1899
Le chansonnier Léon de Bercy écrit sur Couté dans son livre " Montmartre et ses chansons (1902) :
" ... Je lus en hâte les
strophes manuscrites sur lesquelles, Buffalo et ses patrons attendaient
mon appréciation. Elles étaient écrites en vers patoisés avec des
termes aux articulations ouvertes et des expressions paysannes fleurant
le terroir chartrain. Très colorées, elles dégageaient une mélancolie
un peu rude où se devinait une pointe d'amère misanthropie ; elles
avaient pour titre : Le champ de naviots.
- Mais, c'est très bien, m'écriai-je après avoir relu plus attentivement le poème. Et de qui est-ce ?
- D'un p'tit gas qu'arrive de son patelin, me dit Buffalo.
- Il se nomme ?
- Gaston Couté. Il n'a que dix-huit ans.
- Il faut vous l'attacher,
dis-je à Taffin, le Directeur d'Al Tartaine. Voilà une note nouvelle,
originale, qui intéressera certainement le public; et j'estime que ce
petit bonhomme est un poète, un vrai et il faut l'encourager. Je serais
bien étonné si, d'ici peu, il ne nous forçait à l'admirer par la
production de quelque " tartine " de large envergure. Engagez-le. Vous
vous en féliciterez, j'en suis sûr... "
Gaston Couté, entré à " Al
Tartaine " vers la première quinzaine de novembre, ne resta dans ce
cabaret guère plus d'un mois. Il avait comme cachet des cafés crème et
quelques croissants quand la Direction était généreuse. Il passa
ensuite à " L'Ane Rouge ", ancêtre des cabarets montmartrois, avenue
Trudaine, dont les Directeurs étaient André Joyeux et Maurice Lucas. Il
y fut emmené par Bartholo, un camarade chansonnier. Couté n'y était
guère plus payé qu'au cabaret de ses débuts. Heureusement qu'à cette
époque le peintre Jamet, qui l'avait pris en amitié, l'hébergeait.
Deux mois plus tard, il
était engagé aux " Funambules " que dirigeait Georges Oble. Il gagnait
3 fr. 50 par soirée. Son existence s'était améliorée. Son. tour de
chant amenait de nombreux spectateurs. Son nom était inscrit en gros
caractères, avec celui de chansonniers en vogue, sur une affiche en
couleurs. Il allait bientôt être un chansonnier que les Directeurs de
cabarets rechercheraient pour leur programme.
La période de misère des
débuts à Paris etait terminée. Les quelques pièces d'argent que Couté
avaient apportées furent vite épuisées. Il avait connu alors des jours
de détresse et de dénuement complets. Et s'il n'avait pas eu alors les
applaudissements des auditeurs et les encouragements de quelques
véritables amis, il aurait certainement douté de lui-même et abandonné
à jamais ses rêves de poète montmartrois.
Gaston Couté avait fait la
connaissance de nombreux chansonniers, dont plusieurs étaient devenus
ses amis. Un de ceux-ci, Maurice Lucas, a écrit : " ... C'était
l'époque où dans le sillage tracé par le " Chat Noir," prospéraient les
cabarets montmartrois. Avec sa blouse bleue, ses sabots et son large
feutre, Couté se présenta à " l'Ane Rouge ", avenue Trudaine, où il put
dire ses poèmes... "
Jehan Rictus, qui disait
ses poèmes aux " Funambules " écrit sur les débuts de Gaston Couté :
"... Georges Oble et moi, nous nous trouvions incontestablement en
présence d'un adolescent de génie qui, à ses dons extraordinaires,
joignait déjà une technique des plus habiles et la connaissance
approfondie du métier... "
Francine Lorée-Privas
disait. de Couté : "... Il nous étonnait tous par sa simplicité hardie,
sa malice naïve, sa bonhomie sauvage, son ironie grave, sa jeunesse
avisée autant que sa franchise libre et sa gaieté franche... "
Les parents de Gaston
Couté n'avaient aucune nouvelle de lui depuis son départ. Malgré la
détresse effroyable de ses débuts à Paris, il était trop fier pour leur
demander de l'aide. Il se souvenait des paroles de son père. Personne
ne l'avait obligé à venir dans la Capitale. Il devait donc payer la
note, même si elle se révélait catastrophique.
Et puis, il espérait que
ce serait un mauvais moment à passer et que tout s'arrangerait bientôt.
Il rêvait d'être chansonnier à Montmartre, Il l'était devenu. Si
l'argent avait fait trop défaut, il était compensé par des succès
flatteurs, des amitiés précieuses,
A la belle saison, quand
la vie artistique de Paris se ralentissait, les nombreux cabarets
repliaient leurs tréteaux pendant quelques semaines. Couté, qui devait
dépenser aussitôt les cachets qu'il gagnait, fut désemparé. A court
d'argent, il se décida de revenir quelque temps au pays. Le voyage de
Paris à Meung-sur-Loire coûtait. six francs en ce temps-là, Il réussit
à réunir cette somme et prit le train. Il arriva à .Meung-sur-Loire,
affamé, amaigri, avec son linge douteux sous des vêtements fripés. Il
alla d'abord chez un ami, qui fut sidéré de le voir dans un semblable
état. Son linge fut aussitôt lavé, repassé, ses vêtements brossés,
détachés, ses cheveux taillés.
