Dix mill' francs pour eune estatue !
Dix mill' francs ! Dix mill' francs d' foutus !
C'est ça, la glouère !

...écrivait Gaston Couté dans LE DISCOURS DU TRAINEUX

Et pourtant...
Le 12 juin 1949 eut lieu l'inauguration du monument édifié à la mémoire de Gaston Couté. Le buste, très sobre de ligne, quelque peu stylisé est, paraît-il, très ressemblant, pour ceux qui ont connu et fréquenté Couté vers ses dix-huit ans, Il est sculpté d'une façon simple, sans fioriture. L'artiste Edmond Morignot a fait ce buste, sans avoir connu Couté, avec seulement quelques photos.
Le chansonnier était simple. Sa statue est simple. Bien sûr, si quelqu'un lui avait dit qu'un jour il aurait sa statue édifiée sur une place de sa petite ville, il aurait haussé les épaules en éclatant de rire.

Le programme de cette journée comprenait :
- 10 h. 45 : Mise en place du buste.
- 11 h. 30 : Visite du Musée Gaston -Couté.
- 12 h. 30 : Déjeuner.
- l5 h. : A la salle des fêtes ; Interprétation de quelques-unes des meilleures œuvres de Couté.

La cérémonie a eu lieu à la " bonne franquette ", sans souci aucun du programme élaboré avant. Couté aurait aimé cette franche liberté. Le sculpteur Edmond Modrignot, avec l'aide d'un ami, sortit de son auto le buste de Couté. Il fallut une petite échelle pour le mettre sur le socle. Une grande serviette, prêtée par une voisine, recouvrit le buste. On était prêt !
Il y eut quelques discours. MM. Denis, maire de Meung-sur-Loire, Raymond Cognat, qui représentait le Ministre des Beaux-Arts, Marcel Sauvage, et le poète Maurice Fomheure.
La visite du Musée, bien en retard sur l'horaire, fut très intéressante. Beaucoup de documents et de reliques étaient étalés sur une grande table ou accrochés au mur.
Chaque visiteur inscrivit ensuite son nom sur un grand registre. Après l'excellent déjeuner pris au restaurant de la Gare, les convives se rendirent à la salle des fêtes. Quelques phrases d'Alzir Hella débutèrent la soirée. Ensuite le Secrétaire de l'Association lut un poème de Hésus Grué qui malade, n'avait pu venir. Mademoiselle Berton dit quelques chansons. M. Frottier, camarade d'école de Couté, raconta plusieurs anecdotes sur sa vie. MM. Marcel Sauvage, Maurice Fombeure, de Félice, Langlois prononcèrent des allocutions.
Puis M. Paul Barthet reprit la parole, et par des dons incontestables, mit en valeur certains poèmes du gas qu'a mal tourné. Gaston Couté, le non-conformiste, le réfractaire, aurait peut-être trouvé à son goût cette réunion, où vraiment il n'y eut que des fervents qui communièrent dans le même souvenir du regretté poète beauceron et montmartrois.

Voici de larges fragments du poème envoyé par Hésus Grué, poète beauceron et ami fidèle de Couté :

A DEFUNT GASTON COUTE

Tu vas l'avoir, toun estatue !
Qu'a soy' jolie ou malfoutue
Ça t'argad' pas.
D'abord que t'es mort, t'as qu' de t'taire.
Qu' ça t' plaise ou pas, y a ren à faire.
Artins ça, gâs !

Mais on va t'en payer un' belle.
Un' beII' qui coûte un' ribambelle
De billets bleus.
Quand qu' tu vivais, t'étais pas riche :
T'aider, ç'aurait été d' la triche,
Faut jouer l' franc jeu.

" I's " t'auraint pas payé un lit'e,
" l's " t'auraint pas douné un gîte,
S'ment pas deux sous.
T'eus mort, ça sang'. T'auras la gloire.
Tu vas p'têt' pas d'mander à boire,
Du fond d' ton trou ?

C'est l'gouvarnement qui t'honore.
Faut du sérieux, faut du sonore,
Faut du discours.
T'en auras. Pis du mond' conv'nab'e
Qui s' sentiront en sortant d' tab'e
Tout pleins d'amour.

Du mond' qu'auront des boun's idées,
L'préfet, anc sa casquett' dorée,
Tout l' tralala,
Coum' pour le Comice Agricole.
I's t'en piss'ront, d' la boun' parole
Ceux mogneaux-Ià !

l's diront, en bell's phras's ben rondes
Qu' t'avais pas ton pareil au monde
En fait d' talent,
Et pis qu' t'avais d' l'esprit à r'vend'e,
Qu'eux aut's ont pas mis à l' comprend'e
Pus d' quarante ans.

Qu'i's v'lont encourager les lett's.
Mêm' que si ça s' trouv' des poètes
Qui viv'nt encor
Y a que d'ieux dire, i's sont d'attaque
Pour ieux inaugurer un' plaque
Dret qu'i's s'ront morts.

T'auras du mond', t'auras tout l' monde
(Les aubarg's partout à la ronde
F'ront ben d'l'argent)
Des houmm's, des femm's et des droyéres.
Pis des militair's de carrière,
l's t'plaisaint tant !

T'auras l' concours de la fanfare,
L'épicier et pis l' chef de gare,
Qu'auront des gants.
Y'aura l' maît' d'école et pis l' maire.
T'as la gloir'. Mêm' si ça doit t' faire
Grigner des dents.

Mais quand qu'la fête a' s'ra finie
Pis qu' la place a' s'ra dégarnie,
Rest'ra pus qu' toi.
Tu s'ras tout seul. Tout dret, tout raide,
Au mitan de c'te grand' plac' frède,
Coumme un gâs mort un' deuxièm' fois.

" Résurrection, et non seconde mort ! ", protesta Gauthier.

Statue

Ce poème est désabusé, amer. On y sent une révolte farouche contre tous les honneurs et le clinquant des céremonies officielles. Il est dans la ligne des idées de Couté.
Certains participants de la cérémonie ont dû être choqués par la teneur de ce poème, qui reprenait tous les griefs que Couté avait lancés contre les officiels et certains parvenus de tout poil.
Cependant, il faut dire que ce n'est pas contre le paysan beauceron que Couté s'est heurté, mais seulement contre sa façon de vivre, son âpreté au gain, sa dureté physique pour les serviteurs et les animaux qu'il emploie.

Quelques conscrits de la classe 1952, après un bon repas, certainement copieusement arrosé, au cours de leurs divagations de bistrots en auberges, étaient passés près du monument Gaston Couté. L'un d'eux, à travers les brumes de son cerveau, se souvenant du poème de Couté sur les conscrits, avait dit à ses camarades, en désignant le buste : " Les amis ! vengeons tous les conscrits en cassant la gueule de ce salaud de Couté. "
Mais détruire un monument public peut avoir des conséquences graves. Et, qui sait, il y avait peut-être parmi les jeunes gens un admirateur de Couté ?
Aussi, ils se contentèrent simplement de changer le buste de direction. Ce qui n'était pas bien méchant, il faut en convenir. Cela devenait une simple farce, dont on ne pouvait que rire.
Depuis ce jour, le buste de Gaston Couté est scellé sur son socle...


Ce n'est qu'en septembre 1957 que l'avenue Lamarck, modeste voie au flanc nord de la Butte, devint officiellement la rue Gaston Couté.
Couté aurait ouvert de grands yeux, si on lui avait affirmé qu'un jour il aurait sa rue à Montmartre. C'est pourtant chose faite à présent.
Disons aussi que Meung-sur-Loire, Orléans et Beaugency ont donné  nom de Gaston Couté à une de leurs rues.