BERNARD MEULIEN


1944 - 2020
L'hommage du site "Nos Enchanteurs"

 


Môssieu Meulien ! Si on m'avait dit qu'un jour je le mettrais sur Internet... 

C'était dans les années 80, fin des années 70, au milieu de mes albums rock que j'écoutais en boucle, Bernard Meulien faisait partie de mon exception culturelle française. Car à l'époque, à part quelques Brassens, un peu de Laffaille et quelques autres raretés, c'était le rock, les Genesis, Doors, Lou Reed et autres anglophones bruyants. 

Mais aussi - va savoir pourquoi ! -  deux 33 tours, les deux premiers 33 tours de Gérard Pierron et, sur le premier, Bernard Meulien. Une émission de télé sur le monde paysan, un disquaire pas Cerbère mais bon conseiller qui me retrouve les albums des gars vus à la télé, une petite commande de deux volumes au Vent du Ch'min... et ces deux extra-rockers me tombent sur la tronche ! Les textes de Couté, les mélodies de Pierron, mais aussi cette voix qui parle dans un drôle de langage une langue qui me parle, un message qui me touche, une émotion qui m'émeut ! Des histoires de p'tits chats, d'odeur de fumier qui causent à mon côté rebelle...

Je me souviens - que Gérard Pierron me pardonne - qu'il m'arrivait de pousser le bras de l'électrophone pour me remettre l'Idylle des grands gâs. Les craquements sur mes vieux 33 tours viennent de là, c'est sûr. 

Et puis, un jour, au Limonaire, à Paris,  l'occasion m'est donnée de les voir, les deux gars. Je m'en souviens, il y en a des traces ... J'applaudis comme un fou, je prends ma claque, la même que vingt avant. Et je repars dans ma province...

Et puis, un autre jour, 4 ans, plus tard Gérard Pierron et Bernard Meulien reviennent, à Reims, cette fois-ci, tout près de chez nous, au théâtre de l'Albatros. C'était ... et là j'ose aller les saluer !

Je me souviens aussi qu'à la fin du spectacle Bernard se promène parmi les spectateurs, répondant aux mots gentils des uns et des autres... et vendant son 33 tours ! On est en 2004... 

On est en 2004 et Bernard Meulien vend des 33 tours : c'est le dernier ! 

Il faudra encore attendre près de 4 ans avant que le vieux loup de Monoblet sorte de sa tanière et nous fasse l'honneur d'un CD. Et, du coup, il en fera un double. Le premier, c'est l'enregistrement d'un de ses derniers spectacles, le second, c'est son album de souvenirs...

Et entre les deux rondelles, un joli livret oùsque le monsieur raconte "son" Couté, ses rencontres, sa vie d'artiste et de saltimbanque, ses souvenirs. 

En voici quelques-uns

C'est dans l'année 1971 que Vania Adriensens me fit découvrir Couté. 
Nous répétions une pièce de théâtre créée à partir d'improvisations corporelles et de musique de sons rythmés, sortis tout droit de l'enseignement de Grotowski : «Vers un théâtre pauvre ».
Le soir après les répétitions nous nous défoulions en chantant. Vania nous transportait, de sa voix chaude et puissante, avec des chansons de Jean Vasca, Félix Leclerc, Léo Ferré, Georges Brassens... Il me confia quelques textes de Couté. A la lecture je ne pigeais pas bien, j'avais du mal à les lire. Et puis quelque temps après, en faisant mon ménage dans la chambre de ma fille à Courbevoie je retrouvai deux textes : Les gourgandines et Le Christ en bois. Je me mis à lire à voix haute après avoir posé le balai. Du coup je me mis à rouler les r comme je le faisais en Bourgogne où j'allais tous les ans en vacances chez mon oncle, ainsi que comme mon père lorsqu'il nous grondait et que le ton montait, ou comme notre voisine Mme Garnier qui roulait bien les r : «Bonjour Bernard» J'entends encore sa voix quand je partais à l'école.

 
Dans cette chambre de banlieue parisienne les mots de Couté me ramenaient à côté des vignes sur la garenne avec ce goût âpre et sucré des pêches de vigne que nous allions marauder dans les chemins creusés par les ornières. Je revoyais la chaume sous les noyers. J'avais l'odeur de la transpiration des corps travaillant la terre. La poussière grise, sèche et volatile de la batteuse dans la cour de la ferme. Des montées d'odeur du fumier des vaches et du foin coupé. Les couleurs vermeilles du vin. 
Il faisait un beau soleil ce jour là à travers la vitre de la chambre de Courbevoie. Je restai ébloui quelques instants après cette lecture, rempli de beauté, de lucidité, d'humour et de révolte.
Alors je rejoignis Vania au Pétrin, un cabaret autogéré qui dépendait de la Maison pour tous rue Mouffetard....


