Ce n'est pas un hasard si
Bruno Daraquy a, lui, choisi de faire redécouvrir les chansons de
Gaston Couté. Certes, d'autres l'ont chanté : Claude Antonini , Jacques
Florencie, Gérard Pierron... Chacune et chacun selon sa sensibilité
propre. Mais le propos du poète paysan demeure, plus actuel que jamais
à l'heure de la mondialisation. Voilà pourquoi Bruno Daraquy a décidé
de reprendre les Chansons d'un gâs qu'a mal tourné, un spectacle dont
il proposait une première version - au singulier - dès 1983. Aujourd'hui en Périgord , Bruno Daraquy n'est donc pas un petit nouveau qui débarque. Il chante, se produit en seul en scène dans Les enfantillages de Raymond Cousse (1986),joue la comédie avec le Théâtre de la Vache Cruelle (c'était avant la folle) dans L'école des femmes de Molière (1986) et La terre est à nous de Robert Poudérou (1989), dirige un atelier théâtre au Lycée agricole de Périgueux, crée des éclairages pour un récital de Paco Ibanez (1989), tourne en récital. Avec La plus bath des javas (1990), où il chante Ferré, La butte rouge de Monthéus, Jean Boyer, Un jour tu verras de Mouloudji, L'accordéoniste de Michel Émer, Gainsbourg, Rouzaud-Monnot, Georgius (l'auteur de La plus bath des javas), Bruant, Aragon, Le temps des cerises de Jean-Baptiste Clément, Sylvie Lafleur (qui assure la mise en scène du spectacle), Baudelaire... Et Un jour tu verras (1995) avant de revenir à Gaston Couté à l'aube de l'an 2000. Né en 1880 à Beaugency dans le Loiret, Gaston Couté fut, entre 1902 et 1910, l'un des plus importants poètes chansonniers de Montmartre, dénonçant, avec verve, le sourire aux lèvres pourtant, les travers de notre monde, l'hypocrisie et l'injustice sociales. Sans oublier jamais son terroir, avec ses mots truculents et ses tournures particulières, puis la splendeur de la nature, la terre, les foins, les labours, les emblavures, les vergers et les bois, la vigne et le vin qu'il a célébrés avec ferveur. Antimilitariste convaincu, il a senti venir la grande boucherie de 14-18, mais ne l'aura pas vue ni vécue puisqu'il est mort en 1911, à trente et un ans... Grâces soient rendues à Bruno Daraquy de nous restituer la pertinence de ce propos. En scène, tout de noir vêtu, l'œil et le poil tout aussi noirs, Daraquy a pris le parti de la sobriété : il est au service des textes et chansons de Couté, non l'inverse. Il les a intériorisés comme si cette parole libertaire était la sienne. De cette intériorisation et de cette sobriété, elle renaît, plus forte, éminemment d'aujourd'hui, pour s'imposer comme la seule réponse possible face à la "macdonalisation" qui menace : un goût de liberté qui aurait saveurs de terroir. Sur des musiques portées par un même esprit. Et si Jacques-Ivan Duchesne y est parvenu sans avoir écouté ce que d'autres avaient pu composer sur les textes de Couté, sa démarche musicale, toute en juste finesse, rejoint, au delà de la mort, celle du regretté Jacques Florencie dont les allures de bûcheron dissimulaient une intense tendresse. Le spectacle nous revient pour deux soirées que ne manqueront pas ceux qui désirent respirer encore un air de liberté. Francis Chenot |