1900

En 1900. Gaston Couté eut donc vingt ans, l'âge de faire son service militaire. Il quitta à regret Montmartre et arriva dans son pays où il devait passer le Conseil de Révision.

Les chansonniers ne portaient pas l'armée sur leur coeur. Gaston Couté, qui est encore plus cabochard que ses camarades, ne peut se faire à l'idée d'être soldat. Il avait écrit l'année précédente un poème intitulé " Les conscrits ".
C'est en voyant les futurs soldats se comporter, après des divagations et des beuveries interminables, que l'idée lui vint de faire ce poème, acide comme du vitriol et qui ne dit guère plaire aux " ratapoils " de l'époque.

Gaston Couté a été un enfant chétif. Il était devenu un jeune homme de taille moyenne, aux épaules étroites, guère costaud, mais vif et agile. Les deux années passées à Paris, surtout dans les premiers mois, où il n'avait pas souvent mangé à sa faim, n'avaient guère amélioré sa santé.

Cependant, il avait peur d'être " bon, service armé". Aussi avant la visite il se drogua, but du vinaigre et ne mangea pas pendant quelques jours. Il arriva dans un état déficient devant l'aréopage de médecins militaires. En l'examinant, l'un d'eux lui aurait demandé :
- " Que faites-vous dans" le civil ? "
Couté lui répondit d'un ton goguenard :
- " Chansonnier ! "
Le Major lui dit :
- " On ne peut dire que le métier de chansonnier nourrit son homme ! "

Si ce médecin avait su que le jeune homme qu'il avait devant lui, était l'auteur d'un poème antimilitariste, il ne l'aurait certes pas félicité. '
Gaston Couté, à sa grande joie, fut ajourné.
D'ailleurs, appelé par la suite à passer deux autres visites, il fut encore ajourné et ensuite réformé définitivement.

En ne faisant pas son service militaire, Couté évita peut-être le pire. Il est certain qu'étant soldat, il aurait été un perpétuel révolté et avec son franc-parler, cela aurait pu finir très mal pour lui. A cette époque, on ne badinait pas avec la discipline. La moindre peccadille pouvait conduire son homme tout droit aux Bataillons d'Afrique.

Des années plus tard eut lieu dans un cabaret montmartrois cette scène eut lieu. Au cours de son tour de chant, Couté venait de dire " Les Conscrits ", quand un homme se lève parmi le public et dit d'un ton furieux :
- " Je suis capitaine ! Je rougis des paroles que vous venez de prononcer contre l'armée. "
Couté, tout de go, lui répondit :
- " Le rouge va très bien à un militaire ! "
Ce poème lui valut plus tard d'être assailli par des jeunes gens, au cours d'un séjour au. pays. Son ami Frottier, qui était avec lui, nous a dit qu'ils durent se sauver en toute hâte pour ne pas être blessés par les cailloux lancés par ces énergumènes.

C'est pendant ces années 1899-1900 que Gaston Couté écrivit quelques-uns de ses poèmes les plus purs et les plus émouvants. Il n'avait pas encore vingt ans.
Citons parmi les plus représentatifs ; "Le gas qu'a perdu l'esprit", "Les conscrits", "Le gas qu'a mal tourné", "Le christ en bois", "Les gourgandines", "Les électeurs", "L'école".
L'ambiance favorable des milieux montmartrois, les souvenirs ardents de son pays lointain et surtout cette période de détresse qui brûlait ses pensées comme un fer chauffé à blanc, contribuèrent beaucoup à la création de ces poèmes sociaux d'une force et d'une âpreté inouïes.

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