J'allai voir Gérard Pierron qui était tout près à Loches et lui proposai de faire notre premier spectacle ensemble. Quelques temps après, remontant à Paris en 2 CV on se dit : «Si on ramenait Couté à Montmartre ? » Nous frappâmes au théâtre du Tertre, rue Lepic où nous passâmes une audition. La directrice à la fin du Christ en bois nous dit connaître ce texte car son père le disait aux banquets de mariage et de communion. Elle nous embaucha pour une dizaine de jours et vu le succès elle nous rappela pour un mois. 

C'est à cette période que nous rencontrons Jean Claude Richard, Jean Pierre Gault, Lucien Séroux, Jean Jacques Cardona, Christian Porcher, Jean François Amary, Jules Fleureau. Nous créons l'association Le vent du chemin afin d'éditer l'oeuvre de Couté qui venait de tomber dans le domaine public. Il y aurait aussi de belles choses à raconter avec eux comme notre tournée en Beauce pour vendre le premier tome

Madame Breteaux, une femme charmante, était venue plusieurs soirs nous écouter Vania et moi au Pétrin. Elle organisait une soirée à sa galerie de peinture à Saint Germain des Prés. Elle invita une trentaine de personnes dont Roger Monclin, écrivain antimilitariste et pacifiste. Je retiens un regard un peu usé mais prolongé vers l'infini. A la fin du spectacle nous échangeâmes quelques paroles, j'étais très ému. Il nous remercia pour le spectacle. Je le remerciai pour son livre sur Couté. 

A l'époque je l'avais, je ne l'ai plus à présent, l'ayant prêté ou donné à quelqu'un, mais qui ?

Cela me fait penser qu'une fille sympa qui venait souvent au Pétrin m'amena un soir le livre «La chanson d'un gâs qu'a mal tourné» édité par Seghers. Elle l'avait discrètement chapardé dans une librairie de province. Ce livre, je l'ai gardé longtemps, j'ai appris pas mal de textes avec. Un matin très tôt à la gare de Lyon j'attendais le premier train pour Marseille dans un bistrot. Un clodo s'approcha de moi pour me vendre quelques bibelots qu'il avait fouinés dans les poubelles. Nous prîmes le café ensemble. J'avais le bouquin sur la table, je lui lu quelques poèmes. Il était fasciné. Je lui donnais le livre en lui disant qu'il fallait lire les textes à haute voix. Il me donna en échange une petite poupée aux bras cassés, ensuite je pris le deuxième train pour Marseille. Cette année là (1976) le Vent du chemin éditait le premier tome de «La chanson du gâs qu'a mal tourné». 



Durant quelque temps j'ai habité Beaugency, je logeais dans une petite chambre qui donnait sur un grenier. Elle m'était prêtée par une de mes soeurs qui habite Lestiou avec son compagnon (merci Popaule et Jean Paul). Je tournais pas mal dans les villages de la région accompagné par Paul André ou un dénommé Chat des bavards de godal. A l'occasion d'un rendez-vous un après midi à Cléry Saint André pour voir la salle communale, je passe par Meung pour emprunter le pont qui traverse la Loire. Je me trompe de route et arrive devant le cimetière. Il faisait beau, les portes étaient grandes ouvertes, pensant que je suis un peu en avance, je pourrais essayer de trouver la tombe de Couté (j'avais été invité un an auparavant avec Jacques Florencie par la mairie de Meung pour faire un spectacle à l'occasion du centenaire de la naissance de Couté, nous étions également invités à déposer une gerbe sur sa tombe avec le cortège de la mairie. Nous avions accepté de jouer mais pas d'aller au cimetière avec gerbes et tralala). Il y avait quelques personnes dans les allées du cimetière et je me fis la réflexion – mais oui, aujourd'hui c'est la Toussaint... Oh ! l'occase de voir la tombe de Couté ! Je fredonne Le cantique païen. Me voilà dans une allée à chercher. Au bout de quelques va-et-vient je tombe dessus. Je reste pantois devant le nom gravé sur la pierre et ne bouge plus pendant une minute. Arrive un monsieur suivi d'un couple, ils approchent et le monsieur voyant la tombe dit : « Ah ! voici la tombe de Gaston Couté, un grand poète ». Il s'adresse au couple, je les salue et quitte le cimetière.

