GASTON COUTÉ ENTRE A "LA GUERRE SOCIALE"
La Guerre Sociale du 22 au 28 juin 1910

Chaque semaine nous publierons de lui une chanson satirique d'actualité. L'auteur des "conscrits", des "gourgandines", du "christ en bois" et de tant d'autres poèmes d'une langue si savoureuse et si forte, vulgarisera à sa façon les idées de révolte et d'émancipation qu'il a toujours défendues.
Tous ceux qui apprécient le talent de Couté se réjouiront... Se réjouiront aussi tous ceux qui regrettent le temps où la chanson satirique, écrite au jour le jour, constituait un des plus sérieux moyens de propagande révolutionnaire, le temps où les Jules Jouy, les Clovis Hugues, les Louis Marsolleau, les uns morts aujourd'hui, les autres passés de l'autre côté de la barricade, maniaient si bien le fouet de la satire.
La Guerre sociale est heureuse qu'un poète comme Couté ait accepté de mener dans ses colonnes le bon combat contre la bêtise des Riches et des maîtres, contre les iniquités de l'ordre bourgeois.

 

En juin 1910, le journal antimilitariste La Guerre Sociale annonçait que Gaston COUTE allait publier chaque semaine, dans ses colonnes, une chanson d'actualité. Singulière alliance, à première vue, que celle du poète beauceron et de la virulente feuille hervéiste; alliance qui se prolongera jusqu'au bout puisque c'est à La Guerre Sociale que revint le triste privilège d'annoncer la nouvelle de l'hospitalisation puis du décès de COUTE.

En 1910, au moment où COUTE rejoignait ses rangs, La Guerre Sociale avait quatre ans. Elle était née à Clairvaux, ancienne abbaye cistercienne reconvertie en maison d'arrêt, de la rencontre d'un certain nombre de détenus, cosignataires d'une affiche antimilitariste dite "affiche rouge", tant pour sa couleur que pour les opinions qu'elle contenait. Malgré une certaine disparité idéologique, ces détenus décidèrent de continuer à s'exprimer dans un journal. Le 14 juillet 1906 avec la traditionnelle amnistie, fit le reste et, le19 décembre 1906, sortait le premier numéro de La Guerre Sociale. Gustave Hervé, principal animateur de l'hebdomadaire, était né en 1871. Professeur d'histoire, il vint au journalisme politique avec l'affaire Dreyfus. Ses articles antimilitaristes du Travailleur Socialiste de l'Yonne le firent révoquer. D'autres articles plus virulents encore, parus dans Le Pioupiou de l'Yonne le conduisirent plusieurs fois au tribunal et en prison. Hervé bénéficiait alors dans les milieux révolutionnaires d'un grand prestige consécutif à un article antimilitariste intitulé " Le drapeau de Wagram " et connu sous le nom de " Le drapeau dans le fumier " à cause de sa conclusion non ambiguë:

" Je voudrais qu'on rassemblât dans la cour principale du quartier, toutes les ordures et tout le fumier de la caserne et que, solennellement, le colonel, en grand plumet, vînt y planter le drapeau du régiment ".

Une telle violence annonçait le ton de La Guerre Sociale qui fut d'abord antimilitariste. L'hebdomadaire tira jusqu'à 60.000 exemplaires en 1910, arrivant ainsi au deuxième rang des périodiques politiques derrière Les Annales Politiques et Littéraires (170.000 exemplaires) et devant, dans l'ordre : L'Eveil Démocratique (28.000), Les Temps Nouveaux (8.500), La Voix du Peuple (8.500), Le Libertaire (8.000), L'Anarchie (6.500), L'Action Française (4.000), Le Socialiste (3.000), etc.

Gustave Hervé allait "virer" avec la déclaration de guerre. La crosse en l'air devint la fleur au fusil, et le 1er janvier 1916 La Guerre Sociale devint La Victoire, outrageusement nationaliste. Il rallie l'Union sacrée en 1914 0, puis crée un petit parti d'extrême droite, le Parti socialiste national en 1919, où il est rejoint par Alexandre Zevaès, ancien député guesdiste devenu l'avocat de l'assassin de Jaurès, et par Jean Allemane. Lors de la Marche sur Rome (1922), Hervé chante la gloire de " mon vaillant camarade Mussolini ".

