LE FONDEUR DE CANONS

Je suis un pauvre travailleur
Pas plus méchant que tous les autres,
Et je suis peut-être meilleur
O patrons ! que beaucoup des vôtres ;
Mais c'est mon métier qui veut ça,
Et ce n'est pas ma faute, en somme,
Si j'use chaque jour mes bras
A préparer la mort des hommes...

Pour gagner mon pain
Je fonds des canons qui tueront demain
Si la guerre arrive.
Que voulez-vous, faut ben qu'on vive !

Je fais des outils de trépas
Et des instruments à blessures
Comme un tisserand fait des draps
Et le cordonnier des chaussures,
En fredonnant une chanson
Où l'on aime toujours sa blonde ;
Mieux vaut ça qu'être un vagabond
Qui tend la main à tout le monde.

Et puis je suis aussi de ceux
Qui partiront pour les frontières
Lorsque rougira dans les cieux
L'aurore des prochaines guerres ;
Là-bas, aux canons ennemis
Qui seront les vôtres, mes frères !
Il faudra que j'expose aussi
Ma poitrine d'homme et de père.

Ne va pas me maudire, ô toi
Qui dormiras, un jour, peut-être,
Ton dernier somme auprès de moi
Dans la plaine où les boeufs vont paître !
Vous dont les petits grandiront
Ne me maudissez pas, ô mères !
Moi je ne fais que des canons,
Ça n'est pas moi qui les fais faire !

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