il l'a fait, il y est passé, dans la boîte à enregistrer. En
bougonnant, sinon, ça n’aurait pas été drôle. Un jour d’avril, ça a été
direction le studio ! Après un tour au "bureau", parce que faut bien
prendre des munitions avant de partir au boulot ! Et une fois lancé, plus moyen de l’arrêter. Et d’un sérieux, réécoutant les enregistrements, reprenant ce qui n’allait pas, virant le chiendent comme chez Monsanto, comme un vrai paysan soucieux de la qualité de ses semences, le Bern'anar, un gars qui déconne pas avec le boulot ! Et, dans tous ces sons, dans ces mots gravés à jamais dans le temps, y a bien sûr du Couté, y a aussi du Dimey et puis d’autres encore… des poètes qu'il va chercher on ne sait où, des gens dont on se demande pourquoi on ne les connaît pas et comment lui les connaît ! Deux ans ça a duré, deux ans pour une journée de studio, mais c’est dans la boîte. Et maintenant y a plus qu'à en faire un objet, une sorte d'estatue à mettre sur le coin de la cheminée ou dans un appareil à écouter, bref, c'est ce qu'on appelle un CD !
Mais il n'a pas dit "non", il a juste ronchonné pour qu'on ne le croie pas malade, comme quand il a fini ses stocks de gris-meunier qu'il planque au frais dans son "bureau" et qu’il doit acheter du vin à la coopé...
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Si vous
passez par Meung-sur
Loire
- et pourquoi pas ? ce n'est qu'à quelques heures de Marseille, de
Genève ou
de Québec -,
traversez ce bourg de 3 000 âmes et guère avec et prenez la route qui
mène à
Orléans.
Vous verrez peut-être au détour d'un chemin un gars, penché au-dessus
de ses
"sas", ceux de la dernière vigne au nord de la Loire... Avancez-vous
sans bruit et écoutez... Il ne parle pas tout seul, non... Silence... Il
dit du Couté... ou du Dimey.
Cet "agricultivé" reçoit
parfois des linguistes, comme il dit avec un sourire, ou des
universitaires de
France et d'Europe, quand il n'écoute pas France-Culture dans son
tracteur !
Si il se détourne de son gris meunier pour vous parler, faites
attention :
c'est un bavard, qui émaille ses propos d'extraits de textes de
Couté... Ne
cherchez pas à en donner le titre : on ne sait jamais si il cite son
poète ou
si il parle en son nom propre.
De plus, avec sa petite moustache, ses godillots, sa casquette qu'il
soulève et
replace de temps en temps en se grattant le front, on pourrait croire
que...
Mais non, ce n'est pas lui ! Il lui ressemble, mais ce n'est pas lui...
quoique... Il devait avoir - l'autre, le vrai - le même sourire que
lui, ce
petit air de vous prendre pour un parisien comme c'est pas permis ! La
même démarche
des gens qui vont sur les chemins de terre, les chemineux, les
traineux, car -
comme il le dit lui-même - l'oiseau n'est pas souvent dans son nid.
Si il vous parle de son p'tit gris meunier qui date d'avant le
phylloxéra et
qu'il vous invite à le suivre dans son "bureau", méfiez-vous, soyez
encore plus prudent : on ne remonte que rarement debout de son bureau !
Demandez-lui comment il a connu Couté
ou si il a toujours connu Couté, il vous dira peut-être : " Ma mère connaissait le "Champ d' naviots". Certains poèmes de Couté, elle les connaissait, oui ! Mais c'était tout à fait accidentel parce qu'elle avait un cousin germain qui était pâtissier à Paris. Il était un peu plus vieux qu'elle, il était pâtissier à Paris vers 1900 - 1910 et, comme il gagnait bien sa vie, se permettait, quand il avait quatre sous, d'aller les dépenser à Montmartre, parce qu'il y avait un gars de Meung qui se produisait sur scène et qui récitait des poèmes en patois... Il y avait aussi un ancien tailleur de Meung-sur-Loire qui était dans le calicot à Paris. Etant donné qu'il étaient tous les trois de Meung ils faisaient des foires épouvantables. Quand il revenait voir ses oncles à la campagne, plein ses poches, il avait des poèmes de Couté ronéotypés et les gamines fouillaient dans les poches au grand Joseph, ma mère et sa sœur.. Elles lisaient ça en cachette, parce que si leur mère avait su ça ç'aurait été un véritable scandale. Mais il n'empêche qu'elle a connu certains poèmes de Couté du vivant de Couté. Elle avait dix ou douze ans à l'époque... La mère quand elle tombait dessus elle foutait ça au feu, ça sentait le soufre, c'était épouvantable ! Le maître à l'école nous avait appris "Les oies inquiètes"..."Ce n'est pas pour faire un calembour / Mais les oies ont la chair de poule..." C'est tout ce que j'ai retenu, mais pourtant je l'ai appris, je l'ai su par cœur... Il était très très embêté, parce qu'il y avait un mot de patois dans le poème : les "d'vanquières". Mais enfin il pensait qu'il aurait pas d'ennui avec l'inspecteur si toutefois il tombait là-dessus... parce qu'à l'époque c'était quand même relativement surveillé. A présent à l'école de la Nivelle, les gamins, ils ont appris et chanté "Grand-mère Gatiau"... sans problème. J'ai dit à la maîtresse une fois : " Tu sais; tu vas te retrouver à balayer dans la cour à faire apprendre ça aux gosses." Elle a dit : "Ça craint rien, ça a grand besoin d'être balayé, la cour ! " (tiré de l'émission de Claude Duneton diffusée sur France-Culture le 8 octobre 1992 "Une œuvre, une vie, Gaston Couté") Si vous
lui demandez si la langue de Couté est différente de ce qui se parle
aujourd'hui à Meung, Pour ce
qui est du vocabulaire, il est plutôt à son affaire, comme dans le
Champ d' naviots : Et si
vous insistez, il finira par lâcher : |
Dans son dernier
livre "La mort du français", Claude Duneton évoque Gaston Couté à
sa manière:
" Un jour, dans un train, j'ai bavardé avec une jeune fille qui
préparait
son mariage pour l'été. Elle était de la Beauce, de Meung-sur-Loire ou
des
environs immédiats, et elle cherchait un thème pour l'animation de sa
noce...