Parmi les principaux collaborateurs de La Guerre Sociale, en 1910, il faut citer Victor Méric, Eugène Merlot (Merle pour les journaux), les dessinateurs Grandjouan et A. Delannoy, Miguel Almereyda. Ce dernier, pour répondre à la police lors des manifestations, avait organisé une " Jeune Garde" chargée de résister aux assauts des "Cosaques". Les cinéphiles resteront reconnaissants à Almereyda d'avoir engendré celui qui deviendra Jean Vigo.

C'était donc un journal très actif et réputé dans les milieux révolutionnaires que rejoignit COUTE : l'hervéisme, en marge de la S.F.I.O., eut une audience de courte durée, mais profonde. C'est Fernand Després qui fut chargé de solliciter la collaboration de COUTE au journal. COUTE était en effet l'un des rares poètes capable d'écrire des chansons politiques dans le ton des articles et dessins de La Guerre Sociale.

La chanson politique d'actualité avait à l'époque une très grande importance dans la mesure où elle popularisait de manière directe et accessible les opinions d'un journal.

On a trop tendance à juger ces chansons d'actualité en les Opposant aux productions antérieures de COUTE. Il ne faut pas perdre de vue que ces chansons étaient non seulement lues, mais aussi apprises et chantées, à l'atelier comme dans la rue ; s'il existe une incontestable différence de forme entre ces chansons et les autres poèmes de COUTE, n'oublions pas que le fond reste le même, empruntant à la même thématique et que l'engagement du poète ne fait que se prolonger tout en s'actualisant. Ces chansons constituent, comme l'a écrit Henry Poulaille, des "chansons de combat", s'insérant dans une époque qui n'est pas toujours "belle", une époque de conflits sociaux, de grèves et de répression. Ce combat, COUTE l'a mené durant plus d'un- an, sans rien perdre de sa verve ni de ses indignations. Faut-il voir en lui un naïf Don Quichotte manipulé par l'équipe de La Guerre Sociale et qui condamne son destin de poète au profit de chanson- nettes mal fagotées et maladroites, ou simplement un homme engagé dans son temps, plus à l'aise au sein du mouvement ouvrier que dans les cabarets bien parisiens qui, déjà, manifestent quelques velléités de verser dans l'alimentaire et le nationalisme.

COUTE a dépassé sa condition de "chansonnier engagé" pour devenir un chansonnier militant. Il importe peu de s'interroger sur la valeur littéraire de ses chansons; il semble plus pertinent de constater qu'il y a eu criez lui une fidélité à soi-même et une logique indéniable dans la démarche. Le gros, le possédant, le député, le soldat, qui existaient dans l'œuvre de COUTE prennent corps et nom en fonction de l'actualité. Il est intéressant finalement qu'existent les "Stances à Lépine" au même titre que "Môssieu Imbu".

Ne renions pas ces "chansons de la semaine", pas plus que celles parues dans Le Libertaire ou La Barricade. Indépendamment de leur valeur spécifique (qui est loin d'avoir la nullité qu'on a parfois pu leur accorder), elles témoignent à leur manière en faveur du combat que COUTE a mené toute sa vie, combat bien différent de celui du "révolutionnaire cocardier" Montéhus qui mourut, lui, d'une légion d'honneur en plein cœur.

Qu'importe, pour l'œuvre de COUTE, que Gustave Hervé devînt ardent belliciste en 1914 ; ce dont on peut témoigner, au vu de son œuvre et de sa vie, c'est que COUTE aurait quitté Hervé dés que celui-ci se serait montré par trop patriotard et revanchard. Il n'aurait pas "pataugé dans la bêtise, la bassesse et la crapulerie " des pousse-au-crime de la guerre.
Il mourut le 28 juin 1911, huit jours avant d'être poursuivi pour "Hélas ! quelle douleur", une chanson de La Guerre Sociale.

Kernéant, juillet août 1977
ARTEP - le vent du Ch'min
(Texte extrait du volume 4 des œuvres de Gaston Couté - Editions du Vent du Ch'min)