Le vieux papa le regarda
longuement, ému et attristé. La maman et la sœur avaient les larmes aux
yeux en voyant son visage pâle et émacié, ses vêtements élimés. Au
vieux moulin, la joie régnait, puisque la famille était maintenant au
complet. Même les rapports entre beaux-frères étaient presque cordiaux.
Tout était donc pour le mieux dans le meilleur de la famille.
Gaston Couté mangeait à sa
faim. Il dormait dans un bon lit. Il faisait de longues promenades dans
les lieux familiers où il retrouvait avec une intense émotion tous les
souvenirs de son enfance. Il lui semblait qu'il avait quitté son pays
depuis des années. Mais, ce qu'il appréciait le plus, c'était
l'affectueuse tendresse de sa mère et de sa sœur.
Dans l'ambiance des
premiers jours, il se répétait qu'ici était la vraie source de la vie,
le bonheur simple et pur. Emu, ébranlé, il se demandait si sa place
n'était pas auprès des siens. Il y avait du travail pour lui, avec tout
ce qu'il fallait pour être heureux. Au diable Paris ! avec ses plaisirs
frelatés et malsains.
Mais ces résolutions ne
dureront pas longtemps. Quelques semaines passées, cette vie monotone
commençait de l'ennuyer. Il trouvait qu'on le traitait comme un gamin
qui devait toujours obéir. Il changeait de caractère et pour des
futilités se disputait avec son père et surtout son beau-frère.
Il avait maintenant la
nostalgie de Montmartre et de ses cabarets qui avaient dû rouvrir leurs
portes. Il pensait à ses camarades. Il rêvait d'horizons nouveaux. Une
force mystérieuse, dont il n'était plus maître, le poussait au départ.
Aussi un matin, il fit un
paquet de son linge, dit adieu à sa famille et le voilà reparti sur 1a
grande route. Personne ne peut dire s'il prendra le train ou s'il ira à
pieds, mais le but de son voyage, c'est Paris.
Gaston Couté sera toute sa
vie un instable, Il avait des goûts de vagabond, avec un besoin intense
et inexplicable de changement, de pays nouveaux. Il était fait pour
être ce romanichel que l'horizon, là-bas, attire irrésistiblement et
qui ne pourra longtemps rester dans le même lieu. Il sera toujours un
étranger pour sa famille, qui ne pourra jamais le comprendre. Il ne
fera, certes, -pas le moindre effort pour remédier à ce crucial
désaccord.
Maintes fois, il partira
par la route, seul ou avec quelques camarades. Il rentrera des semaines
plus tard, harassé, mais heureux. Il reprendra son tour de chant dans
un cabaret, avec plusieurs poèmes nouveaux qu'il aura écrits pendant sa
randonnée.
Même s'il devait coucher
dehors, même s'il soutirait dans sa chair, il devait se trouver quand
même satisfait d'être libre, d'aller n'importe où, à sa guise.
Gaston Couté aimait donc
la fantaisie, l'imprévu. ,après un tour de chant ou au cours d'un
voyage, s'il rencontrait quelqu'un qui lui plaisait, il allait
disparaître pendant des semaines pour aller n'importe vil, laissant
tout ce qu'il a en train : travail, logis, ainsi que ses parents ou ses
amis les plus intimes. Cela comme la chose la plus naturelle du monde...
Ainsi, Gaston Couté
retrouvait ses camarades avec plaisir et reprenait son tour de chant
aux "Noctambules". Jules Mévisto était devenu le -Directeur de ce
cabaret. Le cachet de Couté fut porté à cinq francs par soirée. Ce
n'était pas la fortune. Cependant, il gagnait la paie d'un bon ouvrier
de ce temps. Il pouvait donc vivre d'une façon décente et avoir une
bonne chambre dans un hôtel, place Jean-Baptiste Clément. Mais, ainsi
que presque tous les bohêmes, l'argent lui fondait dans les doigts,
Lui, qui dans la dure période de ses débuts à Paris n'avait pas demandé
le moindre service à ses camarades, avait autour de lui une troupe
famélique de chansonniers et d'artistes. Il leur offrait à manger et à
boire, sans compter.
L'argent comptait donc peu
pour Couté. Quand il n'en avait pas, il s'en passait facilement. Quand
il en gagnera beaucoup, il le dépensera, le gaspillera plutôt, sans
penser à faire la moindre économie, C'est pourquoi, il traversera trop
souvent des périodes de dénuement complet