J'avais mon chien avec moi et je le fis sortir de ma 2 CV camionnette pour pisser un coup sur le parking. Voilà que je vois arriver presque en courant le monsieur qui avait parlé près de la tombe. Il s'adresse à moi tout essoufflé : «Vous n'êtes pas Meulien ? Je réponds oui – Oh ! comme je suis content de vous rencontrer ici. Je vous ai écouté au spectacle l'autre semaine, et vous savez l'histoire du champ naviot de Couté. Tout ému il poursuit – Vous savez, les vignes du poème, elles étaient là, à la place de ce parking, elles appartenaient à mon grand père. On s'appelle Mousseux». Je souris ému à mon tour, n'en croyant pas mes oreilles (un vigneron avec un nom pareil !). Nous décidons d'aller boire un verre en souvenir de Couté et de son grand père tous deux réunis dans le champ naviot. Nous attendons bien sûr que mon chien ait fini ses besoins. J'arrivai en retard à mon rendez-vous, je fus excusé par la responsable culturelle quand je lui racontai ma rencontre. Une semaine plus tard il y avait un carton de bouteilles de Gris Meunier sur le tas de bois de ma frangine de la part de Monsieur Mousseux. «A votre santé ! ». 

A Artenay par exemple où je joue un soir, accompagné à l'accordéon par Angel Pino. A la fin du spectacle, un petit gâs de douze ou treize ans achète le premier tome et le disque Alvarez (Pierron – Meulien). Il me demande un autographe. Je lui rétorque que je ne suis pas Claude François (quelque temps avant à Maze j'avais refusé à un gamin de signer un disque; il était parti pleurer dans les jupons de sa mère et je dus m'excuser avec tendresse). Ne voulant pas recommencer à faire pleurer un môme, je lui mis un mot gentil en lui expliquant que je n'étais qu'un simple interprète d'un grand auteur et que ma signature n'avait aucune valeur, que j'étais contre ce genre de procédure. Il rentre chez lui encore ébloui par les poèmes de la soirée qu'il retrouve dans le livre, il écoute le disque et découvre les musiques de Gérard avec guitare et accordéon. Il est à l'âge de sa communion. On veut lui offrir une montre, il demande une guitare. Il tapote, grignote les cordes avec ses doigts, il lui vient des petites mélodies. quelques semaines plus tard il va avec des copains écouter Danièle Messia. Il est sous le charme, à la fin du spectacle il va la voir. Il a sa guitare avec lui (à treize ans on se sent troubadour). Ils passent plus d'une heure ensemble. elle lui montre comment pincer les cordes, comment on fait sonner les notes, lui apprend quelques accords. Des années passent et voilà notre Bruno (c'est son prénom) qui décide de fabriquer des guitares. Il est aujourd'hui un grand luthier sur Orléans. 
La soirée d'Artenay a plus de trente ans ; j'avais eu l'occasion de le revoir après quelques spectacles et l'amitié grandissait dans le temps. Le 26 juin 2007 je joue avec Frédérique (une bretonne à la voix magnifique) à La Chenay près de Blois, à 15 heures sous chapiteau. Il fait tellement beau que j'entame un texte dehors. Tout le monde s'asseoit dans l'herbe. Il n'est pas loin de 16 heures et c'est à Frédérique de chanter, et qui voisje arriver ? Notre Bruno qui venait nous écouter. Il est désolé de son retard et déçu de m'avoir raté ; il est accompagné de Thierry, un vigneron (qui fait un vin ! j'en ai soif rien que d'y penser ! ). Bruno m'explique que cinq minutes dans sa cave se multiplient par dix. Nous allons après le spectacle au bar dans cette belle fête champêtre. J'entame quelques textes et chansons avec Christophe Rohr à l'accordéon. Le lendemain j'allai rendre visite à Bruno dans son atelier. Un cépage Cheverny nous accueilli dan les copeaux blancs d'un violon en préparation. Bruno fredonna sur une guitare une mélodie qu'il avait faite à Artenay il y a bien longtemps. Fort de quelques conseils de Christophe qui a sorti son accordéon, je lui propose d'enregistrer la chanson, et c'est Bruno Dreux qui chante sur sa musique :
Les gâs qui sont à Paris.