GUEUX

    Un soir d'hiver, quand de partout,
    Les corbeaux s'enfuient en déroute,
    Dans un fossé de la grand'route,
    Prés d'une borne, n'importe où
    Pleurant avec le vent qui blesse
    Leurs petits corps chétifs et nus,
    Pour souffrir des maux trop connus,
    Les gueux naissent.

    Pour narguer le destin cruel,
    Le Dieu d'en haut qui les protège
    En haut de leur berceau de neige
    Accroche une étoile au ciel
    Qui met en eux sa chaleur vive,
    Et, comme les oiseaux des champs,
    Mangeant le pain des bonnes gens
    Les gueux vivent.

    Puis vient l'âge où, sous les haillons,
    Leur cœur bat et leur sang fermente,
    Où, dans leur pauvre âme souffrante,
    L'amour tinte ses carillons
    Et dit son éternel poème ;
    Alors blonde fille et gars brun,
    Pour endolir leur chagrin
    Les gueux s'aiment !

    Mais bientôt, et comme toujours,
    - Que l'on soit riche ou misérable -
    L'amour devient intolérable
    Et même un poison à leurs jours,
    Et sous tous leurs pas creuse un gouffre :
    Alors, quand ils se sont quittés,
    Pour les petits qui sont restés
    Les gueux souffrent !

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