Alors je lui ai parlé de Gaston Couté. Le second poète de Meung, après
Jean,
du Roman de la Rose, lui était totalement inconnu ! Elle avait eu vent
d'un
stade Gaston Couté, me dit-elle, mais elle ignorait qui était ce
bonhomme : un
résistant ? Un ancien ministre ?...
Cette jeune fille ne s'était jamais posé la question. Il en est ainsi
en
France de l'absolue confusion des valeurs. Gaston Couté, l'un des très
grands
poètes français (1880-1911 ) toutes catégories confondues, semble
ignoré des
collégiens de Meung-sur-Loire où ses parents étaient meuniers, où il a
passé
son enfance, et où il repose, comme on dit, dans l' champ d' naviots
depuis la
fin du mois de juin 1911.
Poète maudit parce qu'il crachait des vérités crues, et surtout parce
que la
bourgeoisie universitaire a choisi la poésie acceptable : Rimbaud oui,
qui ne
parle de personne sinon de lui ! Mais Coûté qui geint la terre, qui
chante de
ses pleins poumons bacillés ses frères inconnus, les gens du cru, dans
la
langue gorgée de sons et de sève de la Basse Beauce, non ! Quelle
horreur ! De
la langue vieille comme les chemins ? Oh ! les bijoux de bibliothèques
tourneraient de l'œil, les magisters. Qu'Émile Zola, qui était
d'Aix-en-Provence, fasse des caricatures des paysans de la Beauce dans
le français
des maîtres de forges, bravo - très grand romancier ! Mais qu'un
Beauceron de
souche se mêle de vouloir peindre ses semblables, mille fois non ! Ou
alors à
distance, dans le langage de François Coppée, pourquoi pas... Dans la
mesure où
ils seraient transcendés, illuminés, méconnaissables, on veut bien :
Honoré,
Honoré, Honoré, d'Urfé !...
La
jeune fille dans le train ouvrait de grands yeux de curiosité. Et moi
qui suis
allé gratter la tombe du poète, un jour, en compagnie d'un agriculteur
de
Meung qui savait tout Couté par cœur, et le disait comme un prince,
dans
l'accent authentique du terroir, je lui ai parlé du " Foin qui presse
" à la mariée d'été.
Je lui ai fait voir comme ce serait beau pour sa noce, elle en blanc,
un gars de
là-bas qui dirait ce poème à ses invités... Quel moment d'émotion ! Il
se
pourrait qu'elle invitât ce même homme que je connaissais à boire un
coup,
afin qu'il dévide de la grande poésie pure en l'honneur de son hyménée,
en
l'honneur des pauvres vieilles garces qui ont souffert dans les champs
de blé
depuis des temps si anciens que la mémoire des hommes les a oubliées.
sauf
Gaston Couté !...
Et qu'on pourrait dire aussi " L'école ", à cause des ptiots aux
malettes - je lui racontais, sur le souvenir, sans papiers, " Eul
Christ en
bouès ".
Vous l'avez compris, cet
agriculteur
qui dit Couté "comme un prince", c'est Bernard
Gainier...
On peut le voir...
... en Beauce, car il ne monte que rarement à Paris : qui s'occuperait
des bêtes
? Et puis c'est Paris qui a tué l' Gaston ! -
on peut l'entendre dire Couté dans la région de Meung en compagnie des
gars du
"P'tit Crème" qui, eux, chantent Couté... Il fait la présentation
des morceaux sur scène et en profite pour dire des textes.